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Comptes rendus de lecture

Cédric Perrin, Le xxsiècle des artisans. Histoire d’une disparition non advenue

Olivier Crasset
p. 369-372
Référence(s) :

Cédric Perrin, Le xxsiècle des artisans. Histoire d’une disparition non advenue, Paris, Le Manuscrit, 2023, 216 pages

Texte intégral

1Dans cet ouvrage, l’historien Cédric Perrin opère une synthèse des travaux de sa discipline sur l’artisanat au xxe siècle. Les spécialistes de la question se réjouiront de voir rassemblées des réflexions restées jusqu’ici éparses ; cette vision d’ensemble intéressera aussi un public plus large puisqu’elle se nourrit de l’apport de disciplines connexes. La géographie, la sociologie, les sciences politiques et économiques alimentent et élargissent le propos. Les encadrés proposés au fil du texte se focalisent sur des événements, des personnages historiques et des questions transversales. L’ouvrage foisonne d’exemples puisés dans des secteurs et métiers qui illustrent la diversité de l’artisanat et les courants contradictoires qui le traversent. Tenir un propos général sur ce sujet est un exercice ardu rendu possible grâce à une approche pluridisciplinaire excellement documentée. Les comparaisons avec les pays voisins, présentes à chaque chapitre, élargissent encore le cadre d’interprétation. Le choix éditorial de ne pas citer les sources dans le corps du texte et de regrouper les références en fin de chapitres rend la lecture fluide, même s’il constitue un obstacle pour approfondir la lecture.

2Le mot « artisanat » est lui-même envisagé comme une production linguistique, sociale et historique. Le concept apparaît en 1920, en même temps que s’organise le groupe social qu’il désigne, dans un contexte où cette classe sociale s’est différenciée des ouvriers et du patronat suite à la salarisation de la main-d’œuvre. Il s’agit tout d’abord d’interroger une disparition souvent annoncée et jamais advenue. « Il n’y a pas eu de déclin des artisans et de l’artisanat au xxe siècle en France et en Europe » (p. 49-50). La thèse soutenue est contre-intuitive, tant l’image de l’artisan renvoie à un âge d’or préindustriel révolu. La première partie de l’ouvrage tient la promesse annoncée en montrant la relative stabilité de l’artisanat au cours du xxe siècle. En 1920, on dénombre 800 000 artisans, et ce chiffre est identique dans les années 1990. Entre ces deux périodes, l’artisanat fluctue. Il est en recul pendant la dépression des années 1930, puis un artisanat de nécessité et de débrouille apparaît dans les années 1940 avant de refluer dans les deux décennies qui suivent.

3La seule période de déclin que l’auteur repère est plus tardive qu’on l’admet généralement, soit dans les années 1950 et 1960, avant un retour à la hausse à partir des années 1970. Le début du xxie siècle, marqué notamment par la création de l’auto puis microentreprise, voit le nombre d’entreprises artisanales exploser. Aujourd’hui, leur nombre dépasse le million et elles occupent trois millions de personnes, salariés et indépendants confondus. Le mythe de la disparition est contredit au profit de l’idée de transformations profondes dans un équilibre dynamique.

4Cette stabilité apparente masque des changements continuels. Des secteurs entiers ont bel et bien disparu mais l’artisanat s’est sans cesse renouvelé par différents mécanismes économiques et sociaux. On peut suivre les variations du recrutement social, des statuts juridiques, la place des conjointes, les modes de consommation, les évolutions techniques qui condamnent des métiers et en créent de nouveaux. Ce tableau n’est pas idéal(isé) et la vitalité de l’artisanat va parfois de pair avec de profondes crises sociales. L’évolution de l’artisanat n’est pas linéaire, elle ne suit pas une loi de l’histoire qui reposerait sur le progrès technique ou l’industrialisation. Elle résulte du contexte politique, institutionnel, économique et des événements historiques.

5La démonstration de la non-disparition de l’artisanat est convaincante. Reste à savoir à quoi tient l’existence de ce mythe tenace. On trouve des éléments pour y répondre au fil de la lecture : depuis les prophéties des grandes théories sociales du xixe siècle, la glorification par les régimes conservateurs qui l’ont entrainé avec eux dans leur chute puis le désintérêt des élites dirigeantes, jusqu’à sa dissolution dans l’entrepreneuriat. L’histoire des représentations sociales de l’artisanat et de leurs usages politiques est éclairante.

6Cette transformation continuelle contribue certainement au mythe de la disparition. L’artisanat disparait réellement en même temps qu’il se renouvelle. Chaque période voit péricliter certaines activités devenues obsolètes sans que celles qui émergent soient déjà bien perceptibles. Il semble que ce soit la succession des générations plutôt que les capacités d’adaptation individuelles qui permet de maintenir l’équilibre. Chemin faisant, l’auteur égratigne aussi les idées reçues sur une industrialisation pas si révolutionnaire, un artisanat prêt à se saisir des innovations techniques, une filiation supposée entre corporations et institutions artisanales du xxe siècle.

7La seconde partie du livre examine les transformations internes de l’artisanat. Les métiers exercés ont changé. Des secteurs d’activités jadis importants comme le travail du cuir, du textile et l’artisanat rural ont presque totalement disparu. À l’inverse, le secteur des services a vu l’apparition de nouveaux métiers, notamment dans l’automobile ou l’informatique. Les artisans contribuent ainsi à la diffusion d’innovations techniques dans la société. Les techniques de production se sont également modernisées, et ce que l’on peut qualifier de travail artisanal a beaucoup évolué. Les réflexions de l’auteur sur la place des machines sont particulièrement fécondes. Si l’origine du mot « artisan » renvoie bien à un travail manuel, la mécanisation a débuté dès le xixe siècle en utilisant l’énergie musculaire humaine et animale, puis de petites machines à vapeur et surtout l’électricité. La mécanisation a engendré de nouveaux métiers liés à la maintenance, l’utilisation et la fabrication des machines. Elle a révolutionné les gestes manuels par l’emploi de machines électroportatives qui s’interposent entre la main et l’outil sans pour autant séparer le travailleur de son œuvre. Les machines sont également l’objet de la mètis artisanale. Si « les artisans ont adopté des machines, ils les ont aussi adaptées à leur travail » (p. 107), notamment en détournant ou modifiant leur usage premier. « L’utilisation et la maîtrise des machines sont devenues au cours du xxe siècle une nouvelle facette de l’artisan en homme de métier, en travailleur manuel » (p. 107).

8L’auteur aborde ensuite les dimensions familiales du travail, la diffusion de la culture entrepreneuriale et l’apprentissage en déconstruisant l’image d’un artisanat figé et passéiste.

9La troisième partie envisage les enjeux politiques de l’artisanat sous le double aspect des actions entreprises par les artisans et des politiques publiques menées à leur égard. Acteur dans le champ politique et objet de prises de positions idéologiques, l’artisanat a été porté sur les fonts baptismaux par la gauche avant d’être glorifié par la droite conservatrice, puis délaissé par les élites réformatrices des Trente Glorieuses. Aujourd’hui paré des vertus de l’entrepreneuriat, sa spécificité semble se dissoudre et ses frontières sont moins nettes.

10En déconstruisant le mythe de la disparition, l’ouvrage renouvelle le regard sur l’artisanat. Son histoire n’est pas celle d’un déclin mais relève plutôt d’un problème de baignoire qui se remplit tout en se vidant et le niveau d’eau varie finalement peu. Cet équilibre apparent cache un renouvellement constant qui est décrit avec détail. Malgré les grandes tendances observées, l’artisanat reste, comme le souligne l’auteur, une mosaïque. On peut toutefois regretter que la question de la protection sociale n’apparaisse à aucun moment alors que la discussion sur les politiques publiques et la fiscalité pouvait y mener. L’histoire tumultueuse des organismes de retraites et de santé et celle des droits sociaux des artisans sont pourtant faites d’un subtil mélange d’oppositions et de revendications dont on pouvait espérer une analyse. Des absences qui sont autant d’encouragements à poursuivre les recherches avec un esprit critique bien présent dans cet ouvrage.

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Pour citer cet article

Référence papier

Olivier Crasset, « Cédric Perrin, Le xxsiècle des artisans. Histoire d’une disparition non advenue »Artefact, 20 | 2024, 369-372.

Référence électronique

Olivier Crasset, « Cédric Perrin, Le xxsiècle des artisans. Histoire d’une disparition non advenue »Artefact [En ligne], 20 | 2024, mis en ligne le 18 avril 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/artefact/15556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wv0

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Auteur

Olivier Crasset

Sociologue et ingénieur de recherche au Laboratoire d’études et de recherche en sociologie (LABERS EA 3149), Université de Brest

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