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Cultures matérielles et visuelles

La relique et la réplique

Pour une ethno-histoire du patrimoine automobile des croisières Citroën
The Relic and the Replica. An Ethnographic and Historic Account of the Citroen Cruises Automotive Heritage
Vincent Guigueno
p. 311-336

Résumés

Résumé : Le point de départ de cet article est un événement contemporain : la célébration en 2019 du centenaire de la marque Citroën, pendant laquelle une « croisière vers l’Ouest » fut organisée, au départ de la place de la Concorde, siège de l’Automobile Club de France. Quatre autochenilles « historiques », ainsi qu’une réplique du Scarabée d’Or réalisée par des étudiants des Arts et Métiers, prirent part à cette parade. Les participants étaient parfois même en tenue d’époque. L’article propose dans un premier temps d’interroger cette mémoire automobile des croisières, réactivée par la marque Citroën et des « passionnés » dans les années 1970 au moment des grands raids annonçant le Paris-Dakar (1978). Il propose ensuite d’étudier les trajectoires patrimoniales des autochenilles conservées dans des collections publiques et privées. Des entretiens ont également été menés avec les auteurs de la réplique du Scarabée d’Or, dont le projet est de refaire le parcours des croisières historiques.

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Texte intégral

Je remercie Stéphanie Ponsavady d’avoir bien voulu participer au séminaire de lecture d’une version antérieure de ce texte, organisé par l’association Passé-Présent-Mobilité (P2M) le 17 décembre 2020. Je lui dois en particulier le titre de cet article. Je remercie l’ensemble des participants au séminaire P2M, ainsi que les deux évaluateurs de la revue qui lui ont permis d’apporter des précisions à une première version.

Été 2019 : quand la mémoire « chauffe » place de la Concorde…

  • 1 La cloche tibétaine est une mini-série en sept épisodes produite par l’ORTF et Telecip, et diffusée (...)
  • 2 On pense ici à la douzaine de volumes publiés aux éditions Glénat par Ariane Audouin-Dubreuil, fill (...)
  • 3 Venayre, 2002.
  • 4 Jablonka, 2016.

1Avant d’être impliqué dans l’organisation d’une journée d’étude consacrée au cinéma d’expédition au quai Branly, j’avais une image floue des croisières Citroën, associée au souvenir d’une série télévisée diffusée dans les années 1970, La cloche tibétaine1. Je m’intéressais peu à une histoire que j’imaginais bien connue grâce à de beaux livres somptueusement illustrés, célébrant la gloire d’explorateurs européens dont l’autochenille serait le char triomphal2. Ces textes édifiants, dans la lignée des récits d’aventuriers étudiés par Sylvain Venayre, ne me passionnaient guère, alors que leurs auteurs citent volontiers Homère et s’imaginent embarquer dans une Odyssée mécanique3. Dans mon enseignement sur l’histoire de la mobilité, les croisières illustraient le talent d’André Citroën en matière de publicité, au même titre que l’illumination de la tour Eiffel ou l’accueil de Charles Lindbergh à l’usine de Javel, au lendemain de l’atterrissage du Spirit of Saint-Louis à l’aéroport du Bourget. Je soulignais, en projetant l’affiche de la croisière jaune, les stéréotypes racistes que véhiculent les images, fixes et animées, produites par ces expéditions4.

  • 5 Sur l’histoire de la conversion des usines d’armement de Javel à la production automobile, lire Sch (...)
  • 6 Les enquêtes sociologiques manquent sur ces manifestations, qui sont peu évoquées dans Demoli, Lann (...)

2Le 19 juillet 2019, quelques semaines à peine avant la journée d’étude au quai Branly, un collègue historien, Mathieu Flonneau, me donna rendez-vous place de la Concorde, devant l’Automobile Club de France. Devant un large public, cinq autochenilles Citroën s’apprêtaient à s’élancer pour célébrer le centenaire de la marque aux chevrons5 (Fig. 1). Je ne suis pas surpris par le succès de l’événement, qui confirme l’intérêt porté aux courses « vintage », comme celle des remparts d’Angoulême, ou aux rassemblements de vieilles voitures. La reconstitution de l’embouteillage de Lapalisse, une commune de l’Allier naguère traversée par la mythique Nationale 7, a attiré en 2022, selon ses organisateurs, 30 000 visiteurs et 1 000 véhicules en provenance de six pays européens. L’exposition Routes mythiques, présentée en marge du Mondial de l’Automobile 2018 et dont Mathieu Flonneau était commissaire, avait accueilli 150 000 visiteurs en dix jours6.

Fig. 1. – Croisière à l’Ouest, organisée pour le centenaire de la marque Citroën, place de la Concorde, 19 juillet 2019

Fig. 1. – Croisière à l’Ouest, organisée pour le centenaire de la marque Citroën, place de la Concorde, 19 juillet 2019

Photographie par Vincent Guigueno.

3La « croisière vers l’Ouest » avait été imaginée par le Comité français des constructeurs automobiles (CCFA), un syndicat interprofessionnel dont la mission est « l’étude et la défense des intérêts économiques et industriels de l’ensemble des constructeurs français ». Le communiqué de presse précisait que

Les véhicules Citroën B2, P17 et P19, [étaient] tous, à l’exception du Scarabée d’Or […] des véhicules d’époque. Ils ont porté haut les couleurs de la marque aux chevrons en participant à diverses aventures, comme des traversées du désert, le franchissement de l’Himalaya et le tractage d’artillerie. Ils appartiennent à des collectionneurs privés […]. Les personnels seront tous habillés en tenue d’époque.

4L’époque évoquée étant celle de la France de l’entre-deux-guerres, on pouvait noter lors du rassemblement la présence d’un couple en tenue saharienne et casque colonial.

  • 7 Le choix du nom de Satanas est peut-être une référence à la mythique série télévisée d’animation de (...)

5Tandis que les véhicules et leurs équipages s’activaient en vue du départ, un jeune homme, lui aussi en « tenue d’époque », celle de l’éternel titi parisien, proposait aux badauds un journal à la mise en page « vintage », baptisé Le Progrès automobile illustré. L’éditorial rappelle les missions du CCFA dont fait partie « la promotion de l’automobilisme français à travers son riche patrimoine ». On peut également y lire de brefs portraits, tirés de leurs notices Wikipédia, des promoteurs des croisières « historiques » : l’entrepreneur polytechnicien André Citroën (1878-1935), l’« homme d’honneur » Georges-Marie Haardt (1884-1932) et « l’icône de l’exploration lointaine », le picto-charentais Louis Audouin-Dubreuil (1887-1960). Un encart rapporte également les propos imaginaires d’un « sinistre opposant à l’automobile », Gédéon Satanas, qui voudrait restreindre, voire interdire l’usage de la voiture dans les villes7. Il ferait même l’objet de poursuites judiciaires pour « des déclarations injurieuses mettant en cause l’accès à ce moyen de transport pour les pauvres et les habitants de notre Empire Colonial ». Il flotte dans l’air un parfum de nostalgie impériale et technologique plus ou moins assumée par les participants.

  • 8 Entretien qui m’a été accordé au lieu-dit « Les Aupillières » (Montsalier, Alpes-de-Haute-Provence) (...)

6À l’heure dite, la colonne s’ébranla à vitesse réduite. Selon le témoignage recueilli par le collectionneur Éric Deschamps auprès d’un mécanicien qui fut de toutes les expéditions, Maurice Penaud, le plus difficile pendant la croisière jaune était de passer la seconde, tellement le véhicule était lourd par rapport à la puissance développée par le moteur8.

7Dans une chronologie et un espace resserrés – quelques semaines et quelques centaines de mètres, séparant la place de la Concorde en juillet 2019 du quai Branly en septembre de la même année – deux relations aux croisières Citroën, l’une historique et cinématographique, l’autre mémorielle et mécanique, se sont donc exprimées. Les protagonistes de ces deux « espace-temps » – universitaires et conservateurs d’un côté, industriels de l’automobile, passionnés et collectionneurs de l’autre – s’ignorent assez largement et peuvent avancer sur des routes parallèles, tant leurs visions de l’histoire semblent différentes : tandis qu’au musée, la recherche académique tente de « refroidir » la mémoire des croisières en en démontant pièce par pièce les ressorts idéologiques, les « passionnés » la célèbrent bruyamment dans l’espace public grâce aux moteurs de leurs autochenilles. Cette actualité pouvait paraître intempestive, voire indécente aux yeux des collègues auxquels je rapportai l’événement dont j’avais été témoin.

  • 9 Voir les travaux de Bloom, 2008, sur le documentaire colonial français, en particulier le chapitre (...)
  • 10 Sur les intentions de Citroën, lire Murray Levine, 2000, ainsi que Denning, 2020.
  • 11 Exposition coloniale internationale de Paris, 1931, Congrès international et intercolonial des tran (...)

8Dans la littérature scientifique, les croisières font partie du corpus de l’histoire coloniale française, qu’elles soient abordées sous l’angle cinématographique ou automobile9. Les historiens ont bien documenté le contexte dans lequel André Citroën se lance dans la première de ses expéditions à travers le Sahara en 1922. Celle-ci s’inscrit dans un agenda de « développement » des colonies africaines de la France auquel Citroën, et plus généralement l’industrie automobile française, veulent contribuer en ouvrant des routes stratégiques, économiques mais également touristiques10. En 1931, à l’occasion de l’Exposition coloniale de Paris, les spécialistes des transports saluent les « pionniers » des raids automobiles mais n’y accordent pas une importance démesurée, malgré la présence, sur le site même de Vincennes, de pavillons vantant les exploits de Citroën et de Renault dans la « pénétration » du Sahara et de l’Afrique11. Sous l’angle de l’histoire des transports et de la mobilité, le dispositif de propagande orchestrant le succès des croisières ne doit pas faire écran à des phénomènes plus structurants, comme l’émergence de l’automobilisme en Afrique ou la mise en place des premières liaisons aériennes « impériales » entre les métropoles et leurs colonies.

  • 12 Sur l’historiographie de ce tournant de la mobilité, lire Divall, Revill, 2009.
  • 13 C’est la thèse développée dans Mom, 2015.
  • 14 Ponsavady, 2018.

9L’histoire de la mobilité ne se réduit pas à une histoire technique ou industrielle des moyens de transport, ici l’automobile. Depuis le mobility turn des années 2000, elle propose une vision culturelle et politique qui interroge en particulier la globalisation des usages de l’automobile et son hégémonie dans l’espace public, malgré la critique déjà ancienne de sa dangerosité et de sa toxicité12. Ce chemin critique passe également par une relecture des récits de voyage automobile. Étudiant ce vaste corpus, l’historien Gijs Mom utilise l’expression de « colonialism by car » pour décrire l’idéal de conquête spatiale qui anime les constructeurs d’automobiles et les premiers usagers, recrutés dans les élites urbaines bourgeoises occidentales13. Cette large catégorie permet d’embrasser non seulement la littérature coloniale stricto sensu, mais également le périple d’Edith Wharton dans les campagnes françaises, les Impressions de route en automobile de Marcel Proust et les écrits de Paul Morand… Stéphanie Ponsavady parle de « roadshow » colonial pour évoquer les images et les textes qui installent, grâce à l’automobile, le mythe du rôle « civilisateur » de la France en Indochine. Elle montre bien que les récits des croisières « circulent » dans la construction de cet imaginaire, même si la croisière jaune – la mission comme le film – ne parvient pas à créer un lien symbolique entre le Liban, sous protectorat français, et l’Indochine promis au grand public qui suit sa progression sur une carte diffusée en métropole14. Dans cette perspective, les récits des croisières Citroën trouvent leur place dans la bibliothèque bien fournie des récits de voyage « exotiques » et « automobilisés » dont les héros blancs, hommes ou femmes, éprouvent un sentiment de domination de « l’Autre », renforcé par la vitesse et la puissance mécanique de leurs véhicules. Cela veut-il dire que les « passionnés » qui roulent en autochenilles pour célébrer le centenaire de Citroën sont des nostalgiques de l’Empire et des colonies ? Nous verrons que cette interprétation idéologique est un peu courte si l’on écoute ceux qui passent un temps considérable à bricoler des voitures anciennes.

  • 15 Le mot « fétiche » est ici employé dans le double sens, magique (fée) et fabriquée (fait), proposé (...)

10À la lumière des travaux scientifiques consultés, on peut en revanche constater une nette coupure entre une mémoire savante critique et une mémoire « automobile » hagiographique des croisières. La mémoire constitue l’angle mort des récits scientifiques et hagiographiques en circulation aujourd’hui, souvent à l’initiative des descendants de ces épopées ou bien de « passionnés » issus du monde automobile. Dans l’espace public, cette mémoire a connu des temps forts, à l’évidence dans les années 1920 et 1930, jusqu’à la faillite de Citroën (1935), puis un revival à partir des années 1970, avec un temps faible après la Seconde Guerre mondiale. Ce « réveil » de la mémoire des croisières n’allait donc pas de soi, et l’on cherchera à le contextualiser, en montrant que la marque Citroën a joué un rôle non négligeable dans l’affaire. On portera ensuite une attention particulière à deux « reliques » automobiles des croisières, dont l’histoire pose quelques questions sur la conservation patrimoniale des objets mobiles et la relation fétichiste que l’Occident a nouée avec l’automobile15.

Une mémoire au garage ?

  • 16 L’histoire de la culture mangbetu et de sa diffusion dans les sociétés occidentales a fait l’objet (...)

11La situation observée en 2019 plonge ses racines dans les années 1920 et 1930 quand une traversée du Sahara en automobile (décembre 1922-janvier 1923), puis les croisières noire (octobre 1924-juin 1925) et jaune (avril 1931-février 1932) reçoivent auprès d’un large public un écho considérable. Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur la « réception » des croisières dans la France de l’entre-deux-guerres, en particulier sur les projections des films et l’organisation d’expositions, d’abord au Pavillon de Marsan en 1926, puis à l’Exposition coloniale de 1931, enfin au « musée Citroën » de la place de l’Europe. Parmi les images de La croisière noire, celle de Nobosudru, une femme mangbetu, est exploitée sous toutes les formes. André Citroën la fait reproduire sous la forme d’un bouchon de radiateur, commandé au sculpteur François Bazin (1897-1956), aujourd’hui plus connu pour ses œuvres « bretonnes »16. Cette première séquence s’achève en 1935 avec la faillite de l’entreprise et la liquidation par Michelin de son héritage matériel. Des objets africains sont déposés à la Porte Dorée où ils sont exposés dans une salle aménagée à la gloire de Georges-Marie Haardt et de ses compagnons. Celle-ci est vidée en 1960, année des indépendances africaines et de changement de nom de l’ancien musée des Colonies, rebaptisé musée de la France d’Outre-Mer en 1935, et qui, à l’initiative d’André Malraux, devient musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie. La mémoire des croisières, en particulier celle de la croisière noire, fondée sur la célébration conjointe de l’Empire et du génie mécanique français, s’efface donc à l’heure de la décolonisation.

  • 17 Malgré, ou à cause de l’importance de cette industrie, il n’existe pas de synthèse sur l’histoire s (...)
  • 18 Hecht, 2004 ; Ross, 2004.

12Un phénomène aurait pu jouer en faveur d’une célébration de ces gloires passées : l’« automobilisation » de la France de l’après-guerre. Or c’est précisément le contraire qui se produit. Sous l’impulsion de l’État, qui nationalise Renault et planifie l’économie, l’ensemble des catégories sociales peuvent enfin accéder à des véhicules populaires – la 4CV Renault, la 2CV Citroën – grâce à une augmentation du pouvoir d’achat et à l’accès au crédit à la consommation17. Décolonisation et « automobilisation » entretiendraient-elles des liens sous le mode du refoulement ? Certains chercheurs voient dans les passions françaises pour les techniques dites « modernes » une forme de compensation de la perte de l’Empire – c’est la thèse de Gabrielle Hecht dans Le rayonnement de la France – ou bien une réorientation du capitalisme vers une « colonisation » de la vie quotidienne : il s’agit désormais de « rouler plus vite et de laver plus blanc », comme l’écrit Kristin Ross dans un livre au titre célèbre18.

  • 19 Baudot, Séguéla, 1960. Jacques Séguéla raconte qu’il ne recevra qu’un mode d’emploi de la 2CV en ré (...)

13Dans cette période de l’après-guerre, Citroën, qui n’appartient plus à la famille éponyme, ne semble guère s’intéresser à ses épopées automobiles d’antan. En 1958, la marque éconduit Jean-Claude Baudot et Jacques Séguéla, qui entreprennent un tour du monde en 2CV19. Le début de leur périple, d’Alger au Cap, en passant par Tamanrasset, Zinder, Fort-Lamy, se confond pourtant avec celui des autochenilles de Haardt. Mais ni Citroën ni Séguéla ne semblent faire le rapprochement. Cette convergence intervient à la fin des années 1960, quand la firme Citroën « réactive » la mémoire des croisières grâce à Jacques Wolgensinger. Journaliste de formation, ce dernier rejoint la société Citroën en 1957 comme attaché de presse, puis comme responsable du service d’information et des relations publiques. « Tout a commencé par une tablette de chocolat » : c’est en convoquant un souvenir d’enfance, celui de vignettes à collectionner dans les tablettes de la marque Nestlé, que Wolgensinger raconte sa rencontre avec les croisières Citroën dans un livre intitulé Raid Afrique. Publié en 1974, l’ouvrage raconte la traversée du Ténéré en 2CV entreprise l’année précédente par une centaine de jeunes, à l’initiative des marques Citroën et Total, de la radio RTL et du Secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports. Plusieurs raids de véhicules légers Citroën, conduits par de jeunes équipages, avaient déjà eu lieu les années précédentes vers Dakar (1969), Kaboul (1970) ou Persépolis (1971). La crise pétrolière met provisoirement fin à ces rallyes, qui renaissent quelques années plus tard, en particulier sous la forme du Paris-Alger-Dakar (1977). Une « filiation » s’invente entre les raids coloniaux des années 1920 et les « aventures » automobiles des années 1960 et 1970 dont l’histoire reste à écrire.

  • 20 Wolgensinger, 1974, p. 19 ; Le Fèvre, 1974. Le livre de Le Fèvre a été réédité quatre fois depuis 1 (...)
  • 21 Eudes, Viard, 1974, p. 9.

14Jacques Wolgensinger ne se contente pas d’utiliser les croisières en les associant aux raids soutenus par la marque Citroën. Il les ressuscite également sur le plan éditorial en publiant en 1970 L’épopée de la croisière jaune. Il ne s’agit pas d’une simple réédition du récit du journaliste de George Le Fèvre – celle-ci intervient en 1974 pour la première fois depuis l’entre-deux-guerres –, mais d’un travail de première main, pour lequel il « charge une collaboratrice […] de rassembler systématiquement les documents de l’époque et de se tenir en contact avec tous les membres de l’expédition »20. La période des années 1970 correspond à une remise en circulation des textes et des images des croisières Citroën. Le scénariste Henri Viard (1921-1989) dédie le roman tiré de la mini-série « La cloche thibétaine » (sic) à André Citroën, « qui nous fit tous rêver, rue de Rome quand nous étions beaucoup – beaucoup plus jeunes »21. Il remercie la famille Citroën, ainsi que Jacques Wolgensinger, et salue la réédition du livre La croisière jaune de Le Fèvre. La diffusion de la série de mon enfance par la télévision publique française n’est donc pas un événement isolé : elle s’inscrit dans une nouvelle ferveur populaire qui pourrait être quantifiée en nombre de papiers dans les journaux, de livres publiés ou d’expositions dans des foires ou des salons automobiles. La chronologie de la mémoire des croisières présente une intéressante corrélation avec celle de la firme Citroën. L’histoire de son héritage moral, matériel et patrimonial – au sens de la domanialité – est aujourd’hui encore liée à la faillite de 1935. Quant au travail de mémoire de Jacques Wolgensinger, il s’inscrit dans un moment de grandes difficultés industrielles et commerciales de la marque, qui fut absorbée par Peugeot en 1976, sur fond de fermeture programmée du site historique de Javel. Celle-ci intervient en 1984.

15La manière dont la firme Citroën instrumentalise, depuis la fin des années 1960, les croisières dans sa communication est donc un facteur non négligeable de leur mémoire publique. En est-elle pour autant devenue un « lieu de mémoire » ? On pourrait le croire en consultant son musée virtuel, qui évoque ses plus fameux modèles sous la forme d’un garage imaginaire, à la manière d’une collection de petites voitures22. Deux autochenilles y sont représentées : le Scarabée d’Or (1922) et un véhicule de la croisière jaune baptisé Croissant d’Argent (1931). La notice attachée à ce dernier souligne que « la diffusion de photographies, peintures et films de ces aventures ont encore aujourd’hui un parfum agréable ». La marque Citroën, qui a remis en circulation les récits des croisières, a-t-elle eu une politique de préservation des véhicules « historiques » ?

Le Scarabée d’Or et son double

Fig. 2. – La réplique du Scarabée d’Or de l’association « Des voitures et des hommes »

Fig. 2. – La réplique du Scarabée d’Or de l’association « Des voitures et des hommes »

Photographie par William Crozes.

  • 23 Les noms ainsi que les « blasons » ornant les véhicules n’ont pas fait l’objet de recherches partic (...)

16Parmi les véhicules mobilisés sur la place de la Concorde en juillet 2019, le Scarabée d’Or, nom générique des véhicules du chef des missions Citroën, Georges-Marie Haardt, attirait particulièrement l’attention du public23 (Fig. 2). Peut-être était-ce la présence sur le siège passager d’une peluche de Milou, ou plus exactement de Flossie, une chienne Sealyam Terrier, « mascotte » de la traversée du désert, qui aurait inspiré à Hergé le personnage de Milou. La filiation n’est pas garantie mais le rôle joué par Flossie dans le récit de la traversée du désert, celui du chien dont la robe de laine blanche aurait intrigué les indigènes, n’est pas sans rappeler Tintin au Congo… Mais le Scarabée d’Or a une autre particularité, plus intéressante : ce n’est pas un « véhicule d’époque » mais une « réplique », fruit de milliers d’heures de travail d’étudiants et de lycéens mobilisés autour d’un projet porté par l’association « Des voitures et des hommes ». Le site Internet dédié au projet présente de nombreux documents sur l’histoire des croisières et le déroulement d’un véritable clonage mécanique du véhicule original, un autre Scarabée d’Or, conservé par la marque Citroën à Aulnay-sous-Bois. Quel était l’état de conservation de cette « relique » quand l’association s’est lancée dans cette entreprise, près d’un siècle après la fin de l’expédition dans le Sahara ? Comment a-t-elle traversé les temps forts et les temps faibles de la mémoire des croisières ?

  • 24 Audouin-Dubreuil, Haardt, 1923, p. 307.
  • 25 Je remercie vivement Romain Poudray, documentaliste au département Inventaire, diffusion et histoir (...)
  • 26 D’après le dossier conservé au musée de l’Armée, ce Scarabée d’Or de la croisière jaune n’est pas i (...)

17L’association est fière de souligner que sa réplique du Scarabée d’Or est entrée au musée des Arts et Métiers le 15 octobre 2017. Cette exposition temporaire fait écho à un événement peu connu dans l’histoire culturelle des croisières. La constitution de collections n’a pas commencé en 1926 au Pavillon de Marsan, mais trois ans plus tôt, au musée de l’Armée. Dans le récit de la traversée du Sahara publié en 1923, la dernière illustration du peintre Bernard Boutet de Monvel montre l’autochenille « amirale », le Scarabée d’Or « se [reposant] aux Invalides, dans le musée de l’Armée, de ses longues étapes à travers les grands déserts »24. Dans un courrier daté du 4 octobre 1923, André Citroën avait annoncé au directeur du musée sa volonté de faire don d’une autochenille ayant participé à la première traversée du Sahara en 1922-1923. Le véhicule, avec tous ses accessoires (pelle, pioche, pneus et chenilles de rechange, armes, fanion, etc.), est accepté par le musée, inscrit à l’inventaire sous le numéro 03179 le 15 octobre 1923, et présenté dans la cour d’honneur, au pied de l’escalier Hoche25 (Fig. 3). Il est rejoint dix ans plus tard par le Scarabée d’Or de la croisière jaune, à l’occasion du dévoilement d’une plaque commémorative, toujours visible aux Invalides, célébrant le « chef des missions » Georges-Marie Haardt26. La cérémonie a lieu le 16 mars 1933, premier anniversaire de la mort de Haardt, décédé à Hong Kong alors qu’il rentrait en France à l’issue de la croisière jaune.

Fig. 3. – Le Scarabée d’Or exposé au musée de l’Armée dans les années 1930

Fig. 3. – Le Scarabée d’Or exposé au musée de l’Armée dans les années 1930

Collection personnelle de Vincent Guigueno.

  • 27 Jean-Louis Loubet (Loubet, 1990) qualifie les dégâts subis par Javel de « peu importants » par rapp (...)

18Au début des années 1950, le musée de l’Armée transfère les deux autochenilles de Paris à Vincennes, puis Fontainebleau. André Goerger (1892-1981), ancien secrétaire des missions devenu « directeur de la publicité de la maison Citroën » s’émeut de cette mise au rancart et demande à récupérer les deux véhicules. Le musée accède à cette demande en 1951, oubliant au passage qu’il est le propriétaire du véhicule donné en 1923. Mais Citroën, qui aurait perdu ses archives et ses autres véhicules « historiques » lors des bombardements de l’usine de Javel, ne reconstitue pas son musée de la place de l’Europe27. En l’absence d’archives ou de témoignages, les conditions de conservation, les opérations de restauration et les modalités d’exposition des véhicules entre les années 1950 et 1990 restent à ce jour obscures. Le Scarabée d’Or de la traversée du Sahara est remisé dans un hangar de Javel (Fig. 4), puis déménagé à Aulnay-sous-Bois, tandis que celui de la croisière jaune est cédé dans les années 1960 au musée de l’Automobile Club de l’Ouest, au Mans.

Fig. 4. – Le Scarabée d’Or à Javel dans les années 1950

Fig. 4. – Le Scarabée d’Or à Javel dans les années 1950

Cliché no 51.01.201_0002, Conservatoire Citroën.

  • 28 « L’exposition à Rétromobile 2020 de la réplique du Scarabée d’Or marque le lancement d’un projet a (...)

19En février 2020, quelques mois après la croisière partie de la place de la Concorde, je retrouvai les membres de l’association « Des voitures et des hommes » sur leur stand du salon Rétromobile. Créé en 1976, cet événement accueille des particuliers, collectionneurs ou simples passionnés de voitures anciennes, des associations, des marques, des maisons de vente aux enchères, etc. Alors que le Covid menace, le salon attire encore 122 000 visiteurs en cinq jours, contre 132 000 – un record – l’année précédente. Pour le non-initié, le lieu est déroutant : le temps du salon, les halls de la Porte de Versailles se transforment en un immense garage/musée/showroom où l’on peut acheter de luxueux véhicules de marque, mais également des pièces détachées de Renault Fuego. L’association présentait son projet de nouvelle traversée du désert, à l’occasion du centenaire de l’événement : « Où serez-vous le 17 décembre 2022, au lever du soleil ? » Pour Olivier Masi – le président de l’association – et ses amis, la réponse est claire : ils devraient être à Touggourt (Algérie), sur la ligne de départ d’un raid qui associera le passé de Citroën, grâce à leur réplique du Scarabée d’Or, et son avenir, représenté par des véhicules électriques28. Pour d’évidentes raisons de sécurité, qui étaient déjà une obsession d’André Citroën lors de ses échanges avec les autorités militaires et coloniales dans les années 1920, l’expédition de 2022 ne devait pas aller jusqu’à Tombouctou. Elle fut finalement annulée pour cause de pandémie mondiale.

  • 29 Une enquête plus complète sur cette association devait être menée dans le cadre du master d’histoir (...)
  • 30 Audouin-Dubreuil, Haardt, 1923, p. 68.

20Une enquête orale s’imposait pour comprendre les motivations des hommes qui ont consacré une grande partie de leur temps à cette aventure, intitulée « Scarabée d’Or : un défi pour la jeunesse ». Si Olivier Masi est le principal, voire l’unique porte-parole de l’association, le projet implique de nombreux partenaires : des professeurs et des étudiants des Arts et Métiers ont passé des centaines d’heures sur la réplique29. Au fil des conversations, l’érudition d’Olivier Masi sur l’histoire matérielle des expéditions impressionne. S’il semble « surfer » sur la mémoire des croisières Citroën en général, il indique immédiatement qu’il veut réitérer le premier exploit mécanique à travers le désert, et non pas refaire la croisière noire. Cette précision souligne le caractère « matriciel » de la première expédition Citroën, moins connue que les deux autres, sans doute en raison de son nom. La persévérance mémorielle des expéditions doit en effet beaucoup au choix du terme « croisière » qui se distingue nettement du « raid », aux accents militaires, souvent employé à l’époque. À bien des égards, la traversée du Sahara est la première « victime » de la publicité des croisières. Haardt attribue cette trouvaille au cinéaste Léon Poirier, quand celui-ci voulut nommer le film racontant l’expédition Citroën Centre-Afrique. La « croisière » contribue à distinguer les expéditions Citroën des innombrables traversées automobiles de l’Afrique, mais également à brouiller d’emblée la frontière entre l’événement et ses « représentations ». Mais il serait juste de trouver l’origine de cette métaphore maritime non pas dans les forêts équatoriales d’Afrique, mais dans les dunes du Sahara. « Dans le sable mou agité par les chenilles », écrivent Audouin-Dubreuil et Haardt, « nos voitures blanches offrent […] la curieuse image d’une petite escadre de torpilleurs de haut bord. Cette comparaison s’impose d’elle-même à l’esprit de nos mécaniciens qui baptisent la voiture no 1 voiture-amirale »30. C’est cette « voiture-amirale », le Scarabée d’Or, que l’association « Des voitures et des hommes » a reconstruit de toutes pièces. Ses membres ont utilisé cet objet comme une archive en trois dimensions, qu’ils ont croisée avec de nombreuses sources techniques décrivant les autochenilles Kégresse.

  • 31 Inauguré aux débuts des années 2000, le Conservatoire Citroën abrite 400 véhicules représentant la (...)
  • 32 Je reprends ici le titre de Latour, Lowe, 2011.

21Il existe aujourd’hui deux Scarabée d’Or de la traversée du Sahara. Le véhicule d’origine, propriété oubliée du musée de l’Armée, est garé au Conservatoire Citroën d’Aulnay-sous-Bois31, tandis que sa réplique, construite par des passionnés et des étudiants sans le « contrôle scientifique » d’un musée ou d’une direction du ministère de la Culture, s’apprêtait à refaire la traversée du Sahara en 2022. Dans l’espace public, la réplique attire autant l’attention – sinon plus – que des véhicules dits « d’époque ». On peut ici parler d’une « migration de l’aura » de l’objet patrimonial « authentique » vers son double32. L’intérêt du public pour les répliques, qu’elles soient mobiles ou pas – on pense ici au succès des répliques de grottes ornées –, trouve ici une expression automobile. Le Scarabée d’Or n’en est pas un cas unique. La Jamais Contente de Camille Jenatzy, qui fut en 1899 la première voiture à atteindre la vitesse de 100 km/h, a un destin patrimonial comparable. Tandis que l’originale rejoint les collections du musée de Compiègne en 1933, une réplique de ce véhicule électrique fut fabriquée dans les années 1990 par les élèves d’une école d’ingénieurs et exposée avec succès au salon Rétromobile en 2009.

Le Croissant d’Argent, véhicule « monumental »

  • 33 Hayat, Ilous, 1981.
  • 34 Un tapuscrit des souvenirs de Maurice Penaud, recueillis par Jean Faraud, a été déposé au musée des (...)

22La deuxième « relique » mécanique des croisières Citroën que je souhaite évoquer est conservée et présentée au musée des Cordeliers de Saint-Jean-d’Angély. Dans la période de « refoulement » des croisières, après la Seconde Guerre mondiale, un « noyau dur » a continué à conserver et à transmettre la mémoire orale de ces dernières et leurs traces matérielles. Ces foyers de mémoire comprennent bien sûr les survivants, toujours disponibles pour raconter leurs aventures, et les familles des disparus, en particulier celle de Louis Audouin-Dubreuil, natif de Saint-Jean-d’Angély33. Dans le paysage des institutions muséales, le musée de cette ville est le seul à présenter – sans interruption depuis la Seconde Guerre mondiale – l’histoire des croisières, après que Louis Audouin-Dubreuil y a déposé le Croissant d’Argent, son véhicule de la traversée du Sahara, ainsi que des objets ethnographiques, des livres, des photographies. Plusieurs dons, outre celui d’Audouin-Dubreuil, ont enrichi les collections. On note dans le registre des œuvres entrées en collection des dons importants venant du mécanicien Maurice Penaud, et de la firme Citroën : en 1961, une stèle commémorative, œuvre du sculpteur Henri Bouchard (1875-1960), quitte l’usine de Javel pour entrer dans les collections de la commune charentaise34.

  • 35 Sur la perméabilité des modes d’organisation entre l’armée et les entreprises, voir les travaux d’Y (...)
  • 36 Bernard Boutet de Monvel (1884-1949), Portrait de Georges Marie Haardt (1884-1932), vers 1926, musé (...)

23Les expéditions Citroën sont organisées sur un mode militaire, avec un chef, Haardt, des « seconds », Audouin-Dubreuil, Victor Point, et des « mécaniciens d’élite », qui font office de sous-officiers35. Cette hiérarchie se traduit dans les représentations des croisières, qui survalorisent Haardt par rapport à tous les autres membres des expéditions, y compris Audouin-Dubreuil. Seul le chef apparaît sur le monument commémoratif des Invalides en 1933, dont le panneau central est une reproduction d’un tableau de Bernard Bouvet de Monvel, aujourd’hui conservé dans les collections du quai Branly36. Cette hiérarchie se traduit également dans la numérotation des véhicules, le Croissant d’Argent étant l’éternel numéro 2, après le Scarabée d’Or. L’or et l’argent renvoient également aux métaux précieux dont sont faits les médailles olympiques…

24Le véhicule cédé par Louis Audouin-Dubreuil présente une particularité du point de vue du code du patrimoine : il est exposé dans un musée, mais est protégé en tant que monument historique. En effet, selon la notice de la base Palissy, qui répertorie le patrimoine mobilier, « L’autochenille Citroën le Croissant d’Argent de la traversée du Sahara de décembre 1922 à janvier 1923 » a été classé au titre des monuments historiques le 27 février 198437. Les archives sont muettes sur les motifs de ce classement. Celui-ci peut être lié à une opération régionalisée de protection du patrimoine technique et industriel. Le ministère de la Culture lui accorde une attention particulière dans les années 1980, avec la création en 1983 d’une cellule dédiée à l’Inventaire général, sur fond de crise économique et sociale38.

  • 39 Note de Dominique Vila du 20 décembre 1993 relative à la réunion du 17 décembre 1993. Les documents (...)

25La notice, rédigée en 1993, précise que l’autochenille a été « déposée au musée de Saint-Jean-d’Angély en 1948 par Louis Audouin-Dubreuil, chef en second de l’expédition. Ce véhicule cédé par Citroën lui-même a auparavant servi lors de son séjour en Tunisie, il l’a ensuite ramené en France ; il s’agit d’un modèle unique, les autres véhicules ayant été détruits pendant les bombardements des usines Citroën en 1944 ; ce véhicule n’a jamais fait l’objet d’une restauration ». Celle-ci intervient en 1993 à l’initiative de la ville de Saint-Jean-d’Angély, qui obtient le soutien de Dominique Vila, conseillère musée à la DRAC Poitou-Charentes, et de la Direction des musées de France. À la fin de cette année, une réunion se tient au musée national des Arts africains et océaniens (MAAO) de la Porte Dorée afin d’évoquer « l’exposition organisée à l’occasion de la restauration de la Citroën B2 qui a effectué la première traversée du Sahara et qui est conservée au musée de Saint-Jean-d’Angély »39.

  • 40 Entretien qui m’a été accordé par Étienne Féau le vendredi 10 juillet 2020.
  • 41 L’art africain dans les collections publiques de Poitou-Charentes, catalogue de l’exposition 1985-1 (...)

26Une trentaine d’années après avoir mis en réserve les collections des croisières, pourquoi le MAAO s’associe-t-il à la restauration de l’autochenille ? Cet intérêt soudain n’est pas étranger à la présence d’un conservateur des arts africains, Étienne Féau, dont la carrière, commencée en Côte d’Ivoire, s’est ensuite déroulée en Poitou-Charentes, où il a exercé en tant que conservateur-adjoint au musée des Beaux-Arts d’Angoulême (1981-1992)40. Pour les besoins d’une exposition, il réalise un inventaire de L’art africain dans les collections publiques de Poitou-Charentes dans lequel figure le musée de Saint-Jean-d’Angély41. Outre Dominique Vila et Étienne Féau, le groupe de travail qui se réunit au MAAO comprend également Bénédicte Rolland-Willemot, conservatrice au service de restauration des musées de France, et Blandine Chavannes, conseillère musée de la DRAC Bourgogne, ancienne conservatrice des musées de Poitiers. À l’exception de Dominique Taffin, on trouve ici réunis les acteurs de l’exposition consacrée à la traversée du Sahara et à la croisière noire qui aurait dû se tenir au sein du Palais de la Porte Dorée en 1998.

Fig. 5. – Le Croissant d’Argent, photographié à Saint-Jean-d’Angély par Olivier Morel avant sa restauration dans les années 1990

Fig. 5. – Le Croissant d’Argent, photographié à Saint-Jean-d’Angély par Olivier Morel avant sa restauration dans les années 1990
  • 42 Degrigny, Morel, 1995 ; 1996.

27Le Croissant d’Argent est confié à Olivier Morel, un restaurateur de métaux installé à Besançon (Fig. 5). Le véhicule, qui ne peut franchir les portes du musée de Saint-Jean-d’Angély, est entièrement démonté et convoyé dans le Doubs. L’intervention du restaurateur n’a pas vocation à rendre le véhicule roulant, mais à le présenter « en position statique ». Il s’agit avant tout de traiter la corrosion qui a attaqué les métaux, et l’oxydation des caoutchoucs. Alors que les véhicules restitués à Citroën ont été repeints, c’est bien l’absence de restauration qui rend le véhicule intéressant aux yeux des conservateurs et du restaurateur, qui publient plusieurs articles scientifiques sur son travail de « nettoyage » et de « stabilisation de surfaces métalliques peintes »42. Olivier Morel hiérarchise donc les deux reliques en estimant que la numéro 2, le Croissant d’Argent, présente un intérêt patrimonial supérieur à la numéro 1, le Scarabée d’Or du Conservatoire Citroën.

28Le Croissant d’Argent restauré est la pièce maîtresse d’une exposition intitulée D’aventure en aventure montée dans la citadelle de Besançon en 1995. Les documents présentant l’exposition permettent de comprendre la juxtaposition en apparence hétéroclite des thèmes traités : la pyramide de Karnak, le Titanic, les croisières Citroën… Le mécénat technologique et scientifique d’Électricité de France est derrière chacune des opérations. La restauration de l’autochenille est donc le fruit de l’action de plusieurs institutions – la ville de Saint-Jean-d’Angély, la DMF, la DRAC – dans un contexte de développement des sciences de la restauration, soutenu par des acteurs économiques et industriels… mais pas Citroën, qui répond de manière extrêmement laconique aux sollicitations d’Olivier Morel sur la documentation que la firme pourrait avoir conservée.

29L’exposition à la Porte Dorée pour laquelle la restauration du Croissant d’Argent avait été engagée est déprogrammée à la dernière minute, sur fond de demande de restitution par la famille Haardt des objets déposés au musée au milieu des années 1930. L’autochenille retourne à Saint-Jean-d’Angély, où elle est exposée à partir de 2003 dans le parcours permanent du nouveau musée municipal des Cordeliers, héritier des collections de la Société d’archéologie angérienne. À bien des égards, la présentation commune d’un véhicule, d’objets ethnographiques, d’œuvres de Iacovleff et même de quelques animaux naturalisés n’est pas sans rappeler la toute première exposition du Pavillon de Marsan, il y a près de cent ans. Le discours porté sur les objets est évidemment totalement différent, mais l’effet visuel est saisissant, et la présence d’un véhicule authentique, restauré, est à l’évidence un atout considérable dans l’attractivité du musée. Son caractère statique le différencie de la réplique du Scarabée d’Or. À aucun moment il ne fut question de redonner au Croissant d’Argent la capacité à rouler de manière autonome. Le statut de monument historique aurait permis cet usage, comme c’est le cas pour d’autres patrimoines de la mobilité : train, avion, voiture, bateau… La « muséification » à la française de l’objet technique, imposant le silence au moteur de l’autochenille, l’a donc emporté sur une patrimonialisation dynamique. Cette présentation figée, silencieuse, contribue sans doute à une « mise à distance » historique, qui redouble la distance physique mise entre « l’œuvre » et le visiteur.

Croisières et « fétiches » automobiles

  • 43 L’histoire de cette collection et de sa présentation à Compiègne depuis 1927 est évoquée dans l’imp (...)
  • 44 Lire le compte rendu de cette exposition par Faugier, Guigueno, Passalacqua, Smith, 2020.
  • 45 Barthes, 1957, p. 140-142.

30Ces deux courtes « biographies » montrent que la réplique et les « reliques » automobiles des croisières Citroën ont, selon des modalités différentes, une aura singulière : la réplique du Scarabée d’Or attire le public sur les routes, dans les foires et les salons, tandis que le Croissant d’Argent fait le bonheur des visiteurs du musée de Saint-Jean-d’Angély. Il conviendrait d’ajouter à cette étude la biographie de l’Éléphant à la Tour, un véhicule de la croisière noire présenté au Victoria and Albert Museum de Londres en 2020 avant de rejoindre le parcours permanent du musée national de la Voiture, au palais de Compiègne43. Cette autochenille était récemment visible lors d’une exposition intitulée Cars – Accelerating the Modern World44. L’Éléphant à la Tour, contextualisé par quelques documents graphiques du musée du quai Branly – Jacques Chirac, y figurait dans une section consacrée à l’hégémonie automobile dans tous les espaces de notre planète. Sa présentation au cœur d’un prestigieux musée londonien des arts décoratifs souligne également, en creux, l’aura culturelle, voire cultuelle, de l’automobile dans les sociétés occidentales. Roland Barthes l’a magnifiquement décrit, à propos de la « mythologique » DS de Citroën : « une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. »45

  • 46 Lemonnier, 2021.
  • 47 John Urry (1946-2016) estime que nous vivons dans une société, voire dans un « régime automobile », (...)

31Dans un article récent, Pierre Lemonnier se livre à une auto-anthropologie, au double sens du terme, convoquant Dinky Toys, magazines et voitures dites « de collection » pour souligner l’importance considérable de l’automobile dans la culture matérielle occidentale46. Il rejoint ainsi, de manière plus empathique, les appels de John Urry à prendre au sérieux ce « système », voire ce « régime »47. Mais plutôt que de le déconstruire, Lemonnier propose de réfléchir à la manière dont des systèmes de pensée et des actions matérielles convergent vers des objets, les voitures en particulier, et produisent des représentations partagées. Une Ferrari exposée au musée des Arts décoratifs (L’art et l’automobile, 2011) et une clôture de jardin ou un tambour funéraire de Papouasie Nouvelle-Guinée, ont en commun la capacité à rassembler les gens et à les faire agir ensemble. À l’évidence, les autochenilles Citroën possèdent également cette capacité.

  • 48 Voir le recueil de textes publié dans Miller (dir.), 2001.
  • 49 Sheller, 2004.
  • 50 Mathieu Flonneau cite un texte intitulé « La voiture, projection de l’ego », moins connu que l’élog (...)

32S’intéresser à l’histoire et à l’héritage des croisières Citroën peut donc nous aider à comprendre la centralité de l’objet automobile dans notre manière de « faire société », et, symétriquement, à interroger « l’humanité de l’automobile », avec comme corollaire son intégration dans l’histoire coloniale48. On peut donc revisiter les croisières comme épisode spectaculaire de l’impérialisme français de l’entre-deux-guerres, mais également, dans un renversement idéologique du programme de leurs promoteurs, comme révélateur d’un « fétichisme automobile » occidental dont les initiés et les rituels méritent l’attention des historiens et des anthropologues à laquelle nous invitent Pierre Lemonnier ou Mimi Sheller49. Avec le soutien de Roland Barthes, qui parle d’une « mythologie de la conduite », Mathieu Flonneau nous rappelle que la culture automobile n’est pas centrée sur l’objet mais sur la pratique50. Pour les passionnés qui ont construit la réplique du Scarabée d’Or, l’exposition statique du véhicule dans des salons automobiles n’est qu’une étape vers une « grande aventure » dans les sables du Sahara. Leur plaisir n’est pas de contempler l’objet au point mort mais de le mettre en mouvement, une problématique commune à tous les patrimoines de la mobilité. À l’aube d’une décennie de centenaires (2022-2031), chercheurs et conservateurs du patrimoine devraient prendre au sérieux cette mémoire des croisières Citroën qui risque de partir en « roue libre ».

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Sources et bibliographie

Sources

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Notes

1 La cloche tibétaine est une mini-série en sept épisodes produite par l’ORTF et Telecip, et diffusée en 1974-1975.

2 On pense ici à la douzaine de volumes publiés aux éditions Glénat par Ariane Audouin-Dubreuil, fille du commandant en second des croisières, Louis Audouin-Dubreuil.

3 Venayre, 2002.

4 Jablonka, 2016.

5 Sur l’histoire de la conversion des usines d’armement de Javel à la production automobile, lire Schweitzer, 1982. Voir également sa biographie d’André Citroën (1878-1935) : Schweitzer, 1992.

6 Les enquêtes sociologiques manquent sur ces manifestations, qui sont peu évoquées dans Demoli, Lannoy, 2019.

7 Le choix du nom de Satanas est peut-être une référence à la mythique série télévisée d’animation de la fin des années 1960, Les fous du volant, dont les personnages principaux sont le chauffard Satanas et son chien Diabolo.

8 Entretien qui m’a été accordé au lieu-dit « Les Aupillières » (Montsalier, Alpes-de-Haute-Provence), le vendredi 31 juillet 2020.

9 Voir les travaux de Bloom, 2008, sur le documentaire colonial français, en particulier le chapitre « The Trans-Saharian Crossing Films: Colonial Cinematic Projections of the French Automobile ».

10 Sur les intentions de Citroën, lire Murray Levine, 2000, ainsi que Denning, 2020.

11 Exposition coloniale internationale de Paris, 1931, Congrès international et intercolonial des transports, 19-22 octobre 1931.

12 Sur l’historiographie de ce tournant de la mobilité, lire Divall, Revill, 2009.

13 C’est la thèse développée dans Mom, 2015.

14 Ponsavady, 2018.

15 Le mot « fétiche » est ici employé dans le double sens, magique (fée) et fabriquée (fait), proposé dans Latour, 2009.

16 L’histoire de la culture mangbetu et de sa diffusion dans les sociétés occidentales a fait l’objet de plusieurs études dont Schildkrout, 2000, et Pass, 2019. On notera que des reproductions du bouchon de radiateur sont toujours proposées à la vente par les héritiers de François Bazin. Voir la collection « Croisière noire » sur le site www.fbazin.com.

17 Malgré, ou à cause de l’importance de cette industrie, il n’existe pas de synthèse sur l’histoire sociale et culturelle de l’automobile en France, les historiens s’étant d’abord concentrés sur une histoire de la production. Les travaux de Mathieu Flonneau font exception dans de stimulants essais (Flonneau, 2008).

18 Hecht, 2004 ; Ross, 2004.

19 Baudot, Séguéla, 1960. Jacques Séguéla raconte qu’il ne recevra qu’un mode d’emploi de la 2CV en réponse à sa demande de soutien auprès de Citroën. Il devient dans les années 1980 le concepteur des publicités de la marque pour le compte de la société RSCG.

20 Wolgensinger, 1974, p. 19 ; Le Fèvre, 1974. Le livre de Le Fèvre a été réédité quatre fois depuis 1974, la dernière fois en 2019 dans la collection « Libretto ».

21 Eudes, Viard, 1974, p. 9.

22 Voir le site Citroën Origins : https://www.citroenorigins.fr/fr.

23 Les noms ainsi que les « blasons » ornant les véhicules n’ont pas fait l’objet de recherches particulières. Le choix semble être revenu à chaque chef de bord, dans une tradition qui rappelle les noms de baptême donnés aux avions de chasse pendant la Première Guerre mondiale.

24 Audouin-Dubreuil, Haardt, 1923, p. 307.

25 Je remercie vivement Romain Poudray, documentaliste au département Inventaire, diffusion et histoire des collections du musée de l’Armée, qui a bien voulu me donner accès à ce dossier. Je reprends ici les conclusions de sa note de synthèse (juin 2020).

26 D’après le dossier conservé au musée de l’Armée, ce Scarabée d’Or de la croisière jaune n’est pas inscrit à l’inventaire du musée.

27 Jean-Louis Loubet (Loubet, 1990) qualifie les dégâts subis par Javel de « peu importants » par rapport à la situation des autres sites automobiles français, dont celui de Renault à Billancourt.

28 « L’exposition à Rétromobile 2020 de la réplique du Scarabée d’Or marque le lancement d’un projet audacieux, comme André Citroën en avait le goût. En 2022, cent ans après la première traversée automobile du célèbre désert, Citroën réitèrera l’exploit avec Ë.POPÉE, la traversée électrique du Sahara » (communiqué du 5 février 2020 de la marque Citroën). Cette information était reprise sur le site Citroën Origins, dont elle a depuis été retirée.

29 Une enquête plus complète sur cette association devait être menée dans le cadre du master d’histoire d’Antoine Vincent (2021). Celui-ci a longuement interrogé Olivier Masi ainsi que, via un questionnaire écrit, une quarantaine d’étudiants, d’enseignants et de partenaires de la reconstruction du véhicule. Les résultats de ce questionnaire sont partiellement exploités dans le mémoire, dirigé par Éric Vial, et qui a été interrompu au niveau M1. Il mobilise également des vidéos réalisées pendant la reconstruction du Scarabée d’Or et qui sont toujours disponibles sur le site du projet (https://www.scarabeedor.org/).

30 Audouin-Dubreuil, Haardt, 1923, p. 68.

31 Inauguré aux débuts des années 2000, le Conservatoire Citroën abrite 400 véhicules représentant la marque depuis 1919.

32 Je reprends ici le titre de Latour, Lowe, 2011.

33 Hayat, Ilous, 1981.

34 Un tapuscrit des souvenirs de Maurice Penaud, recueillis par Jean Faraud, a été déposé au musée des Cordeliers et mis en ligne par l’association « Des voitures et des hommes » (https://www.scarabeedor.org/biographie-maurice-penaud). Je remercie Delphine Etchenique pour son accueil au musée des Cordeliers, ainsi que la mise à disposition de ses archives.

35 Sur la perméabilité des modes d’organisation entre l’armée et les entreprises, voir les travaux d’Yves Cohen (Cohen, 2013) sur le commandement.

36 Bernard Boutet de Monvel (1884-1949), Portrait de Georges Marie Haardt (1884-1932), vers 1926, musée du quai Branly – Jacques Chirac, no d’inventaire 75.9907.2. Prêté au musée des Colonies en 1936, le tableau a été acquis par le MAAO dans les années 1960. Lire Ligner (dir.), 2018, p. 221.

37 Cette notice est en ligne sur la base Palissy : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM17000394.

38 Woronoff, 1989.

39 Note de Dominique Vila du 20 décembre 1993 relative à la réunion du 17 décembre 1993. Les documents utilisés pour rédiger cette section du texte proviennent du dossier de restauration qu’Olivier Morel a bien voulu mettre à ma disposition. Qu’il en soit ici remercié.

40 Entretien qui m’a été accordé par Étienne Féau le vendredi 10 juillet 2020.

41 L’art africain dans les collections publiques de Poitou-Charentes, catalogue de l’exposition 1985-1987.

42 Degrigny, Morel, 1995 ; 1996.

43 L’histoire de cette collection et de sa présentation à Compiègne depuis 1927 est évoquée dans l’important rapport Musées et patrimoine automobile (ministère de la Culture, 2007) rédigé par l’actuel directeur de ce musée, Rodolphe Rapetti.

44 Lire le compte rendu de cette exposition par Faugier, Guigueno, Passalacqua, Smith, 2020.

45 Barthes, 1957, p. 140-142.

46 Lemonnier, 2021.

47 John Urry (1946-2016) estime que nous vivons dans une société, voire dans un « régime automobile », dont les effets ont été sous-estimés par les sciences sociales (Urry, 2005).

48 Voir le recueil de textes publié dans Miller (dir.), 2001.

49 Sheller, 2004.

50 Mathieu Flonneau cite un texte intitulé « La voiture, projection de l’ego », moins connu que l’éloge de la DS de Mythologies (Flonneau, 2008, p. 99-103).

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. – Croisière à l’Ouest, organisée pour le centenaire de la marque Citroën, place de la Concorde, 19 juillet 2019
Crédits Photographie par Vincent Guigueno.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/artefact/docannexe/image/15476/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 5,8M
Titre Fig. 2. – La réplique du Scarabée d’Or de l’association « Des voitures et des hommes »
Crédits Photographie par William Crozes.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/artefact/docannexe/image/15476/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 2,9M
Titre Fig. 3. – Le Scarabée d’Or exposé au musée de l’Armée dans les années 1930
Crédits Collection personnelle de Vincent Guigueno.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/artefact/docannexe/image/15476/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 2,1M
Titre Fig. 4. – Le Scarabée d’Or à Javel dans les années 1950
Crédits Cliché no 51.01.201_0002, Conservatoire Citroën.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/artefact/docannexe/image/15476/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 5,8M
Titre Fig. 5. – Le Croissant d’Argent, photographié à Saint-Jean-d’Angély par Olivier Morel avant sa restauration dans les années 1990
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/artefact/docannexe/image/15476/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 1,6M
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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Guigueno, « La relique et la réplique »Artefact, 20 | 2024, 311-336.

Référence électronique

Vincent Guigueno, « La relique et la réplique »Artefact [En ligne], 20 | 2024, mis en ligne le 18 juin 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/artefact/15476 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wus

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Auteur

Vincent Guigueno

Ingénieur et historien de formation, Vincent Guigueno est aujourd’hui conservateur en chef du patrimoine en congé de formation à l’Institut national du patrimoine. Il a enseigné l’histoire pendant dix-sept ans à l’École nationale des ponts et chaussées (2006-2022). Il a coordonné avec Mathieu Flonneau les actes d’un colloque international, De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité (Presses universitaires de Rennes, 2009) et a récemment rédigé, avec Arnaud Passalacqua, le chapitre « La mobilité des “autres”, de la ségrégation au métissage » au sein d’une Histoire des transports et des mobilités en France, xixe-xxe siècle (Armand Colin, 2022, p. 205-215).

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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