- 1 Anderson, 1984.
- 2 Ibid.
- 3 Tadeusz Przypkowski, historien des sciences, bibliophile, collectionneur de cadrans solaires, fonda (...)
- 4 SML, microfilm B.28, Londres, The Dana Research Centre and Library Science Museum ; Wyka, 2020.
1Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les historiens français des sciences et les muséologues européens ressentirent la nécessité d’inventorier le patrimoine matériel des sciences ayant survécu aux destructions de la guerre. André Leveillé (1880-1962)1, directeur du Palais de la découverte à Paris, lança cette initiative en 1946. En 1956, dans le cadre de l’Union internationale d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques à Paris, la Commission pour l’inventaire mondial des appareils scientifiques d’intérêt historique fut convoquée dans la Section d’histoire des sciences. La Commission travaillait sous l’égide de l’UNESCO, et grâce à ses subventions. Un groupe d’experts rédigea la fiche d’objet type, valant pour tout instrument historique. Des spécialistes belges, italiens, français et soviétiques2 établirent la documentation des objets d’intérêt historique préservés. L’ensemble des historiens des sciences et des muséologues polonais participèrent à cet inventaire du patrimoine matériel des sciences. Dans les années 1960, Tadeusz Przypkowski (1905-1977)3 – responsable de la réalisation du projet – envoya les fiches de 99 objets considérés comme représentant le patrimoine scientifique et horloger4 polonais d’importance.
2Les recherches menées par Tadeusz Przypkowski sur le patrimoine scientifique polonais ont désormais un caractère historique. Ces recherches ont été menées il y a soixante ans, et il est nécessaire de réviser, de manière problématique et holistique, le point de vue exprimé sur l’ensemble des instruments scientifiques polonais. Quels sont les facteurs qui furent, au cours du temps, déterminants pour l’attribution d’une valeur muséale à ces instruments scientifiques et pédagogiques ? Cet article s’intéresse ainsi à l’évaluation de la valeur muséale d’un artefact. Est-il possible de suivre le processus qui fait passer un instrument du champ scientifique au champ patrimonial ? Dans le cadre de ce texte, nous nous intéresserons uniquement aux objets scientifiques. La fonction initiale de ces objets était la pratique scientifique. Au fur et à mesure que celle-ci évoluait, et particulièrement aux xixe et xxe siècles, l’atelier ou le laboratoire du savant se modernisait systématiquement. De nouveaux instruments provoquaient de nouvelles questions scientifiques, dont la solution exigeait à son tour l’invention et la fabrication d’instruments nouveaux, perfectionnés ou modernisés. De cette manière, au fil des transformations de la pratique scientifique, les instruments étaient remplacés par d’autres. D’une valeur scientifique et de recherche, certains acquéraient une valeur proprement historique. Pour situer ces artefacts scientifiques dans le cadre de la culture matérielle, nous présenterons ici les collections scientifiques polonaises les plus importantes.
3On peut analyser le processus d’attribution de la valeur muséale d’un instrument à partir de plusieurs contextes. En premier lieu, le contexte scientifique permet de suivre les objets qui, perdant leur usage scientifique, sont devenus des objets d’intérêt historique, leur valeur dérivant de leur qualité de document attestant de la carrière scientifique et pédagogique d’un chercheur ou d’un centre scientifique. Ce qui fera et renforcera la valeur muséale d’un objet sera son lien avec un chercheur, une institution scientifique ou une réalisation scientifique spécifique. Dans cet article, plusieurs instruments importants répondent à ce critère.
4En deuxième lieu, il faut considérer la césure du temps, notamment en lien avec les techniques. Au cours du temps, les techniques de production des instruments évoluent ; parallèlement, les ateliers et les entreprises produisant des appareils scientifiques sont liquidés ou modernisés. Parfois, tel instrument est le seul conservé de la production antérieure d’une entreprise ou d’un fabricant, ce qui le dote d’emblée d’une valeur muséale considérable.
5Enfin, le contexte local et national joue un rôle essentiel dans l’évaluation de la valeur d’un artefact. La valeur muséale d’un instrument dépend du fait que cet instrument est un produit local (ici, polonais). L’instrument permet de documenter le niveau de la production, l’histoire d’une entreprise donnée, et indirectement le domaine plus général de l’artisanat et de l’industrie à une échelle déterminée.
6Dans les collections scientifiques polonaises, il est possible de distinguer un premier groupe d’objets dont la valeur muséale découle de leur contexte scientifique particulier. Nous incluons parmi eux des objets appartenant à d’éminents scientifiques ayant contribué à l’histoire de la science polonaise et ayant vécu sur des territoires correspondant à la Pologne actuelle.
- 5 Birkenmajer, 1892 ; Włodarczyk, 2022.
- 6 Ibid.
- 7 Hudson, 1998 ; Włodarczyk, 2022. Deux instruments de ce type datés du xve siècle ont été conservés. (...)
- 8 Zawada, 2005.
7Les artefacts d’une grande valeur muséale et scientifique sont représentés par les instruments astronomiques venant de la première école supérieure polonaise, devenue l’université Jagellonne de Cracovie. Le développement des sciences sur le territoire polonais est lié à la fondation de cette université qui était d’abord Studium Generale (1364), avec trois facultés : philosophie, médecine et droit. Rejointes en 1400 par la théologie, elles constituaient l’Académie de Cracovie. Aujourd’hui, le musée de l’université Jagellonne se situe dans le bâtiment le plus ancien de l’université. La collection d’appareils scientifiques d’intérêt historique constitue une partie de ce musée. Au xve siècle, les sciences mathématiques atteignaient un très haut niveau à l’Académie de Cracovie. Dans les années 1491-1495, Nicolas Copernic (1473-1543) étudia à Cracovie, où il se forma aux mathématiques et à l’astronomie. Alors qu’il y effectuait ses études, l’Académie reçut un don précieux de trois instruments astronomiques : l’astrolabe planisphérique, le globe céleste avec l’astrolabe et le torquetum (Fig. 1). Copernic a certainement vu ces instruments, car leur arrivée à Cracovie marquait un événement important pour l’Académie. Datés d’environ 1480 et attribués à Hans Dorn (1430/1440 ?-1506), ils représentent un ensemble unique d’objets médiévaux de provenance relativement connue5. Ils appartenaient à Marcin Bylica d’Olkusz (1433-1493, connu également en tant que Martin Ilkusch) qui, après avoir obtenu le diplôme de maître de l’Académie de Cracovie en 1459, quitta la ville et passa quelques années en Italie avant de s’installer pour le reste de sa vie à Buda, à la cour du roi Maciej Korwin (1443-1490). Il fut professeur à l’Universitas Istropolitana de Preszburg (actuellement Bratislava), en activité dans les années 1467-1472. Après la fermeture de l’université, il assuma la fonction de conseiller de la cour du roi. Il légua dans son testament sa bibliothèque et ses instruments à l’Académie de Cracovie. Depuis 1494, ces derniers appartiennent à la collection du musée de l’université Jagellonne. On peut penser qu’à Cracovie, on les utilisait comme des instruments pédagogiques pour l’enseignement de l’astronomie, de l’astrologie et des sciences mathématiques6. Ces instruments étaient les outils de travail de l’astronome de l’époque ; ils servaient aux observations astronomiques ainsi qu’à faire des horoscopes. Cette dernière activité était aussi importante que les observations astronomiques. L’astrolabe servait à enseigner la position des étoiles et des planètes dans le ciel ; connu depuis l’Antiquité, il constituait une sorte de carte des étoiles et un modèle des corps célestes. L’astrolabe était un instrument universel pour déterminer l’heure, la hauteur des corps célestes et la latitude. Le torquetum7 était en revanche un instrument moins répandu. Il permettait de mesurer les coordonnées des corps célestes dans trois dimensions (horizontale, équatoriale et écliptique) ainsi que de décrire les transitions mutuelles entre ces systèmes. Le globe céleste, avec l’astrolabe et le cadran solaire horizontal, est le troisième instrument conservé. Il facilitait l’identification des étoiles, les observations à différentes latitudes, et aidait à établir des horoscopes8.
Fig. 1. – Les instruments astronomiques du don de Marcin Bylica dans l’exposition du musée de l’université Jagellonne
De gauche à droite : le torquetum (no MUJ-1571-I), l’astrolabe planisphérique (no MUJ-1573-I) et le globe céleste avec l’astrolabe (no MUJ-1572-I).
Photographie Janusz Kozina.
- 9 Hajdukiewicz, 1968 ; Wyka, 2009.
- 10 Taborska, 2020.
- 11 Ils se trouvent au musée de l’université Jagellonne de Cracovie : la sphère armillaire mécanique a (...)
8La période d’essor des sciences astronomiques à l’Académie de Cracovie prit fin au xvie siècle. Les conséquences des guerres suédoises au xviie siècle qui provoquèrent l’effondrement du pays entraînèrent la baisse du niveau d’enseignement à l’Académie de Cracovie. Jan Brożek (Joannes Broscious, 1585-1652) – mathématicien, astronome, médecin et biographe de Nicolas Copernic – était le seul scientifique éminent de cette période. Il possédait une grande collection d’instruments. L’inventaire daté de 1657 compte environ 50 instruments9. Seuls trois d’entre eux ont été conservés : une sphère armillaire mécanique datée de 1510-151110, un astrolabe italien datant d’environ 1370, et un cadran solaire diptyque signé de Hans Droschel (1549-1612) et produit à Nuremberg en 158411.
- 12 Taborska, 2020.
- 13 Le midi vrai est le moment où le Soleil se trouve le plus haut au-dessus de l’horizon.
9La sphère armillaire, mentionnée ci-dessus, est un instrument de grande qualité alliant des connaissances cartographiques et astronomiques12. La partie extérieure de l’instrument se compose d’une grille représentant les systèmes de coordonnées horizontales, équatoriales et écliptiques, avec le mécanisme d’horloge placé à l’intérieur de la sphère pour déterminer des quantités astronomiques : le temps et le temps sidéral, les dates du jour et du mois. Le mécanisme d’horloge est protégé par le globe de la Terre – deux hémisphères sur lesquels est gravée la carte de la Terre de 1510-1511. Il était possible de déterminer, d’après le système de coordonnées géographiques sur le globe, la position d’un lieu choisi conformément à l’état des connaissances cartographiques de l’époque. Le cadran solaire diptyque est un autre instrument conservé de la collection de Jean Brożek. Sa construction comprenait une boussole pour définir le méridien local, ce qui en faisait un instrument portatif. En astronomie, les cadrans solaires servaient, entre autres, à désigner le midi vrai13.
10Parmi les instruments conservés, un seul a appartenu à Nicolas Copernic et appartient de ce fait aux instruments d’intérêt historique exceptionnel. Dans les années 1516-1519 et 1520-1521, Copernic vécut au château du chapitre varmien à Olsztyn, remplissant la fonction d’administrateur des biens de chapitre. Juste au-dessus de l’entrée de sa chambre, sur le mur du cloître de l’aile nord du château, se trouve un tableau astronomique, dessiné probablement dans les années 1516-1518 (Fig. 2). De grands fragments de cet instrument remarquable ont été conservés (705 cm x 140 cm). Dès le xixe siècle, l’explication du contenu et de la signification de ce tableau est devenue l’objet de recherches détaillées, car Nicolas Copernic ne le mentionne pas dans ses œuvres. Les résultats des recherches menées indiquent que ce tableau servait à l’astronome pour présenter le mouvement apparent du soleil, les jours proches des équinoxes de printemps et d’automne14.
Fig. 2. – Le tableau astronomique de Nicolas Copernic sur le mur du cloître du château du chapitre de Varmie à Olsztyn
Photographie Grzegorz Kumorowicz.
- 15 Le compas signé « I. David Fe » et « Johan Hevelke / Anno 1638 » porte le numéro d’inventaire MT.MK (...)
11De même, un seul instrument d’un autre astronome éminent – Jan Heweliusz (Johannes Hevelius, Johann Hewelcke, 1611-1687) – a été conservé. Il s’agit du compas de proportion en laiton signé « I. David. Fe » et « Johan Hevelke / Anno 1638 ». Jan Heweliusz, astronome et mathématicien, était également constructeur d’instruments. L’observatoire localisé sur le toit de son immeuble à Gdańsk n’est connu que par les gravures incluses dans les œuvres de l’astronome. Il a été détruit dans l’incendie de la ville en 1679, et l’équipement de l’observatoire reconstruit après cet événement n’a pas survécu. L’astronome offrit le compas mentionné ci-dessus au Gymnase académique de Toruń (Toruńskie Gimnazjum Akademickie), le lycée luthérien fondé en 1568. Pendant des années, ce fut l’un des centres les plus dynamiques de propagation du luthéranisme en Prusse royale. La période où Heweliusz a probablement donné le compas à l’école, à savoir le milieu du xviie siècle, correspond à un moment d’épanouissement des sciences exactes. De nos jours, ce témoin exceptionnel de l’activité de l’astronome est exposé au musée de District de Toruń (Muzeum Okręgowe w Toruniu), dans le département de la maison de Copernic (Oddział Dom Kopernika)15.
12Le compas offert par Heweliusz, surnommé aussi « compas de proportion de Galilée » d’après son inventeur (1598/1599), est un instrument universel pour résoudre des problèmes mathématiques pratiques sans le recours au calcul. Différentes échelles, appelées lignes à parties égales, étaient tracées sur deux bras plats reliés par une charnière qui permettaient de déterminer les relations mutuelles des quantités dans de nombreux domaines : en arpentage, dans l’armée, en géométrie, dans l’architecture, etc. Le compas de proportion de Heweliusz mentionné ci-dessus possède quatre lignes qui permettent de diviser un segment en parties données, de convertir des devises, de déterminer la somme des volumes ou de régler la hauteur du canon en fonction de la balle. Au Gymnase de Toruń, il pouvait être utilisé comme outil pédagogique.
- 16 Papanelopoulou, 2013 ; Wojtaszek et al., 1990.
13Plus proche de nous, la collection d’appareils de liquéfaction de gaz ainsi que d’instruments pour tester des phénomènes physico-chimiques à basses températures est particulièrement importante pour le patrimoine scientifique polonais. Elle appartient à la collection scientifique de l’université Jagellonne de Cracovie et remonte aux années 1880-1920. En 1883, le professeur de chimie Karol Olszewski (1846-1915) et le physicien Zygmunt Wróblewski (1845-1888), revenu en Pologne après un séjour de treize ans à l’étranger, entreprirent des recherches sur la liquéfaction des gaz. Jusqu’au début de 1883, certains gaz n’avaient jamais pu être liquéfiés par les chercheurs européens – entre autres, l’oxygène, l’azote, l’hydrogène et l’oxyde de carbone. Au printemps de 1883, après quelques semaines d’expériences, Karol Olszewski et Zygmunt Wróblewski obtinrent l’oxygène à l’état statique, observant le ménisque d’oxygène liquide. C’est l’une des réalisations les plus importantes des scientifiques polonais. Leurs recherches poursuivaient les travaux initiés par Michael Faraday (1791-1867), Louis-Paul Cailletet (1832-1913) et Raoul Pierre Pictet (1846-1929). En 1877, Louis-Paul Cailletet avait observé la liquéfaction de l’oxygène à l’état statique (des gouttes de gaz), mais il fallut encore quelques années pour obtenir l’oxygène sous forme liquide16. La collection d’appareils de liquéfaction de gaz a été conservée à l’université Jagellonne. Elle se compose de plusieurs appareils de liquéfaction, ainsi que des appareils auxiliaires, tels que pompes à vide, compresseurs, récipients Dewar, etc. Ils sont complétés par une riche collection d’archives illustrant le fonctionnement du laboratoire cryogénique de Karol Olszewski. Cette documentation présente, entre autres, les relations avec les scientifiques, le déroulement des travaux de recherche, la correspondance avec les entreprises fabriquant l’équipement de laboratoire. Il s’agit de l’une des plus grandes collections d’appareils pour la recherche des phénomènes à basse température.
- 17 Szybalski, 1999 ; Urbanek, 2018.
14L’ensemble de plusieurs appareils utilisés par Rudolf Weigel (1883-1957), pour ses recherches sur le vaccin contre le typhus, a également une valeur scientifique particulière. Rudolf Weigel était zoologiste, parasitologiste, professeur de l’université Jean Casimir de Lviv (actuellement en Ukraine). Dans l’entre-deux-guerres et pendant la Seconde Guerre mondiale, il dirigeait l’institut dans lequel on produisait le vaccin pour les besoins des armées allemande et soviétique, en suivant le déroulement de la guerre à Lviv. Le typhus est dû à la bactérie Rickettsia prowazekii, qui pareillement aux virus, se multiplie dans les organismes vivants. Ce phénomène a été utilisé par Rudolf Weigel pour élaborer la méthode d’obtention du vaccin contre le typhus. Il s’agissait d’infecter les poux avec des bactéries Rickettsia et d’élever ensuite des insectes infectés dans des cages spéciales (en les nourrissant de sang humain) jusqu’à ce que des anticorps se produisent dans leurs intestins. Le vaccin a ainsi été produit à partir des entrailles infectées des insectes tués. Il a sauvé la vie non seulement de milliers de soldats, mais aussi de dizaines de professeurs et d’intellectuels de Lviv. Weigel recrutait ces derniers pour les travaux de laboratoire à l’Institut, ou tout simplement en tant que nourrisseurs des poux17.
15Au-delà des objets scientifiques mentionnés ci-dessus conservés dans les musées polonais, la plupart des instruments n’ont pas de lien avec des chercheurs identifiés. Leur provenance est différente. Ils sont issus d’anciens laboratoires scolaires et académiques, de collections privées léguées aux musées, et d’achats réalisés par les musées.
16Il n’y a pas de musée d’histoire des sciences en Pologne documentant le développement des sciences et spécialisé dans la collecte des instruments scientifiques d’intérêt historique. Le pays ne possède pas non plus de musée dédié à l’histoire naturelle. Les objets illustrant l’histoire locale des sciences naturelles, techniques et exactes sont dispersés dans plusieurs dizaines de musées. Il faut chercher les instruments scientifiques historiques avant tout dans les musées universitaires, puis au sein de plusieurs musées techniques, et enfin dans les musées thématiquement orientés.
17En Pologne, il existe actuellement plus de 100 institutions académiques à caractère muséal. Beaucoup d’entre elles ont été créées au cours des vingt premières années du xxie siècle. L’Association des musées universitaires18, fonctionnant activement à partir de 2012, a contribué à la création de plusieurs d’entre elles. Les collections scientifiques et techniques de ces musées ont été créées ou sont actuellement créées en conservant les appareils de leurs propres laboratoires. Il s’agit généralement d’instruments et d’appareils des xixe et xxe siècles. Ils documentent les recherches menées, ainsi que l’état des ateliers d’enseignement dans une université donnée19. Dans ce groupe se trouvent également les collections spécialisées des universités de médecine, comme le musée de l’université de Médecine de Gdańsk, le musée de l’Histoire de la médecine et de la pharmacie de l’université de Médecine de Białystok, ou la collection nouvellement créée du musée de l’université de Médecine Karol Marcinkowski de Poznań. La plupart des équipements médicaux que possèdent ces musées datent du xxe siècle. Seuls deux musées universitaires polonais possèdent des collections scientifiques plus anciennes. Le musée de l’université Jagellonne de Cracovie est le premier d’entre eux20. Il documente la période de plus de 650 ans d’existence de l’université. La collection compte environ 3 000 objets d’intérêt historique. C’est aujourd’hui le plus grand et le plus ancien ensemble d’objets scientifiques en Pologne. Outre les artefacts liés à des personnalités scientifiques qui ont été présentés plus haut, plusieurs objets datant de la période des réformes de l’Académie de Cracovie, à la fin du xviiie siècle, sont bien documentés. Dans la collection sont conservés les instruments astronomiques provenant du premier observatoire astronomique créé à Cracovie en 1792. Ils ont été acquis auprès des constructeurs d’instruments anglais et français, comme Jesse Ramsden, John Dollond, Edward Nairne, Jacques Fortin, Antoine-Hyppolyte Pixii, etc. C’est en 1784 que furent créés à l’université le premier cabinet physique et le laboratoire chimique. Peu d’appareils de ces cabinets demeurent. Les bouteilles d’alambic en verre, les flacons datés de la fin du xviiie siècle et le seul récipient du pays en forme (alchimique) de pélican à deux tuyaux, sont très précieux. Les verres chimiques sont des objets muséaux très précieux car en raison de la qualité et de la fragilité du matériau, ils avaient tendance à se briser pendant les expériences chimiques.
18La collection qui documente le développement de la science allemande aux xviiie et xixe siècles ainsi que de la science polonaise au xxe siècle est présentée dans le musée de l’université de Wrocław21. Ce dernier est situé dans les bâtiments baroques de l’université, au siège de l’ancienne Académie Leopoldina fondée en 1702. En 1791, l’ex-jésuite Longinus Anton Lorenz Jungnitz (1764-1831), diplômé puis professeur de la Leopoldina de Wrocław, naturaliste, physicien et astronome, créa l’observatoire astronomique. Il se trouvait dans la Tour mathématique qui constitue actuellement une partie du musée universitaire. On y expose les instruments astronomiques provenant de cet observatoire, les collections des sciences naturelles et les documents illustrant le patrimoine polono-allemand de l’université. Dans l’observatoire, la ligne méridienne, utilisée pour déterminer l’heure du midi vrai, a été préservée jusqu’à aujourd’hui. C’est le seul artefact de ce type en Pologne22.
19L’ensemble exposé au musée des Tubes à rayons X (Muzeum Lamp Rentgenowskich) de l’École polytechnique d’Opole appartient aux collections académiques spécialisées. Ce qui caractérise cette collection, c’est sa diversité. Plus de 1 500 objets illustrent en détail la technique des rayons X dans les applications médicales, techniques et de recherche. L’ensemble est le dépôt à long terme d’un particulier. Il a été acquis auprès de plus de 500 institutions du monde entier23.
20Les musées universitaires polonais participent activement aux initiatives pour protéger le patrimoine académique. Avec l’aide de l’Association des musées universitaires (SMU), ils collaborent avec UNIVERSEUM European Academic Heritage Network et l’International Council of Museums Committee for University Museums and Collections (UMAC). En Pologne, la SMU organise des conférences et des formations pour les muséologues, met en œuvre des projets subventionnés et joue également le rôle d’organe consultatif sur les questions juridiques touchant les musées polonais.
- 24 Site du musée national des Techniques de Varsovie : https://nmt.waw.pl.
- 25 Les deux cadrans solaires équatoriaux d’Andreas Vogler portent les numéros d’inventaire MT-XVII-111 (...)
21Des instruments scientifiques d’intérêt historique se trouvent également dans les musées polonais des techniques. Environ 120 institutions muséales à profil technique sont enregistrées en Pologne. Dans leurs réserves, les instruments de mesure qui s’y trouvent sont des outils pour une application pratique dans un domaine donné. Les musées miniers locaux, les musées d’histoire du textile, les musées des techniques marines, les musées du feu, les musées géodésiques, les musées de l’industrie agricole en possèdent dans leurs collections. L’ensemble d’instruments scientifiques le plus important en nombre d’objets et surtout le plus varié est conservé au musée national des Techniques de Varsovie (Narodowe Muzeum Techniki w Warszawie)24. Il prolonge la tradition du musée des Techniques et de l’Industrie (Muzeum Techniki i Przemysłu) fondé à Varsovie en 1875. Les collections de ce musée d’avant-guerre ont été détruites pendant la Seconde Guerre mondiale. Après-guerre, le musée renaissant a commencé à collectionner à son tour des instruments, avec une prédominance d’objets des xixe et xxe siècles. Toutefois le musée possède un petit nombre d’instruments d’époques antérieures : entre autres, les cadrans solaires d’Andreas Vogler (Augsbourg, deuxième moitié du xviiie siècle), la lunette terrestre de Jesse Ramsden (Londres, fin du xviiie siècle), le compas proportionnel de Nicolas Bion (Paris, début du xviiie siècle)25.
- 26 Sur Józef Jan Migdalski (1774-1833), mécanicien de l’université royale Alexandre de Varsovie, ensui (...)
22La riche collection du musée est constituée des instruments provenant de l’entreprise « Gustaw Gerlach, Entreprise spéciale d’outils géodésiques et de dessin » (Specjalna Fabryka narzędzi geodezyjnych i rysunkowych), qui est la plus grande entreprise polonaise produisant des instruments de mesure. L’entreprise a opéré à Varsovie de 1852 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Arrivant de Berlin à Varsovie en 1845, Gustaw Gerlach racheta une petite usine mécanique créée dans la ville en 1816 par Józef Migdalski26. Le point de départ du développement de l’entreprise Gerlach fut une commande reçue du gouvernement russe, liée au tracé du chemin de fer transsibérien. En 1882, après avoir été récompensée par de nombreux prix aux expositions (Saint-Pétersbourg 1870, Moscou 1872, 1882, Varsovie 1885, 1896), l’entreprise obtint le privilège de signer ses produits et ses publicités avec l’emblème de l’Empire russe. La gamme de produits de l’entreprise était très variée. En dehors de la production principale, des théodolites et des niveaux de diverses précisions, l’entreprise produisait de l’équipement géodésique auxiliaire, comme les tables d’arpentage, les boussoles, les équerres d’arpenteur, les bandes, et divers instruments de dessin. Dans la collection du musée national des Techniques (Narodowe Muzeum Techniki), sont conservés au moins 70 instruments qui représentent un panel varié de la production de l’entreprise de Gustaw Gerlach. Des instruments de cette entreprise sont également conservés dans plusieurs autres musées, comme le musée de l’université Jagellonne, le musée d’Histoire de Włocławek (Muzeum Historii Włocławka), le Bureau central des mesures (Główny Urząd Miar) et les musées géodésiques à Varsovie, Poznań, et Opatów.
23On peut distinguer dans les collections polonaises deux groupes d’objets spécialisés d’une quantité importante et d’une grande valeur muséale, constituant un patrimoine matériel significatif des sciences, des techniques et de la fabrication. Il s’agit des collections métrologiques et géodésiques.
24Le Bureau central des mesures de Varsovie possède l’ensemble d’instruments métrologiques le plus important et le plus varié. Seuls quelques objets ont survécu aux destructions de guerre, le Bureau ayant été créé en 1919. Les plus anciens d’entre eux sont un poids de 4 livres de 1677, des mesures d’un boisseau varsovien de 1794 et de 1797 (1 boisseau = 120,6 litres), ainsi que la collection de balances romaines du xviiie siècle. De plus, de nombreux appareils de test et mesure de l’électricité des xixe et xxe siècles font partie de la collection du Bureau. Ils constituent un exemple des fabrications de presque toutes les entreprises européennes de cette époque. La collection est régulièrement complétée par les instruments de mesure spécialisés contemporains, au fur et à mesure qu’ils sont retirés des laboratoires de recherche du Bureau. C’est le seul musée en Pologne qui possède dans ses collections des échantillons de temps et de fréquence (des horloges atomiques)27.
25Le musée des Vieux Métiers de Świdnica (Muzeum Dawnego Kupiectwa w Świdnicy) rassemble, quant à lui, une collection métrologique liée au commerce. Cette collection compte principalement des objets des xixe et xxe siècles venant de Prusse, en raison de la situation géographique de la ville dans la partition prussienne de l’époque. Les collections du musée présentent des outils utilisés dans les échanges commerciaux de marchandises : des poids, des instruments de mesure, des balances, des outils de poinçonnage et de régulation. Les étalons conservés en entier sont exceptionnels et particulièrement rares, car lors de l’introduction d’une nouvelle mesure, les édits ordonnaient de les détruire. Bien qu’il s’agisse d’une collection d’outils utilitaires, elle mérite d’être mentionnée ici en raison du caractère unique de ce type de collections parmi les musées polonais28.
26Les collections géodésiques spécialisées sont le second domaine important de la collecte des instruments de mesure en Pologne. Au moins trois d’entre elles appartiennent à des institutions menant actuellement des travaux géodésiques. L’un d’eux, le Musée géodésique de l’Entreprise géodésique de Varsovie S.A. (Muzeum Geodezyjne Warszawskiego Przedsiębiorstwa Geodezyjnego S.A.) est ouvert depuis 1997. Les collections du musée sont composées d’objets (instruments, équipements, bibliothèque) reconstituant un atelier de géomètre, à partir de la fin du xixe siècle jusqu’à nos jours. Le caractère de la collection est illustré par le site Internet du musée ainsi que la liste d’objets qu’il contient29. Les objets proviennent de fabricants renommés dans le domaine de l’équipement géodésique, principalement allemands, autrichiens et polonais. Parmi les objets les plus anciens, il faut mentionner un théodolite de l’entreprise polonaise de Gustaw Gerlach, un niveau Grunberg & CO Dresden-a Max Krause de 1892, et un théodolite Keuffell & Esser Co. des États-Unis, datant de 1911-1912.
- 30 Voir en ligne la collection du musée des Instruments et Appareils géodésiques à Poznań : https://co (...)
27Une collection plus petite mais néanmoins importante de l’équipement géodésique est rassemblée dans l’École géodésique-routière de Poznań30. Cette collection vise à éduquer les élèves et à leur présenter des techniques géodésiques. Parmi les objets se trouvent entre autres une collection d’équerres d’arpenteur et un niveau d’Hermann Foerster, venant de Poznań et datant de 1915-1920 (Fig. 3). C’est l’une des rares collections thématiques historiques attachées à une école secondaire en Pologne.
Fig. 3. – Le niveau d’Hermann Foerster, Poznań, 1915-1920
Collection du musée des Instruments et Appareils géodésiques de l’École géodésique-routière de Poznań. Photographie Leszek Wiatr.
28Enfin, il faut signaler la collection importante présentée au musée de l’Ingénierie routière à Szczucin (Muzeum Drogownictwa w Szczucinie), qui est gérée par la direction générale des Routes nationales et des Autoroutes31. Cette institution protège les machines et les équipements routiers d’intérêt historique, en les rassemblant dans ses centres dans toute la Pologne. Elle tient des registres des objets historiques de l’ingénierie routière qu’elle possède, y compris des instruments de mesure. Plus de 80 instruments, surtout des théodolites et niveaux des xixe et xxe siècles, se trouvent en 2021 sur la liste d’appareils géodésiques d’intérêt historique utilisés dans l’ingénierie routière. Les collections comprennent de nombreux appareils fabriqués dans les usines d’optique polonaises PZO Varsovie.
- 32 Cette collection provient du Musée technique et industriel à Cracovie qui a été fermé en 1951.
- 33 Site du musée de la Silésie de Cieszyn : http://muzeumcieszyn.pl ; French, Kapalski, 2011.
29Des instruments scientifiques d’intérêt historique isolés ou figurant dans de petites collections sont également conservés dans d’autres musées polonais, par exemple dans les musées d’art, régionaux, historiques, etc. En général, ils sont donnés à ces institutions dans le cadre de legs plus larges, ou bien ils proviennent d’anciennes ressources du musée. Par exemple, la collection des instruments de dessin qui se trouve à présent au Musée national de Cracovie32 est un bon exemple d’une telle collection. Une précieuse collection d’objets à caractère pédagogique se trouve au musée de la Silésie de Cieszyn (Muzeum Śląska Cieszyńskiego)33. À Cieszyn, le prêtre Leopold Jan Szersznik (1747-1814), préfet du collège jésuite, organisa la bibliothèque et le cabinet des instruments astronomiques et physiques. L’astrolabe planisphérique d’Adriaan Zeelst de Louvain, de la deuxième moitié du xvie siècle, a été préservé dans la collection de Leopold Jan Szersznik.
30Il convient de mentionner encore des collections scientifiques spécialisées qui ne correspondent pas aux critères ci-dessus. Quelques instruments associés à la recherche sur la radioactivité se trouvent au musée Marie Skłodowska-Curie de Varsovie (Muzeum Marii Skłodowskiej-Curie w Warszawie)34. Si l’on considère les globes comme des instruments, la collection la plus représentative de globes polonais se trouve au Musée national de Lublin35.
31Dans les musées polonais, une collection unique d’environ 400 cadrans solaires est présentée au musée des Przypkowski à Jędrzejów (Muzeum im. Przypkowskich w Jędrzejowie)36. Le musée a été créé en 1962 sur la base des collections privées de la famille Przypkowski, amassées à partir de 1895. Leur partie principale, à côté de la bibliothèque et des souvenirs de famille, est constituée par cette collection de cadrans solaires et d’instruments gnomoniques des xvie-xxe siècles. L’un des instruments les plus précieux est un cadran solaire horizontal, produit par Erasmus Habermel, éminent mécanicien du xvie siècle à la cour de l’empereur Rodolphe II à Prague. La collection de la famille Przypkowski est la plus grande collection gnomonique en Pologne.
32Après avoir présenté les collections scientifiques les plus importantes des musées polonais, il convient maintenant de les resituer dans les contextes scientifique et muséal.
33Pour évaluer le patrimoine scientifique préservé dans les musées polonais, celui-ci doit être considéré du point de vue de sa valeur scientifique, historique et muséale.
- 37 L’appareil a été produit dans l’entreprise française d’Eugène Adrien Ducretet et modifié ensuite à (...)
- 38 Brièvement, pour liquéfier le gaz, il faut le compresser et abaisser la température en dessous d’un (...)
34Mesurer la valeur scientifique de ces collections implique de déterminer si elles contiennent des objets importants pour le patrimoine mondial des sciences. Plusieurs objets peuvent être signalés comme des contributions polonaises à ce patrimoine. Le tableau astronomique de Nicolas Copernic, mentionné précédemment, en fait certainement partie. La collection d’appareils de liquéfaction de gaz permanents de la période de 1883-1920, évoquée également ci-dessus, est une contribution polonaise au patrimoine matériel mondial des sciences. Parmi ces appareils se trouve un appareil de type Cailletet avec lequel Karol Olszewski et Zygmunt Wróblewski ont liquéfié pour la première fois, à Cracovie, l’oxygène dans un état statique (Fig. 4)37. D’autres appareils de liquéfaction de laboratoire, produits par les mécaniciens universitaires à Cracovie documentent deux techniques de liquéfaction des gaz qui étaient en cours de développement à l’époque : le procédé « en cascade » et celui par détente38. Il semble qu’avec l’équipement conservé, la collection cracovienne soit le plus grand ensemble d’appareils cryogéniques historiques.
Fig. 4. – L’appareil selon Louis-Paul Cailletet, utilisé par Karol Olszewski et Zygmunt Wróblewski, pour liquéfier l’oxygène à l’état statique en 1883
Collection du musée de l’université Jagellonne (no MUJ-968-I). Photographie Janusz Kozina.
35Les collections muséales polonaises ont surtout une valeur importante pour le patrimoine culturel de la Pologne. Sont-elles représentatives de l’évolution des sciences polonaises au fil du temps ? Seulement en partie. Elles ne documentent presque pas la science au xviie siècle, à part quelques instruments préservés de l’astronome cracovien Jan Brożek. Les collections ne reflètent également que partiellement l’évolution des sciences au xviiie siècle en Pologne. Les professeurs d’astronomie Jan Śniadecki et Marcin Poczobutt-Odlanicki menaient et publiaient alors d’importants travaux de recherche ; l’équipement de leurs observatoires a été en partie conservé. La fin du xviiie siècle correspond à une période de réforme du système polonais d’enseignement secondaire et supérieur. Le roi Stanislas August Poniatowski nomma en 1773 une Commission de l’éducation nationale afin de moderniser le système éducatif. Mais aucun objet n’a été conservé des cabinets physiques qui ont été créés à cette époque, à l’exception de quelques objets présents à l’université Jagellonne de Cracovie. Dans le domaine des sciences expérimentales (physique et chimie), les expériences réalisées par les scientifiques polonais reproduisaient des expériences qui avaient été réalisées ailleurs. Les livres publiés étaient le plus souvent des traductions d’auteurs étrangers, ou des compilations d’œuvres étrangères. Relativement peu d’objets scientifiques de cette période ont été conservés dans les musées polonais, bien que, comme dans d’autres pays européens, des méthodes d’enseignement expérimentales aient été introduites dans les écoles. Les savants polonais découvraient et assimilaient les nouveaux développements scientifiques lors de leurs voyages dans des centres de recherche européens. L’astronome et mathématicien Jan Śniadecki (1756-1830), fondateur de l’observatoire astronomique de l’Académie de Cracovie (1792), a par exemple étudié à Göttingen, Leyde, Utrecht, et au Collège de France à Paris (1780-1781). De l’observatoire qu’il établit, quelques instruments ont été conservés, dont un quadrant astronomique.
36Le professeur d’astronomie à Vilnius, Marcin Poczobutt-Odlanicki (1728-1810), recteur de l’École principale lituanienne, créa l’observatoire astronomique moderne. Il y effectuait, entre autres, des observations de Mercure. L’équipement de cet observatoire est attesté par le quadrant mural, aujourd’hui préservé, d’un rayon de 8 pieds (environ 250 cm) fabriqué par Jesse Ramsden à Londres. Pour ces cabinets physiques nouvellement créés dans ces deux écoles, on commandait des instruments auprès d’entreprises françaises et anglaises reconnues à l’époque. Les instruments ont été importés de fabricants français et anglais comme Jacques Canivet, Nicolas Fortin, Antoine-Hippolyte Pixii, Jesse Ramsden, Edward Nairne.
37Des cabinets furent aussi créés dans les collèges jésuites polonais. Les instruments de deux d’entre eux ont été conservés. Ils reflètent le niveau d’éducation dans ces écoles. Au collège jésuite à Poznań, le prêtre Józef Rogaliński (1728-1802) initia en 1762 le musée de mathématique et de physique. Rogaliński suivit les cours de Jean-Antoine Nollet (1700-1770) à Paris et utilisa l’expérience acquise pour animer des conférences publiques et des démonstrations. Grâce au soutien financier de Marie Leszczyńska (1703-1768), la reine de France dans les années 1725-1768 en tant qu’épouse de Louis XV, Rogaliński acheta en France des instruments pour les cours de physique, de géométrie et pour les observations astronomiques. De son cabinet, trois instruments ont été préservés : le globe céleste et le globe terrestre, tous les deux de Didier Robert de Vaugondy (Paris, 1751), ainsi que la sphère armillaire de Martin aux Chevaux-Legers (Paris, 1762). Les collections pédagogiques du cabinet du collège jésuite de Cieszyn, mentionné ci-dessus, ont survécu en plus grand nombre.
38Plusieurs collections scientifiques polonaises sont constituées d’objets du xixe siècle et du début du xxe siècle. Peu d’entre eux sont liés aux activités des scientifiques polonais. Ils peuvent plutôt être considérés comme une source de connaissances sur la production nationale d’instruments de cette période. On y trouve des produits des fabricants polonais les plus importants : ceux de Gustaw Gerlach, Edmund Romer, Jan Bujak, Mieczysław Szymański à Lviv, des mécaniciens universitaires cracoviens Władysław Grodzicki et Roman Calikowski. Il s’agissait d’entreprises qui opéraient à Varsovie et à Lviv, en principe pendant l’entre-deux-guerres. Presque aucune d’elles n’a repris ses activités dans le nouveau régime après 1945 et dans les nouvelles frontières de l’État.
39Enfin, dans toutes les collections polonaises, il convient de distinguer les objets uniques et les plus anciens. Les instruments astronomiques sont les plus nombreux dans les collections. Parmi les astrolabes conservés, l’un d’entre eux est daté de 1054 et conservé au moins depuis le xviie siècle à l’université Jagellonne de Cracovie. Le torquetum attribué à Hans Dorn, daté de 1487, est l’un des deux seuls instruments médiévaux préservés de ce type et se veut donc d’une très grande valeur muséale.
40Dans le cadre de la gnomonique, trois cadrans solaires sont des objets très importants. Le cadran horizontal d’Erasmus Habermel, mentionné ci-dessus, en fait partie. Le deuxième cadran est un souvenir de l’époque de Stanislas Auguste Poniatowski, le dernier roi de Pologne (les années de son règne, 1764-1795). Il s’agit d’un exemplaire des quelques cadrans gravés sur verre attribués à Jean-François Richer ; il date de 1788 et fut commandé pour la fenêtre du château royal à Varsovie, sur laquelle il n’a jamais été placé. Le troisième objet est un cadran vertical sur la façade du palais du roi Jan III Sobieski à Wilanów. Il a été réalisé vers 1648 d’après le projet de Jan Heweliusz. Pendant la réalisation du cadran, Heweliusz collabora avec le jésuite Adam Adamandy Kochański (1637-1700), mathématicien, physicien et astronome, et également conseiller scientifique et bibliothécaire du roi Jan III Sobieski.
41Enfin, les premiers récipients chimiques sont des objets exceptionnellement rares et précieux dans les collections muséales. L’un d’eux est un récipient unique dont la forme remonte à l’époque de l’alchimie. C’est un pélican à deux tuyaux provenant de l’ancienne pharmacie cracovienne, et qui se trouve à présent au musée de l’université Jagellonne (Fig. 5). Le récipient a été utilisé pour effectuer des réactions à basse température, avec condensation partielle des vapeurs produites et leur recyclage dans la circulation.
Fig. 5. – Le pélican à deux tuyaux, xviiie siècle
Collection du musée de l’université Jagellonne (no MUJ-1573-I). Photographie Janusz Kozina.
42En conclusion, divers facteurs ont influencé la valeur scientifique et muséale du patrimoine scientifique conservé en Pologne. Parmi les plus significatifs, on peut mentionner les conditions politiques dans lesquelles les sciences et l’éducation se sont développées dans le pays au cours de l’histoire. Au moment où se sont formés en Europe les fondements des sciences modernes, c’est-à-dire à la fin du xviie siècle, la Pologne connut une époque de guerres dévastatrices contre les envahisseurs suédois. Des activités cruciales pour le développement de l’éducation, et les contacts avec la science européenne, eurent lieu dans la seconde moitié du xviiie siècle, mais elles furent ensuite plus limitées au xixe siècle. Lorsqu’en France, en 1794, le musée des Arts et Métiers fut créé, la Pologne perdait son indépendance (1795). Jusqu’en 1918, le pays est resté divisé entre l’Autriche, la Prusse et la Russie. À l’époque, documenter le patrimoine historique et culturel, plutôt que scientifique, était l’objectif principal des chercheurs. Cette démarche s’affirma dans les premiers musées sur le territoire polonais, mais ceux-ci furent créés au plus tôt dans la seconde moitié du xixe siècle. Ils ont également servi d’institutions scientifiques et éducatives. Le musée de l’Industrie et de l’Agriculture à Varsovie (Muzeum Przemysłu i Rolnictwa w Warszawie), créé en 1875, possédait des laboratoires (physique et chimique) bien équipés. Le Musée technique et industriel à Cracovie (Muzeum Techniczno-Przemysłowe w Krakowie), créé en 1868, était axé sur l’enseignement de l’artisanat. Pratiquement aucun objet du musée de Varsovie n’a survécu à la guerre. En 1951, le musée de Cracovie a été dissous, et ses collections – y compris les instruments de mesure – ont été déplacées dans d’autres musées de Cracovie. La période d’après-guerre n’a pas non plus été propice aux actions visant à sécuriser les instruments scientifiques d’intérêt historique pour l’avenir. Les musées universitaires prennent désormais soin du patrimoine scientifique. Ils concentrent également leurs activités sur le développement de contacts avec leur propre communauté académique et ils sensibilisent à la culture scientifique dans la communauté universitaire en diffusant le patrimoine scientifique.