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Chapitre 8. La religion balinaise à l’ère de la Reformasi

Chapter 8. Balinese Religion in the Age of Reformasi
p. 293-329

Full text

1L’impressionnante démocratisation politique de l’Indonésie après la chute du Président Suharto en 1998 n’a guère favorisé le pluralisme religieux. Bien au contraire, elle a suscité un désaccord croissant sur ce qui constitue une forme appropriée et licite de religion (Hefner 2021). En dépit de réformes constitutionnelles et réglementaires semblant entériner le droit à la liberté religieuse, le renforcement progressif d’une orthodoxie islamique conservatrice a en fait conduit à une aggravation de l’intolérance religieuse qui a rendu la situation des minorités religieuses plus vulnérable (Lindsey et Butt 2016). Alors que la religion avait été strictement contrôlée par le régime autoritaire de l’Ordre nouveau, la démocratie a permis l’expression publique des convictions religieuses, ce qui s’est traduit par une islamisation croissante de la société indonésienne.

2Les premiers signes de libéralisation religieuse avaient été prometteurs, puisque le 13 septembre 1998, l’Assemblée consultative du peuple (Majelis Permusyawaratan Rakyat, MPR) a ratifié une nouvelle charte des droits humains garantissant la liberté de croyances et de pratiques religieuses, sans spécifier de religions particulières (Ketetapan Majelis Permusyawaratan Rakyat Republik Indonesia n° 17, 1998, Tentang Hak Asasi Manusia). Pourtant, une large part de la politique et des lois régissant la religion héritées de l’Ordre nouveau sont demeurées en vigueur, faisant obstacle à l’instauration d’une véritable liberté religieuse en Indonésie.

  • 1 En janvier 2000, le Président Abdurrahman Wahid a publié une décision présidentielle abrogeant l’in (...)
  • 2 Le Mahkamah Konstitusi a été instauré en 2003 dans le cadre des mesures démocratiques visant à gara (...)

3Si seules six religions sont officiellement reconnues1, la loi stipule également que d’autres religions et croyances – relevant de la « croyance en un Dieu unique » (Kepercayaan terhadap Tuhan Yang Maha Esa) – ne sont pas interdites. À certains égards, les limites d’un relatif pluralisme religieux en Indonésie semblent même avoir été étendues par la Reformasi, avec un choix plus large non seulement au sein des religions normatives, mais aussi entre « religion » (agama) et « croyance » (kepercayaan) (Howell 2004, 2005). C’est ainsi que le 29 décembre 2006, le Conseil représentatif du Peuple (Dewan Perwakilan Rakyat, DPR) a adopté la loi sur l’administration de la population (Undang-Undang n° 23/2006, Tentang Administrasi Kependudukan) qui autorise les citoyens dont la religion ou la croyance n’est pas encore reconnue comme agama à laisser en blanc l’espace réservé à l’affiliation religieuse sur leur carte nationale d’identité (Kartu Tanda Penduduk, KTP). En pratique, cependant, les citoyens qui n’ont pas d’affiliation religieuse légitime ont vu leurs droits civils discriminés en matière de mariage, de naissance et de funérailles. C’est précisément en raison de cette discrimination qu’en novembre 2016, la loi sur l’administration de la population a été contestée devant la Cour constitutionnelle (Mahkamah Konstitusi)2 par des représentants de plusieurs aliran kepercayaan et autres religions indigènes, qui ont demandé à pouvoir inscrire le nom de leur propre religion/croyance sur leur KTP. Le 7 novembre 2017, la Cour a décidé que, à côté des religions reconnues, le gouvernement devait créer sur les cartes d’identité une catégorie distincte pour les adeptes de croyances (Penghayat Kepercayaan), sans qu’ils aient à spécifier la croyance particulière à laquelle ils adhèrent. Alors que la décision de la Cour a été présentée comme une reconnaissance constitutionnelle des « croyances » en Indonésie, cette reconnaissance est en fait toujours limitée aux « croyances en un Dieu unique », ce qui implique le monothéisme (Butt 2020 : 471). De fait, lorsque le ministère de l’Intérieur a publié la réglementation sur les nouveaux modèles de KTP en juin 2018, ces cartes comportaient un espace avec la mention « Kepercayaan terhadap Tuhan Yang Maha Esa » au lieu de « Penghayat Kepercayaan », comme l’avait prescrit la Cour constitutionnelle (ibid. : 472). C’est dire que la question religieuse n’est toujours pas réglée en Indonésie, aucun consensus n’ayant été obtenu sur la liberté de religion et alors que le gouvernement demeure manifestement réticent à abandonner le contrôle de l’État sur les pratiques religieuses (Aragon 2021).

  • 3 En ce qui concerne la distinction entre « islamiste » et « islamique », je fais mienne la position (...)

4Par ailleurs, la libéralisation du système politique après quatre décennies de contrôle strict a donné lieu à une prolifération de partis de toutes obédiences. L’obligation d’adopter le Pancasila comme seul fondement des partis politiques n’étant plus en vigueur, de nouveaux partis et organisations islamistes3 ont vu le jour, qui demandaient une reconnaissance officielle de l’islam comme fondement de l’État indonésien tout en cherchant à imposer la mise en œuvre de ses principes dans la vie privée et publique. Pourtant, cette réaffirmation vigoureuse de l’islam politique ne s’est pas traduite par un soutien accru aux partis islamistes lors des élections nationales, qui ont lieu tous les cinq ans depuis 1999 (avec des élections directes aux postes de président et de gouverneur depuis 2004). Néanmoins, les partis politiques nominalement « laïques » ont progressivement islamisé leur image au fil des ans afin de séduire un électorat de plus en plus ouvertement musulman.

5De manière plus dramatique, la résurgence de l’islam politique en Indonésie s’est manifestée dès les débuts de la Reformasi par l’émergence d’une frange radicale de fondamentalistes musulmans se manifestant par des démonstrations de force, s’engageant dans le jihad contre les chrétiens et perpétrant des actes terroristes (Van Bruinessen 2002, Feillard et Madinier 2006). Si les flambées de violence communautaire et de terrorisme ont fini par régresser, les groupes islamistes et les milices civiles continuent de harceler les minorités religieuses. Confrontées à l’affirmation grandissante de ces courants radicaux, les organisations traditionnelles de la communauté musulmane indonésienne semblent paralysées, tandis que les islamistes s’efforcent d’imposer leur propre interprétation de l’islam, dans le but d’établir leur légitimité politique à réglementer la vie de leurs coreligionnaires.

6En 2000, saisissant l’occasion du débat sur la réforme constitutionnelle, deux partis politiques islamistes du parlement nouvellement élu ont demandé la réinsertion de la Charte de Jakarta dans la Constitution afin d’obtenir la reconnaissance officielle de la loi islamique dans le système juridique indonésien. Leur demande a été longuement débattue lors des sessions de 2001 et de 2002 du MPR, mais elle a été rejetée en raison de l’opposition non seulement des partis laïques et chrétiens, mais également des deux plus importantes organisations musulmanes, le Nahdlatul Ulama et la Muhammadiyah. Par la suite, les débats ont porté sur l’obligation pour le gouvernement de mettre en œuvre la syariah (Hosen 2005, Hasan 2008). Alors que par le passé l’objectif des mouvements islamistes était d’établir un État islamique, par des moyens légaux ou violents, leur stratégie paraît désormais consister à prendre le contrôle de l’État en instaurant une société islamique.

7Ainsi, bien qu’ils n’aient pas réussi à modifier la Constitution dans le but d’imposer la syariah à l’ensemble du pays, les partis islamistes – avec le soutien de certains partis laïques désireux d’afficher leurs références islamiques – ont profité de l’autorité accrue des parlements régionaux en vertu de la nouvelle législation sur l’autonomie régionale pour faire adopter des éléments de la syariah dans les règlements régionaux (peraturan daerah syariah Islam), et ce malgré le fait que les questions religieuses relèvent spécifiquement de la compétence du gouvernement central. Au fil des années, des dizaines de préfectures à travers le pays ont promulgué des réglementations fondées sur la syariah, qui définissent des codes vestimentaires et des normes de bonne conduite pour les femmes, interdisent la vente d’alcool et imposent des obligations religieuses pour les écoliers et les fonctionnaires musulmans (Hefner 2012, Buehler 2016). Les défenseurs des droits civils, les minorités religieuses et certains membres du parlement ont exprimé leur inquiétude face à ce qu’ils perçoivent comme une manœuvre rampante visant à imposer la syariah en Indonésie. Affirmant que ces réglementations fondées sur la syariah violent la Constitution, ils ont demandé au gouvernement de les révoquer, mais en vain.

  • 4 Il s’avère que le Parisada, tout comme les représentants institutionnels du bouddhisme et du confuc (...)

8Les conservateurs musulmans et les milices islamistes ont également utilisé le décret présidentiel de Sukarno de 1965 sur la diffamation religieuse – élevé au rang de loi nationale en 1969 et communément appelé « loi sur le blasphème » – pour lancer des campagnes contre les « sectes déviantes » (aliran sesat). Arguant que le gouvernement a l’obligation d’interdire les interprétations qui s’écartent des enseignements fondamentaux des religions reconnues par l’État, ils ont exigé que les sectes propageant des enseignements « hérétiques » sur l’islam soient interdites. Et le fait est que le gouvernement surveille de près les groupes pratiquant des formes d’islam considérées comme non conformes au courant dominant, dont les membres sont régulièrement harcelés et accusés d’hérésie, de blasphème et d’insulte à l’islam (Olle 2006). L’exclusivisme islamiste s’est trouvé encore renforcé par l’influence croissante du Conseil indonésien des Théologiens islamiques (Majelis Ulama Indonesia, MUI) (Hefner 2019). En juillet 2005, le MUI a émis une fatwa très controversée interdisant « le pluralisme religieux, le libéralisme et le sécularisme » (Fatwa n° 7/2005 Tentang Pluralisme, Liberalisme, Dan Sekularisme Agama) comme étant contraire aux enseignements de l’islam (Ichwan 2013). Pour contrer ce virage conservateur, une coalition d’organisations non gouvernementales libérales a déposé en octobre 2009 une demande de révision judiciaire de la loi sur le blasphème auprès de la Cour constitutionnelle, au motif qu’elle contrevient à la liberté de religion garantie par la Constitution et qu’elle expose les minorités religieuses à des persécutions. Dans son jugement rendu en avril 2010, la Cour a estimé que la loi sur le blasphème n’était pas contraire à la liberté de religion et a conclu que l’État avait le pouvoir légal d’interdire toute interprétation divergente des normes religieuses prédominantes, confirmant ainsi le droit du gouvernement à faire respecter l’orthodoxie islamique telle que définie par le MUI (Crouch 2012 ; voir également Mursalin 2019, chap. 7)4.

9L’adoption de la loi sur la pornographie a constitué une autre avancée dans le sens d’un contrôle strict de la vie sociale indonésienne en vue de la conformer aux normes islamiques conservatrices. En 2006, les législateurs des partis islamistes ont soumis au parlement un projet de loi sur la lutte contre la pornographie et l’action pornographique (Rancangan Undang Undang Antipornografi dan Pornoaksi) (Allen 2007). Cette législation incriminait non seulement les publications et représentations à contenu sexuel explicite mais également les tenues vestimentaires et les comportements jugés indécents selon les codes du puritanisme islamique. Ce projet de loi a suscité un débat houleux et a donné lieu à d’importantes manifestations, tant pour le combattre que pour l’appuyer. Face au tollé général, les législateurs indonésiens ont révisé le projet de loi pour tenir compte des traditions culturelles et des sensibilités locales, et l’ont rebaptisé « loi sur la Pornographie » (Undang-undang n° 44/2008 Tentang Pornografi). Finalement, en dépit de protestations véhémentes, le parlement a adopté la loi contestée sur la pornographie en octobre 2008. Cette loi a été critiquée par les organisations de défense des droits humains, qui ont déclaré qu’elle menaçait l’unité nationale, qu’elle était discriminatoire à l’égard des groupes minoritaires et des femmes, et qu’elle portait atteinte au pluralisme religieux dans le pays (Pausacker 2008).

10La résistance à la loi sur la pornographie a été particulièrement forte à Bali, où le gouverneur a déclaré qu’il s’opposerait à son application, ce qui a suscité une virulente polémique entre les autorités balinaises et certains milieux islamiques. Alors que le projet de loi avait été initialement perçu par les Balinais comme une atteinte à leur identité culturelle et une menace contre leur industrie touristique, le militantisme islamiste les a convaincus que ce qui était en jeu était bien la liberté religieuse et le multiculturalisme en Indonésie (Media Hindu, n° 57, novembre 2008 : 8-17). Pour autant, loin de resserrer les rangs pour résister à la pression islamiste, la communauté hindoue balinaise est apparue plus divisée que jamais sur le sujet de l’agama Hindu.

La réforme du Parisada Hindu Dharma Indonesia

11Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, en intégrant l’agama Hindu dans l’adat Bali, la réglementation provinciale sur le Desa Pakraman, publiée le 21 mars 2001, a brouillé la distinction entre adat et agama. Le renouveau de l’adat balinais a ravivé les tensions entre la vieille garde du Parisada et les réformateurs aspirant à sa régénération, mettant aux prises une faction traditionaliste ancrée dans les communautés rurales et les milieux nobiliaires, repliée sur Bali (keBali-Balian), et une faction moderniste portée par les classes moyennes urbaines et l’intelligentsia, tournée vers l’Inde (keIndia-Indiaan). Les positions se sont durcies de part et d’autre, en ce que tant le primordialisme ethnique et religieux que les aspirations réformatrices et démocratiques, pareillement réprimés autrefois, ont pu désormais se donner libre cours. D’autre part, les revendications des groupes de descendance roturiers (warga) se faisaient plus pressantes, tandis que les entraves à la propagation des mouvements dévotionnels néo-hindous (sampradaya) étaient levées.

12La crise qui couvait au sein du Parisada depuis le congrès de 1996 va éclater lors de son 8e congrès (Mahasabha ke VIII), tenu du 20 au 24 septembre 2001 au Radisson Hotel à Sanur. Enhardis par le vent nouveau de liberté, les réformateurs avaient placé de grands espoirs dans ce congrès et appelaient de leurs voeux un Parisada Reformasi, exempt des manipulations politiques qui avaient prévalu sous l’Ordre nouveau. Et grâce à la liberté de la presse nouvellement accordée la couverture médiatique du congrès et son retentissement furent plus importants que jamais.

13Dès la démission du Président Suharto, le 21 mai 1998, le magazine Raditya faisait paraître un numéro intitulé « L’hindouisme et la réforme » (Hindu dan Reformasi) (Raditya n° 16, mai 1998 : 4-16). Il en ressort qu’aux yeux des réformateurs le Parisada avait perdu sa légitimité du fait de ses compromissions avec le régime déchu. Ils récusaient les dirigeants issus du 7e congrès et exigeaient leur démission collective. Ils leurs reprochaient d’être demeurés passifs lors de la crise économique et politique qui a marqué la fin de l’Ordre nouveau, au lieu de prendre ouvertement position en faveur de la Reformasi. Ils critiquaient en outre l’absence de transparence dans la gestion financière de l’organisation et accusaient ses administrateurs de malversations (Korupsi Kolusi Nepotisme, KKN). Et ils réclamaient la convocation d’un « congrès extraordinaire » (Mahasabha Luar Biasa), dans le but de débattre de l’avenir du Parisada dans le nouveau contexte politique. Par ailleurs, certains activistes préconisaient la création d’un parti politique hindou (Partai Nasionalis Hindu Indonesia), pour défendre les intérêts de la communauté hindoue au parlement à Jakarta et faire pièce à la formation des partis politiques islamistes, qui s’étaient récemment multipliés.

14De leur côté, les traditionalistes ne sont pas restés inactifs devant le vent de réforme qui commençait à souffler. C’est ainsi qu’en mai 2000, une coterie de padanda de Karangasem diffusait une déclaration solennelle (kretesemaya) stipulant que leurs signataires refusaient d’officier en compagnie de prêtres issus d’autres groupes de parenté (soroh). Et ils faisaient obligation à leurs clientèles (sisia) de ne recevoir l’eau lustrale (nunas tirta) que d’eux-mêmes, exclusivement. Ce coup d’éclat a été interprété dans les milieux réformateurs comme le signe d’une crainte des padanda de voir leurs ouailles échapper à leur emprise (Raditya n° 39, octobre 2000 : 4-17).

  • 5 Entretien avec I Gusti Ngurah Bagus, Denpasar, 15 avril 2001.

15On peut sans doute voir une réplique des réformateurs dans l’assemblée générale de la communauté hindoue d’Indonésie (Pesamuan Agung Umat Hindu Indonesia) que le Forum de Sensibilisation au Dharma (Forum Penyadaran Dharma) a réunie sous la direction de I Gusti Ngurah Bagus en juin 2000 au Grand Bali Beach Hotel à Sanur. L’assemblée a décidé la fondation d’un Centre d’Études hindoues (Pusat Kajian Hindu) dans le but d’aider la communauté hindoue indonésienne à affronter les épreuves toujours plus pressantes qui l’assaillent de toutes parts5. Selon certains de ses fondateurs, ce centre aurait vocation à concurrencer le Parisada, tandis que d’autres affirment qu’il voulait en fait rivaliser avec l’Universitas Hindu Indonesia, estimée trop conservatrice. Toujours est-il qu’il n’est jamais devenu vraiment opérationnel et qu’il a quasiment cessé ses activités après le décès prématuré de Gusti Ngurah Bagus en octobre 2003.

  • 6 Ce risque était d’autant plus réel que l’accusation de malversations se faisait plus insistante à l (...)

16En préparation du congrès, le Parisada central (Parisada Pusat) organisait en 2001 quatre séminaires régionaux pour débattre de l’émergence d’un « nouveau paradigme » (Seminar Paradigma Baru Parisada) – à Denpasar, Medan (Sumatra), Jakarta et Palu (Sulawesi). Les participants au séminaire de Denpasar, tenu le 20 mai, ont décidé que les dirigeants du Parisada devaient désormais être démocratiquement élus et non plus désignés par un comité composé à cet effet, afin d’éviter tout risque de manipulations et de mettre fin à la domination des brahmana. Les nouveaux dirigeants devaient pouvoir remplir leur mission à plein temps et ils ne seraient plus autorisés à être membres d’un parti politique. En outre, le président du Parisada ne devait plus être un prêtre mais un laïc, afin que les padanda puissent se consacrer intégralement aux affaires religieuses et ne pas encourir le risque d’être impliqués dans des controverses profanes6 (Raditya, n° 47, juin 2001 : 37-40). Tout en réservant la place d’honneur aux prêtres, les réformateurs ne cachaient guère le peu d’estime qu’ils accordaient aux padanda, auxquels ils reprochaient de demeurer confinés dans leurs pratiques rituelles et d’être ignorants en matière d’éthique et de théologie – une critique déjà formulée jadis dans le magazine Djatajoe dans les années 1930. Sous la direction à plein temps d’un laïc, le Parisada pourrait assurer pleinement la direction de la communauté hindoue indonésienne et surtout la protéger contre toute atteinte à son encontre. Par ailleurs, les diverses organisations d’obédience hindoue, ONG (lembaga swadaya masyarakat, LSM) et fondations (yayasan), ainsi que les warga et les sampradaya, seraient invités au congrès en tant que participants de plein droit et non plus seulement comme simples observateurs. Dernier point, et non des moindres, le Parisada ne devait plus être dominé par les Balinais mais être pleinement représentatif de la communauté hindoue indonésienne dans sa diversité (kebhinekaan), et l’agama Hindu devait devenir une religion missionnaire afin de contrer le prosélytisme musulman et chrétien, en prenant exemple sur la Vishva Hindu Parishad en Inde (Raditya, n° 48, juillet 2001 : 6-29 ; Sarad, n° 20, août 2001 : 26-40).

  • 7 Entretien avec I Ketut Wiana, Denpasar, 9 mai 2007.

17Le 21 juin 2001, le Parisada Bali réunissait un colloque à l’Universitas Hindu Indonesia, en réplique au séminaire organisé à Denpasar par le Parisada Pusat, auquel ses dirigeants avaient refusé de participer pour protester contre la présence de délégués des sampradaya. Au cours de ce colloque, le représentant du bureau régional du ministère de la Religion, I Gusti Gede Goda, s’est lancé dans une critique des sampradaya, qu’il a qualifiés de « sectes déviantes » (aliran sesat), dont les pratiques dissidentes provoquent des controverses au sein de la communauté hindoue et nuisent à sa cohésion. Ce qui lui valut une réponse indignée de I Ketut Wiana, un membre éminent du comité exécutif du Parisada, qui a fait valoir que les sampradaya n’étaient pas des aliran kepercayaan mais des « groupes spirituels » (kelompok spiritual), originaires de l’Inde et fondés sur les Veda. Selon lui, les véritables aliran sesat sont les Balinais traditionalistes qui refusent de se conformer aux préceptes védiques. La faute en revient à la collusion ancienne entre les princes et les prêtres – entre les puri et les gria – qui se sont entendus pour perpétuer leur hégémonie en maintenant la populace dans l’ignorance de sa vraie religion7 (Raditya, n° 50, septembre 2001 : 6-33).

  • 8 Autre changement d’importance, la démocratisation des procédures d’élection aux postes de direction (...)

18Compte tenu de cette montée des tensions, on ne sera pas étonné d’apprendre que le 8e congrès du Parisada fut mouvementé. L’une des questions en débat fut de décider du statut des sampradaya. En dépit de l’opposition de la plupart des délégués du Parisada Bali – et tout particulièrement des padanda –, les sampradaya ont été formellement invités au congrès à titre de participants de plein droit (peserta) et non plus de simples observateurs (peninjau) comme c’était le cas jusqu’alors. Avec leur appui et celui de la majorité des délégations régionales, et malgré l’objection du Parisada Bali, le congrès a décidé que le Parisada serait désormais dirigé par le président du comité exécutif (Ketua Umum) – un laïc – et non plus par celui de l’assemblée des prêtres – un padanda. Il s’agit là d’une réforme capitale, car c’est bien l’exclusivité des brahmana sur la fonction de padanda qui permettait jusqu’alors aux Balinais de conserver leur mainmise sur le Parisada et donc sur l’agama Hindu8.

  • 9 Ce titre figure dans le Nagarakertagama, où il désigne les hauts dignitaires religieux de la cour d (...)

19Les statuts du Parisada ont été modifiés en conséquence, avec une assemblée de prêtres (Sabha Pandita) de 33 membres (dont seulement 11 padanda) occupant la position prééminente, une assemblée de laïcs (Sabha Walaka) de 55 membres et un comité exécutif (Pengurus Harian) de 15 membres. La mission attribuée à l’assemblée des prêtres est d’émettre des « instructions » (bhisama) et de trancher les divergences d’interprétation en matière de théologie. Son président – le réformateur Ida Padanda Gede Ketut Sebali Tianyar Arimbawa (qui ne paraît pas très estimé par certains de ses pairs en raison de ses positions non-conformistes) – est désormais désigné du titre ronflant de Dharma Adhyaksa (« Surintendant des affaires religieuses »)9. Il est secondé par un vice-président (un mpu Pasek) et un secrétaire (le dirigeant du sampradaya Hare Krishna à Bali). L’assemblée des laïcs est chargée de soumettre des propositions à l’assemblée des prêtres et de l’assister dans ses délibérations. Son président (Ketua) est un jaba, officier supérieur à la retraite, I Putu Sukreta Suranta, et ses membres sont dans leur grande majorité des intellectuels et des fonctionnaires balinais. Quant au comité exécutif, il est chargé de faire appliquer les instructions de l’assemblée des prêtres et les décisions adoptées lors des congrès, ainsi que d’assurer les tâches administratives. Si son président (Ketua Umum) est un Balinais, un juriste jaba, I Nyoman Suwandha, la position clé de secrétaire général (Sekretaris Umum) est détenue par un Javanais et les affaires religieuses (Bidang Keagamaan) sont confiées au Pasek Made Titib. Au nombre des décisions prises par le congrès, on relève que le Parisada est désormais appelé à « protéger » (mengayomi) les sampradaya, qui de leur côté sont tenus de se concerter avec le Parisada et de se conformer à ses décisions (Sarad, n° 21, septembre 2001 : 48-56 ; Raditya, n° 51, octobre 2001 : 4-29 ; Dana 2005 : 106-122 ; Sudharta et Surpha 2006 : 132-152).

20Il n’est donc guère surprenant que le Parisada Bali ait récusé les résolutions adoptées par le congrès, tout particulièrement la nomination d’un laïc à la présidence du Parisada et la montée en force dans les instances dirigeantes des sampradaya, sans compter la présence de membres des warga roturiers ainsi que de non-Balinais. À vrai dire, l’opposition du Parisada Bali n’est sans doute pas tant due à la nomination d’un laïc à la présidence du Parisada qu’au refus par l’élite conservatrice balinaise d’accepter les prêtres issus de warga roturiers à l’égal des padanda, ce qui revenait à saper leur légitimité en tant que détenteurs suprêmes de l’autorité religieuse. Derrière le prétexte du choix de son président, le désaccord au sein du Parisada est dû en fait au conflit récurrent entre les wangsa, à une époque marquée par un déclin général du pouvoir aristocratique. Toujours est-il qu’en mesure de protestation (ngambul) et après des débats houleux, une quinzaine de padanda ont ostensiblement quitté la salle de réunion du congrès. À ce sujet, les compte-rendus parus dans la presse ont fait état d’échanges d’insultes et même de coups entre participants de factions adverses.

La scission du Parisada Bali

21Pour formaliser sa position, le Parisada Bali a entrepris de préparer son propre congrès, le quatrième depuis sa fondation en 1986. Le président du comité exécutif du Parisada Pusat a ordonné que ce congrès régional soit conforme aux nouveaux statuts nationaux en vigueur. Lorsqu’il s’est avéré que ce ne serait pas le cas, les dirigeants du Parisada ont tenté d’empêcher sa tenue, tandis qu’une délégation de réformateurs demandait au gouverneur de suspendre le congrès. Mais en dépit de ces manoeuvres, et après l’échec d’une ultime confrontation de porte-parole des deux parties, le Parisada Bali a tenu son 4e congrès (Lokasabha IV) à Campuan le 23 novembre 2001, sous la présidence de Tjokorda Rai Sudharta et avec le patronage conjoint du Gouverneur Dewa Made Beratha et de la maison princière d’Ubud – un bastion du Golkar de longue date – mais en l’absence de représentants du Parisada Pusat (PHDI Propinsi Bali 2001 ; Raditya, n° 54, janvier 2002 : 4-21 ; Sarad, n° 22, janvier 2002 : 8-9).

  • 10 Entretien avec I Gusti Putu Rai Andayana, Ketua Pengurus Harian Parisada Campuan, Denpasar, 15 mai (...)

22Le site du congrès était le Pura Gunung Lebah, un temple historique associé à Rsi Markandeya, le prêtre légendaire censé être venu de Java au VIIIe siècle pour instaurer l’hindouisme à Bali. Ce lieu n’avait pas été choisi au hasard, car c’est là qu’avait été signée 40 ans plus tôt, jour pour jour, la Charte de Campuan (Piagam Campuan), le principal texte fondateur du Parisada. Accusant les instances nationales de trahir les valeurs culturelles balinaises en indianisant abusivement l’agama Hindu, les participants ont affirmé leur particularisme en tant que « communauté hindoue balinaise » (komunitas umat Hindu Bali), distincte des autres communautés hindoues en Indonésie. Ils ont reconduit le très populaire et charismatique Ida Padanda Gede Made Gunung dans ses fonctions comme président du Parisada Bali et exigé la nomination d’un padanda à la présidence du Parisada Pusat. Et surtout, ils ont fermement rejeté les résolutions adoptées par le Mahasabha VIII au motif qu’elles n’étaient pas conformes aux statuts du Parisada ni à la Charte de Campuan10.

  • 11 Le comité directeur du congrès de Campuan comprenait 95 membres, dont 58 triwangsa. Une commission (...)

23Le congrès de Campuan était manifestement contrôlé par des padanda, et son comité d’organisation – dirigé par I Gusti Gede Goda, du bureau régional du ministère de la Religion – se composait en majorité de triwangsa11. Il est clair que ces derniers, et tout particulièrement les brahmana, s’efforçaient de restaurer leur hégémonie, ébranlée qu’elle était par les prétentions des warga roturiers et les pratiques contestataires des sampradaya. Ils ont en particulier refusé l’admission de Sai Baba et Hare Krishna au sein du Parisada, arguant du fait que, loin d’être partie prenante à la communauté hindoue balinaise, les sampradaya n’étaient en réalité que des sectes dont les orientations religieuses et le statut légal en Indonésie demeuraient problématiques.

  • 12 « Tidak mengesahkan dan tidak mengakui pelaksanaan Lokasabha IV Parisada Propinsi Bali » (PDHB 2007 (...)
  • 13 « Parisada Hindu Dharma Indonesia Propinsi Bali menolak hasil Mahasabha VIII Parisada Hindu Dharma (...)
  • 14 Deux Parisada départementaux sur neuf, ceux de Buleleng et Tabanan, ont refusé de participer au con (...)
  • 15 Entretien avec I Dewa Gede Ngurah Swastha, Denpasar, 21 juillet 2011.

24Dès le lendemain, le Parisada Pusat convoquait une réunion d’urgence et le 7 décembre le président du comité exécutif, I Nyoman Suwandha, faisait savoir qu’il ne reconnaissait pas le congrès de Campuan12, attendu qu’il n’était pas conforme aux statuts ratifiés par le 8e congrès national. En réponse, le président du Parisada Bali, Ida Padanda Gede Made Gunung, déclarait de son côté qu’il ne reconnaissait plus le Parisada Pusat, car les nouveaux statuts allaient à l’encontre de ses statuts originels tels que spécifiés par le 7e congrès13. La scission du Parisada Bali était consommée, ce qui plaçait les instances hindoues, tant balinaises qu’indonésiennes, devant une situation embarrassante. Le directeur général pour l’Instruction des Communautés hindoue et bouddhiste (Dirjen Bimas Hindu dan Buddha) appelait à la conciliation, tout en étant suspecté par les réformateurs de soutenir en sous-main les dissidents balinais. Les branches départementales (Parisada Kabupaten) du Parisada Bali étaient manifestement divisées14, tandis que les Parisada des autres provinces demeuraient pour la plupart dans une prudente expectative. Dans le même temps, plusieurs de ses fondateurs historiques, et non des moindres, démissionnaient du Parisada Pusat – au nombre desquels on relève les noms de Tjokorda Rai Sudharta, Ida Bagus Gde Dosther et Ida Padanda Oka Punyatmadja. Et la scission s’est répercutée au sein même des organisations réformatrices, dont certaines – comme le Forum des Observateurs indonésiens de l’Hindouisme (Forum Pemerhati Hindu Dharma Indonesia, FPHDI) – ont dû cesser toute activité faute d’accord entre leurs membres15.

  • 16 Ce n’est certainement pas une coincidence si ces départements étaient précisément ceux dirigés à l’ (...)
  • 17 Dans le but de faire diversion, le Parisada Campuan organisait ce même jour une cérémonie de purifi (...)

25Sous l’égide du Parisada Pusat, des réformateurs et des activistes balinais, menés par les avocats Pasek Wayan Sudirta et Putu Wirata Dwikora, convoquaient – avec l’aval du gouverneur et malgré l’opposition de quatre Parisada départementaux (Denpasar, Badung, Gianyar et Klungkung)16 – un congrès régional concurrent le 29 mars 2002 à Besakih17. Il s’agit là d’un autre lieu à forte charge symbolique puisqu’il est le site du principal sanctuaire de l’île, le Pura Panataran Agung, censé représenter la communauté des hindous indonésiens dans son ensemble. Et une fois les décisions du 8e congrès dûment ratifiées par le Parisada Besakih, ce dernier était reconnu le 27 mai par le Parisada Pusat comme le seul Parisada Bali officiel, avec I Made Artha – président du Maha Gotra Pasek Sanak Sapta Resi, le plus influent des mouvements de warga – comme président du comité exécutif (Dwikora 2002 ; Sarad, n° 25, avril 2002 : 10-11 ; Raditya, n° 58, mai 2002 : 4-21).

26Entretemps, le Parisada Campuan avait vainement fait campagne pour convoquer un « congrès extraordinaire » (Mahasabha Luar Biasa) dans le but affiché de révoquer le 8e congrès. En affirmant le caractère distinctif de l’agama Hindu à Bali, Padanda Gunung annonçait son intention de modifier l’intitulé Parisada Hindu Dharma Indonesia Bali en Parisada Hindu Dharma Bali Indonesia, avec l’objectif affiché de « préserver l’intégrité de la religion hindoue telle qu’elle existe à Bali » (Kita benar-benar ingin menjaga keutuhan agama Hindu yang ada di Bali) (Bali Post, 13 mars 2002). Ce changement de nom ne s’est pas concrétisé et, à partir de cette scission, il y a eu deux Parisada Bali concurrents, respectivement connus sous le nom de Parisada Besakih et Parisada Campuan.

  • 18 C’est ce qui explique que pour différencier la fonction religieuse de brahmana du titre de wangsa a (...)

27À l’issue de son assemblée générale annuelle (Pesamuhan Agung), tenue à Mataram (Lombok) du 26 au 29 octobre 2002, le Parisada Pusat a édicté deux bhisama importants, décidés lors du 8e congrès, l’un concernant la prêtrise, l’autre l’interprétation des warna. Le bhisama sur la prêtrise (Bhisama Sabha Pandita PHDI Pusat Tentang Sadhaka) ne faisait à vrai dire que réitérer la décision du 2e congrès selon laquelle tous les pandita ont le droit de diriger les yadnya. Il s’agissait en fait de résoudre le conflit d’interprétation qui s’était posé en 1999, lors de la célébration d’un rite décennal à Besakih, le Panca Wali Krama, qui avait opposé les brahmana, pour qui selon la tradition seuls les padanda Siwa, les padanda Boda et les sengguhu (tri sadhaka) étaient autorisés à officier, aux warga roturiers, pour lesquels au contraire tous les pandita (sarwa sadhaka) pouvaient prendre part au rituel. Ces derniers ont finalement eu gain de cause, ce que ce bhisama réaffirmait solennellement en déclarant que tous les pandita, quels que soient leur titre de wangsa et leur soroh d’origine, deviennent du fait de leur initiation (padiksan) des brahmana18. Ce qui signifiait qu’un pandita est en fait délié de son wangsa d’origine et que, par conséquent, les pandita ne doivent pas être discriminés sur la base de leur soroh (Dana 2005 : 146-148).

  • 19 On retrouve ici la position de Dayananda Sarasvati et de l’Arya Samaj, qui allèguent – à l’encontre (...)

28Le bhisama sur les warna (Bhisama Sabha Pandita PHDI Pusat Tentang Pengamalan Catur Warna) déclarait que la division de la société en quatre classes (catur warna) est une disposition divine énoncée dans les Veda, qui attribue la répartition des tâches en vertu des « qualités » (guna) et des « actions » (karma) de chacun. Malheureusement, cette institution s’est trouvée pervertie au cours de l’histoire du développement de l’hindouisme, jusqu’à dégénérer en un système de jati en Inde et de wangsa à Bali, fondé sur la naissance et non plus sur le mérite. Il s’agit par conséquent d’en revenir à l’acception originelle des catur warna, telle qu’elle est formulée dans les Veda19. La persistance des distinctions entre wangsa et entre soroh à Bali suscite des conflits qui divisent la communauté hindoue. De fait, les groupes de descendance balinais peuvent difficilement être subsumés dans un cadre monothéiste car ils mettent l’accent sur la différence et l’exclusivité, ce qui implique qu’ils refusent de rendre un culte dans des temples appartenant à d’autres groupes de descendance. Par conséquent, selon le Parisada, ces distinctions n’ont en réalité lieu d’être que pour les cérémonies funéraires (Pitra Yadnya) et l’hommage rendu aux ancêtres d’un même soroh ; elles ne doivent pas régir les relations sociales ni servir de référence à l’adat (Dana 2005 : 149-156).

29Ces bhisama, qui sont théoriquement fondés sur les écritures canoniques, ont en principe force légale pour la communauté indonésienne hindoue. Mais s’ils étaient approuvés par les réformateurs, ils étaient toutefois accueillis avec un certain scepticisme, sachant que ceux qui les avaient précédés – tel le Bhisama Kesucian Pura édicté en 1994 pour protéger les édifices religieux lors du scandale causé par le Bali Nirwana Resort à Tanah Lot – sont généralement demeurés lettre morte.

30Durant les années qui suivirent, chacun des deux Parisada Bali s’est présenté comme le représentant légitime de la communauté hindoue à Bali, tout en s’efforçant de rallier l’adhésion des Balinais sur ses positions. Dans les médias, ils étaient respectivement caractérisés en termes de « progressistes » (progresif) et de « conservateurs » (konservatif). Ces derniers étaient qualifiés par leurs opposants de « clique traditionaliste et féodale » (persekongkolan tradisionalis dan feodalis) qui cherche à « baliniser » (Balinisasi) les pratiques religieuses de la communauté hindoue indonésienne, lesquels les accusaient en retour de vouloir indûment « indianiser » (Indianisasi) l’agama Hindu et de saper l’adat Bali et l’autorité du desa pakraman. Les traditionalistes reprochaient en particulier aux sampradaya de chercher à imposer la pratique du rite védique de l’Agni Hotra en lieu et place de la diversité des cérémonies balinaises, et notamment de vouloir éliminer les sacrifices sanglants (pacaruan) aux puissances chthoniennes, qui sont partie intégrante des Buta Yadnya.

  • 20 Le Paruman Pandita du Parisada Besakih comprenait 22 membres, dont seulement 2 padanda, et il était (...)
  • 21 Cela étant, il faut néanmoins signaler que le Parisada Campuan était hébergé dans un bâtiment appar (...)

31Le fait est que le contraste entre la composition de leurs directions respectives est révélateur : tandis que le Parisada Besakih était dirigé par les leaders des principaux warga roturiers, le Parisada Campuan était dominé par des triwangsa et plus spécifiquement par des padanda20. Et si le Parisada Besakih avait l’appui de la classe moyenne urbaine et de l’intelligentsia, ainsi que des Balinais établis en dehors de leur île, le Parisada Campuan était nettement plus en phase avec la population villageoise. Quant au gouverneur de Bali et aux fonctionnaires de l’hindouisme au ministère de la Religion, tant à Jakarta qu’à Bali, pour intimés qu’ils étaient par le Parisada Pusat de se conformer à la stricte légalité en appuyant le Parisada Besakih, ils maintenaient une façade de circonspecte neutralité. Ce qui n’empêchait pas les réformateurs de les accuser de pencher en faveur du Parisada Campuan (Raditya, n° 77, décembre 2003 : 10-12). En fait, depuis la formation du Parisada Besakih, le gouverneur a cessé toute relation avec l’une et l’autre factions et suspendu toute contribution financière au Parisada21, dont les dirigeants accusent les instances gouvernementales, provinciale et départementales, de vouloir indûment s’approprier les attributions religieuses qui relèvent de leurs prérogatives (Sudharta et Surpha 2006 : 153-155) – ce qui ne serait là en l’occurrence qu’un retour au schéma traditionnel, lorsque les rajas contrôlaient les cérémonies qui se déroulaient dans les temples de leur royaume.

32Périodiquement, des appels à la réconciliation étaient adressés à chacune des factions, mais ils sont restés vains, chaque camp se rejetant mutuellement la responsabilité de la scission. C’est ainsi par exemple que le magazine Sarad organisait en avril 2002 un débat sur le thème « India vs Bali », en confrontant Tjokorda Rai Sudharta à des représentants de sampradaya (Sarad n° 27, juin 2002 : 29-43). En ne manquant pas de rappeler le pluralisme et la tolérance inhérents à l’hindouisme, les participants se sont efforcés de concilier le penchant ritualiste des traditionalistes et les aspirations spirituelles des adeptes de sampradaya, tout en soulignant que les réformes devaient se faire prudemment, de façon à ce qu’elles puissent être filtrées de manière sélective par le « génie local » (kearifan lokal) propre à la culture balinaise. Et certains d’avancer même que, si les Veda ne sont pas parvenus jusqu’à Bali, l’hindouisme y est en réalité resté davantage fidèle à ses origines védiques qu’en Inde, où il a subi nombre de réformes au cours de son histoire du fait de sa confrontation à l’islam puis au christianisme. Les Balinais n’ont donc pas à « retourner » aux Veda puisque leurs pratiques sont en fait conformes à leur enseignement, qui a été recueilli dans les Upanisad, les Purana, les Itihasa, les Dharmasastra, etc. Cela étant, ce que l’on retient surtout de ce débat ce sont les remontrances de Sudharta à l’encontre des Balinais qui se coupent de leurs racines culturelles pour adhérer à un sampradaya indien et ses diatribes contre l’arrogance de ceux d’entre eux qui prétendent rejeter les pratiques religieuses de leurs ancêtres. C’était affirmer que Bali est différent de l’Inde et entend bien le rester (Hindu di Bali beda dengan India).

33Les réformateurs n’étaient pas en reste dans leur volonté de réconciliation, qui faisaient paraître un numéro de leur revue Raditya intitulé « Rituels d’obédience indienne ou balinaise ? » (Ritual keIndia-Indiaan atau keBali-Balian ?) (Raditya n° 67, février 2003 : 6-17). Ils reprenaient à leur tour l’antienne de la diversité propre à l’hindouisme, qui a su s’adapter aux spécificités culturelles des sociétés dans lesquelles il s’est implanté. Les rites, qui relèvent de la culture, peuvent bien varier dans leur forme, tant que l’essence (inti) en demeure conforme aux Veda. C’est en définitive aux adeptes de décider des rites qui leur conviennent, pour autant qu’ils ne cherchent pas à les imposer à d’autres groupes ethniques.

  • 22 Rien n’étant jamais très clair à Bali, il s’avère que Media Hindu a rapidement adopté des positions (...)

34En dépit de ces tentatives de réconciliation, il n’en demeure pas moins que les réformateurs étaient affligés par le schisme persistant au sein du Parisada, qui affaiblissait la communauté hindoue et en faisait la risée des autres communautés religieuses indonésiennes. Ils craignaient notamment que cet affaiblissement ne soit mis à profit par les prosélytes chrétiens et musulmans pour convertir les hindous. Et ils déploraient l’impuissance du Parisada Pusat à faire prévaloir son autorité, en citant l’exemple du mensuel Warta Hindu Dharma, qui est resté aux mains du Parisada Campuan après le 8e congrès, au point que le Parisada Pusat ait dû faire paraître un mensuel concurrent à Jakarta – Media Hindu (Raditya n° 77, décembre 2003 : 10-12)22.

  • 23 Selon certains de mes informateurs, la scission entre les factions du Parisada Bali remonterait au (...)

35Ne voyant pas d’issue au conflit, certains activistes en sont venus à déclarer qu’il vaudrait mieux dissoudre le Parisada, qui avait perdu beaucoup de son lustre d’antan aux yeux des Balinais, de façon à repartir sur des bases plus saines. Ils soulignaient que ce qui oppose les parties en présence est davantage un antagonisme personnel, doublé d’un conflit social, qu’un désaccord théologique sur la nature de l’agama Hindu23. Toujours est-il qu’il ne semble pas que la situation religieuse à Bali ait été affectée outre mesure par la scission entre les deux Parisada balinais, qui n’a concerné en fait qu’une élite restreinte. Ce qui révèle bien le peu d’emprise que le Parisada exerce sur la vie quotidienne des Balinais, qui sont davantage préoccupés par les affaires de leur village que par les institutions régionales ou nationales qui prétendent parler et agir en leur nom.

  • 24 Si sa fonction l’oblige à une retenue de bon aloi dans ses déclarations officielles (tak boleh berp (...)

36En janvier 2006, le ministre de la Religion a finalement accédé à une demande maintes fois réitérée par le Parisada en décidant la partition de la direction générale pour l’Instruction des Communautés hindoue et bouddhiste (Direktorat Jenderal Bimbingan Masyarakat Hindu dan Buddha) de façon à séparer les instances hindoue et bouddhiste. C’est le recteur de l’Universitas Hindu Indonesia, Ida Bagus Gde Yudha Triguna, qui a été placé à la tête de la nouvelle direction générale pour l’Instruction de la Communauté hindoue (Direktorat Jenderal Bimbingan Masyarakat Hindu) en juin 2006. S’il n’a pas publiquement pris position dans l’affrontement entre les deux factions du Parisada balinais, il est clair – à tout le moins aux yeux de ses opposants – qu’Ida Bagus Gde Yudha Triguna a à coeur les intérêts des brahmana et qu’il fait preuve de complaisance à l’égard du Parisada Campuan24.

  • 25 L’histoire de l’Institut Hindu Dharma Negeri remonte à la Sekolah Menengah Hindu Bali Dwijendra, fo (...)

37À l’approche du 9e congrès du Parisada Pusat, les appels à la réconciliation se sont faits plus pressants. De l’avis général, le prochain congrès devait fournir une opportunité bienvenue pour régler une bonne fois pour tout le différend entre les factions balinaises. Dans le but annoncé de faciliter leur rapprochement, le comité d’organisation, infiltré par des affidés du Parisada Campuan, a invité son président – Ida Padanda Gede Made Gunung – à participer au congrès et l’a même promu « conseiller » (penasehat), en dépit de l’opposition du Parisada Besakih, tout en remettant en question la validité des décisions adoptées en 2001. Plusieurs rencontres préparatoires au congrès ont eu lieu à Denpasar, organisées les unes par l’Universitas Hindu Indonesia (bastion du Parisada Campuan), les autres par l’Institut Hindu Dharma Negeri (partisan du Parisada Besakih)25, sans parvenir à rapprocher les positions en présence.

  • 26 Le risque était très réel, car depuis le relâchement du contrôle religieux sous la présidence d’Abd (...)

38Les réformateurs s’alarmaient du souhait des traditionalistes de vouloir en revenir à la Charte de Campuan, ce qui ferait régresser la communauté hindoue à l’époque où elle n’était encore représentée que par l’agama Hindu Bali, avant son unification sous l’égide de l’agama Hindu. Une telle régression risquait d’aboutir à fractionner la communauté hindoue indonésienne en incitant d’autres Parisada régionaux à établir leur propre religion, telle que l’agama Hindu Jawa, l’agama Hindu Tengger, l’agama Hindu Kaharingan26, etc. Par ailleurs, certains dirigeants du Parisada Campuan étaient de plus en plus ouvertement accusés de détournements de fonds, et leurs adversaires voyaient dans leur détermination à placer un padanda à la présidence du Parisada un subterfuge pour se protéger d’une possible incrimination, en tablant sur le fait qu’en raison du prestige inhérent à leur statut personne n’oserait traduire un padanda en justice.

  • 27 En tant qu’observateur, s’il n’avait pas le droit de vote, il était en principe éligible. Mais il a (...)
  • 28 Entretien avec Ida Padanda Gede Ketut Sebali Tianyar Arimbawa, PHDI Bali, Denpasar, 9 mai 2007. Voi (...)

39Le 9e congrès (Mahasabha ke IX) du Parisada s’est tenu du 14 au 18 octobre 2006 au Taman Mini Indonesia Indah à Jakarta et a réélu Ida Padanda Gede Ketut Sebali Tianyar Arimbawa comme Dharma Adhyaksa, non sans susciter des réserves de la part de certains participants, qui craignaient que son intransigeance ne fasse obstacle à la réconciliation entre les factions balinaises (PHDI 2006a, 2006b). Mais en dépit des pressions exercées par les partisans du Parisada Campuan, la scission du Parisada Bali n’a pas été mise à l’ordre du jour par les organisateurs du congrès, qui ont considéré la question réglée dans la mesure où le Parisada Besakih avait été officiellement reconnu comme seule branche balinaise du Parisada. Et si Padanda Gunung a bien été invité au congrès, ce fut à titre d’observateur (peninjau) et non comme participant (peserta), de sorte qu’il n’a pas été autorisé à voter et que, vexé, il s’est retiré de la session plénière. Il m’a avoué que ses partisans, tablant sur son indéniable popularité, avaient espéré le faire élire à la présidence du Parisada Pusat27. Il semble avoir été très meurtri par cet échec, et certains de ses adversaires – tel Ida Padanda Sebali Tianyar Arimbawa – ont attribué à son humiliation la radicalisation du Parisada Campuan28.

Le retour à l’agama Hindu Bali

  • 29 Le congrès avait été préparé par une réunion du Paruman Sulinggih tenue le 3 décembre 2006, au cour (...)
  • 30 Le fait que les dirigeants du Parisada Pusat aient menacé d’intenter un procès au Parisada Campuan (...)

40À l’instar de ce qui s’était passé cinq ans plus tôt, le Parisada Pusat a vainement tenté d’empêcher le Parisada Campuan de tenir son propre congrès (Lokasabha V), qui s’est réuni le 28 janvier 2007 au Pura Samuan Tiga à Bedulu (PDHB 2007)29. C’est là qu’au XIe siècle le prêtre javanais légendaire Mpu Kuturan est dit avoir regroupé les neuf sectes (paksa) alors présentes dans l’île en trois – Siwa, Budha et Waisnawa – et qu’il aurait établi les fondements de la religion hindoue balinaise. Pour le Parisada Campuan, la prolifération des sampradaya ramenait Bali à la confusion qui prévalait à l’époque de Mpu Kuturan, et il convenait en conséquence de réitérer son acte inaugural. D’où la décision du congrès de promulguer la Charte de Samuan Tiga (Piagam Samuan Tiga), qui décidait d’en revenir à la « vraie nature » (jati diri) de la religion balinaise – à savoir, l’agama Hindu Bali – ce qui impliquait de rechercher ses origines à Mahapahit plutôt qu’en Inde. Et à cette même occasion, les délégués ont repris à leur compte l’intitulé initial du Parisada Dharma Hindu Bali (PDHB), mettant ainsi un terme au dualisme du Parisada Bali tout en creusant davantage encore le schisme balinais (Pemecutan 2007)30.

  • 31 Entretien avec Ida Bagus Gde Dosther, Denpasar, 16 juillet 2008.

41Il est revenu à Ida Bagus Gde Dosther, en tant qu’un des fondateurs historiques du Parisada, d’ouvrir le congrès en rappelant la geste auguste des grands ancêtres qui ont fait de Bali le dépositaire de l’agama Hindu après la chute de Majapahit et l’islamisation de Java. C’est cet héritage que les Balinais ont su conserver précieusement dans leurs lontar et leurs rites au fil des siècles. Et il n’a pas manqué de souligner que si le Parisada s’est aujourd’hui étendu à l’ensemble de l’Indonésie, c’est à Bali qu’il est né et c’est pourquoi Bali est demeuré le centre (pusat) d’où s’est propagé et développé l’agama Hindu (PDHB 2007 : 20-23)31. Si Dosther a prononcé son discours en indonésien, une grande partie du rapport du congrès a été rédigée en balinais et les termes sulinggih et wiku ont été utilisés pour désigner la prêtrise initiée au lieu du terme officiel de pandita.

  • 32 Cette interprétation est directement tirée de l’exégèse proposée dans les années 1960 par I Gusti B (...)
  • 33 Il se trouve que plusieurs conseils hindous d’obédience ethnique ont été fondés à la même époque en (...)

42Dans son adresse au congrès, le président du comité exécutif, Ida Bagus Putu Sudarsana, a expliqué pour sa part que le retour à l’agama Hindu Bali ne concerne pas seulement les Balinais car il s’agit là en fait de la véritable religion ancestrale des hindous indonésiens (cikal bakal Hindu Nusantara) et qu’à ce titre elle est appelée à devenir le modèle de l’agama Hindu en Indonésie. En l’occurrence, il ne s’agit pas, comme on pourrait le penser de prime abord, d’instaurer l’agama Hindu Bali à Bali et l’agama Hindu Jawa à Java, etc., mais de promouvoir la religion hindoue telle qu’elle est effectivement pratiquée à Bali, car elle est fondamentalement la même à Java et partout ailleurs dans l’archipel. Selon l’interprétation qu’en propose Sudarsana, dans le syntagme agama Hindu Bali, « Bali » ne réfère pas à l’île du même nom ni au groupe ethnique qui y réside, mais signifie « offrande » (banten). En ce sens, l’agama Hindu Bali est la religion des hindous qui font usage d’offrandes pour vénérer Sang Hyang Widi et ses manifestations32. Par ailleurs – et d’une manière quelque peu contradictoire –, prenant en considération le fait que l’agama Hindu est différencié selon ses particularités culturelles et ethniques, le PDHB appelle à fonder une série de Parisada régionaux, tels que le Parisada Dharma Hindu Jawa, le Parisada Dharma Hindu Tengger, le Parisada Dharma Hindu Kaharingan, le Parisada Dharma Hindu Toraja, etc., les uns et les autres placés sous la coordination nationale d’un Parisada Dharma Hindu Indonesia (PDHB 2007 : 1-4)33.

  • 34 Entretien avec Ida Bagus Putu Sudarsana, Sesetan, 16 juillet 2008 ; entretien avec Ida Bagus Gede A (...)

43Dans cette perspective, l’avènement du PDHB peut être interprété comme une mise en oeuvre de l’autonomie régionale dans le champ religieux, quand bien même la religion ne fait pas partie des domaines délégués aux régions. La décentralisation de l’agama Hindu en Indonésie ne s’arrête d’ailleurs pas à la province mais descend au niveau départemental, ce dont témoigne la décision prise par le PHDI Kota Denpasar, lors de son congrès du 14 février 2008, de s’intituler désormais PDHB Kota Denpasar (Sarad, n° 95, mars 2008 : 8-9). Et à en croire la direction du Parisada Dharma Hindu Bali, d’autres PDHB de niveau départemental auraient emboité le pas à celui de Denpasar34.

  • 35 Entretien avec I Gede Sura, Sabha Walaka PDHB, Denpasar, 16 juin 2009.
  • 36 Il est significatif du retour à une identité religieuse balinaise distinctive que I Dewa Gede Ngura (...)

44Pour savoir ce qu’il en est précisément de ce retour à l’agama Hindu Bali, il faut se reporter à la Charte de Samuan Tiga, qui énonce ses propositions en six points (PDHB 2007 : 53). Selon ce document, l’agama Hindu Bali est basé sur la Sruti (la connaissance révélée dans les Veda), la Smerti (les textes de la tradition védique), les Darsana (les points de vue doctrinaux orthodoxes de l’hindouisme) et les Tantra (les textes révélés par Siwa), dont la quintessence est recelée dans les lontar, où elle a été filtrée, interprétée et appropriée par le « génie local » (kearifan lokal) balinais. Le fondement de sa « foi » (Sradha) est shivaïte et plus spécifiquement moniste (Siwa Tattwa dengan paham Monisme), ce qui contrevient à l’obligation faite aux citoyens indonésiens d’adhérer à une religion conforme au monothéisme strict de l’islam – un point qui, curieusement, ne paraît pas avoir suscité de controverses35. Tout aussi litigieuse est la liste des noms attribués au divin qui, outre l’appellation agréée de Sang Hyang Widhi, inclut Bhatara Siwa, Dewa Dewi et Hyang Laluhur (« les Ancêtres divinisés ») – ce qui équivaut quasiment à une admission de polythéisme et de culte des ancêtres, toutes pratiques qui avaient été jusqu’alors soigneusement gommées dans la littérature du Parisada. Les autres points abordés dans cette charte renvoient au contexte socio-culturel spécifique aux pratiques religieuses balinaises (Panca Yadnya), avec leurs autels (sanggah/pemerajan), leurs temples (pura) et leurs offrandes (banten)36.

45À bien des égards, le retour à l’agama Hindu Bali s’inscrit dans la perspective de la réaffirmation de l’identité balinaise exprimée par le slogan Ajeg Bali et la réhabilitation du village coutumier (desa pakraman). Afin d’ancrer le Parisada Campuan dans les villages, les organisateurs du congrès avaient pris soin d’inviter des représentants du Conseil suprême des Villages coutumiers de Bali (Majelis Utama Desa Pakraman Bali), instauré par le décret de 2001 (Perda 3/2001 Tentang Desa Pakraman). Et dans les recommandations issues du congrès, on relève que « la vision et la mission » (visi dan misi) du PDHB est de faire en sorte que l’agama Hindu dont Bali a hérité soit « ajeg » (Ajegnya Agama Hindu yang diwariskan di Bali) (PDHB 2007 : 38).

  • 37 Si bien peu de réformateurs admettent publiquement que les Weda balinais n’ont pas grand-chose à vo (...)

46Curieusement, alors que la scission du Parisada Bali avait été très largement débattue par les médias balinais, le retour à l’agama Hindu Bali et au Parisada Dharma Hindu Bali n’a fait l’objet que de brèves mentions. Pour autant, l’évènement n’a pas manqué d’exciter l’ire des réformateurs. C’est ainsi que le mensuel Raditya titrait son numéro immédiatement postérieur au congrès de Samuan Tiga « Hindu versus Hindu Bali » (Raditya n° 116, mars 2007 : 7-25). Dans son éditorial, Putu Setia donnait libre cours à sa verve caustique en réfutant point par point les énoncés de la Charte de Samuan Tiga. Il n’avait guère de mal à faire valoir que les lontar ne sauraient constituer un canon théologique cohérent et exhaustif, concernés qu’ils sont pour l’essentiel par des instructions détaillées de rituels particuliers, sans même mentionner le fait qu’ils diffèrent largement les uns des autres – ainsi qu’avaient dû l’admettre à leurs dépens les dirigeants de Bali Darma Laksana en 1940. Dans ces conditions, il fait davantage sens de se reporter directement aux Veda37 plutôt que d’accorder trop de crédit à l’assortiment fragmentaire et contradictoire de leurs interprétations indigènes, et ce d’autant que les lontar sont pour les Balinais des objets sacrés (pusaka) qu’ils vénèrent mais ne lisent guère. Surtout, les lontar ne sauraient constituer un livre saint (kitab suci), car ils ne sont pas le fruit d’une révélation divine (wahyu) mais reflètent simplement l’opinion personnelle de leurs auteurs ou de leurs commanditaires. Et en tout cas, de nos jours la jeunesse hindoue est davantage portée à chercher des réponses à sa quête religieuse sur Internet que dans les lontar. C’est que les jeunes générations pensent de manière critique et n’obéissent plus aveuglément à des injonctions dont ils ne comprennent pas la raison.

  • 38 Il faut savoir que le Siwa Siddhanta n’a pas très bonne presse auprès des réformateurs, dans la mes (...)

47Pour ce qui est du shivaïsme proclamé de l’agama Hindu Bali, Putu Setia rappelait que si le Siwa Siddhanta était historiquement majoritaire à Bali, les Balinais reconnaissent la Trimurti hindoue et font une large place à Brahma et Wisnu aux côtés de Siwa38. Et il soulignait l’importance capitale de la Bhagawadgita, qui est d’obédience vishnouite. Mais c’est certainement l’insistance placée par le PDHB sur les offrandes et autres particularismes culturels balinais qui suscitait son ironie, en lui faisant demander de façon rhétorique comment les Balinais sont censés pratiquer leur religion lorsqu’ils se trouvent en dehors de leur île. Il ne manquait pas à cet égard de critiquer ces Balinais qui importent à grands frais des palmes de cocotier de Java et des fruits d’Australie pour confectionner leurs offrandes, au lieu de se contenter de ce qu’ils trouvent dans leur environnement immédiat. Ce faisant, ils s’appauvrissent pour le plus grand bénéfice des nouveaux venus (pendatang). Et il concluait en embrassant pleinement pour sa part l’agama Hindu universil, plutôt que d’en revenir à l’agama Hindu Bali, qui, à ses yeux, n’est qu’un « courant de croyance » (aliran kepercayaan) et non une authentique « religion » (agama).

  • 39 Entretien avec Putu Wirata Dwikora, Paruman Walaka PHDI Bali, Denpasar, 7 mai 2007.

48Toujours est-il qu’après le coup de force du Parisada Campuan, le 5e congrès du Parisada Bali officiel (Lokasabha V), tenu le 29 avril 2007 sur le campus de l’Institut Hindu Dharma Negeri à Denpasar, est passé quasiment inaperçu (Raditya, n° 119, juin 2007 : 30-31). Pour autant que j’aie pu m’en rendre compte, le retour à l’agama Hindu Bali n’a pas été porté à l’ordre du jour du congrès. Il n’empêche que pour le Parisada Bali il s’agit là d’une régression des plus malencontreuses, une manifestation typique du caractère « féodal » de la noblesse balinaise compromise avec le Golkar, tout particulièrement des brahmana qui s’efforcent de préserver leur monopole sur la prêtrise initiée. Présentant la polémique entre le PHDI et le PDHB comme un conflit entre la raison et la tradition, les réformateurs interprètent leur combat contre ces vestiges du passé comme la résurgence du « conflit de castes » (pertentangan kasta) des années 1920, qui mettait aux prises les jaba progressistes de Surya Kanta et les triwangsa conservateurs de Bali Adnjana39.

49Le fait est que les analogies entre la position du PDHB et celle exposée dans Bali Adnjana est frappante – à commencer par le nom même donné à la religion balinaise. C’est ainsi que l’on trouve dans les déclarations des dirigeants du PDHB les mêmes références à la « religion des ancêtres » (agama laluhur) et à l’héritage de Majapahit – plutôt qu’aux apports de l’Inde – qui étaient déjà en évidence chez Tjakra Tanaya. En outre, le retour à l’agama Hindu Bali apparaît comme une légitimation de l’ordre socio-religieux traditionnel, lorsque l’agama était considéré comme inséparable de l’adat. Et l’on peut trouver des similarités entre l’accusation lancée contre les jaba de Surya Kanta de semer la dissension dans les rangs des Balinais et les critiques à l’encontre des sampradaya accusés d’affaiblir la communauté hindoue balinaise en la fractionnant entre sectes concurrentes. Pour autant, il me semble qu’il faille voir dans les déclarations du PDHB bien davantage que la dissimulation d’ambitions mondaines derrière un prétexte religieux de la part d’une poignée d’irréductibles réactionnaires.

50La scission du Parisada balinais est l’aboutissement de multiples clivages et ne saurait se réduire à un différend théologique. Elle procède tout d’abord de tensions récurrentes entre nobles et roturiers, et plus particulièrement de la volonté des warga roturiers d’abolir le monopole des brahmana sur la prêtrise initiée. Elle renvoie également à la tentative de certaines élites nobiliaires balinaises de se réapproprier la mainmise sur la vie religieuse à Bali pour mettre fin à la fois à son indonésianisation et à son indianisation, en reprenant possession de la direction du Parisada qui était en train de leur échapper depuis que son siège est installé à Jakarta en 1996. Le point crucial me paraît être en effet le déplacement du centre de gravité du Parisada en dehors de Bali, avec l’emprise croissante de non-Balinais ainsi que de membres de warga sur sa direction au détriment des padanda, et l’ascendance des sampradaya affairés à expurger les pratiques religieuses balinaises traditionnelles dans l’intention d’imposer leurs propres rituels.

  • 40 C’est précisément la position que défendait I Gusti Bagus Sugriwa, comme l’ont rappelé ses anciens (...)

51À cet égard, le retour à l’agama Hindu Bali peut être interprété comme une volonté d’en revenir à une acception originelle de l’agama, non affectée par les accrétions islamiques et chrétiennes, lorsque l’agama n’avait pas encore été dissocié de l’adat. On pourrait avancer que le Parisada Dharma Hindu Bali a tenté de recouvrer le pouvoir de qualifier d’agama ce qui relève de l’adat pour le Parisada Hindu Dharma Indonesia, tout comme ce dernier avait revendiqué en son temps le pouvoir de désigner comme agama ce que le ministère de la Religion avait classifié comme adat. Dans cette perspective, les promoteurs de l’agama Hindu Bali s’opposent ouvertement au processus d’universalisation de leur religion en cherchant à la relocaliser40. Ce faisant, ils se réapproprient une capacité d’initiative dont ils avaient été privés durant tout l’Ordre nouveau.

L’agama Hindu en état de siège

52Après la fondation du Parisada Dharma Hindu Bali il semble que les tensions entre les factions qui déchirent le Parisada balinais se soient quelque peu apaisées, si l’on en juge par le désintérêt des médias à leur sujet, comme si les Balinais avaient fini par s’accoutumer à cette situation. Il faut d’ailleurs reconnaître que le PDHB paraît avoir réduit assez rapidement ses ambitions initiales, au point que nombre d’observateurs considèrent qu’il s’est mis en veilleuse. Ce qui ne signifie pas pour autant que l’adhésion à l’agama Hindu Bali ne soit plus d’actualité à Bali, loin s’en faut. En outre, le rejet des sampradaya est toujours largement répandu parmi les villageois balinais et est demeuré une pomme de discorde jusqu’à nos jours.

  • 41 Entretien avec I Made Aripta Wibawa, président du Dewan Persatuan Pasraman Bali, Batubulan, 12 juil (...)

53Dans le même temps, les sampradaya regroupaient leurs forces en fondant le 19 septembre 2008, sous l’égide du Parisada, un Conseil de l’Union des Ashrams balinais (Dewan Persatuan Pasraman Bali, DPPB), qui rassemblait au départ une douzaine de « groupes spirituels » (kelompok spiritual) se réclamant peu ou prou des Veda. Leur objectif affiché était de renforcer la représentation des sampradaya afin d’obtenir la protection du gouvernement, auquel ils demandaient expressément d’être rattachés au ministère de la Religion et non au ministère de la Culture, à la différence des aliran kepercayaan (Raditya, n° 159, octobre 2010 : 31)41. De fait, on a assisté ces dernières années à la multiplication des ashrams à Bali (plus de 70 à ce jour), avec la promotion concomitante de la méditation et du yoga – et plus généralement de la « spiritualité » (spiritualitas) (Media Hindu, n° 122, avril 2014 : 8-25).

  • 42 On peut les voir se serrer la main tout sourires sous le regard approbateur d’Ida Bagus Gde Dosther (...)

54L’aspiration à réconcilier les factions balinaises n’avait pas disparu pour autant, comme en témoigne la commémoration en mars 2009 du cinquantenaire de la fondation du Parisada, placée sous l’égide conjointe des frères ennemis, Padanda Sebali et Padanda Gunung, qui collaboraient ainsi pour la première fois depuis 200142. L’évènement a été marqué par l’organisation d’une série de séminaires – à Jakarta, Palangkaraya (Kalimantan), Surabaya, Palu (Sulawesi) et Denpasar. Les actes en ont été publiés dans deux volumes collectifs, préfacés de concert par nos deux padanda (Budiarna 2009, Mantik 2009).

55Toutes les parties prenantes au Parisada depuis sa fondation étaient invitées à participer à ces séminaires, et de fait les actes témoignent de la prégnance des positions défendues par le PDHB. C’est ainsi que l’article retraçant l’histoire des cinquante premières années du Parisada attribuait la scission du Parisada Bali à la montée en force dans l’appareil des sampradaya et des warga, qui étaient accusés de chercher à s’emparer des commandes pour faire prévaloir leurs intérêts particuliers. Et tout en déplorant cette scission, l’auteur (un brahmana) n’hésitait pas à déclarer que l’espoir d’une réconciliation entre les hindous inspirés par le néo-hindouisme indien universaliste et les courants traditionalistes était proprement utopique (Jelantik 2009). Par ailleurs, nombre de contributions se sont avérées extrêmement critiques à l’encontre du Parisada, qui a perdu son élan initial, s’est usé à la tâche et apparaît désormais à bout de forces. Il en est résulté une désaffection croissante de la communauté hindoue à son égard, qui s’est traduite ces derniers temps par une recrudescence inquiétante des conversions de Balinais hindous à l’islam et au christianisme.

  • 43 La majorité des Balinais chrétiens appartiennent à la Gereja Kristen Protestan di Bali. Une part im (...)

56Le fait est que, selon les recensements décennaux, la proportion de Balinais hindous a fortement diminué au cours des dernières décennies. Alors qu’en 1990, 93,1 % de la population de Bali se déclarait hindoue et 5,2 % musulmane, en 2000, les chiffres étaient respectivement de 87,4 % et 10,3 % (67 % et 25 % à Denpasar), et en 2010, 83,5 % et 13,6 % (65 % et 27 % à Denpasar) – avec quelque 2 % de chrétiens de diverses confessions43, ainsi qu’une poignée de bouddhistes et de confucianistes. À titre de comparaison, le premier recensement néerlandais de 1920 estimait la répartition de la population de Bali à 97,84 % d’hindous, 1,38 % de musulmans et 0,78 % d’Indonésiens venus d’ailleurs (Swellengrebel 1960 : 6).

57Quelle que soit la validité de ces chiffres, les Balinais hindous s’accordent généralement à affirmer qu’ils sont en déclin dans leur propre île et qu’ils deviendront même bientôt une minorité à Denpasar. Certains leaders d’opinion balinais vont jusqu’à accuser le ministère de la Religion d’affaiblir délibérément la position de l’agama Hindu à Bali, au motif que ses subventions aux provinces sont allouées en fonction de la répartition nationale des pratiquants de chacune des religions officiellement reconnues. C’est ainsi qu’environ deux tiers du budget du bureau régional du ministère de la Religion (Kanwil Depag Propinsi Bali) sont accordés aux musulmans, tandis que les hindous, les protestants, les catholiques, les bouddhistes et les confucéens doivent se partager le reste (Raditya, n° 110, septembre 2006 : 7). De même, les critiques dénoncent le ministère de la Religion pour avoir nommé plus de fonctionnaires musulmans que d’hindous à son bureau de Bali. Ils soulignent le fait qu’il y a davantage d’écoles musulmanes que d’écoles hindoues à Bali, et que 80 % des enseignants religieux de l’île sont musulmans pour seulement 10 % d’hindous, une proportion équivalente à celle des enseignants chrétiens (Sarad, n° 85, mai 2007 : 32-33). En outre, ils contestent le fait que d’autres communautés religieuses soient autorisées à établir des lieux de culte à Bali, alors que les hindous sont empêchés de faire de même en dehors de l’île (Raditya, n° 76, novembre 2003 : 42-48). Le fait est que depuis les années 1990, le ministère de la Religion a fortement augmenté les fonds destinés à la construction de mosquées et d’autres lieux de culte musulmans à Bali, où ils se sont multipliés.

58Après les attentats de 2002 et 2005, suivis de la loi sur la pornographie de 2008, les Balinais se sont sentis menacés (terancam), en butte aux attaques islamistes contre leur identité religieuse. En 2011, un article paru dans Media Hindu s’alarmait de la popularité croissante, parmi les musulmans indonésiens, de pèlerinages sur les tombes de sept saints musulmans à Bali, les Wali Pitu. Cette pratique remonte à 1992, lorsqu’un musulman javanais a déclaré avoir entendu une voix divine l’informant de l’existence de sept wali enterrés à Bali et lui enjoignant d’aller découvrir leurs tombes. Ces sites furent alors considérés comme des « lieux sacrés » (keramat), à partir desquels Bali devait être islamisée, de la même manière que Java avait été islamisée par neuf saints légendaires, les Wali Songo. Et l’auteur de rappeler que si l’hindouisme à Java avait dû céder la place à l’islam après Majapahit, il devait en être de même prochainement à Bali aux yeux des zélateurs musulmans (Media Hindu n° 88, juin 2011 : 72-73 ; voir également Slama 2014, Couteau 2016 et Zuhri 2022). À cet égard, il convient de noter que la plupart des organisations musulmanes indonésiennes promeuvent une politique de conversion des Balinais, et l’on observe par ailleurs une progression inquiétante des mouvements islamistes radicaux sur l’île.

59Parallèlement à l’islamisation croissante de l’Indonésie, les Balinais ont été confrontés à des ingérences islamiques répétées dans leurs propres affaires. Pour ne citer qu’un exemple, en 2014, le gouvernement a promulgué la loi sur la certification des produits halal (Undang-undang n° 33/2014 Tentang Jaminan Produk Halal), qui stipule que tous les produits entrant, distribués et commercialisés en Indonésie doivent être certifiés halal (autorisé par la loi islamique). Par la suite, de nombreux étals de nourriture sont apparus sur l’île, portant des enseignes telles que Warung Muslim, Warung Islam ou Warung Halal. Certains Balinais ont riposté en apposant le panneau Warung 100 % Haram (interdit par la loi islamique) sur leurs étals de nourriture. C’est alors qu’un célèbre mais controversé militant hindou balinais, I Gusti Ngurah Arya Wedakarna, le fils de Made Wedastera Suyasa, récemment élu au Conseil représentatif régional (Dewan Perwakilan Daerah, DPD) à Jakarta, a lancé le mouvement Sukla Satyagraha. Il voulait certifier les étals de nourriture balinaise avec le label sukla (« rituellement pur », en balinais), afin de persuader les Balinais de fréquenter les Warung Sukla plutôt que les Warung Halal. Son initiative a suscité une vive polémique, les autorités religieuses affirmant que la nourriture sukla ne devrait être offerte qu’aux divinités (dewa-dewi) ou aux ancêtres (laluhur), plutôt que d’être vendue à des consommateurs humains. Ce n’est qu’après avoir été consommés par leurs destinataires que les aliments sukla peuvent être consommés par les dévots en tant que « restes » (lungsuran). La polémique a fini par s’éteindre d’elle-même.

60Une autre atteinte islamique à l’identité balinaise a pris la forme d’un projet de tourisme conforme à la syariah à Bali, auquel s’est farouchement opposé le même Gusti Ngurah Arya Wedakarna, qui a insisté sur le fait que le tourisme à Bali ne devait être développé que sur la base de sa culture hindoue (Marbun 2023). Le projet a finalement été abandonné en mars 2016, mais il a refait surface en février 2019, lorsque Sandiaga Uno, le colistier du candidat à la présidence Prabowo Subianto, a déclaré que Bali devrait devenir une destination touristique halal (Pariwisata Halal). Cette déclaration a suscité un tollé dans l’île, dont les officiels, du gouverneur au directeur du tourisme, ont sèchement refusé de développer le tourisme halal, arguant que Bali était déjà connue dans le monde entier comme une destination de tourisme culturel (Pariwisata Budaya). S’ils concédaient que le tourisme halal pouvait être promu dans les régions islamisées, telles que Lombok, Sumatra Barat ou Aceh, ce ne pouvait être le cas à Bali, qui est la seule île hindoue de l’Indonésie. Avec la défaite de Prabowo, la controverse est retombée, alors même que Sandiaga Uno a été nommé ministre du Tourisme et de l’Économie créative par le Président Joko Widodo.

  • 44 Les Balinais hindous semblent particulièrement irrités par la vue d’églises chrétiennes (gereja) re (...)

61Pourtant, malgré la pression croissante de l’islam, les Balinais ont paru dénoncer plus volontiers le prosélytisme des Églises chrétiennes que la dakwah islamique (Sarad, n° 122, juin 2010 : 44-45 ; Media Hindu, n° 99, mai 2012 : 10-24). Sans doute était-il moins risqué pour les hindous de s’en prendre à une autre religion minoritaire plutôt qu’à l’islam, dont les relais institutionnels sont influents à Bali. Toujours est-il que les débats sur l’évangélisation des Balinais se sont multipliés ces derniers temps, portant notamment sur l’inculturation du message chrétien, en l’occurrence l’usurpation de symboles et de références que les Balinais hindous considèrent leur appartenir en propre. Alors qu’au départ, les missionnaires chrétiens exigeaient que les nouveaux convertis détruisent leurs sanctuaires familiaux et rompent tout lien avec les activités coutumières balinaises, à partir des années 1970, les chrétiens balinais ont cherché à adopter une pratique religieuse plus conforme à leur culture ethnique. Ils ont opté pour l’utilisation de la musique et de la danse balinaises et pour le port de vêtements traditionnels balinais dans les églises, et ils ont commencé à construire leurs églises dans le style architectural balinais44. Cette « balinisation » du christianisme a suscité l’hostilité des Balinais hindous, qui lui reprochent précisément de chercher à brouiller les frontières entre chrétiens et hindous, de façon à faciliter les conversions. Car ce qui est considéré par les Balinais chrétiens comme relevant de la culture (budaya), et à ce titre comme appartenant à tous les Balinais, est censé pour les Balinais hindous ressortir à la religion (agama) et donc être leur propriété exclusive (Surpi Aryadharma 2011, Wijaya 2012).

62En particulier, ils n’ont toujours pas accepté l’appropriation de Sang Hyang Widi par les chrétiens balinais. C’est ainsi que des activistes hindous avaient protesté contre l’usage de Sang Hyang Widi pour nommer Dieu le Père et de Sang Hyang Yesus pour désigner son Fils, à l’occasion d’un spectacle dansé intitulé « Jésus le Rédempteur » (Yesus Sang Penebus), présenté à la télévision balinaise par la troupe de l’église Tri Tunggal Maha Kudus de Tuka à la Noël 1999. Plus récemment, les protestataires s’en sont pris à diverses institutions chrétiennes, qu’ils ont contraintes à changer de nom sous l’accusation de s’être arrogé l’usage d’une terminologie sanskrite dont les Balinais hindous entendent se réserver l’exclusivité. Du côté catholique, la Yayasan Swastiastu est ainsi devenue Yayasan Insan Mandiri, tandis que la Sekolah Swastiastu était rebaptisée Sekolah Santo Yoseph. Les protestants n’ont pas été épargnés, puisque la Yayasan Widya Pura a été renommée Yayasan Harapan, tandis que la Sekolah Widya Pura devenait Sekolah Harapan (Dhana 2014, Wiebe 2014).

  • 45 Entretien avec I Wayan Sayoga, foundateur et président du Forum Advokasi Hindu Dharma, Denpasar, 28 (...)

63Afin de prévenir ce qu’ils appellent le « fléau de la conversion » (kejahatan konversi), ainsi que de ramener les victimes de la conversion dans le giron de l’agama Hindu, un groupe d’activistes, de prêtres et d’universitaires balinais a fondé le 1er juin 2018 à Denpasar, sous l’égide du Parisada, le Forum pour la Défense de l’Hindouisme (Forum Advokasi Hindu Dharma, FAHD)45. Ils étaient déterminés à protéger les droits des hindous et à les défendre contre toute « discrimination » (diskriminasi), « insulte » (pelecehan) et « attaque » (serangan) perpétrées par les adeptes d’autres religions. Ils demandaient à ce que les responsables de tous les organismes gouvernementaux à Bali soient des hindous. Et ils annonçaient leur intention de renforcer la solidarité et l’unité de la communauté hindoue en Indonésie face à la pression islamique. Mais ils ne semblent pas avoir été particulièrement actifs, leur principale réalisation ayant été l’organisation, le 25 mai 2019, d’un symposium sur « L’impact des changements dans la structure démographique de Bali sur le mode de vie du peuple balinais fondé sur les nobles valeurs du dharma hindou » (Dampak Perubahan Struktur Penduduk Bali terhadap Tatanan Kehidupan Masyarakat Bali yang dilandasi Nilai-Nilai Luhur Hindu Dharma). Les recommandations de ce symposium demandaient au gouvernement provincial de continuer à faire pression pour obtenir le statut d’autonomie spéciale (otonomi khusus) pour Bali, rejetaient le Pariwisata Halal et les Warung Halal, déclaraient que la proportion d’immigrants ne devait pas dépasser 20 % de l’ensemble de la population de l’île et, surtout, exhortaient les autorités provinciales à prendre les mesures nécessaires pour prévenir la conversion des Balinais hindous. En bref, les Balinais devaient devenir des hindous fervents et se dresser pour défendre leur identité religieuse contre toute attaque de la part des adeptes d’autres religions. Pour ce faire, au lieu d’opposer les partisans de Hindu Bali à ceux de Hindu India, tous les hindous devaient reconnaître que l’agama Hindu se nourrit de la diversité (Sayoga 2019).

64Dans le même ordre d’idées, à l’initiative de la branche balinaise du Prajaniti Hindu Indonesia (dont le président n’est autre que le même Wayan Sayoga), une conférence internationale s’est tenue le 22 décembre 2018 à Denpasar sur le thème « Les temples hindous comme centres d’excellence » (Pura Hindu sebagai Pusat Keunggulan). Lors de la première session, intitulée « L’agama Hindu en état de siège » (Hindu Dalam Kepungan), les intervenants ont dénoncé le prosélytisme musulman et chrétien, tout en déplorant que les Balinais n’aient aucun scrupule à se convertir à l’islam ou au christianisme. Ils étaient d’avis que les temples hindous ne devaient pas être utilisés uniquement lors de leur « anniversaire » (odalan) mais devaient devenir de véritables centres religieux, à l’instar des mosquées et des églises (Media Hindu, n° 181, mars 2019 : 8-17).

65Dans leur ensemble, les activistes hindous reprochent au Parisada de ne pas protéger la communauté hindoue contre le prosélytisme musulman et chrétien, et ils invitent ses dirigeants – ainsi que le gouverneur – à faire preuve d’une vigilance accrue à l’égard des conversions religieuses. Ils reconnaissent cependant que les conversions ne sont pas dues uniquement au zèle des religions missionnaires, mais davantage encore à l’inadéquation des pratiques religieuses balinaises. Sont communément incriminés la trop grande complexité (keruwetan) des cérémonies et leur coût excessif – encore accentué par l’inflation rituelle alimentée par les revenus dérivés du tourisme –, au point que leur religion soit devenue un fardeau (beban) pour les Balinais. Et s’il en est ainsi, c’est qu’ils se contentent de pratiquer aveuglément leurs rites (gugon tuwon) sans chercher à en comprendre le sens (mula keto), une accusation formulée autrefois dans des termes tout à fait similaires dans Surya Kanta et Djatajoe. Pour lutter contre les conversions, le Parisada doit simplifier les rites (upacara) et diffuser l’éducation religieuse en mettant l’accent sur l’éthique (susila) et sur la théologie (tattwa), de façon à consolider la foi (iman) des Balinais. En apprenant enfin ce qu’est le véritable hindouisme, ces derniers deviendront fiers de leur religion et ils seront alors en mesure de la défendre devant les assauts des religions abrahamiques.

66Quoi qu’il en soit, il ne semble pas que ces avertissements aient eu un effet significatif sur les pratiques religieuses balinaises.

Bali, centre mondial de l’hindouisme ?

67C’est dans ces circonstances critiques que le Parisada a organisé son 10e congrès (Mahasabha ke X), du 23 au 26 octobre 2011 à Sanur, à l’issue duquel Ida Padanda Gede Ketut Sebali Tianyar Arimbawa a été reconduit dans sa fonction de Dharma Adhyaksa. Ce fut l’occasion pour le Parisada, deux ans après la commémoration de son cinquantenaire, de se projeter dans ses cinquante prochaines années en élaborant un Grand Design Hindu Dharma Indonesia 2011-2061 – aussi ambitieux dans ses intentions que modeste dans sa portée effective. Plus intéressantes pour mon propos sont deux initiatives issues du congrès, qui visent au nécessaire rassemblement des hindous, non seulement à Bali mais en Indonésie, et même dans le monde entier.

68On peut voir une réplique à l’encerclement de Bali par des « lieux sacrés » (keramat) islamiques dans le projet – intitulé Padma Bhuwana Nusantara (littéralement, « Lotus Monde Archipel ») – de consolider l’hindouisme en Indonésie par un ensemble de neuf temples situés aux points cardinaux de l’archipel, aux orientations intermédiaires et en son centre. Il s’agit d’un principe déjà en vigueur à Bali (et également en Inde), où un réseau de neuf temples protège l’île des influences néfastes du monde invisible (niskala). Ce système est fondé sur un principe de classification cosmologique connu sous le nom de nawa sanga, un mandala tantrique qui associe aux directions toute une série d’éléments : des divinités, des attributs, des directions, des couleurs, des sons, des chiffres, des jours, etc. (Acri et Stephen 2018 : 172-178). Étendu à l’ensemble de l’archipel insulindien (Nusantara), le Padma Bhuwana est présenté comme « le bastion de la résistance de l’hindouisme » (benteng ketahanan Hinduisme) (PHDI 2011 : 112). Dans ce cadre, Bali est censée occuper la position méridionale, avec le Pura Luhur Uluwatu, au sud de la péninsule de Bukit, où Danghyang Nirartha aurait atteint l’état de moksa (libération du cycle des morts et des renaissances). Ce projet, attribué à Padanda Sebali, s’est vu critiqué par certains padanda, qui ont rappelé que dans le nawasanga balinais le Pura Luhur Uluwatu est situé au sud-ouest et non au sud, qui est de surcroît une direction inauspicieuse dans la cosmologie balinaise (et indienne). Mais les critiques ont fait valoir surtout que Bali devait demeurer le centre de l’hindouisme indonésien, alors que dans le Padma Bhuwana Nusantara, le centre est occupé par le Pura Pitamaha à Palangkaraya (Kalimantan). Par ailleurs, il est notoire qu’à l’annonce du projet les dirigeants de divers Parisada régionaux se sont disputés pour obtenir un pura Padma Bhuwana Nusantara dans leur circonscription (Raditya, n° 175, février 2012 : 7-21).

  • 46 L’Indian Cultural Centre a été ouvert par l’Indian Council for Cultural Relations en 2004 à Denpasa (...)

69Toujours est-il que les ambitions du Parisada ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Indonésie, car dernièrement ses dirigeants ambitionnent de faire de Bali le centre mondial de l’hindouisme. De fait, il semblerait qu’après avoir réussi à persuader le ministère indonésien de la Religion de reconnaître l’agama Hindu en tant que religion authentiquement monothéiste – quand bien même aux yeux de certaines organisations islamiques les Balinais ne seront jamais que des idolâtres –, les dirigeants du Parisada aient cherché à convaincre les hindous indiens qu’ils adhéraient bien à une branche locale de l’hindouisme. Comme on l’a vu, à partir des années 1990, les dirigeants religieux balinais ont entrepris par divers moyens de resserrer leurs liens avec l’Inde, que ce soit en s’affiliant à des mouvements dévotionnels néo-hindous (sampradaya) ou en organisant des pèlerinages (tirta yatra) vers les lieux saints de l’hindouisme. En 2002, le gouverneur de Bali, I Dewa Made Beratha, a sollicité le Premier ministre indien, Atal Bihari Vajpayee, dirigeant du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party, pour promouvoir les investissements indiens à Bali et y faire venir les touristes. L’année suivante, le bupati de Bangli s’est rendu en Inde avec Yadav Somvir à la demande du gouverneur pour proposer d’édifier un temple balinais à Rishikesh, au bord du Gange, en contrepartie de l’ouverture de l’Indian Cultural Centre à Bali46. Si de nombreux touristes indiens visitent aujourd’hui Bali, en revanche aucun temple balinais n’a encore vu le jour en Inde. Et à en juger par la déconvenue des pèlerins balinais lorsqu’ils se voient refuser l’accès aux temples hindous en Inde, il est clair que les hindous indiens ne les reconnaissent pas encore comme des coreligionnaires (Hornbacher 2017 : 168).

  • 47 Si la World Hindu Federation n’a pas de lien formel avec l’organisation militante indienne Vishva H (...)
  • 48 La WHF avait d’ailleurs publié pour l’occasion un livre de Punyatmadja (1992).
  • 49 Entretien avec I Gusti Ngurah Arya Wedakarna, Istana Mancawarna, Tampaksiring, 27 avril 2014.

70Cela étant, les relations institutionnelles ont été davantage couronnées de succès. C’est ainsi que le Parisada a réussi à s’affilier à la World Hindu Federation (WHF, Vishwa Hindu Mahasangh), une organisation fondée en 1981 au Népal sous le patronage du roi Birendra pour regrouper l’ensemble des associations hindoues des différents pays où l’hindouisme est représenté, dans lesquels elle a créé des branches régionales47. L’un des fondateurs du Parisada, Ida Bagus Oka Punyatmadja, en a été le vice-président de 1988 à 1992, et cette même année la WHF a tenu sa troisième conférence internationale à Bali sous sa présidence48. L’interaction croissante des Balinais avec l’hindouisme mondial s’est poursuivie en novembre 2004, lorsque Bali a accueilli le premier sommet mondial de la jeunesse hindoue, avec le soutien de la Vishva Hindu Parishad, réunissant des dirigeants de la jeunesse hindoue de treize pays pour débattre du thème « Shaping the Next Generation of Leaders of the Hindu Resurgence ». Cette réunion a notamment débouché sur la création de la World Hindu Youth Organization, placée sous la présidence de I Gusti Ngurah Arya Wedakarna49.

  • 50 La portée promotionnelle de l’évènement n’a pas échappé au gouverneur, qui en a profité pour déclar (...)
  • 51 « [...] an organization to unify Hindus, coordinate activities and propagate Hindu Dharma globally  (...)

71La World Hindu Federation s’est trouvée très affaiblie par la chute de la royauté au Népal en 2008, et ses dirigeants ont cherché depuis lors à renforcer leur organisation. L’année suivante, lors de la commémoration du cinquantième anniversaire de la fondation du Parisada, la question de l’avenir de la WHF a été soulevée par Padanda Sebali et AS. Kobalen (un Indonésien d’origine indienne, fondateur du Sabha Dharma Nusantara) (Kobalen 2009). Le sujet a été de nouveau débattu lors du 10e congrès du Parisada, et Padanda Sebali s’est rendu à Bangalore, en Inde, pour rencontrer le vice-président de la WHF, Maharaj Jayapataka Swami, également dirigeant de l’ISKCON. Avec l’accord de ce dernier, il fut décidé de fonder une nouvelle organisation destinée à rassembler les hindous du monde entier, qui serait le pendant de ce que l’Organisation de la Coopération islamique est pour les musulmans (Raditya, n° 178, mai 2012 : 7-15). À cette fin, un World Hindu Summit a été convoqué à Bali, sous l’égide du Parisada et en présence du Gouverneur I Made Mangku Pastika50 ainsi que du président de la République, Susilo Bambang Yudhoyono, qui a réuni du 9 au 12 juin 2012 quelque deux cents délégués originaires d’une quinzaine de pays sur le thème « Build Harmony to the World, from The Island of the Gods, Bali, Indonesia » (Raditya, n° 180, juillet 2012 : 18-21). Ils ont promulgué la Charte de Bali (Bali Charter / Piagam Bali), qui décidait d’établir à Denpasar un World Hindu Centre (Pusat Hindu Dunia), chargé d’instaurer un World Hindu Parisad (Parisada Hindu Dunia), dont la mission n’est rien moins que d’unifier les hindous, de coordonner leurs activités et de promouvoir l’Hindu Dharma dans le monde51.

72Le World Hindu Summit a été coordonné par quatre instances : le Parisada, le Conseil de l’Union des Ashrams balinais (Dewan Persatuan Pasraman Bali), les recteurs des universités balinaises (Forum Rektor Bali) et le gouvernement provincial. Une commission de travail a été constituée pour mettre en oeuvre les résolutions inscrites dans la Charte de Bali, assistée d’un conseil d’administration de 45 membres présidé par Padanda Sebali, qui compte 8 Indiens pour 33 Balinais. Les Indiens représentent diverses organisations, ashrams et sampradaya, dont la Vishva Hindu Parishad, l’Arya Samaj, l’ISKCON, Sri Sathya Sai Baba, Brahma Kumaris, le Sri Aurobindo Centre, Art of Living, etc. Quant aux Balinais, ce sont bien évidemment des adeptes du néo-hindouisme universel, à l’exception notoire de Padanda Gunung, curieusement placé en premier sur la liste des membres du conseil d’administration. On y retrouve également Ida Bagus Yudha Triguna, au titre de directeur général de l’Hindouisme (Dirjen Bimas Hindu) au ministère de la Religion, le gouverneur et le vice-gouverneur de Bali, ainsi que le président du parlement provincial.

  • 52 Après le décès d’Ida Padanda Sebali Tianyar Arimbawa en février 2017, la présidence du World Hindu (...)

73Un second World Hindu Summit s’est réuni à Bali du 13 au 17 juin 2013, précédé d’une imposante cérémonie d’ouverture – en présence du ministre de la Religion, Suryadharma Ali – au Pura Samuan Tiga, choisi une fois encore en référence au geste fondateur attribué à Mpu Kuturan. Mais alors qu’au XIe siècle il s’agissait de fusionner les sectes hindoues dans un cadre limité aux rivages de Bali, un millénaire plus tard l’objectif est désormais de réunir les hindous sur l’ensemble de la planète. Ce second World Hindu Summit a officialisé la fondation du World Hindu Centre (WHC) et du World Hindu Parisad (WHP), avec pour président Ida Padanda Sebali Tianyar Arimbawa52 et pour secrétaire général le professeur I Made Bakta, recteur de l’Université Udayana. Toutes les organisations et sectes hindoues sont invitées à devenir membres du World Hindu Parisad, sans restriction aucune. À cette occasion, il fut également décidé d’organiser des réunions annuelles à Bali, curieusement intitulées World Hindu Wisdom Meet, pour débattre des problèmes auxquels sont confrontés les hindous de par le monde et élaborer les solutions requises pour y faire face (Raditya, n° 192, juillet 2013 : 16-20).

  • 53 En 2016, le site web du WHP a publié un long article en anglais intitulé « Sanatana Dharma as a maj (...)
  • 54 Le changement d’intitulé est dû à la proposition d’un délégué indien au World Hindu Wisdom Meet de (...)

74Le thème choisi pour le premier World Hindu Wisdom Meet, qui s’est tenu à Denpasar du 16 au 18 avril 2014, était Hinduism Based Education, ce qui a permis aux différents participants de parler de leurs sujets favoris respectifs. Ainsi, alors que les intervenants indiens soulignaient la pertinence des principes de l’éducation védique (gurukula) et évoquaient les nombreuses découvertes scientifiques de pointe recelées dans les Veda, les Balinais pour leur part mettaient l’accent sur les vertus de la sagesse védique des Tri Hita Karana. À la différence de leurs collègues indiens, cependant, davantage conscients de leur importance, les intervenants balinais étaient assez souvent hésitants et passablement mal à l’aise. Ces derniers étaient manifestement handicapés par leur médiocre maîtrise de la langue anglaise véhiculaire, au point que certains d’entre eux ont préféré s’exprimer en indonésien, tout en sachant que la plupart des délégués étrangers ne les comprendraient pas. Mais les uns comme les autres semblaient éprouver le besoin de défendre l’hindouisme et de le justifier, en faisant valoir qu’il est injustement mésestimé alors même qu’il est la plus ancienne religion du monde et qu’il s’avère supérieur à toutes les autres religions, car il est la « religion éternelle » (sanatana dharma)53. Et ils ont convenu d’organiser d’autres réunions sur le même thème, en convoquant du 9 au 11 juin 2015 un second World Hindu Wisdom Meet, intitulé cette fois Hindu Dharma Based Education54, qui n’a pas apporté grand-chose par rapport au précédent.

75Outre la publication des actes de ces réunions, le World Hindu Centre a lancé un vaste programme d’édition en indonésien et en anglais. À titre d’exemple, je mentionnerai un volume collectif intitulé Konsep dan Praktik Agama Hindu di Bali (Tim Peneliti WHP/WHC 2015), la traduction indonésienne du livre de H.D. Swami Prakashanand Saraswati, The True History and the Religion of India : A Concise Encyclopedia of Authentic Hinduism (Saraswati 2014), et même une revue en langue anglaise au titre pompeux de BĀLIJYOTIḤ International Journal of Theology, Philosophy, and Eastern Culture. Son rédacteur en chef est le directeur du World Hindu Centre, I Ketut Donder, et la moitié des 36 membres du comité de rédaction est composée d’étrangers, pour la plupart des universitaires indiens. Malheureusement, certaines des contributions émanant d’auteurs balinais sont rédigées dans un anglais si approximatif qu’elles sont difficilement lisibles.

  • 55 Entretiens avec I Made Bakta, secrétaire général du World Hindu Parisad, Denpasar, 9 juillet 2013 ; (...)

76Selon ses dirigeants, le lancement du World Hindu Parisad visait à dépasser les divisions qui affaiblissent la communauté hindoue, tant à Bali que dans le reste de l’Indonésie. Il s’agissait avant tout de fournir aux Balinais un soutien international indispensable face à la pression croissante de l’islam, en établissant des liens institutionnels avec les réseaux hindous mondiaux55. Il était également prévu d’inculquer aux Balinais les valeurs fondamentales des Veda afin d’éviter qu’ils ne se convertissent à d’autres religions. Lorsque j’ai demandé comment il se fait que la petite île de Bali ait été choisie pour abriter l’organisation mondiale de l’hindouisme, mes interlocuteurs ont fait valoir qu’il s’agissait d’une initiative balinaise et qu’en tant que minorité hindoue en Indonésie Bali constitue une sorte de microcosme de l’hindouisme et de ses problèmes. Par ailleurs, les hindous indiens sont fractionnés entre sectes et organisations concurrentes, et incapables en conséquence de s’accorder entre eux. C’est pourquoi leurs représentants avaient convenu que le World Hindu Parisad serait donc situé à Bali.

  • 56 Au moment de la rédaction de ce livre, le site web du World Hindu Parisad n’est plus actif. Par ail (...)

77Il était initialement prévu de construire le World Hindu Centre à Denpasar, sur un terrain appartenant au gouvernement balinais. En attendant ce jour, le World Hindu Parisad est hébergé par le service provincial de la Culture (Dinas Kebudayaan Provinsi Bali) à Denpasar. Son financement est pris en charge par le budget provincial, en attendant un hypothétique relais par des subventions des organisations hindoues parties prenantes. Mais ses dirigeants admettent que leurs ressources humaines et financières sont extrêmement limitées, et ils ont conscience qu’il leur sera difficile de mener leur projet à bien. On peut se faire une idée de leurs difficultés lorsqu’on consulte le site web du World Hindu Parisad, qui est très rarement mis à jour56.

  • 57 Les réunions annuelles suivantes ont choisi des thèmes différents : « Hindu Dharma Contributions to (...)

78Il est manifeste que depuis le World Hindu Summit de 2012 l’impulsion initiale s’est quelque peu émoussée, à en juger par la très forte diminution du nombre de délégués étrangers présents aux World Hindu Wisdom Meet au fil des années57. Si le public a toujours été majoritairement balinais, il tendait à se clairsemer dès la fin de la cérémonie d’ouverture, invariablement somptueuse et solennelle, sans compter que de nombreux Balinais pouvaient être vus en train de bavarder, de consulter leur smartphone, voire de somnoler pendant les sessions. Les organisateurs de ces réunions déploraient régulièrement le fait que nombre d’intervenants invités n’aient pu se rendre à Bali, tout en demandant aux Balinais présents dans l’auditoire de battre le rappel pour étoffer l’assistance. Ce qui n’a évidemment guère eu d’effet. Le World Hindu Wisdom Meet de 2018 – le dernier à avoir été organisé à ce jour – a même eu un caractère quelque peu pessimiste, comme en témoigne le discours d’ouverture de Made Mangku Pastika, au titre de président du World Hindu Parisad, qui a souligné le fait déplorable que les Balinais hindous étaient en déclin dans leur propre île.

  • 58 « Umat Hindu di Bali masih amburadul, Parisada tak kedengaran di desa pakraman, lha, ini kok ngurus (...)

79Qui plus est, nombre d’observateurs balinais sont sceptiques quant à l’utilité du World Hindu Parisad et surtout quant à ses chances de succès. De fait, il est permis de douter que les initiateurs du projet aient les moyens de leurs ambitions. Non seulement les Balinais sont minés par leurs divisions et par leur faible capacité organisationnelle, mais plusieurs dirigeants du WHP ont admis qu’ils se heurtaient à de fortes résistances – aussi bien balinaises qu’indonésiennes et indiennes. Et même les conseillers indiens de la commission de travail n’ont pas caché leur impatience devant la pusillanimité de leurs collègues balinais, qui apparaissent à leurs yeux incapables de tirer profit de l’apport inestimable que leur fournit l’hindouisme indien. Il semble d’ailleurs que les signataires étrangers de la Charte de Bali ne se fassent guère d’illusions sur la capacité des Balinais à faire advenir leur projet et soient disposés à les laisser se débrouiller avec la nouvelle organisation. Quant aux Balinais dans leurs ensemble, force est de constater que, pour la plupart, ils semblent peu concernés par le World Hindu Parisad, quand ils n’en ignorent pas tout simplement l’existence. Davantage encore, il ne manque pas de critiques pour pointer le fait que le Parisada n’est même pas capable de régir l’agama Hindu dans les villages balinais, comment pourrait-il prétendre se faire le champion de l’unité de l’hindouisme dans le monde58 ?

  • 59 Après la promulgation de la loi nationale n° 6/2014 sur les villages, le Majelis Desa Adat Provinsi (...)
  • 60 Surat Keputusan Bersama (SKB) Parisadha Hindu Dharma Indonesia Provinsi Bali (PHDI) dan Majelis Des (...)
  • 61 Surat Keputusan Nomor : 374/PHDI Pusat/VII/2021 tentang Pencabutan Surat Pengayoman Hare Krishna (I (...)

80Ce regrettable état de fait a été récemment illustré par une controverse autour du mouvement Hare Krishna (ISKCON) qui a éclaté dans les médias sociaux balinais en juin 2020, en pleine crise de la pandémie de Covid-19. Il semble que le rejet persistant de ce sampradaya particulier, considéré comme le plus radical, ait atteint un point d’ébullition, de nombreux Balinais accusant ouvertement ses adeptes de perturber et de mettre en péril les rituels villageois coutumiers. Afin d’apaiser la controverse, le président du Parisada Bali, I Gusti Ngurah Sudiana, a convoqué une réunion le 30 juin 2020, à l’issue de laquelle il a renvoyé la question au Parisada Pusat et au Ditjen Bimas Hindu, en demandant des instructions officielles. Le 22 juillet, plusieurs organisations hindoues se sont adressées au Parisada Bali pour lui demander de mettre fin aux activités de Hare Krishna dans l’île, au motif que ses enseignements s’écartent des traditions léguées par leurs ancêtres et provoquent des troubles au sein de la communauté hindoue balinaise. Rappelant le fait que l’ISKCON avait été interdit par le procureur général en 1984, ils contestaient la décision du 8e congrès du Parisada de « protéger » (mengayomi) le sampradaya Hare Krishna. Le 3 août, plusieurs organisations hindoues regroupées au sein du Forum Komunikasi Taksu Bali ont organisé une manifestation de masse à Denpasar pour demander l’interdiction de Hare Krishna, jugé préjudiciable à l’agama Hindu Bali. Deux jours plus tard, le chef du nouveau Conseil des Villages coutumiers (Majelis Desa Adat Provinsi Bali, MDA)59, Ida Pangelingsir Agung Putra Sukahet, a demandé à tous les desa adat de Bali d’interdire aux membres de sampradaya, et plus particulièrement de Hare Krishna, de pratiquer leurs rituels dans les temples de village ainsi que dans tout autre lieu public géré par les autorités villageoises coutumières. Dans le même temps, Putra Sukahet a demandé au Parisada Pusat d’exclure officiellement Hare Krishna en tant que religion hindoue reconnue en Indonésie et de retirer ses publications de la circulation au motif qu’elles sont hérétiques et qu’elles entrent en contradiction avec les enseignements de l’agama Hindu Bali. Frustrés par l’absence de réponse du Parisada Pusat, le Parisada Bali et le Majelis Desa Adat ont publié le 16 décembre 2020 un décret commun – connu sous le nom de Bali Deklarasi – restreignant formellement toutes les activités des sampradaya à Bali60. Approuvé par le nouveau gouverneur de Bali, I Wayan Koster, soucieux de protéger la culture et la religion balinaises, ce décret interdit à tous les adeptes de sampradaya, sous peine de sanctions légales, d’interférer avec les enseignements et les pratiques de l’agama Hindu Bali, et plus particulièrement de faire du prosélytisme auprès de l’umat Hindu Bali. Finalement, le 30 juillet 2021, répondant à la demande pressante des Balinais, le Parisada Pusat a officiellement retiré sa protection à l’ISKCON61. Il est cependant douteux que cette décision suffise à régler les questions soulevées par la présence des sampradaya à Bali.

81En bref, alors que le World Hindu Parisad a clairement révisé ses ambitions à la baisse, l’agama Hindu Bali paraît solidement établi, le PHDI Bali s’alignant désormais sur la position autrefois défendue par le PDHB. Mais il faut bien comprendre que cette résurgence de l’agama Hindu Bali est moins un retour à des pratiques rituelles ancestrales que l’invention d’une religion hindoue balinaise, qui n’avait jamais existé sur l’île avant que la première génération de Balinais éduqués dans les écoles coloniales ne parte à la recherche de sa « religion ».

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Notes

1 En janvier 2000, le Président Abdurrahman Wahid a publié une décision présidentielle abrogeant l’instruction présidentielle de Suharto qui interdisait la célébration publique des pratiques religieuses chinoises. Le confucianisme (agama Khonghucu) a été officiellement rétabli comme religion légitime en janvier 2006.

2 Le Mahkamah Konstitusi a été instauré en 2003 dans le cadre des mesures démocratiques visant à garantir la séparation des pouvoirs en Indonésie.

3 En ce qui concerne la distinction entre « islamiste » et « islamique », je fais mienne la position d’Edward W. Walker : « By ‘Islamism’, I mean the normative political ideology that has as its core program the establishment of Islam as a state religion and the implementation of Islamic law (shari’a). [...] The adjective that I will use for Islamism is ‘Islamist’, while for Islam in general it is ‘Islamic’«  (Walker 2003 : 22, n. 1 ; voir également Mozaffari 2007). En d’autres termes, l’islamisme est le produit du double processus de religionisation de la politique et de politisation de la religion.

4 Il s’avère que le Parisada, tout comme les représentants institutionnels du bouddhisme et du confucianisme, mais pas du protestantisme et du catholicisme, s’est opposé à la révision de la loi sur le blasphème.

5 Entretien avec I Gusti Ngurah Bagus, Denpasar, 15 avril 2001.

6 Ce risque était d’autant plus réel que l’accusation de malversations se faisait plus insistante à l’encontre des dirigeants du Parisada, que les contestataires menaçaient d’assigner en justice. Il s’agissait en conséquence d’éviter qu’un padanda puisse être incriminé dans une affaire de détournement de fonds.

7 Entretien avec I Ketut Wiana, Denpasar, 9 mai 2007.

8 Autre changement d’importance, la démocratisation des procédures d’élection aux postes de direction du Parisada lui a permis de s’affranchir dans une large mesure du contrôle exercé par la direction générale pour l’Instruction des Communautés hindoue et bouddhiste (Ditjen Bimas Hindu dan Buddha) au ministère de la Religion, qui contrôlait jusqu’alors leur nomination.

9 Ce titre figure dans le Nagarakertagama, où il désigne les hauts dignitaires religieux de la cour de Majapahit chargés de la tutelle des institutions religieuses. Il existait un Dharma Adhyaksa pour les shivaïtes et un autre pour les bouddhistes (Zoetmulder 1974 : 355).

10 Entretien avec I Gusti Putu Rai Andayana, Ketua Pengurus Harian Parisada Campuan, Denpasar, 15 mai 2007.

11 Le comité directeur du congrès de Campuan comprenait 95 membres, dont 58 triwangsa. Une commission spéciale a été mise en place, avec 23 padanda sur les 25 pandita et 12 triwangsa sur les 14 walaka (PHDI Propinsi Bali 2001 : 68-72).

12 « Tidak mengesahkan dan tidak mengakui pelaksanaan Lokasabha IV Parisada Propinsi Bali » (PDHB 2007 : 66).

13 « Parisada Hindu Dharma Indonesia Propinsi Bali menolak hasil Mahasabha VIII Parisada Hindu Dharma Indonesia, karena pelaksanaan Mahasabha VIII melanggar Anggaran Dasar dan Anggaran Rumah Tangga Parisada, sebagai ketetapan Mahasabha VII Parisada Hindu Dharma Indonesia yang seharusnya dijadikan pegangan dan acuan » (Pemecutan 2007 : 399 ; entretien avec Ida Padanda Gede Made Gunung, Gria Purnawati, Blahbatuh, 23 juin 2004.

14 Deux Parisada départementaux sur neuf, ceux de Buleleng et Tabanan, ont refusé de participer au congrès de Campuan.

15 Entretien avec I Dewa Gede Ngurah Swastha, Denpasar, 21 juillet 2011.

16 Ce n’est certainement pas une coincidence si ces départements étaient précisément ceux dirigés à l’époque par des triwangsa.

17 Dans le but de faire diversion, le Parisada Campuan organisait ce même jour une cérémonie de purification solennelle (Wana Kerthih) au Pura Luhur Batukaru, un très important temple situé sur les flancs du mont Batukaru. Cette cérémonie était financée sur le budget du gouvernement provincial.

18 C’est ce qui explique que pour différencier la fonction religieuse de brahmana du titre de wangsa acquis par la naissance dans une famille de brahmana, les réformateurs préfèrent désigner ces derniers du terme « soroh Ida Bagus ».

19 On retrouve ici la position de Dayananda Sarasvati et de l’Arya Samaj, qui allèguent – à l’encontre des orientalistes – que dans les Veda les varna étaient des distinctions fonctionnelles non héréditaires.

20 Le Paruman Pandita du Parisada Besakih comprenait 22 membres, dont seulement 2 padanda, et il était de surcroît dirigée par un prêtre issu d’un warga roturier ; en outre, il n’y avait que 3 triwangsa parmi les 36 membres de son Paruman Walaka (Dwikora 2002 : 41-43). À l’inverse, le Paruman Pandita du Parisada Campuan se composait de 11 prêtres, dont 6 padanda ; et sur les 22 membres que comptait son Paruman Walaka, 16 étaient des triwangsa (PHDI Propinsi Bali 2001 : 37-38).

21 Cela étant, il faut néanmoins signaler que le Parisada Campuan était hébergé dans un bâtiment appartenant au gouvernement provincial.

22 Rien n’étant jamais très clair à Bali, il s’avère que Media Hindu a rapidement adopté des positions équivoques sur la scission du Parisada Bali, quand il n’a pas soutenu des opinions proches de celles du Parisada Campuan en faisant porter la responsabilité de la scission sur le Parisada Besakih (Media Hindu, n° 38, avril 2007 : 32-33 ; lorsque j’ai interrogé à ce sujet le rédacteur en chef de Media Hindu, Ngakan Putu Putra, à Sanur le 27 juin 2018, il a clairement éludé la question). Ceci au point que l’un des principaux porte-parole du Parisada Besakih, Putu Wirata Dwikora, ait pu comparer les débats entre Raditya et Media Hindu aux polémiques qui opposèrent en leur temps Surya Kanta à Bali Adnjana (entretien avec Putu Wirata Dwikora, Paruman Walaka PHDI Bali, Denpasar, 7 mai 2007 ; voir Sarad n° 79, novembre 2006 : 12-13).

23 Selon certains de mes informateurs, la scission entre les factions du Parisada Bali remonterait au conflit entre les organisations de jeunesse hindoues, Peradah, affilié au Golkar, et Pemuda Hindu Indonesia, créé par Wayan Sudirta pour dénoncer le conservatisme du Golkar (entretien avec I Wayan Surpha, ancien Sekretaris Umum Parisada Pusat, et I Dewa Gede Windhu Sancaya, Paruman Walaka Parisada Campuan, Denpasar, 2 juillet 2011).

24 Si sa fonction l’oblige à une retenue de bon aloi dans ses déclarations officielles (tak boleh berpihak), Ida Bagus Gde Yudha Triguna n’a pas caché ses préférences partisanes lors des divers entretiens qu’il m’a accordés, en particulier le 21 juillet 2013 à son domicile à Denpasar.

25 L’histoire de l’Institut Hindu Dharma Negeri remonte à la Sekolah Menengah Hindu Bali Dwijendra, fondée en 1953 et devenue Pendidikan Guru Agama Hindu en 1959, puis Akademi Pendidikan Guru Agama Hindu en 1993, Sekolah Tinggi Agama Hindu Negeri en 1999, et enfin Institut Hindu Dharma Negeri (IHDN) en 2004 (Nala 2004). Tandis que l’Universitas Hindu Indonesia (UNHI), université privée issue en 1993 de l’Institut Hindu Dharma ouvert par le Parisada en 1963, est un bastion des brahmana conservateurs, l’IHDN, qui relève du ministère de la Religion, est réputé pour ses positions progressistes et universalistes. Le 2 février 2020, l’IHDN est devenu la première université d’État hindoue en Indonésie et a été rebaptisé Universitas Hindu Negeri I Gusti Bagus Sugriwa Denpasar (UHN). Ce qui est assez ironique lorsque l’on connaît la position traditionaliste de Gusti Bagus Sugriwa sur les questions religieuses.

26 Le risque était très réel, car depuis le relâchement du contrôle religieux sous la présidence d’Abdurrahman Wahid, les dirigeants de la communauté Hindu Kaharingan faisaient du lobbying auprès du ministère de la Religion pour faire reconnaître l’agama Kaharingan comme une religion autonome, distincte de l’agama Hindu (Raditya, n° 50, septembre 2001 : 4-5).

27 En tant qu’observateur, s’il n’avait pas le droit de vote, il était en principe éligible. Mais il a accusé Wayan Sudirta d’avoir manipulé le règlement intérieur du Parisada afin d’empêcher son éligibilité. Entretien avec Ida Padanda Gede Made Gunung, Gria Purnawati, Blahbatuh, 10 mai 2007.

28 Entretien avec Ida Padanda Gede Ketut Sebali Tianyar Arimbawa, PHDI Bali, Denpasar, 9 mai 2007. Voir Taksu, n° 163, septembre-octobre 2006 : 6-32 ; Raditya, n° 110, septembre 2006 : 16-25 ; n° 111, octobre 2006 : 39-53 ; n° 112, novembre 2006 : 7-15 ; Media Hindu, n° 31, septembre 2006 : 14-27 ; n° 33, novembre 2006 : 17-27 ; Sarad, n° 79, novembre 2006 : 9-13 ; n° 80, décembre 2006 : 18-33.

29 Le congrès avait été préparé par une réunion du Paruman Sulinggih tenue le 3 décembre 2006, au cours de laquelle les prêtres avaient solennellement déclaré que les sampradaya n’avaient pas leur place au Parisada (Sampradaya nenten patut sarengang ring Parisada) (PDHB 2007 : 8). Alors même que Padanda Gunung a conservé la haute main sur les décisions adoptées lors de ce congrès, son mandat de président n’a pas été renouvelé – à sa demande a-t-il affirmé, car il voulait pouvoir se consacrer pleinement à son enseignement religieux dans l’ashram qu’il a ouvert en 2004 (Pasraman Yogadiparamaguhya) (entretien avec Ida Padanda Gede Made Gunung, Gria Purnawati, Blahbatuh, 10 mai 2007 ; voir Media Hindu n° 38, avril 2007 : 22-25). À défaut de conserver la présidence, il devint le dirigeant d’une équipe de huit « conseillers » (penasehat), tous des triwangsa.

30 Le fait que les dirigeants du Parisada Pusat aient menacé d’intenter un procès au Parisada Campuan pour s’être indûment approprié l’intitulé Parisada Hindu Dharma Indonesia Bali, officiellement réservé au Parisada Besakih, n’est sans doute pas étranger à la décision de modifier le nom de leur organisation. Entretien avec Putu Setia, Wakil Ketua Sabha Walaka PHDI Pusat, Pedungan, 15 mai 2007.

31 Entretien avec Ida Bagus Gde Dosther, Denpasar, 16 juillet 2008.

32 Cette interprétation est directement tirée de l’exégèse proposée dans les années 1960 par I Gusti Bagus Sugriwa pour défendre l’appellation agama Hindu Bali contre les partisans du nom agama Hindu. Selon lui, l’agama Hindu Bali résultait d’une combinaison historique entre l’agama Hindu et l’agama Bali, et différait en conséquence de l’hindouisme tel que pratiqué en Inde. Le rapport du congrès de Samuan Tiga contient d’ailleurs des extraits de la brochure de Sugriwa, Sedjarah dan Falsafah Agama Hindu Bali (Sugriwa 1968 ; PDHB 2007 : 69-82).

33 Il se trouve que plusieurs conseils hindous d’obédience ethnique ont été fondés à la même époque en Indonésie, tels que le Majelis Hindu Tionghoa par des Chinois, le Sabha Dharma Nusantara par des Indiens et le Majapahid par des Javanais. Ces initiatives ont été favorablement accueillies par le directeur général de l’Hindouisme, Ida Bagus Gde Yudha Triguna, qui en est venu à suggérer que le Parisada revête la forme d’une fédération de façon à mieux prendre en considération les variations ethniques de l’hindouisme en Indonésie (Raditya n° 135, octobre 2008 : 28-29). Cela étant, l’agama Hindu Bali n’a pas été reconnu par la direction générale pour l’Instruction de la Communauté hindoue, et d’ailleurs le PDHB n’a aucunement cherché sa reconnaissance (entretien avec Ida Bagus Gunadha, ancien secrétaire général du Parisada, ancien président de l’UNHI, Denpasar, 19 mars 2013 ; entretien avec Ida Bagus Gde Yudha Triguna, Denpasar, 21 juillet 2013).

34 Entretien avec Ida Bagus Putu Sudarsana, Sesetan, 16 juillet 2008 ; entretien avec Ida Bagus Gede Agastia, Sabha Walaka PDHB, Denpasar, 21 juillet 2008. En fait, il n’en a rien été, puisque seul le Parisada Kota Denpasar a adopté le nouvel intitulé (entretien avec I Gusti Ngurah Oka Pemecutan, Ketua III Pengurus Harian PDHB, Denpasar, 18 juillet 2011).

35 Entretien avec I Gede Sura, Sabha Walaka PDHB, Denpasar, 16 juin 2009.

36 Il est significatif du retour à une identité religieuse balinaise distinctive que I Dewa Gede Ngurah Swastha, l’initiateur et ancien président du Forum Pemerhati Hindu Dharma Indonesia, qui avait été à l’avant-garde de la réforme religieuse dans les années 1990, ait publié en 2016 un livre dans lequel il approuvait pleinement le retour à l’agama Hindu Bali (nama Hindu Bali perlu dipergunakan kembali oleh para pemuluknya) (Sukahet 2016 : 3). Depuis 2014, Swastha préside aux destinées du soroh rassemblant les descendants de Sri Kresna Kepakisan, le premier souverain de Bali après la conquête de l’île par Majapahit au XIVe siècle, avec le titre ronflant Ida Pangelingsir Agung Putra Sukahet. Il récuse la pertinence du slogan « Back to Weda », en affirmant que l’agama Hindu Bali est fondé sur le kitab suci Weda, ce qui implique que les Balinais n’ont donc pas à retourner aux Veda. Il souligne également le caractère essentiel de la multiplicité des rituels et de la profusion des offrandes, critiquées à tort pour leur prodigalité par les réformateurs. Il explique en particulier que les Pitra Yadnya sont destinés à transformer les défunts en ancêtres (pitara) et les ancêtres en divinités (Dewa Pitara, ou encore Batara Kawitan), qui finissent par fusionner avec Ida Sang Hyang Widhi (amor ring Acintya). Il termine en rappelant que le Parisada est une institution de prêtres et qu’en conséquence il doit être dirigé par un prêtre (sulinggih) et non par un laïc (walaka).

37 Si bien peu de réformateurs admettent publiquement que les Weda balinais n’ont pas grand-chose à voir avec les Veda indiens, plusieurs de mes informateurs de l’une et l’autre factions – dont Putu Setia lui-même – ont reconnu en privé que la référence récurrente aux Veda était due à l’obligation faite aux Balinais de se prévaloir d’un livre saint et que son objectif premier était de leur fournir un argument pour répliquer aux pressions islamiques et chrétiennes.

38 Il faut savoir que le Siwa Siddhanta n’a pas très bonne presse auprès des réformateurs, dans la mesure où il est lié à Danghyang Nirartha et à l’hégémonie des padanda qu’il a imposée sur la religion balinaise. Comme on l’a vu, le néo-hindouisme auquel va leur préférence récuse tout exclusivisme sectaire au profit d’une religion universaliste.

39 Entretien avec Putu Wirata Dwikora, Paruman Walaka PHDI Bali, Denpasar, 7 mai 2007.

40 C’est précisément la position que défendait I Gusti Bagus Sugriwa, comme l’ont rappelé ses anciens élèves lors d’un séminaire organisé en mars 2008 à l’Universitas Hindu Indonesia, en soulignant qu’il n’avait pas seulement hindouisé la tradition balinaise mais qu’il avait également localisé les enseignements de l’hindouisme (Sugriwa [...] bukan sekadar melakukan peng-hindu-an atas tradisi Bali, tetapi juga melakukan pelokalan terhadap ajaran-ajaran Hindu) (Sarad n° 96, avril 2008 : 8).

41 Entretien avec I Made Aripta Wibawa, président du Dewan Persatuan Pasraman Bali, Batubulan, 12 juillet 2011.

42 On peut les voir se serrer la main tout sourires sous le regard approbateur d’Ida Bagus Gde Dosther sur la couverture du numéro de Sarad consacré à cette commémoration, appelant d’un commun accord à « réorganiser totalement le Parisada » (Rombak Total Parisada) (Sarad n° 109, mai 2009 : 12-18). Pour autant, comme le rapporte Media Hindu, Padanda Sebali et Padanda Gunung ont tous deux insisté sur le fait que tout espoir de réconciliation entre le PHDI et le PDHB dans un avenir proche était vain (Media Hindu, n° 63, mai 2009 : 36).

43 La majorité des Balinais chrétiens appartiennent à la Gereja Kristen Protestan di Bali. Une part importante de la communauté catholique romaine (Gereja Katolik) de Bali est constituée d’immigrants venus d’autres îles, en particulier de Flores.

44 Les Balinais hindous semblent particulièrement irrités par la vue d’églises chrétiennes (gereja) ressemblant à des temples (pura). Media Hindu a publié sur ce sujet un dossier spécial, intitulé « Les temples peuvent-ils être transformés en églises ? » (Dapatkah Pura Dijadikan Gereja ?) (Media Hindu, n° 174, août 2018 : 8-12).

45 Entretien avec I Wayan Sayoga, foundateur et président du Forum Advokasi Hindu Dharma, Denpasar, 28 juin 2018.

46 L’Indian Cultural Centre a été ouvert par l’Indian Council for Cultural Relations en 2004 à Denpasar. Dirigé par Yadav Somvir, il avait pour but de promouvoir les échanges universitaires et d’attribuer des bourses aux étudiants indonésiens, ainsi que d’enseigner le yoga, le sanskrit, et les danses et musiques de l’Inde.

47 Si la World Hindu Federation n’a pas de lien formel avec l’organisation militante indienne Vishva Hindu Parishad, elle en partage néanmoins une commune approche fondamentaliste de l’hindouisme (Bouillier 1997).

48 La WHF avait d’ailleurs publié pour l’occasion un livre de Punyatmadja (1992).

49 Entretien avec I Gusti Ngurah Arya Wedakarna, Istana Mancawarna, Tampaksiring, 27 avril 2014.

50 La portée promotionnelle de l’évènement n’a pas échappé au gouverneur, qui en a profité pour déclarer que le World Hindu Summit allait permettre de développer le « tourisme spirituel » (pariwisata spiritual) à Bali.

51 « [...] an organization to unify Hindus, coordinate activities and propagate Hindu Dharma globally » (The Bali Charter, 9 juin 2012).

52 Après le décès d’Ida Padanda Sebali Tianyar Arimbawa en février 2017, la présidence du World Hindu Parisad a été confiée au gouverneur de Bali, I Made Mangku Pastika.

53 En 2016, le site web du WHP a publié un long article en anglais intitulé « Sanatana Dharma as a major world civilization », présentant une critique bien argumentée, quoique quelque peu voilée, de l’Occident matérialiste et des religions dogmatiques telles que l’islam et le christianisme.

54 Le changement d’intitulé est dû à la proposition d’un délégué indien au World Hindu Wisdom Meet de 2014 de substituer Hindu Dharma à Hinduism, un terme rejeté comme étant d’origine étrangère.

55 Entretiens avec I Made Bakta, secrétaire général du World Hindu Parisad, Denpasar, 9 juillet 2013 ; Prabhu Darmayasa, président du comité d’organisation du World Hindu Wisdom Meet de 2014, Ashram Parama Dharma, Kesiman, 29 avril 2014 ; Ida Padanda Sebali Tianyar Arimbawa, président du World Hindu Parisad, 16 mai 2016 ; Ngakan Putu Putra, membre du comité d’organisation du World Hindu Wisdom Meet de 2018 et rédacteur en chef de Media Hindu, 27 juin 2018.

56 Au moment de la rédaction de ce livre, le site web du World Hindu Parisad n’est plus actif. Par ailleurs, le site web de la World Hindu Federation, aujourd’hui basée à Delhi, ne mentionne même pas le World Hindu Parisad. Davantage encore, je n’ai trouvé aucune mention du WHP dans les actes du onzième congrès du Parisada (Mahasabha ke XI), qui s’est tenu à Surabaya du 21 au 24 octobre 2016 (PHDI 2016).

57 Les réunions annuelles suivantes ont choisi des thèmes différents : « Hindu Dharma Contributions to the World Civilization and Science » (2016) ; « Para and Apara Vidya as the Basic Hindu Body of Knowledge » (2017) ; et « Hindu for Better Life » (2018).

58 « Umat Hindu di Bali masih amburadul, Parisada tak kedengaran di desa pakraman, lha, ini kok ngurusi Parisada Dunia, ya ? » (Raditya, n° 178, mai 2012 : 6).

59 Après la promulgation de la loi nationale n° 6/2014 sur les villages, le Majelis Desa Adat Provinsi Bali a été créé le 28 mai 2019 par un nouveau règlement provincial sur le Village coutumier (Peraturan Daerah Provinsi Bali n° 4/2019 Tentang Desa Adat di Bali), qui a remplacé le Peraturan Daerah Provinsi Bali n° 3/2001 Tentang Desa Pakraman.

60 Surat Keputusan Bersama (SKB) Parisadha Hindu Dharma Indonesia Provinsi Bali (PHDI) dan Majelis Desa Adat (MDA) Provinsi Bali Nomor : 106 PHDI-Bali/XII/2020 & Nomor : 07/SK/MDA-Prov.Bali/XII/2020 Tentang Pembatasan Kegiatan Pengembangan Ajaran Sampradaya Non-Dresta Bali di Bali.

61 Surat Keputusan Nomor : 374/PHDI Pusat/VII/2021 tentang Pencabutan Surat Pengayoman Hare Krishna (ISKCON).

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References

Bibliographical reference

“Chapitre 8. La religion balinaise à l’ère de la ReformasiArchipel, Hors-Série N°3 | 2024, 293-329.

Electronic reference

“Chapitre 8. La religion balinaise à l’ère de la ReformasiArchipel [Online], Hors-Série N°3 | 2024, Online since 30 September 2024, connection on 14 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archipel/3847; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12li9

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