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Comptes rendus
Indonésie

Gabriel Facal, La foi et la force. L’art martial silat de Banten en Indonésie, Paris, Les Indes Savantes, 2018, 226 p. ISBN : 978-2-84654-467-2.

Jean-Marc de Grave
p. 248-251
Référence(s) :

Gabriel Facal, La foi et la force. L’art martial silat de Banten en Indonésie, Paris, Les Indes Savantes, 2018, 226 p. ISBN : 978-2-84654-467-2.

Texte intégral

  • 1 Il est à noter que le livre en question a donné lieu à une traduction indonésienne (financée par la (...)
  • 2 Voir à ce sujet, de Gabriel Facal: « Continuités et transitions de la Reformasi indonésienne : l’ac (...)

1Ce livre de Gabriel Facal1 s’inscrit dans la continuité de sa thèse de doctorat d’anthropologie sociale, soutenue en 2012 à l’Université d’Aix-Marseille. Cette thèse portait sur les réseaux socio-politiques de Banten, compris au travers de l’ethnographie de l’initiation rituelle penca du village de Rancalame – animée par un maître jawara régionalement référentiel des rituels initiatiques – et des ramifications urbaines des initiations penca liées de près ou de loin à ce maître. Les enquêtes menées à cette occasion, sur le mode de l’observation participante, ont permis à l’auteur de pénétrer les réseaux fermés des jawara de Banten et d’y observer aussi bien les pratiques ouvertes directement observables par le public, que celles cachées visant à maintenir le contrôle religieux, politique et économique de la région par ces mêmes réseaux jawara, unifiés sous la férule de Chasan Sochib et avec l’assentiment de l’Ordre Nouveau.2 C’est ainsi que l’auteur a pu s’immiscer dans les cercles de la « dynastie » Chasan jusqu’au niveau le plus élevé, et y glaner des informations de première main auxquelles il était – sinon – impossible d’accéder.

2La première partie de cet ouvrage synthétise cet aspect de la thèse en commençant par dresser un historique du développement économique et politique de Banten à la période d’islamisation et plus particulièrement à partir du xvie siècle. L’auteur montre comment la catégorie des jawara a émergé des réseaux intrinsèques et/ou intermédiaires à ceux des kiai, des ulémas, et des confréries soufies, profitant notamment de la période coloniale néerlandaise pour s’imposer comme une force de frappe (dans tous les sens du terme) associée au pouvoir et au développement des intérêts économiques, ou luttant contre eux, notamment à l’époque de l’indépendance. L’analyse montre que l’espace social ainsi occupé ne devait plus être laissé vacant par ces jawara qui se sont de plus en plus associés aux figures de l’islam, à tel point que l’on s’est mis à parler de jawara-ulama ou d’ulama-jawara, suivant l’orientation première ou principale des tenants en cause.

3Venant se poser comme une illustration détaillée des observations de terrain, la seconde partie de l’ouvrage présente les descriptions synthétiques des cinq courants de penca les plus importants de Banten (non décrits dans la thèse). Cela permet notamment à l’auteur de présenter des données sur les pratiques, l’organisation, les modes de transmission, les narrations (récits de fondation des écoles, faits d’armes des maîtres), et les relations avec l’extérieur des écoles appartenant à ces courants. Les descriptions techniques donnent des informations sur les échanges de styles (sundanais, jakartanais, chinois, lampungais et bantenois, notamment). Les données organisationnelles donnent des informations sur les échanges au quotidien de la localité urbaine ou villageoise avec les différents groupes d’influence rituels, religieux, politiques ou économiques (l’aspect économique étant généralement combiné et subordonné aux trois premières catégories). Les descriptions des modes d’apprentissage donnent des informations sur la façon dont évoluent l’attractivité de ces organisations et les modes relationnels. Notons que l’ancestralité et les relations aînés-cadets (les aînés comme responsables des relations internes, les cadets des relations externes) sont particulièrement bien décrites et analysées.

4La troisième partie vient systématiser la comparaison de ces différents éléments pour mieux analyser le devenir de ces écoles depuis la période de réformes post-1998, d’où il ressort que leur impact tant attractif que socio-politique tend à s’affaiblir. Suivant l’analyse développée (pp. 185-194, notamment), la corruption endémique renforce le cloisonnement lié à l’exclusivisme qui existe entre les écoles car elle limite toute possibilité de développer des infrastructures pour la pratique, le financement des écoles, la création d’événements, etc. Du coup, nombre de pratiquants rejoignent les milices et l’univers de la sécurité, délaissent la pratique pour des activités plus lucratives ou bien parce qu’ils doivent migrer pour travailler. Par contre, la concurrence des arts martiaux exogènes (tae kwondo, karate, etc.) n’est pas aussi prononcée qu’ailleurs à Java, du fait de la mainmise que les membres patronnant les écoles de silat exercent sur les institutions sportives.

5La force de cet ouvrage est de combiner de façon équilibrée les données ethnographiques aux données socio-historiques des écoles de penca, lesquelles ne sont pas des écoles d’épanouissement personnel mais bel et bien des écoles d’apprentissage combiné de l’appartenance sociale et/ou communautaire, et des facultés psycho-motrices au sein d’un contexte où il ne fait généralement pas sens de distinguer ces deux éléments. L’enquête menée permet de révéler que les valeurs inculquées, soit ne distinguent pas, soit combinent les aspects locaux, rituels, extra-locaux, politiques et religieux. La teneur de la dimension initiatique de ces écoles varie contextuellement en fonction de ces combinaisons (plus rituel, plus religieux, plus sécuritaire, plus mafieux…).

6C’est ce va-et-vient subtil et complexe que G. Facal nous permet d’observer grâce à une approche qui décrit l’élaboration – d’un point de vue interne – du quotidien des pratiquants et des acteurs concernés, en la mettant en perspective avec les résultats les plus aboutis des recherches historiques et sociales existant sur la région, celles notamment de Romain Bertrand, Claude Guillot, Snouck Hurgronje, Sartono Kartodirdjo, Okamoto Masaaki, Henk Schulte Nordholt, Martin Van Bruinessen. Les politiques coloniales et nationales, le Pesisir, la présence chinoise, sont aussi présents dans les impacts qu’ils occasionnent sur la région de Banten jusqu’à la période de réformes post-Suharto qui voit se présager l’éclatement ou le recouvrement des réseaux jawara et la mise en cause marquée de la dynastie Chasan.

7Devant ce travail de longue haleine – les premières enquêtes remontent à 2004 et 2007 – et d’envergure (du fait de la littérature scientifique mobilisée et de la justesse d’analyse) il est difficile de trouver des faiblesses à cet ouvrage, à moins – comme on se trouve souvent dans l’obligation de le faire devant un travail très abouti – de formuler des souhaits liés à des orientations thématiques que l’on aime personnellement aborder ou voir aborder.

  • 3 Facal, Gabriel, “Trans-regional Continuities of Fighting Techniques in Martial Ritual Initiations o (...)

8Il me semble ainsi que l’analyse des techniques pourrait être davantage valorisée à l’aune des apports de l’Ecole française de technologie leroi-ghourancienne. La formation et la diffusion des « styles » locaux et régionaux, ainsi que celles du vocabulaire technique pourraient y gagner en consistance analytique et se présenter comme un recoupement heuristique face aux discours directs ou indirects recueillis sur le terrain ; un apport qu’il est bien sûr toujours possible de développer. L’auteur a d’ailleurs commencé à baliser cette perspective dans l’ouvrage, où il effectue une rapide mise au point terminologique en p. 13 (dans laquelle il apparaît par exemple que dans le nord de Banten on utilise majoritairement le terme silat, tandis que penca l’est plus dans l’arrière-pays où le sundanais est plus prégnant), ainsi que dans un article récent.3

9En ce qui concerne les catégories d’analyse, il apparaît aussi que le terme « art martial » par son aspect vague et connoté, ne rend pas compte de la richesse des logiques sociales du contexte décrit. Il tend donc à banaliser celles-ci de façon réductrice. Il s’agit en fait ici d’une remarque générale qui concerne l’ensemble des travaux portant sur des sujets apparentés. La dimension sociale n’est ici heureusement pas ignorée, loin s’en faut puisqu’on comprend bien que c’est elle qui définit les techniques utilisées. L’auteur compose sans doute avec les attentes d’un lectorat diversifié en utilisant la catégorie-valise seni beladiri (« art d’autodéfense »), tout en montrant aussi (p. 12) l’intérêt de mettre l’accent sur la notion sociologiquement plus exacte d’initiation martiale.

10Enfin, pour finir, je ne peux m’empêcher d’espérer une suite à cet ouvrage, dans laquelle l’auteur pourrait décrire et analyser le déclin des jawara au profit d’autres catégories sociales ayant aussi bien réussi que ce groupe qui a su profiter des espaces d’action ouverts par les logiques exogènes du commerce, de l’islam, de la colonisation et du nationalisme. Nous ne bénéficions certes pas pour ce faire d’une diachronie de 400 ans, mais la richesse de l’ethnographie des contextes micro et macro doit malgré tout permettre de tenter de conceptualiser ce mouvement cyclique d’accession des catégories sociales – notamment mis en perspective par Fernand Braudel – pour mieux le saisir aussi dans une logique synchronique.

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Notes

1 Il est à noter que le livre en question a donné lieu à une traduction indonésienne (financée par la Fondation O’Ong Maryono) qui est finalement sortie avant l’original français, eu égard aux délais éditoriaux (Keyakinan dan Kekuatan. Seni Bela Diri Silat Banten, Jakarta, Yayasan Pustaka Obor Indonesia, 2016).

2 Voir à ce sujet, de Gabriel Facal: « Continuités et transitions de la Reformasi indonésienne : l’actualité politique de Banten à l’issue des élections provinciales de 2017 », Archipel, n° 93, 2017: 133-150.

3 Facal, Gabriel, “Trans-regional Continuities of Fighting Techniques in Martial Ritual Initiations of the Malay World,” Martial Arts Studies, n°4, 2017: 46-69.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Marc de Grave, « Gabriel Facal, La foi et la force. L’art martial silat de Banten en Indonésie, Paris, Les Indes Savantes, 2018, 226 p. ISBN : 978-2-84654-467-2. »Archipel, 100 | 2020, 248-251.

Référence électronique

Jean-Marc de Grave, « Gabriel Facal, La foi et la force. L’art martial silat de Banten en Indonésie, Paris, Les Indes Savantes, 2018, 226 p. ISBN : 978-2-84654-467-2. »Archipel [En ligne], 100 | 2020, mis en ligne le 28 novembre 2020, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archipel/2256 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archipel.2256

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Auteur

Jean-Marc de Grave

Université d’Aix-Marseille (AMU), Institut de Recherches Asiatiques UMR 7306 (IRASIA)

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CC-BY-ND-4.0

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