Navigation – Plan du site

AccueilNuméros100Comptes rendusAsie du Sud-EstNathalie Fau et Manuelle Franck (...

Comptes rendus
Asie du Sud-Est

Nathalie Fau et Manuelle Franck (dir.), L’Asie du Sud-Est. Émergence d’une région, mutation des territoires, Paris, Armand Colin, coll. « Horizon », 2019, 448 p. ISBN : 978-2-200-62698-3

Frédéric Roustan
p. 234-237
Référence(s) :

Nathalie Fau et Manuelle Franck (dir.), L’Asie du Sud-Est. Émergence d’une région, mutation des territoires, Paris, Armand Colin, coll. « Horizon », 2019, 448 p. ISBN : 978-2-200-62698-3

Texte intégral

1Parmi les manuels publiés à l’occasion de la mise au programme en 2020 de « l’Asie du Sud-Est » pour la question de géographie du CAPES d’histoire-géographie et de l’agrégation de géographie, l’ouvrage intitulé L’Asie du Sud-Est. Émergence d’une région, mutation des territoires a particulièrement retenu notre attention.

2Cet ouvrage réunit autour de Nathalie Fau et Manuelle Franck une équipe de chercheurs francophones spécialistes de cette région du monde dont l’essentiel est constitué par une nouvelle génération riche d’une grande expérience de terrain, mais nous pouvons aussi remarquer la présence de quelques figures tutélaires.

3L’introduction présente l’ambition de l’ouvrage qui est d’étudier la région dans sa globalité (p. 2) avec une approche transversale organisée autour de deux grandes problématiques : la délimitation géographique de la région d’une part (p. 2-3), réflexion qui porte sur la notion même de région, et d’autre part, les conséquences sociales et territoriales dues au développement économique récent (p. 4).

4Les éléments pour répondre à ces problématiques sont organisés en cinq parties :

5- « L’émergence d’une région » (p. 6-85) présente un rapide historique de la fluctuation du concept régional du point de vue occidental, rappelle l’histoire des espaces politiques, présente la disparité des milieux, les oppositions spatiales, et les dynamiques des « régions géographiques ».

6- « Les modèles de développement » (p. 86-189), expose l’évolution économique de la région pour ensuite détailler les modèles agricoles dans une perspective historique. La question du tourisme est traitée sous un angle plus contemporain. Un chapitre sur la démographie entre 1950 et 2015, avec des projections jusqu’à l’horizon 2050 vient compléter cette partie.

7- Dans la suivante, « les limites du développement » (p. 190-255) sont envisagées autour de la question environnementale, entre contraintes et risques naturels, d’une part, les empreintes et risques écologiques liés aux politiques de développement de l’autre, les interactions entre les deux étant explicitées le cas échéant. Enfin, cette partie se conclut par un chapitre traitant de la transition sociétale par le biais de l’analyse de l’évolution de l’accès au foncier, et des tensions sociales qui en découlent.

8- « Les territoires de l’urbain » (p. 256-329), présente les processus d’urbanisation dans une perspective historique, en insistant sur le poids de la période coloniale, avant d’aborder les nouvelles configurations urbaines et les mécanismes qui en sont porteurs. Ainsi, les phénomènes actuels de métropolisation sont au cœur du propos, en montrant les dynamiques transnationales et l’insertion dans le processus de la mondialisation de ces structures urbaines. Le chapitre 11 nous a paru particulièrement intéressant, en s’appuyant sur des travaux très récents et en abordant des aspects sur lesquels les études sont encore assez rares comme la question des réseaux de transport, celle de la gouvernance de ces territoires métropolitains, celle du patrimoine, ou encore celle des nouveaux déséquilibres sociaux-spatiaux.

9- Enfin, dans la dernière partie, les questions de « l’intégration etdela géopolitique régionales » (p. 330-430) sont abordées de façon très complète en quatre chapitres. Là encore, cela commence par une mise en perspective historique pour présenter les stratégies économiques utilisées à partir des premiers NPI à la fin des années 1960, avant d’exposer les dynamiques spatiales de l’intégration régionale, notamment en abordant la question de l’importance des firmes multinationales et des politiques de connectivité par les infrastructures mises en place au niveau de l’ASEAN. Les flux légaux et illégaux de capitaux, de marchandises et de personnes sont analysés en explicitant le fonctionnement des espaces transfrontaliers et des corridors transnationaux, que ce soit dans leurs dimensions continentales ou maritimes. Notons que la question des migrations est abordée comme un élément du processus d’intégration régionale, partie dont la grille d’analyse fait fortement penser aux travaux de Michel Bruneau. Enfin, les deux derniers chapitres analysent les relations géopolitiques complexes qu’entretiennent les pays de l’ASEAN avec les différentes puissances de l’aire Asie-Pacifique, et en particulier la Chine.

10Ce manuel est indéniablement une réussite tant sur la forme que sur le fond. Les définitions des concepts clefs, les nombreuses cartes et données récentes clairement mises en forme en font un outil pratique et précis pour préparer le concours. Quant à l’ambition initiale, il nous semble qu’elle est satisfaite. En effet, l’Asie du Sud-Est est traitée dans sa globalité en explicitant les grandes dynamiques régionales à des échelles transnationales mais avec le souci de présenter également pour chacune des thématiques abordées des exemples de cas particuliers et situés à des échelles diverses allant de la ville au pays.

11Nous pouvons cependant regretter que le premier chapitre, traitant rapidement de l’historique de la construction du concept régional, soit limité à la production de savoir occidental alors même que des concepts régionaux englobant les territoires de l’actuelle Asie du Sud-Est sont pensés dans un premier temps par les Chinois puis les Japonais; surtout lorsque l’on considère l’importance de l’influence et des relations contemporaines de ces deux pays avec la région.

  • 1 Pour une référence en langue occidentale, voir Shimizu Hajime, Southeast Asia in Modern Japanese Th (...)
  • 2 Entre 1937-1941, le Nanyang Chinese National Salvation Movement officialise le terme pour désigner (...)
  • 3 Le sens donné à nanyang en Chine dans les années 1930 semble être un retour du concept par le biais (...)

12Les travaux du Professeur Shimizu Hajime sont tout à fait éclairants en la matière1. Sans remonter aux termes anciens d’avant la dynastie Ming (1368‑1644) de hainan zhuguo 海南诸国 (pays au Sud de la mer) ou nanman 南蛮 (barbares du Sud), celui de « mers du Sud » 南洋 aurait dû interpeller les auteurs. Dans sa forme chinoise (lecture nanyang), il apparait vers le milieu de la dynastie Ming et sert, de façon fluctuante, à désigner les territoires correspondant plus ou moins à l’actuelle région d’Asie du Sud-Est. A partir de la dynastie Qing (1644-1912), il sert pour désigner les territoires asiatiques où immigrent des populations chinoises à partir du xvie siècle2. Certes, l’usage courant de nanyang pour désigner les territoires recouvrant l’actuelle Asie du Sud-Est n’est pas attesté avant 19383, avec, avant cela, des concepts régionaux concurrents qui ne correspondent pas au découpage actuel. Mais, néanmoins, la pensée d’un concept régional, du point de vue chinois, existe bel et bien, et il aurait été intéressant d’évoquer les cartes mentales de la principale puissance régionale prémoderne.

13Par ailleurs, le Japon est également un acteur important des conceptualisations régionales lorsque l’on considère une période plus contemporaine. Le terme de nanyô, qui est la lecture japonaise de celui de nanyang, est d’usage dans des publications japonaises dès 1798, et sert à désigner dans un premier temps la partie insulaire de l’Asie du Sud-Est. Le concept gagne en force dans les années 1880 en relation avec les ambitions expansionnistes japonaises de l’ère Meiji et des réflexions autour de ce qui est désigné par « l’avancée vers le Sud » (Nanshin ron 南進論). Si les frontières de la région sont flottantes pendant près d’un siècle, elles restent encore durant l’ère Meiji essentiellement utilisées pour penser la partie insulaire de l’Asie du Sud-Est. Le concept évolue après la Guerre Russo-Japonaise de 1904-1905, et divers auteurs commencent à inclure des éléments continentaux, et une certaine diversité de termes concurrents, correspondants plus ou moins aux mêmes territoires, apparaissent (par exemple : nampô 南方 pays du Sud, nampô Ajia 南方亜細亜 Asie du Sud, nangoku 南国 territoires du Sud, etc.). Par ailleurs, cette région est classée parfois en Asie, parfois en dehors. Le concept continue donc d’évoluer avec la Première Guerre mondiale et l’occupation par le Japon des territoires allemands de l’aire Asie-Pacifique. À partir de là, tout au long des années 1920 et 1930, le concept régional s’affine pour se rapprocher de la définition territoriale actuelle en même temps que les intérêts économiques et militaires japonais grandissent.

  • 4 Idem, p. 179-232.

14Plus regrettable encore que l’oubli du concept régional de nanyô, celui de tônan Ajia 東南亜細亜4, qui se traduit littéralement par Asie du Sud-Est, est plus surprenant. Le concept régional apparait sous cette dénomination dans les manuels scolaires japonais dans l’immédiat après Première Guerre mondiale (décembre 1919) pour désigner les territoires de l’actuelle Asie du Sud-Est. Les limites territoriales de la région ainsi désignée sont précisées au fils des ans et des nouvelles moutures de manuels scolaires. Si l’usage du terme nanyô est plus courant dans l’entre-deux-guerres, celui de tônan Ajia est néanmoins enseigné à des générations d’élèves jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bien que le terme et le concept régional japonais précèdent celui mis en place par les forces Alliées, ce dernier ne devient d’usage courant au Japon (et remplaçant celui de nanyô) que dans les années 1950, en tant que traduction du terme et du concept adopté par les Occidentaux pendant la guerre.

15Notons au passage que l’Asie du Sud-Est est située au sud-ouest du Japon, et que le Japon utilise une référence européo-centrée pour désigner la région. Nous ne le développerons pas ici mais l’influence de la géographie européenne se retrouve dans la fluctuation des sens donnés aux concepts chinois et japonais, tout en s’en distinguant.

16Bien qu’extrêmement simplifié ici, ce rappel d’une pensée non occidentale nous semble nécessaire et aurait pu favorablement figurer dans le chapitre introductif de ce manuel, d’autant plus que l’un des axes de l’ouvrage concerne la question de la délimitation de la région.

17Au registre des critiques, nous évoquerons aussi, mais c’est un détail, la carte de la p. 345 sur les migrations internationales. Alors que la grande majorité des tableaux et cartes présentent ou mettent en forme des données très récentes, cette dernière représente une situation qui correspond plus à celle de la fin des années 1990 - début 2000 qu’à la situation des dix dernières années, notamment en ce qui concerne l’importance des flux migratoires vers les pays d’Asie de l’Est, en particulier vers le Japon et la Corée, et, au contraire, laisse apparaitre des flux qui ont disparu depuis déjà un certain temps.

18Cependant, en dépit de ces quelques remarques, ce manuel sera utile au-delà du cadre du concours. Il vient combler un vide et il sera une lecture fort utile à toute personne ou étudiant commençant à s’intéresser à cette région du monde.

Haut de page

Notes

1 Pour une référence en langue occidentale, voir Shimizu Hajime, Southeast Asia in Modern Japanese Thought, Nagasaki, Nagasaki Prefectural University Press, 1997.

2 Entre 1937-1941, le Nanyang Chinese National Salvation Movement officialise le terme pour désigner la région de l’Asie du Sud-Est. La Chine nationaliste réutilise ce concept géographique pour mobiliser les Chinois d’outre-mer dans la lutte contre le Japon. Le mouvement culmine en 1938 (le quartier général est situé à Singapour; il possède des branches dans toute l’Asie du Sud-Est). Voir Akashi Yoji, Nanyang Chinese National Salvation Movement, 1937-1941, University of Kansas, Center for East Asian Studies, 1970.

3 Le sens donné à nanyang en Chine dans les années 1930 semble être un retour du concept par le biais du Japon. Le concept circule donc, d’abord créé par les Chinois, puis développé par les Japonais et au cœur d’intenses réflexions à partir de la fin du xixe siècle autour de la question « de l’avancée vers le Sud », il revient en Chine dans les années 1930 avec le sens que les Japonais lui ont donné à cette période et qui désigne la région actuellement dite Asie du Sud-Est. Pour la référence sur cette date de 1938, voir Shimizu Hajime, 1997, p. 188.

4 Idem, p. 179-232.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Frédéric Roustan, « Nathalie Fau et Manuelle Franck (dir.), L’Asie du Sud-Est. Émergence d’une région, mutation des territoires, Paris, Armand Colin, coll. « Horizon », 2019, 448 p. ISBN : 978-2-200-62698-3 »Archipel, 100 | 2020, 234-237.

Référence électronique

Frédéric Roustan, « Nathalie Fau et Manuelle Franck (dir.), L’Asie du Sud-Est. Émergence d’une région, mutation des territoires, Paris, Armand Colin, coll. « Horizon », 2019, 448 p. ISBN : 978-2-200-62698-3 »Archipel [En ligne], 100 | 2020, mis en ligne le 28 novembre 2020, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archipel/2196 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archipel.2196

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search