Nathalie Fau et Benoît de Tréglodé (sous la direction de), Mers d’Asie du Sud-Est. Coopérations, intégration et sécurité, Paris, CNRS Editions, 2018, 394 p. ISBN : 978-2-271-11826-4
Nathalie Fau et Benoît de Tréglodé (sous la direction de), Mers d’Asie du Sud-Est. Coopérations, intégration et sécurité, Paris, CNRS Editions, 2018, 394 p. ISBN : 978-2-271-11826-4
Texte intégral
1Ce passionnant ouvrage consacré aux mers d’Asie du Sud-Est vient combler un manque dans la littérature francophone sur le sujet. Le livre collectif Mers d’Asie du Sud-Est publié sous la direction conjointe de Nathalie Fau et de Benoît de Tréglodé arrive en effet en complément très utile d’autres livres consacrés à la question de la mer de Chine méridionale.
2Ainsi que l’indique le titre de l’ouvrage, les auteurs ont fait le choix, sans négliger la mer de Chine du Sud, située à la jonction des deux grands ensembles maritimes que sont l’océan Indien et le Pacifique-Est, de ne pas focaliser leur approche sur elle seule, mais de se pencher également sur les espaces marins de moindre taille situés à sa périphérie (tels les mers de Sulu ou de Célèbes par exemple) en abordant des problématiques qui leur sont spécifiques. Loin de brouiller l’analyse, cette approche permet au contraire de mieux saisir les enjeux maritimes globaux de la région.
3Bien que traitant explicitement des mécanismes de coopération, d’intégration et de sécurité relatifs à l’Asie du Sud-Est, le livre ne fait pas pour autant l’impasse sur la Chine, acteur majeur et omniprésent dans la région.
Il contourne cependant l’écueil qui aurait consisté à focaliser l’étude sur ce pays et se démarque en ceci de beaucoup d’autres publications. La Chine n’est évoquée que dans la mesure où les interactions sécuritaires, économiques ou environnementales qu’elle développe avec les autres acteurs intéressent les espaces abordés dans cet ouvrage.
4Celui-ci est articulé en trois grandes parties, « Contrôler et maîtriser les mers », « S’approprier les ressources », « Protéger l’environnement », et s’attache à explorer les grands enjeux relatifs aux questions stratégiques, économiques et liées à l’environnement. Ce choix, apparaît, à la lecture, des plus pertinents car il permet d’appréhender d’une manière exhaustive le large éventail des problématiques relevant des espaces maritimes étudiés.
5Contrôler la mer requiert, d’une part, d’y développer une présence navale effective et, de l’autre, d’agir afin d’y diminuer les facteurs de menace. La première partie aborde, dans ce contexte, les enjeux de la diplomatie navale telle qu’elle est menée par différents États. Une focale est mise sur la piraterie, problème qui, s’il ne fait plus la une des journaux, demeure récurrent, non seulement aux alentours du détroit de Malacca mais, surtout, dans la mer de Sulu, devenue un espace de communication essentiel entre le nord-est de la Malaisie et le sud des Philippines. La question est abordée au regard des liens de plus en plus étroits entre piraterie et terrorisme. Cette partie soulève également une question assez peu traitée et qui porte sur la coopération stratégique croissante entre le Vietnam et les Philippines à l’aune de leur rivalité commune avec la Chine, une coopération qui ne laisse pas d’être ambiguë, compte tenu des revendications opposées qu’expriment ces deux pays dans l’archipel des Spratleys.
6Toujours dans la première partie, une attention particulière est portée au cas de l’île de Hainan, qui sert aujourd’hui d’avant-poste à l’action de Pékin en mer de Chine méridionale, laquelle s’exprime à travers une coopération scientifique asymétrique avec les pays voisins ou par le biais de revendications directes. Très fouillée, l’analyse des auteurs va au-delà de l’approche assez répandue de cette problématique au prisme de la seule base navale de Sanya (Yulin) qui abrite une partie des sous-marins lanceurs d’engins de la RPC et des enjeux géostratégiques qui en découlent. Hainan est abordée dans ses autres fonctions, notamment celle de centre touristique et vitrine symbolique. Enfin, la question des milices maritimes, souvent évoquée, mais rarement creusée, fait ici l’objet d’un développement qui permet d’en mieux comprendre l’organisation ainsi que le rôle très important qu’elles jouent, en tant que bras armé officieux de Pékin, dans le maintien de la pression sur les parties rivales.
7Les enjeux économiques sont fréquemment source de fortes tensions géopolitiques, une réalité à laquelle n’échappe pas la mer de Chine méridionale. Dans sa deuxième partie, l’ouvrage en isole quatre qui permettent à la fois d’en montrer la variété et d’aborder, au-delà de la mer de Chine du Sud, la situation des autres espaces maritimes périphériques. Les enjeux halieutiques sont abondamment traités à travers la coopération entre la Chine et ses différents voisins. L’ouvrage revient aussi avec précision sur le cas spécifique de la relation sino-vietnamienne dans le golfe du Tonkin, un exemple réussi de coopération bilatérale basé sur un rare accord officiel de délimitation frontalière maritime. Dans une région où se multiplient les rivalités portant sur les ressources naturelles, le modèle des zones communes de développement (ZCD) représente une approche innovante pouvant permettre la résolution de ce type de conflits, à l’exemple de la ZCD mise en place entre le Timor-Leste et l’Australie. Si les tensions bilatérales n’ont pas complètement disparu, elles ont néanmoins considérablement diminué au bénéfice d’une gestion commune des ressources naturelles, notamment énergétiques, présentes en mer de Timor. Dans un contexte général où les rivalités ne cessent de croître, la coopération bi ou multilatérale s’impose donc aux pays de la région comme le seul moyen d’éviter l’émergence d’une concurrence anarchique potentiellement très contre-productive. Les infrastructures portuaires, dont la multiplication non concertée ne peut se faire qu’au détriment de certains acteurs sont une illustration de ce risque et, dans cette logique, un chapitre entier est consacré à la question de l’intégration du transport et à la nécessaire connectivité maritime régionale.
8L’une des originalités de cet ouvrage réside dans la place laissée aux questions environnementales qui font l’objet de toute la troisième partie. Des problématiques, a priori familières, sont abordées ici selon un angle nouveau qui fait apparaître des enjeux insoupçonnés. Il en est ainsi, par exemple, du détroit de Malacca qui, au-delà de ses fonctions géostratégiques et géoéconomiques bien connues, joue un rôle environnemental non négligeable en raison de l’important écosystème qu’il abrite et qui fait aujourd’hui l’objet d’une coopération inédite entre les trois États riverains. Il en va de même en ce qui concerne l’initiative du triangle de corail, vaste zone maritime englobant pas moins de six mers régionales (mers de Sulu, Célèbes, Banda, Timor, Bismarck et Salomon) et qui regroupe, depuis 2007, six pays dans le cadre de la lutte contre les menaces environnementales. Par-delà ces cas précis, l’ouvrage interroge l’hypothèse et la faisabilité d’une gouvernance transnationale des espaces fragiles à travers l’exemple du grand écosystème marin Sulu-Sulawesi. Enfin, une analyse originale de la coopération maritime en mer de Chine méridionale vue de Taïwan vient compléter cette partie.
9Le grand intérêt de cet ouvrage est de permettre au lecteur de réfléchir de manière transversale aux enjeux maritimes en Asie du Sud-Est. Ainsi, sur le plan géographique, le changement de niveau d’analyse permet-il de s’émanciper du seul horizon de la mer de Chine méridionale et d’élargir le champ d’étude aux espaces voisins de moindre taille. Le livre ouvre aussi d’intéressants questionnements sur le plan juridique qui dépassent le seul cadre régional. En effet, les rivalités comme les mécanismes de coopération qui se développent dans la région poussent différents auteurs à interroger les évolutions à venir du droit international de la mer au regard de ces changements sur le terrain. Un autre point positif de cet ouvrage, et non des moindres, est le choix délibéré de ne pas se limiter aux seules dimensions stratégique et économique mais d’aborder parallèlement les problématiques environnementales. Ce parti pris a permis de mettre en lumière des dynamiques de rapprochement méconnues entre les États. Les questions environnementales apparaissent ainsi susceptibles de favoriser des dynamiques de coopération sans que celles-ci soient pour autant dénuées d’arrière-pensées, les sources de rivalité étant sous-jacentes. Ajoutons enfin que, la qualité des cartes utilisées dans l’ouvrage mérite une mention spéciale. Intégrées à bon escient, souvent très précises, elles apportent un complément fort utile à la compréhension des problématiques étudiées, parfois assez complexes.
10On peut toutefois regretter la place sans doute trop faible accordée à l’approche géostratégique ainsi qu’aux enjeux géopolitiques alors que ces questions dominent le débat depuis quelques années. Une analyse plus précise des implantations militaires dans l’archipel des Spratleys, notamment, aurait été bienvenue pour comprendre les tensions maritimes ainsi que l’irruption d’acteurs extrarégionaux en mer de Chine méridionale. Celle-ci aurait pu être complétée par un développement sur la bathygraphie complexe de cette mer, objet de toutes les attentions en raison des forts enjeux qui pèsent sur la dimension sous-marine. De même, une approche historique aurait été également bien venue afin de mieux comprendre comment certaines dynamiques actuelles, notamment économiques, plongent leurs racines dans un lointain passé. Enfin, la route de la soie maritime aurait sans doute mérité un développement particulier en raison de l’importance que cette initiative revêt pour la Chine.
11Mais ces quelques regrets n’occultent en aucune manière l’évident intérêt que présente cet ouvrage dont on ne peut que recommander la lecture à toute personne soucieuse de mieux appréhender les problématiques et les enjeux maritimes qui se développent aujourd’hui en Asie du Sud-Est.
Pour citer cet article
Référence papier
Laurent Gédéon, « Nathalie Fau et Benoît de Tréglodé (sous la direction de), Mers d’Asie du Sud-Est. Coopérations, intégration et sécurité, Paris, CNRS Editions, 2018, 394 p. ISBN : 978-2-271-11826-4 », Archipel, 100 | 2020, 230-233.
Référence électronique
Laurent Gédéon, « Nathalie Fau et Benoît de Tréglodé (sous la direction de), Mers d’Asie du Sud-Est. Coopérations, intégration et sécurité, Paris, CNRS Editions, 2018, 394 p. ISBN : 978-2-271-11826-4 », Archipel [En ligne], 100 | 2020, mis en ligne le 28 novembre 2020, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archipel/2182 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archipel.2182
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