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Comptes rendus
Littératures

Bernard Banoun, Isabelle Poulin et Yves Chevrel (dir.), Histoire des traductions en langue française

Jean-Claude Trutt
p. 272-275
Référence(s) :

Bernard Banoun, Isabelle Poulin et Yves Chevrel (dir.), Histoire des traductions en langue française, 4ème vol., XXe siècle. Paris : Verdier, 2019, 1.920 p., ISBN : 978-2-86432-019-5.

Texte intégral

  • 1 « Au XXe siècle, le traducteur sort de l’ombre. Le quatrième tome de la monumentale Histoire des tr (...)
  • 2 Georges Mounin, Les Belles infidèles – Essai sur la traduction, Cahiers du Sud, 1955.

1C’est en mai cette année qu’est paru le 4e volume d’une entreprise de longue haleine, qui a débuté en 2012 et que Nicolas Weill, dans un article du Monde des Livres daté du 28 juin 2019, qualifie de « monumentale »1. Et, effectivement, ce dernier ouvrage est impressionnant : plus de 1 900 pages, 4 300 traducteurs cités dans l’index et un très grand nombre de thèmes abordés, souvent tout-à-fait originaux, comme la traduction de BD, de livrets d’opéra, de dialogues de cinéma et, bien sûr, de tout ce qui est sciences humaines. Beaucoup de réflexions sur la technique même de la traduction, la traduction poétique par exemple, et l’évolution de la traductologie à partir des années 60. Cela est peut-être l’un des thèmes les plus intéressants (on y explicite, par exemple, les idées de Georges Mounin, l’inventeur des Belles Infidèles2, d’Antoine Berman et d’Henri Meschonnic), d’autant plus que cette nouvelle façon de réfléchir à l’art de la traduction est caractéristique du XXe siècle. Comme est aussi propre à ce siècle, disent Bernard Banoun et Isabelle Poulin dans leur postface intitulée Bilan, la « formidable extension dans le temps et dans l’espace des ouvrages — et des domaines — traduits ».

  • 3 Sonorités pour adoucir le souci. Poésie traditionnelle de l’archipel malais, traduit du malais, pré (...)
  • 4 Elizabeth D. Inandiak, Les Chants de l’île à dormir debout. Le Livre de Centhini, Gordes : Les Edit (...)
  • 5 « La littérature indonésienne en traduction française », BEFEO, 104 (2018), p. 205-239.

2Pourtant, si l’on cherche la trace de la Malaisie et de l’Indonésie dans cette Histoire, on reste malheureusement sur sa faim. On a beau chercher, deux noms en tout et pour tout parmi les traducteurs : Georges Voisset pour ses Sonorités pour adoucir les soucis3, ouvrage cité comme exemple d’« échantillon unique de littérature malaise », dans la collection Connaissance de l’Orient, et Elisabeth D. Inandiak, citée à propos de « l’unique version française d’une œuvre en javanais, l’immense poème du Livre de Centhini »,4 qu’elle a « adapté » (p. 590). François-René Daillie, qui a, comme Georges Voisset, accompli un travail considérable pour faire connaître le pantoun véritable, le quatrain court, après qu’Henri Fauconnier, dans son chef d’œuvre Malaisie de 1930, en eût démontré la beauté et l’originalité, est cité uniquement pour une traduction de la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann (p. 638) ! On ne trouve nulle part les noms de Louis-Charles Damais, Denys Lombard, Laurent Metzger, Monique Zaini-Lajoubert et de tant d’autres recensés dans l’essai sur la littérature indonésienne en traduction française5 qu’Henri Chambert-Loir a publié dans le Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient. Et bien sûr : aucun auteur malais ou indonésien.

  • 6 La Vie n’est pas une foire nocturne, traduction et présentation par Henri Chambert-Loir et Denys Lo (...)

3Donc, nulle mention du plus grand des écrivains indonésiens, Pramoedya Ananta Toer, dont les premiers romans et nouvelles6 ont été écrits dans les années 50 et comptent parmi les premiers à avoir été publiés après l’adoption officielle de la langue malaise comme langue nationale de l’Indonésie.

  • 7 François-René Daillie, La Lune et les Etoiles, le Pantoun malais, Paris : Les Belles Lettres, 2000.

4Et nulle mention du pantoun malais. Qui l’aurait pourtant mérité. Alors que le hasard a voulu que Victor Hugo découvre une variante, le pantoun lié ou pantun berkait, et mette à la mode un type de poème semblable baptisé, à la suite d’une erreur typographique, pantoum, voilà que François-René Daillie et Georges Voisset remettent le pantoun original à l’honneur et en traduisent entre 1985 et 2000 peut-être un millier (rien que La Lune et les étoiles7 de Daillie en contient déjà 500). On trouvera sur le site pantun-sayang-afp.fr (« le site des amis francophones du pantoun ») une large bibliographie réalisée par Georges Voisset et intitulée bibliopantoun, répertoriant systématiquement, non seulement les traductions de pantouns, mais toutes les « références relatives au pantoun en tant que genre poétique universel autonome ». Les lecteurs de l’Histoire des traductions en langue française au XXe siècle n’en sauront rien. Alors qu’ils entendront au moins parler du hain teny malgache (p. 261). Il est vrai que leur traducteur et interprète était Jean Paulhan…

  • 8 Le Monde des hommes, traduit à partir de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch, Rivages, Paris, 200 (...)

5Bien sûr, ces considérations n’enlèvent rien aux mérites de cette œuvre considérable, à laquelle ont collaboré près de 200 chercheurs et qui est passionnante à parcourir. Elles ont pour seul but de rappeler l’étrange silence fait en France sur les cultures de deux pays dont l’un est le quatrième plus peuplé au monde. L’une des raisons de ce désintérêt est peut-être le fait que nous sommes restés culturellement attachés à notre ancien empire colonial et que l’Asie du Sud-Est, pour nous, représente toujours l’ancienne Indochine. Il y en a certainement beaucoup d’autres. La responsabilité du monde de l’édition par exemple. Ainsi, le Quatuor de Buru de Pramoedya Ananta Toer a été traduit en anglais dès 1981, en allemand entre 1987 et 2003, en néerlandais dans les années 80 également, alors qu’en France un éditeur a commencé à éditer timidement le premier tome en 20018, en le traduisant à partir de l’anglais, puis s’est arrêté, probablement parce que Pram, cette année-là, n’a pas eu le Nobel comme on l’espérait (ce n’est qu’en 2017 qu’un autre éditeur, Zulma, s’est finalement décidé à le traduire en entier à partir de l’original). Les petits éditeurs amateurs sont plus courageux, comme c’est souvent le cas en France. L’Association culturelle franco-indonésienne Pasar Malam a publié une douzaine d’ouvrages traduits de l’indonésien en sept ans. Hélas, depuis que sa présidente et fondatrice, Johanna Lederer, a pris sa retraite, l’Association a décidé d’arrêter sa petite maison d’éditions du Banian.

6C’est bien dommage.

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Notes

1 « Au XXe siècle, le traducteur sort de l’ombre. Le quatrième tome de la monumentale Histoire des traductions en langue française montre la reconnaissance progressive du traducteur comme auteur au cours du siècle dernier », Nicolas Weill, Le Monde, vendredi 28 juin 2019.

2 Georges Mounin, Les Belles infidèles – Essai sur la traduction, Cahiers du Sud, 1955.

3 Sonorités pour adoucir le souci. Poésie traditionnelle de l’archipel malais, traduit du malais, présenté et annoté par Georges Voisset, Gallimard, Connaissance de l’Orient, 1996.

4 Elizabeth D. Inandiak, Les Chants de l’île à dormir debout. Le Livre de Centhini, Gordes : Les Editions du Relié, 2002.

5 « La littérature indonésienne en traduction française », BEFEO, 104 (2018), p. 205-239.

6 La Vie n’est pas une foire nocturne, traduction et présentation par Henri Chambert-Loir et Denys Lombard, Gallimard, Connaissance de l’Orient, 1993, nouvelles publiées en Indonésie en 1950 et 51 ; Le Fugitif, traduction François-René Daillie, Plon, 1991, original publié en 1950 ; Corruption, traduction Denys Lombard, Arles : Philippe Picquier, 1991, original publié en 1954.

7 François-René Daillie, La Lune et les Etoiles, le Pantoun malais, Paris : Les Belles Lettres, 2000.

8 Le Monde des hommes, traduit à partir de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch, Rivages, Paris, 2001.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Claude Trutt, « Bernard Banoun, Isabelle Poulin et Yves Chevrel (dir.), Histoire des traductions en langue française  »Archipel, 98 | 2019, 272-275.

Référence électronique

Jean-Claude Trutt, « Bernard Banoun, Isabelle Poulin et Yves Chevrel (dir.), Histoire des traductions en langue française  »Archipel [En ligne], 98 | 2019, mis en ligne le 11 décembre 2019, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archipel/1524 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archipel.1524

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