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Comptes rendus
Anthropologie

wonggunung. gunungkidulan

Henri Chambert-Loir
p. 264-268
Référence(s) :

wonggunung. gunungkidulan. 17,6 x 25 cm, xvi-823 hlm., 2018 (cetakan kedua, 2018). ISBN: 0011-0110-1001.

Texte intégral

1Ceci n’est pas un compte rendu.

2C’est plus modestement un avis de parution d’une publication indonésienne de diffusion pratiquement confidentielle, mais qui ne doit pas passer inaperçue. L’ouvrage est le fruit de l’essor actuel, en Indonésie, des penerbit indie, soit en autopublication, qui est l’un des effets de la digitalisation : imprimer revient moins cher, soumis à moins de contraintes et à la portée de beaucoup d’individus, sans passer par un éditeur ou un distributeur, la commercialisation se faisant sur les réseaux sociaux. D’où certaines innovations, parfois fantaisistes, dont ce livre est un exemple : noms et titres sans majuscules, usage d’un pseudonyme, édition limitée (l’ouvrage est même difficile à acquérir), numéro ISBN fantaisiste.

3L’ouvrage se compose de 150 courts chapitres classés par ordre vaguement alphabétique et accompagnés de nombreuses illustrations en noir et blanc. Le livre, cartonné, bénéficie d’une excellente réalisation. 840 pages denses en grand format : c’est un texte très volumineux, qui semble offrir un panorama encyclopédique de la culture de Gunung Kidul, ce kabupaten de l’est du Territoire Spécial de Yogyakarta réputé aride et pauvre. L’ouvrage n’a rien à voir avec une encyclopédie, cependant ; il est beaucoup plus ambitieux et beaucoup plus complexe.

4L’introduction définit le but de l’ouvrage, mais d’une façon qui déjà nous avertit de la complexité du propos. Il est question « d’archéo-narration », des mythes selon Barthes, de structure fractale, de codes, de modèles et de paradigmes — mais pas de méthode. L’objectif est de décrypter les « mythes » propres à Gunung Kidul, tels qu’ils ont été hérités des anciens, mais sans jamais se référer à l’histoire.

5La première complication vient du langage : plus d’un quart des articles sont rédigés en javanais (les articles relatifs à la cuisine le sont tous), tandis que les autres, en indonésien, sont lardés de mots javanais, au point que le texte n’est réellement compréhensible qu’à des lecteurs javanophones. Ce parti-pris d’un auteur qui révèle par ailleurs la faculté d’utiliser l’indonésien avec talent et subtilité, avec même une grande qualité plastique, est simplement justifié par le fait qu’il est plus agréable de parler de tel sujet en javanais et de tel autre en indonésien (p. xi). Il est clair aussi que l’auteur ne se suffit pas de l’indonésien des dictionnaires ; il lui faut plus de concepts, plus de nuances, qu’il aménage en passant : nraditional, menyublim, kemenjadian, menyekuler, purwais, mengular, pembangunanisme, perpengingatan... Le choix d’utiliser deux langues, cependant, semble entériner l’idée que la culture javanaise n’est pas réductible à la langue indonésienne, et le livre prend place dans la courte liste des ouvrages indonésiens multilingues (Tuanku Rao de M.O. Parlindungan, Indonesia dalem Api dan Bara de Kwee Thiam Tjing, Pengakuan Pariyem de Linus Suryadi), qui battent en brèche la souveraineté de la langue nationale.

6Plus complexe encore est la nature du discours. L’auteur se présente, en préface, comme un homme « inculte et primitif », le traducteur ignorant et naïf de la « science gunungkidulan » héritée des sages et des maîtres de l’ancien temps. Il est en réalité savant et sagace ; il cite une cohorte de penseurs occidentaux, depuis Platon jusqu’à Eliade et Lévi Strauss ; il cite aussi Rassers et Geertz ; et il emploie des modes de raisonnement qui vont du récit (de wayang, notamment), à la démonstraton académique, en passant par l’analogie phonétique ou sémantique, l’association d’idées, l’évocation poétique et la logique du vocabulaire. Il n’est pas question d’être exhaustif ou de mettre en oeuvre des théories, mais plutôt de rechercher l’essence des phénomènes, la permanence du factuel, et, pour ce faire, de lire le monde – littéralement : en déchiffrant les mots qui l’expriment. Les mots sont emboîtés les uns dans les autres (« Batur, sebagai sistem kebahasaan, minimal adalah akronim, atau wancahan, atau jarwa-dhosok, yaitu pendekan dari mbat-mbatananing tutur, atau badaning catur. », 213), ils riment et ils résonnent. Leurs multiples correspondances tracent dans l’univers des hommes des lignes de signification. Ce discours englobe le macrocosme et le monde invisible. Il montre que les actions humaines (les constructions sociales, les arts) sont dictées par l’environnement. On frôle parfois le jeu de mots ou le jeu tout court (« Karna saya ini senengnya ngomong ngalor-ngidul yang gak masuk di nalar. », 212).

7L’invention d’une sémiologie javanaise, peut-être, et une façon originale d’aborder une micro-région d’Indonésie, son environnement, ses habitants et sa culture.

8L’illustration de couverture est faite d’un dessin (par l’auteur lui-même probablement) de deux personnages masqués, Bancak et Dhoyok, qui sont deux incarnations antagonistes du peuple (voir la couverture du présent volume), tandis que le dos de l’ouvrage s’orne du dessin d’un acteur de Reog Grogol Bejiharjo.

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Pour citer cet article

Référence papier

Henri Chambert-Loir, « wonggunung. gunungkidulan »Archipel, 98 | 2019, 264-268.

Référence électronique

Henri Chambert-Loir, « wonggunung. gunungkidulan »Archipel [En ligne], 98 | 2019, mis en ligne le 11 décembre 2019, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archipel/1487 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archipel.1487

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