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Comptes rendus
Histoire

M.C. Ricklefs, Soul Catcher : Java’s Fiery Prince Mangkunagara I, 1726–95

Hélène Njoto
p. 247-249
Référence(s) :

M.C. Ricklefs, Soul Catcher : Java’s Fiery Prince Mangkunagara I, 1726–95. Singapore : NUS Press, 2018. xx+439 pp. 

Texte intégral

1Merle C. Ricklefs s’est imposé depuis le début de sa carrière comme le principal spécialiste du XVIIIe siècle javanais. Il apporte ici un troisième volet très attendu de l’histoire de la dynastie Mataram au XVIIIe siècle, dont les terres, aujourd’hui réduites à leur portion congrue, s’étendaient alors sur une grande partie du centre de Java. Cette période cruciale de l’histoire javanaise fut marquée par la division du royaume en deux, puis trois maisons rivales, grâce à la signature d’un traité de paix orchestré en 1755 par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

2C’est de cette même période qu’il est question dans trois ouvrages devenus des classiques de l’histoire javanaise : sa thèse de doctorat publiée en 1974 sur le fondateur de la maison de Yogyakarta, Sultan Mangkubumi/Hamengkubuwana I (r. 1749-92), puis deux autres sur les cours de Kartasura et Surakarta (1993 et 1998). Merle Ricklefs complète donc ici un triptyque, avec l’histoire du fondateur de la troisième maison royale, Mangkunegara I (r. 1757-96), neveu des deux premiers. Pourtant promis à un destin royal par un consensus ministériel et surtout par une prophétie, il fut privé du trône de Kartasura à la suite d’une conspiration menée contre son père Mangkunegara « l’aîné », exilé au Cap par décision des Néerlandais. Le sentiment d’injustice et les humiliations endurées à la cour furent le moteur d’une rébellion que Mangkunegara I (le jeune) mena pendant 17 ans à travers le pays javanais. Cette rébellion armée prit fin en 1757, l’année de ses 31 ans, lorsqu’il obtint d’établir sa cour à Surakarta. Cette branche dynastique reconnue comme semi-indépendante, dut néanmoins prêter allégeance à Pakubuwana III, son cadet de cinq ans (p. 199).

3Les onze chapitres chronologiques de l’ouvrage sont ainsi organisés selon ces deux grands moments de la vie du prince. La première partie, intitulée « Youth and War » (chap. 1 à 6), correspond à la jeunesse de Mangkunegara à la cour de Kartasura, puis son entrée en rébellion alors qu’il n’avait que 16 ou 17 ans. On le voit ainsi traverser la guerre « chinoise » de 1740-1743, le pillage et le sac de Kartasura en 1742 et la troisième guerre de succession javanaise, à laquelle l’auteur consacre quatre chapitres sur six. Dans la seconde partie de l’ouvrage, « War by Other Means », il est question de la période plus pacifique qui suit son installation à Surakarta mais aussi des « guerres » diplomatiques qui s’ensuivirent (chap. 7 à 10). L’auteur montre en effet que cette deuxième période ne fut pas une période moins troublée, l’existence des cours tenant à un équilibre politique fragile. Cet équilibre reposait encore beaucoup sur l’intercession de la VOC, elle-même vivant ses dernières années d’existence avant sa banqueroute à la fin du siècle. Grâce à d’habiles manœuvres diplomatiques et profitant de la perte de faveur de son rival, le prince héritier Pakubuwana IV, Mangkunegara, habile diplomate, sut encore une fois faire évoluer cette situation à son avantage. Il réussit à la fin de sa vie à garantir, à lui-même et à sa descendance, une rente annuelle de 4 000 réaux versée par la VOC contre son allégeance « indestructible » à la cour de Surakarta (p. 309). C’est aussi dans cette seconde partie du livre que Merle Ricklefs offre une analyse fine des aspects culturels en jeu, notamment des arts de cour et de la littérature dans l’établissement de cette nouvelle cour. Les thèmes religieux (religion et piété) et des sciences occultes sont développés dans un autre chapitre, du fait de leur rôle dans la fondation de cette nouvelle lignée royale.

4Enfin, l’auteur clôt son ouvrage par un chapitre sur le destin de la maison Mangkunegaran, jusqu’au règne de Mangkunegara VIII (r. 1944-87) qui vit péricliter la maison princière, dépossédée de l’ensemble de ses terres. L’auteur montre comment cette lignée manqua d’appliquer les leçons de son père fondateur qui avait su, au moment opportun, adapter sa politique vis-à-vis de la VOC, pourtant son ennemie, et faire alliance avec elle pour se protéger de Pakubuwana IV nouvellement monté sur le trône. L’auteur insiste sur la nuance qui échappa vraisemblablement aux successeurs : cette alliance stratégique de Mangkunegara I n’était pas fondée sur l’affect, mais sur la « realpolitik » (p. 336). Cette nuance est de taille puisqu’on apprend que tous les souverains suivants resteront fidèles aux Néerlandais (et aux Japonais sous l’occupation) jusqu’au moment des indépendances. Cette fidélité aux Néerlandais, sorte de ligne de conduite qu’elle s’imposa, mena pourtant la maison de Mangkunegara à sa perte, en 1945, lorsque la Révolution Indonésienne éclata. D’autre part, Merle Ricklefs montre comment les générations de souverains successifs participèrent également à creuser un fossé entre, d’une part, les élites aristocratiques de mouvance traditionaliste (adeptes de la « synthèse mystique ») dont elle faisait partie, et d’un autre côté, la population et les nouveaux mouvements réformistes musulmans pour lesquels elle n’avait que du mépris.

5C’est un travail considérable que Merle Ricklefs a déployé dans cet ouvrage, que l’on pourrait qualifier de tour de force, compte tenu de la complexité et la variété des sources utilisées, tant javanaises que néerlandaises. Toujours soucieux de leur fiabilité, il croise systématiquement les points de vue, comme il le fait dans ses ouvrages précédents. Les faits relatés dans la Babad Tutur rédigée à la cour de Mangkunegara et l’autobiographie de ce dernier sont comparés aux récits des mêmes événements dans les chroniques des autres cours (Babad Mangkubumi, Babad Giyanti, Babad Kraton et la fameuse Babad Tanah Jawi), elles-mêmes comparées à un corpus de correspondances et de rapports néerlandais. Il invite également le lecteur à interroger à la fois les intentions politiques mais aussi personnelles de chacun de leurs auteurs. On apprendra, par exemple, à exploiter avec beaucoup de prudence les récits des résidents de Surakarta comme « l’infâme » Andries Hartsinck, ou son successeur J. Fr. Baron Van Reede tot de Parkeler, qui était « vraisemblablement parmi les personnes les plus corrompues qui servirent auprès de la Compagnie, un rang qui exigeait une malhonnêteté véritablement colossale » (p. 305). Enfin, outre les qualités documentaires de cet ouvrage, qui servira sans aucun doute longtemps de modèle à des générations d’historiens, il faut saluer les qualités littéraires du récit. Il se lit comme un roman historique captivant, dont les protagonistes javanais et néerlandais, aux portraits aussi justes que colorés, sont souvent dépeints avec un humour que l’on doit autant aux auteurs javanais qu’à leur éminent biographe.

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Pour citer cet article

Référence papier

Hélène Njoto, « M.C. Ricklefs, Soul Catcher : Java’s Fiery Prince Mangkunagara I, 1726–95 »Archipel, 98 | 2019, 247-249.

Référence électronique

Hélène Njoto, « M.C. Ricklefs, Soul Catcher : Java’s Fiery Prince Mangkunagara I, 1726–95 »Archipel [En ligne], 98 | 2019, mis en ligne le 11 décembre 2019, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archipel/1422 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archipel.1422

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Auteur

Hélène Njoto

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Droits d’auteur

CC-BY-ND-4.0

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