La législation sur le blasphème et le rétrécissement progressif du champ de la liberté religieuse en Indonésie depuis 1965
Résumés
La liberté de religion et de croyance est garantie en Indonésie par l’article 28 de la Constitution de 1945. Cette liberté a pourtant été restreinte par la loi anti-blasphème de 1965, à l’origine de l’article 156a du Code pénal. En mentionnant explicitement que les courants de croyances (aliran kepercayaan) mettent à mal l’unité nationale et portent atteinte aux religions professées par la majorité des Indonésiens, à savoir l’islam, le protestantisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme, la loi de 1965 a conduit à leur marginalisation et à des traitements discriminatoires. L’élargissement progressif de son champ d’application a par la suite conféré à chaque religion reconnue la possibilité d’exercer des pressions sur tout mouvement minoritaire s’écartant de l’orthodoxie définie par leurs autorités. Limitée par l’Etat sous l’Ordre nouveau, cette tendance s’est accélérée avec la Reformasi du fait de la pression exercée par les mouvements islamistes militants.
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- 1 Enseignant-chercheur à l’Université islamique d’État de Sulthan Thaha Saifuddin de Jambi, Indonésie
- 2 Pour un tableau général de ces conflits, voir Gerry van Klinken, Communal Violence and Democratizat (...)
- 3 Voir par exemple les deux premiers rapports annuels sur la liberté religieuse publiés par le Setara (...)
- 4 Pour en savoir plus cette affaire, on se reportera à Rémy Madinier, « Le gouverneur, la sourate et (...)
- 5 Voir Melissa Crouch, Law and Religion in Indonesia: Conflict and the Courts in West Java, London, N (...)
11Les questions relatives à l’harmonie et à la tolérance religieuse sont régulièrement source de vifs débats au sein de la société indonésienne, plus particulièrement depuis la chute du régime autoritaire du général Suharto, en 1998. Cela est principalement dû à l’émergence d’un fondamentalisme islamique qui a conduit à une montée des discriminations fondées sur la religion et à des violences à travers le pays. Après deux années de conflits sanglants (1999-2000) qui ont opposé musulmans et chrétiens dans l’Est de l’Indonésie, notamment à Ambon dans l’archipel des Moluques2, les mouvements religieux minoritaires ont été régulièrement les cibles de ces violences. Ces agressions et persécutions se voient avant tout justifiées par la lutte contre l’hérésie et le blasphème3. La diffusion dans les médias de paroles, d’écrits ou d’images jugés injurieux ou diffamatoires envers une religion entraîne régulièrement la fureur et la violence de certains croyants contre leurs auteurs. La mobilisation ayant conduit à la condamnation de l’ancien gouverneur de Jakarta (2014-2017), Basuki Cahaya Purnama alias Ahok, en constitue, à ce jour, l’exemple le plus saillant4. Le gouvernement et de nombreuses organisations non gouvernementales s’efforcent de promouvoir l’harmonie religieuse en Indonésie. Mais la présence de groupes religieux radicaux combinée à celle de règlements considérés comme contraires à l’esprit d’un pays démocratique constituent un réel obstacle à ces politiques de tolérance. Au premier rang de ces textes dont l’application pose problème figurent les dispositions anti-blasphème de 1965. Plusieurs études leur ont été consacrées, soit dans le cadre d’une analyse des politiques religieuses étatiques, soit à propos d’une affaire particulière5. Notre propos est ici plus large, puisqu’il vise à montrer comment la genèse politique de cette législation, marquée par l’anticommunisme, a conduit à un élargissement progressif de son champ d’application, au mépris de la hiérarchie des normes et des garanties constitutionnelles relatives à la liberté religieuse.
Le contexte politique, social et religieux de la naissance du décret de 1965
- 6 Pour en savoir plus sur l’évolution du terme « blasphème », voir entre autres, Alain Cabantous, His (...)
- 7 Le Code pénal des Indes néerlandaises est très largement inspiré du Code pénal néerlandais de 1881, (...)
- 8 Sur ces affaires voir Deliar Noer, The Modernist Muslim Movement in Indonesia, 1900-1942, 2nd éd., (...)
- 9 Sur les raisons de la modification du Code pénal néerlandais, en particulier au sujet du blasphème, (...)
- 10 Jusqu’à l’année 1968, on ne compta que neuf condamnations et trois suspensions basées sur la mise e (...)
2Le blasphème désigne toute atteinte aux symboles considérés comme sacrés dans une religion6. Durant la période coloniale, malgré l’absence de mention spécifique du délit de blasphème dans le Code pénal des Indes néerlandaises (Wetboek van Strafrecht voor Nederlandsch-Indie, WvSNI)7, le gouvernement dut intervenir à plusieurs reprises pour répondre à la mobilisation d’organisations musulmanes. Dans les affaires Djawi Hisworo (1918), Ten Berge (1931), Hoakiao (1931), Bangun (1937), Land en Volkenkunde, et TOEN en NU (1939), il adopta, au nom du maintien de l’ordre public, des mesures limitant la diffusion des publications incriminées8. L’indifférence du gouvernement colonial à l’égard de la notion de blasphème était donc toute relative. Aux Pays-Bas deux articles relatifs à la diffamation en matière de religion (147a et 429bis) furent d’ailleurs ajoutés au Code pénal en 1932. Cette modification avait pour but de protéger les chrétiens contre une campagne « antireligieuse » lancée par les milieux communistes dans les années 19209. L’atteinte au sentiment religieux, le dénigrement intentionnel, les railleries sur la Bible, le Christ ou la Sainte Trinité, par la diffusion d’écrits ou d’images devinrent passibles de deux mois de prison et d’une amende de deuxième catégorie10. Ces mesures ne furent cependant pas transposées dans la colonie avant la guerre.
- 11 « Santri » et « abangan » sont les catégories popularisées par l’anthropologue américain Clifford G (...)
- 12 L’article 29 (§2) stipule que « l’État garantit à chacun la liberté de professer une religion et de (...)
- 13 En 1953, le ministère des Religions publia pour la première fois la liste des courants de croyance (...)
3Après l’indépendance de l’Indonésie, plusieurs affaires de blasphèmes éclatèrent au début des années 1950. Liées à l’affrontement idéologique entre partis musulmans (Masjumi et Nahdlatul Ulama) et Parti Communiste (PKI), elles témoignaient de la radicalisation de l’opposition entre santri et abangan au sein de la communauté musulmane11. Soutenus par le PKI, les abangan souhaitaient voir mise en œuvre une totale liberté de religion et de croyance, telle qu’inscrite dans l’article 29 de la Constitution de 194512. L’essor, durant cette même période, de courants mystiques javanais ou de groupes religieux se présentant comme des religions « indigènes » était un motif d’inquiétude supplémentaire pour les organisations musulmanes qui enjoignirent le gouvernement central à prendre les mesures nécessaires pour les surveiller et, si possible, les interdire13.
- 14 Ce Comité interministériel fut inauguré officiellement le 8 octobre 1945 et présidé par R.H.K. Sost (...)
- 15 Ibid. Cf. Soedjatmiko, Tugas Pengawasan Aliran Kepercayaan Masyarakat, Jakarta, Proyek Inventarisas (...)
- 16 « Laporan Pertama Panitia Interdepartemental Pengawas Aliran Kepercayaan Masyarakat », ANRI, « Sekr (...)
- 17 « Laporan Kedua Panitia Interdepartemental Pengawas Aliran Kepercayaan Masyarakat », ANRI, « Sekret (...)
- 18 Le Conseil provisoire des représentants du peuple a été actif du 16 août 1950 au 26 mars 1956, puis (...)
- 19 Voir Rahmat Subagya, Kepercayaan Kebatinan Kerohaniaan Kejiwaan dan Agama, Yogyakarta, Penerbit Kan (...)
4Pour répondre à ces demandes, le Premier ministre Ali Sastroamidjojo créa, en 1954, un Comité interministériel de surveillance des courants de croyances spirituelles dans la société (Panitia Inter-Departemen Pengawas Aliran Kepercayaan Masyarakat, Interdep-Pakem)14. On lui confia la tâche d’étudier ces communautés et de proposer des mesures juridiques permettant au gouvernement de restreindre voire d’interdire les pratiques jugées problématiques15. Le premier rapport de l’Interdep-Pakem confirma l’ampleur du phénomène. Il recensa 286 courants de croyances spirituelles au début de l’année 1955, principalement à Java16. Le second rapport, daté de septembre 1956, en dénombra 375 dans tout l’Archipel17. Pour entraver l’essor de ces mouvements, le ministère des Religions s’efforça, dans un premier temps, de définir juridiquement la religion. Sur proposition de Muhammad Dimyati, l’un des membres du Conseil provisoire des représentants du peuple (Dewan Perwakilan Rakyat Sementara, DPRS)18, il imposa, dès 1953, plusieurs critères auxquels les mouvements religieux devaient se conformer pour être reconnus : une théologie strictement monothéiste (conformément au principe de la croyance en un Dieu unique inscrit dans l’article 29 (§1) de la Constitution de 1945), un Prophète, un Livre sacré ainsi qu’une reconnaissance internationale19. Lorsqu’une religion ou une croyance ne pouvait satisfaire à ces conditions, le ministère des Religions la rangeait dans la catégorie aliran kepercayaan, devant faire l’objet d’une surveillance et pouvant être interdite. Dans les années qui suivirent, plusieurs religions ou croyances autres que l’islam et le christianisme, tentèrent alors de redéfinir leur doctrine, afin de répondre au critère de monothéisme. L’hindouisme, jusque-là connu comme la religion « Bali Hindu », le bouddhisme, le confucianisme y parvinrent au prix de quelques acrobaties théologiques et furent, dès lors, reconnues comme « vraies religions ».
- 20 Sur ce courant mystique, voir Abdul Rozak, Teologi Kebatinan Sunda: Kajian Antropologi Agama tentan (...)
- 21 « Isa Anshary Bertanya : Benarkah Pemimpin-pemimpin Permai telah Hina Agama Islam dalam Rapat Umum (...)
- 22 « Pemerintah Harus Adil Hadapi Soal-soal yang Ada Hubungannya dengan Agama Islam », Abadi, 27 novem (...)
- 23 ANRI, « Sekretariat Kabinet Perdana Menteri 1950-1959 », n° 1837. Depuis son entrée en vigueur en 1 (...)
5À l’approche des premières élections générales de 1955, les tensions entre sympathisants des partis politiques musulmans et ceux des partis politiques non confessionnels s’accrurent. Lors d’une assemblée, réunie en septembre 1953 à Kemayoran (Jakarta), pour la commémoration du 26e anniversaire de l’Union populaire marhaeniste d’Indonésie (Persatuan Rakyat Marhaen Indonesia, Permai), l’un de ses dirigeants, Mei Kartawinata, fondateur et leader du courant mystique Perjalanan ainsi que d’une nouvelle « religion du Pancasila », prononça une allocution dans laquelle il affirmait, sans trop s’embarrasser de contradictions, que le Prophète Mahomet était un personnage fictif et un menteur20. Le Coran, ajoutait-il, n’était qu’une absurdité dont les enseignements étaient inacceptables pour les Indonésiens. Mei Kartawinata prétendait également que tous les kyai, oulémas et autres dirigeants musulmans, étaient des suppôts de la colonisation, promouvant une religion étrangère à l’Indonésie. Pour lui, il n’était pas nécessaire d’adhérer à une religion étrangère, particulièrement l’islam, car « nous avons déjà une religion ancestrale, la religion Kuring qui nous enseigne que Dieu est la force se trouvant dans notre âme »21. Ces déclarations suscitèrent des réactions outrées au sein de la communauté musulmane : l’Ansor (le mouvement de jeunesse du NU) et les oulémas de Sumatra Centre exigèrent du procureur général la mise en accusation du blasphémateur22. Mais, faute de réglementation adéquate, le magistrat avoua son impuissance et suggéra au gouvernement d’élargir l’interprétation de l’article 156 du Code pénal à toute expression de haine ou d’hostilité envers la doctrine ou les symboles d’une religion 23.
- 24 Fondé en novembre 1945, le BTI était une organisation liée au Parti communiste indonésien. En 1955, (...)
- 25 Voir « NU Minta Tinjau Kembali Putusan Pengadilan Cilacap Mengenai Perkara Menginjak-injak Kitab Su (...)
6À la fin du mois d’avril 1961, le ministre des Religions, Wahib Wahab, annonça qu’une loi relative au délit d’insulte à la religion était en cours d’élaboration. Dans le contexte très tendu du début des années 1960, les affaires de blasphème à connotation politique se multiplièrent. En avril 1964, par exemple, dans le village de Rungkang (district de Brebes), un membre du Front des paysans d’Indonésie (Barisan Tani Indonesia, BTI) et trois autres personnes furent accusées d’avoir insulté le Coran en le déchirant et en le jetant à terre24. Quelques semaines plus tard, à Cigugur (Java Ouest), un fidèle du courant Religion de Madrais (Agama Madrais) jeta et piétina le livre saint. Arrêtés, les auteurs de ces profanations furent les premiers à être condamnés pour des actes de blasphème sur la base de l’article 156 du Code pénal à des peines allant de deux à quatre ans et demi de prison25.
- 26 « Resolusi Seminar Hukum Nasional 1963 » in 20 Tahun Indonesia Merkeda, dans Departemen Penerangan, (...)
- 27 ANRI, « Dokumen Ruslan Abdul Gani », n° 1238 et 1413.
- 28 « Pernyataan Bersama Partai-Partai dan Ormas Islam », Antara, 18 mars 1965. Voir aussi Jeremy M. Me (...)
- 29 « Mulai Dikibarkan untuk Laksanakan Panji dan Patakan Dep. Agama, Penpres n° 1 Tahun 1965 », Duta M (...)
7Entre-temps, en mars 1963, le premier séminaire sur la législation nationale indonésienne, rassemblant d’éminents juristes, apporta son soutien au projet du ministre des Religions d’une loi-cadre relative aux religions (Undang-Undang Pokok Agama)26. Le 12 mars 1964, une première version du texte fut finalisée et envoyée à onze ministres pour recueillir leurs conseils ou commentaires27. Aucune modification n’ayant été proposée, le texte fut publié par décret présidentiel, le 27 janvier 1965, à la grande satisfaction des organisations islamiques qui apportèrent alors leur soutien à la Konfrontasi avec la Malaisie28. À la suite de la publication du décret, le ministre des Religions, Saifuddin Zuhri, déclara que ceux qui proclamaient que la religion était une affaire personnelle étaient en désaccord avec l’esprit de la révolution conduite par le commandant suprême Soekarno29.
Les dispositions du décret présidentiel de 1965
- 30 Voir le texte du décret en annexe. Dans presque tous les textes juridiques indonésiens, on trouve d (...)
8Le contenu du décret présidentiel de 1965 sur le blasphème est très bref : il n’est composé que de quatre articles avec leurs explications respectives30. L’article premier porte sur les types d’infractions et les modes d’expression prohibés, mais ne comporte ni définition, ni critères clairs relatifs aux termes employés « d’abus en matière de religion » (penyalahgunaan agama) et de « blasphème » (penodaan agama). Cet article premier prévoit l’interdiction de exprimer volontairement, d’encourager ou de solliciter le soutien du public en faveur d’interprétations religieuses et d'activités cultuelles qui détournent les principales doctrines et enseignements des autorités des religions pratiquées par les Indonésiens. Les religions mentionnées par le décret sont l’islam, le protestantisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme, qui voient ainsi consacré leur statut de religions « reconnues ». Elles seules bénéficieront désormais des mesures de protection prévues par l’article 29 §2 de la Constitution de 1945 qui dispose que « l’État garantit à chacun la liberté de professer sa propre religion et de pratiquer sa religion ou sa croyance ». À l’inverse, en pénalisant « l’abus en matière de religion », le décret vise à entraver l’essor des aliran kepercayaan en les séparant nettement de la catégorie précédente. Il leur est désormais interdit de se désigner sous le terme de « religion » (agama) ou d’utiliser des termes religieux dans leurs pratiques.
9Le décret confie expressément à plusieurs institutions le soin de mettre en œuvre ces dispositions. Son article 2 §1 précise ainsi que « Quiconque enfreint les dispositions de l'article (1) sera sommé solennellement de cesser ses agissements, par un décret conjoint du ministre des Affaires Religieuses, du ministre/Procureur Général et du ministre de l'Intérieur ». De plus, comme stipulé dans l’alinéa §2 : « Si l'infraction mentionnée à l'alinéa (1) a été commise par une organisation ou un courant de croyances, le Président de la République d'Indonésie peut dissoudre l'organisation et frapper d'interdiction cette organisation ou ce courant de croyance, mesures prises après avis du ministre des Affaires Religieuses, du ministre/Procureur Général et du ministre de l'Intérieur. ». Une sanction pénale peut être appliquée à l’encontre de quiconque persiste à enfreindre la disposition décrite ci-dessus, malgré les avertissements prévus dans le cadre de l’article 2. Ainsi, l’article 3 du décret dispose que « Les personnes, fidèles, membres et/ou dirigeants de l'organisation concernée [et/ou] de ce courant seront condamnés à une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans ». En ce qui concerne la sanction pénale, l’article 4 du décret prévoit d’ajouter un nouvel article au Code pénal (article 156a) :
« Sera condamné à une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans quiconque aura volontairement et publiquement exprimé des sentiments ou commis des actes:
a. essentiellement hostiles, abusifs ou blasphématoires à l'encontre d'une religion professée en Indonésie;
b. dans l'intention de faire en sorte que l'on n'adhère à aucune religion fondée sur le principe d'un Dieu unique. »
10Depuis 1965, il existe donc dans le droit indonésien quatre infractions relatives aux atteintes contre les religions. Les deux premières, mentionnées dans le titre du décret sont l’abus en matière de religion et le blasphème. Les deux autres sont l’hostilité aux religions et toute action incitant la population à n’adhérer à aucune des religions fondées sur le principe d’un Dieu unique. L’infraction n’est toutefois caractérisée qu’en cas d’intention hostile ou outrageante envers la religion. De ce fait, les commentaires écrits ou oraux effectués de façon objective et scientifique, sans emploi de termes hostiles ou méprisants ne peuvent être sanctionnés.
11Le dispositif prévu par le décret présidentiel de 1965 est donc relativement confus : la cohérence entre son titre et les actes principaux prohibés dans son article premier n’a rien d’évident. Ce sont à priori les interprétations déviantes ou les activités enfreignant les enseignements reconnus par les autorités religieuses concernées qui constituent la notion d’abus en matière religieuse et/ou de blasphème. Ceci confère de facto à ces autorités un pouvoir dans la définition des infractions, en particulier pour ce qui relève de la catégorie qualifiée, dans la tradition juridique du Moyen Âge, de « blasphème hérétique » qui remet en cause les articles de foi d’une religion.
Les aliran kepercayaan, entre restriction et reconnaissance
- 31 Le changement de statut juridique du décret présidentiel du 27 janvier 1965 en loi fit suite à la p (...)
- 32 Departemen Penerangan, « Pidato Kenegaraan Presiden Republik Indonesia di Depan Sidang DPR-GR pada (...)
- 33 Voir Departemen Agama, Peraturan Perundang-undangan Kehidupan Beragama, op. cit., p. 13‑180 ; R. E. (...)
12En 1969, le décret présidentiel de 1965 fut transformé en loi par l’Assemblée consultative du peuple (MPR)31. Sous l’égide du président Suharto, le régime de l’Ordre nouveau y recourut non seulement pour réprimer les actes jugés « injurieux » ou « diffamatoires » envers une religion mais aussi pour combattre les interprétations religieuses considérées comme « hétérodoxes ». La loi anti-blasphème de 1965 complétait deux décrets de l’Assemblée du Peuple Consultative Provisoire (MPRS) du 5 juillet 1966 : le décret n° XXV qui avait ordonné la dissolution du PKI et interdit le communisme, le marxisme et le léninisme ; le décret n° XXVII qui avait rendu les matières religieuses obligatoires dans tous les établissements d’enseignement, du primaire à l’université. Pour renforcer ces deux dispositions, le Président Suharto avait, lors de son premier discours devant le Conseil des représentants des peuples (DPR), encouragé le peuple indonésien à embrasser l’une des religions reconnues, afin de parer au risque d’un nouvel essor du PKI32. Dès lors, professer l’une de ces religions apparut comme le seul moyen d’éviter de subir la répression des groupes anticommunistes. Lors d’une rencontre entre communautés religieuses, organisée le 30 novembre 1969, le gouvernement proposa que le prosélytisme des religions reconnues soit orienté vers les aliran kepercayaan. Dans les années qui suivirent, ces derniers furent l’objet d’une surveillance constante. Durant les trois décennies de l’Ordre nouveau, plus de soixante-dix interdictions furent prononcées, au niveau national ou régional et un certain nombre de mouvements cessèrent d’eux-mêmes leurs activités après un premier avertissement du PAKEM33.
- 34 Cité dans Ahmad Baso, Islam Pascakolonial : Perselingkuhan Agama, Kolonialisme, dan Liberalisme, Ba (...)
- 35 Silvia Vignato, Au nom de l’hindouisme : reconfigurations ethniques chez les Tamouls et les Karo en (...)
- 36 Voir Heru Prasetia, « Masyarakat Adat Wet Semokan: di Tengah Ketegangan Ujaran dan Ajaran » in Hikm (...)
13La politique religieuse du gouvernement conduisit de très nombreux adeptes des aliran kepercayaan à se convertir à l’une des religions « reconnues » dont les représentants étaient souvent sollicités par les autorités. Le Directeur général du bureau en charge des populations hindo-bouddhistes (Bimas Hindu-Budha), se vit ainsi confier, en octobre 1966, un mandat de surveillance et d’évaluation de la communauté religieuse Toani Tolotang à Sidenreng Rappang, Célèbes Sud. Deux mois plus tard, cette communauté, désormais qualifiée d’Hindu Tolotang était considérée comme ayant été convertie à l’hindouisme balinais, bien que ses rites et pratiques différaient diamétralement de celui-ci34. En pays Toraja, la communauté Aluk To Dolo (litt. « religion des ancêtres ») qui résistait, depuis le début des années 1960, à la progression du christianisme et de l’islam fut à son tour considérée comme appartenant à la religion Hindu Bali, puis simplement Hindu. Dans la seconde moitié des années 1970, des membres de plusieurs ethnies dayaks de Kalimantan Centre, pratiquants du Kaharingan, furent également assimilés à l’hindouisme35. A la même époque, la communauté Samin à Pati (Java Centre) devint aussi la cible du prosélytisme des religions reconnues, tandis qu’à Lombok, la communauté du Sasak Wetutelu (littéralement « trois moments », sous-entendu de prières), tenant d’un islam local fut, elle, visée par les musulmans orthodoxes du Sasak Wetulima (cinq prières) 36.
- 37 Voir TAP MPR n° IV/MPR/1973, p. 26.
- 38 TAP MPR n° IV/MPR/1978, p. 36.
- 39 Voir, « Kepercayaan Tidak akan Masuk Departemen Agama », Kompas, 4 avril 1978.
- 40 Voir « la lettre n° B.VI/11215/1978 » dans Weinata Sairin, Himpunan Peraturan di Bidang Keagamaan, (...)
14Malgré ces difficultés, les aliran kepercayaan, et plus particulièrement les courants mystiques, étaient en constante progression, disparaissant puis renaissant par intermittence. Le gouvernement lui-même eut d’ailleurs une attitude ambiguë à leur égard : une collaboration s’instaura ainsi entre le Comité du congrès des courants mystiques d’Indonésie (Badan Kongres Kebatinan Indonesia, BKKI) et le Golkar et, en 1973, le terme kepercayaan (croyances) fut mentionné explicitement dans les Grandes lignes de la politique de l’État (Garis-garis Besar Haluan Negara, GBHN), malgré l’opposition des organisations musulmanes37. En 1978, le MPR décida de conserver cette mention dans la nouvelle mouture des Grandes lignes de la politique de l’État, mais précisa toutefois que la croyance en un Dieu unique n’était pas suffisante pour fonder une religion pleine et entière38. Le statut juridique des aliran kepercayaan demeura donc relativement marginal et le nouveau ministre des Religions, Alamsyah Ratu Perwiranegara, obtint que leur gestion soit transférée au ministère de l’Éducation et de la Culture39. En octobre de la même année, le ministre des Religions fit parvenir à tous les gouverneurs une circulaire interdisant l’emploi de termes de religion (agama), de mariage
(perkawinan), de serment de prise de fonction (sumpah jabatan) et d’enterrement (pemakaman) par les membres de ces courants spirituels, une disposition discriminatoire qui les priva de leurs droits civils et politiques pendant des années40.
- 41 La Décision présidentielle no 6 du 17 janvier 2000 révoque deux décisions de ses prédécesseurs : 1. (...)
15Avec la Reformasi, l’espoir revint au sein des courants spirituels, en particulier après la révocation, par le président Abdurrahman Wahid (octobre 1999 – 23 juillet 2001), de décrets limitant la liberté religieuse41. Ces espoirs furent déçus dans un premier temps : faute d’être reconnus par l’État en tant que religion, les aliran kepercayaan demeurent toujours considérés comme une menace et doivent faire l’objet d’une surveillance comme l’a confirmé l’article 30 §3 de la Loi n° 16 du 26 juillet 2004 sur les pouvoirs du parquet :
« En vue du maintien de l’ordre et de la sécurité publique, le parquet s’implique dans l’organisation des activités entre autres, […] c) la surveillance des courants de croyances menaçant la société et l’État ; b) la prévention des abus et de la diffamation en matière religieuse ».
- 42 Voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 97/PUU-XIV/2016 du 11 novembre 2017.
16Cependant, depuis novembre 2017, suite à une décision de la Cour constitutionnelle, les aliran kepercayaan sont autorisés à inscrire leur identité dans la colonne « religion », ce qui laisse entrevoir un changement de statut42.
La répression des mouvement religieux « dissidents » ou la criminalisation de l’hérésie
17L’une des dispositions importantes de l’article 1 de la loi anti-blasphème de 1965 est l’interdiction de proposer des interprétations contraires aux doctrines ou aux principaux enseignements des religions reconnues. Prévu à l’origine pour empêcher la diffusion des courants mystiques javanais ou des religions ancestrales, cet article fut ensuite de plus en plus souvent utilisé pour combattre des mouvements religieux minoritaires issus des religions reconnues. D’un point de vue religieux, ces mouvements sont considérés comme susceptibles de perturber la sérénité des diverses communautés religieuses. Dans une perspective politique, ils sont jugés menaçants pour la stabilité politique et la sécurité nationale. Le gouvernement, représenté par le parquet de la République, a donc un double rôle, celui de gardien de l’unité des religions et celui du maintien de l’ordre public. Mais le parquet n’a pas l’autorité pour décider de lui-même si un courant religieux est déviant ou non par rapport à l’une des religions reconnues et doit s’en remettre au jugement de leurs autorités respectives. Durant la période de l’Ordre nouveau, une vingtaine de mouvements religieux minoritaires à caractère islamique et cinq groupes issus du protestantisme furent interdits.
- 43 Sur l’histoire du mouvement, voir H. A. Walter, The Ahmadiya Movement, New Delhi, Manohar, 1991.
- 44 Martono, « Sejarah Singkat Perkembangan Jemaat Ahmadiyah di Indonesia selama 50 Tahun », Majalah Si (...)
- 45 Munasirsidik, Dasar-Dasar Hukum dan Legalitas Jemaat Ahmadiyah Indonesia, ibid., p. 22.
- 46 Voir Majelis Ulama Indonesia (ed.), Himpunan Fatwa Majelis Ulama Indonesia Sejak 1975, Jakarta, Pen (...)
- 47 Amin Djamaluddin, Ahmadiyah dan Pembajakan Al-Qur’an, Jakarta, LPPI, 2008, p. 90.
- 48 Ibid., p. 92-97.
18L’Ahmadiyya de Qadian fut l’un des groupes religieux ayant le plus souffert du zèle des partisans d’une stricte orthodoxie sunnite43. Présent en Indonésie depuis le milieu des années 1920, le mouvement obtint, en 1953, une reconnaissance du ministère de la Justice en tant qu’organisation de masse musulmane. Enregistré auprès du ministère des Religions depuis mars 1970 sous le nom de Communauté Ahmadi d’Indonésie (Jemaat Ahmadiyah Indonesia, JAI)44, il demeura pourtant en butte à l’hostilité des musulmans sunnites du pays45. Lors de la conférence internationale des organisations islamiques, organisée par la Ligue islamique mondiale à la Mecque du 6 au 10 avril 1974, l’Ahmadiyya fut considérée comme n’appartenant pas à l’islam pour les raisons suivantes : son fondateur affirmait être un prophète, il avait modifié certains passages du Coran et déclaré que le concept du jihad était désuet. Le 1er juin 1980, le Conseil des oulémas d’Indonésie (MUI) émit une fatwa désignant le JAI comme un courant dissident de l’islam et, en 1984, il demanda au gouvernement de modifier son statut46. Après cette fatwa du MUI, plusieurs parquets locaux publièrent des décrets interdisant l’Ahmadiyya dans leurs régions : ce fut notamment le cas à Selong, Lombok-Est (1983), Sidenreng Rappang, Célèbes Sud (1986), Sungai Penuh, Jambi (1989), Tarakan, Kalimantan Est (1989) et Medan, Sumatera Nord (1994)47. Au niveau national, une réunion du ministère de la Politique et de la Sureté de l’État, le 9 mai 1984, confirma que l’Ahmadiyya n’appartenait pas à l’islam, que ses publications devaient être interdites, et que le statut juridique octroyé par le ministère de la Justice en 1953 devait être réexaminé48.
- 49 Voir « Laporan kecemasan Warga Parung terhadap Ahmadiyah kepada Menteri Dalam Negeri », cité in ibi (...)
- 50 Jemaat Ahmadiyah, Bunga Rampai Sejarah Jemaat Ahmadiyah Indonesia (1925-2000), Bogor, Sekretariat J (...)
19Aux tracas juridiques succédèrent des violences physiques lorsque l’Ahmadiyya construisit un centre pédagogique connu sous le nom de « Kampus Mubarak », à Parung, Java-Ouest49. Malgré ces persécutions, l’Ahmadiyya continua à progresser dans certaines régions d’Indonésie, particulièrement durant les années 1990. En 2000, le JAI comptait 228 branches et 500 000 membres et en 2005, une nouvelle fatwa du MUI vint confirmer la condamnation de 198050.
- 51 Parmi les mouvements liés à l’islam on peut citer : Al-Qiyadah al-Islamiyah (un syncrétisme entre i (...)
20Loin de refluer après la chute de l’Ordre nouveau, la lutte contre les groupes religieux jugés « déviants » s’est élargie avec la Reformasi. En plus de la poursuite de la répression contre l’Ahmadiyya, plusieurs autres mouvements, certains issus de l’islam, d’autres du protestantisme ont été l’objet d’interdictions51. Fait nouveau, les poursuites judiciaires à l’encontre de leurs dirigeants s’appuient désormais de plus en plus souvent sur l’article 156a du Code pénal. Entre 1967 et 1998, cet article n’avait été utilisé que contre une trentaine de personnes, alors qu’entre 2000 et 2018, près de cent cinquante condamnations ont été prononcées sur cette base. Cette évolution traduit un élargissement du champ d’application de cet article : prévu pour réprimer des actes ou des propos blasphématoires ou diffamatoires contre une religion, il sert désormais à criminaliser des interprétations considérées comme déviantes par les autorités des religions reconnues. Sous la pression de certaines organisations musulmanes, ce n’est plus seulement le blasphème mais aussi l’hérésie qui est combattue par la justice de la République comme en témoignent deux affaires emblématiques.
- 52 Sur cette affaire, voir Andrée Feillard, « Du messianisme au dépassement de la « religion ». La voi (...)
- 53 Al Makin, Challenging Islamic Orthodoxy: Accounts of Lia Eden and Other Prophets in Indonesia, Swit (...)
- 54 Voir la fatwa du MUI n° Kep.-768/MUI/XII/1997 du 22 décembre 1997 dans Majelis Ulama Indonesia, Him (...)
- 55 Ibid., p. 39.
- 56 Ibid., p. 41.
- 57 Voir la décision du tribunal de Jakarta Centre n° 677/PID.B/ 2006/PN.Jkt.Pst le 29 juin 2006.
- 58 Al Makin, Challenging Islamic Orthodoxy, op. cit., p. 95‑96 et p. 112‑114.
21La première est celle de la communauté Salamullah, fondée en 1996 par une femme, Syamsuriati, plus tard connue sous les noms de Lia Aminuddin, Bunda Lia et Lia Eden52. Le mouvement était au départ relativement orthodoxe. Lia prêchait le tauhid (l’unicité divine), recommandait la pratique des cinq prières quotidiennes et soutenait l’authenticité du Coran53. Mais rapidement elle affirma être en contact avec l’archange Gabriel, ce qui lui valut une première mise en garde du MUI, en octobre 1997 54. Elle revendiqua par la suite le statut de prophétesse : appelée « Sa Majesté Mère Lia », elle se présentait comme la réincarnation de plusieurs figures majeures : la Vierge Marie, Jeanne d’Arc et Ève55. En 2000, elle se mit à parler directement au nom de Dieu et, l’année suivante, annonça son mariage avec l’archange Gabriel, tandis que son fils, Ahmad Mukti, était honoré comme l’incarnation de Jésus-Christ56. Elle entérina alors sa rupture avec l’islam à travers l’« édit de Gabriel » et revendiqua la fondation d’une nouvelle religion. Un village proche de Bogor (Java-Ouest) fut choisi comme centre et plusieurs dizaines de fidèles s’y installèrent. Des tensions surgirent rapidement avec les habitants du lieu : une pétition demanda le départ de Salamullah et, en mai 2001, la communauté fut attaquée et pillée par des centaines d’émeutiers. Les auteurs de l’attaque ne furent pas poursuivis par la justice et Lia se lança alors dans de violentes critiques, assorties de malédictions divines, à l’égard des autorités musulmanes et du gouvernement indonésien. En décembre 2005, elle proclama l’abolition de toutes les religions. De nouvelles émeutes eurent alors lieu, obligeant la police à évacuer une cinquantaine de membres de la secte. Lia fut placée en détention et déférée devant le tribunal de Jakarta Centre pour violation des articles 156a, 55 §1 (sur les actes hostiles) et 157 (incitation à la haine) du code pénal. En juin 2006, Lia Eden fut condamnée à deux années d’emprisonnement sur la base des deux premiers chefs d’accusation57. Son séjour en prison n’entama en rien ses convictions et dès sa libération, elle se remit à harceler les autorités à qui elle envoya plus d’un millier de lettres. De nouveau interpellée en décembre 2008, elle fut condamnée à deux ans et demi de prison, ce qui ne la convainquit en rien de modérer son discours58 .
- 59 Cet internat islamique a été fondé en 1997. Voir Lembaga Bantuan Hukum Malang, « Kriminalisasi Shal (...)
- 60 Sur la chronologie de ce mouvement, voir l’article de Paring Waluyo et Levi Riyansyah, « Pengawasan (...)
22L’article 156a n’est pas le seul instrument à la disposition des juges pour criminaliser les comportements considérés comme déviants en matière de religion. C’est ce que montre le cas de Muhammad Yusman Roy, responsable de l’internat islamique Pondok I’tikaf Jama’ah Ngaji Lelaku , Malang, Java Est59. Partant du constat que les Indonésiens capables de comprendre l’arabe sont rares, ce chrétien, converti à l’islam en 1975, décida, au début des années 2000, que les jeunes qui lui étaient confiés devaient certes apprendre l’écriture arabe pour lire le Coran et l’apprendre par cœur, mais qu’ils devaient aussi en comprendre la signification. C’est pourquoi il choisit, lors de la prière, de faire suivre la récitation des versets du Coran en arabe de leur traduction en indonésien60. Pour justifier cette pratique, il s’appuyait sur le verset quatre de la sourate Ibrahim (14) : « Et nous n’avons envoyé de Messager qu’avec la langue de son peuple, afin de les éclairer. Allah égare qui Il veut et guide qui Il veut. Et, c’est Lui le Tout Puissant, le Sage ».
23Ainsi que le verset 43 de la sourate an-Nisâ (4) : « Ô les croyants ! N’approchez pas de la Ṣalāt alors que vous êtes ivres jusqu’à ce que vous compreniez ce que vous dites, […] ».
- 61 Ibid., p. 144.
- 62 Voir la fatwa du MUI de la région de Malang no Kep.02/SKF/MUI/KAB/I/2004 sur « la diffusion d’un en (...)
- 63 Voir la fatwa du MUI de la province de Java Est n° Kep-13/SKF/MUI/TTM/II/2005 sur la traduction qui (...)
- 64 La Commission nationale des droits de l’homme, par le biais de la lettre n° 258/K/SIPOL/IV/ du 26 a (...)
- 65 Voir « Java-Est : le responsable d’une école coranique suscite une controverse pour avoir traduit e (...)
- 66 « Yusman Roy Resmi Jadi Tersangka Penodaan Agama », Kompas, 9 mai 2005.
- 67 Voir la décision du Haut tribunal de Surabaya n° 361/PID/2005/PT.SBY du 22 novembre 2005 et l’arrêt (...)
24En novembre 2002, Yusman Roy publia un pamphlet intitulé « le point de vue du Coran sur les oulémas et les kyai qui guident la prière collective » (Pandangan al-Qur’an tentang Poro Ulama dan Kiai yang sedang Mengimami Shalat Berjamaah), selon lequel les oulémas qui ne traduisaient pas les prières en indonésien, lorsqu’ils sont imam de la prière collective, seront maudits61. Distribué dans les rues de Malang, ce texte et d’autres libelles, provoquèrent de violentes réactions. En janvier 2004, la section locale du MUI émit une fatwa condamnant la récitation des prières rituelles dans une autre langue que l’arabe, s’appuyant sur un hadith : « Priez comme vous m’avez vu prier »62. Un an plus tard, le MUI de Java Est dénonça à son tour ces prières comme « innovations blâmables » (bidat) et les membres de la communauté de l’internat I’tikaf Nagji Lelaku comme « pécheurs » (fâsiq)63. Les fatwas n’étant que des avis, elles ne pouvaient servir de base légale à des condamnations mais elles justifièrent, dans ce cas comme dans d’autres, les actions violentes de certains groupes, gardiens autoproclamés de l’orthopraxie. Considérant que le MUI l’avait discrédité, Yusman Roy annonça son intention de contester la fatwa devant le tribunal et de déposer une plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme64. Le prédicateur reçut d’ailleurs le soutien de personnalités comme l’ancien président Abdurahman Wahid, dont la compétence en tant qu’expert de la jurisprudence islamique (fiqh) était reconnue. Ce dernier déclara que l’usage des langues locales dans la prière était une question ouverte au débat et il reprochait aux oulémas du MUI d’avoir délivré leur fatwa sans avoir réellement réfléchi au problème65. En mai 2005, le procureur ordonna la fermeture de l’internat de l’I’tikaf Ngaji Lelaku et inculpa Yusman Roy sur la base des articles 156a (sur le blasphème) et 157 (relatif aux propos haineux) du Code pénal. Au motif d’assurer sa protection, l’accusé fut alors arrêté66. Durant son procès, Ulil Absar Abdallah, dirigeant du Réseau de l’islam libéral (Jaringan Islam Liberal, JIL), vint confirmer devant les juges les propos d’Abdurahman Wahid : l’accusé ne pouvait être qualifié d’hérétique dans la mesure où la pratique de la prière demeurait débattue (ikhtilaf) parmi les savants musulmans. Yusman Roy fut finalement condamné à deux années d’emprisonnement, non pour avoir blasphémé, mais au titre du seul article 157 du Code pénal, pour incitation à la haine, peine confirmée en appel puis en cassation67.
L’échec du recours contre la loi anti-blasphème devant la Cour constitutionnelle
- 68 Voir leur requête dans Tim Advokasi Kebebasan Beragama, « Permohonan Pengujian Materiil Undang-Unda (...)
25En octobre 2009, des organisations non gouvernementales, inquiètes de l’évolution récente de la liberté religieuse en Indonésie, contestèrent la constitutionnalité de la loi anti-blasphème de 1965. Connu sous le nom d’« Équipe pour la défense de la liberté religieuse » (Tim Advokasi Kebebasan Beragama), un collectif d’avocats déposa un recours auprès de la Cour constitutionnelle afin d’annuler ou tout au moins de réviser cette législation68. Ils considéraient que la loi anti-blasphème de 1965, issue du décret présidentiel n° 1 du 27 janvier 1965 n’était pas compatible avec la récente révision de la Constitution de 1945 qui reconnaissait explicitement les valeurs démocratiques et les droits de l’homme. La loi violait, selon eux, les principes de certitude juridique et d’égalité de traitement devant la loi, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression, ainsi que l’interdiction de tout traitement discriminatoire.
- 69 Voir Risalah Sidang XIII, décision de la Cour constitutionnelle n° 140/PUU-VII/2009 (19 avril 2010) (...)
26Durant le procès dont les treize audiences se tinrent entre novembre 2009 et avril 2010, trois groupes de témoins et d’experts, aux buts et aux arguments différents se succédèrent à la barre. Le premier était opposé à la révocation du texte, le second était favorable à cette option et le troisième penchait pour le maintien de la loi avec quelques révisions. Après des mois de débats parfois houleux, marqués par de nombreuses manifestations d’islamistes radicaux, la Cour constitutionnelle, dirigée par Moh. Mahfud, rejeta le 19 avril 2010, la requête en annulation. La Cour ne retint pas l’argument de la restriction de la liberté religieuse. S’agissant de l’interdiction des interprétations déviantes, elle considéra que, si la liberté de croire ne pouvait être limitée par la loi dans le for intérieur (forum internum), son expression dans le for extérieur (forum externum) pouvait l’être conformément à la Constitution de 194569.
- 70 Ibid., p. 74.
27S’agissant des six religions mentionnées dans la loi anti-blasphème, la Cour constitutionnelle affirma que leur mention n’avait pas pour objet de définir les religions reconnues ou officielles de l’État ni de limiter la liberté des autres religions et croyances. L’existence du judaïsme, du zoroastrisme et du taoïsme était ainsi, selon la Cour, également garantie par l’État en vertu de l’article 29 §2 de la Constitution de 1945. La mention de six religions pratiquées par des Indonésiens n’était rien de plus qu’une reconnaissance factuelle et sociologique au moment où cette loi avait été édictée70. En d’autres termes, la Cour constitutionnelle affirma que la protection de l’État n’était pas exclusivement réservée aux religions dont l’existence était reconnue par l’administration du ministère des Religions.
- 71 Ibid., p. 88.
28Concernant l’explication de l’article 1 de la loi, portant sur les courants de croyances, la Cour constitutionnelle la considéra comme fondée en droit dans la mesure où elle n’avait pas pour objectif de les interdire, mais de les orienter vers une vision plus salutaire du principe de la croyance en un dieu unique. La Cour souligna que les fidèles des aliran kepercayaan étaient des citoyens jouissant des droits et devoirs relatifs à leur croyance tels que garantis par l’article 28E §2 de la Constitution. En somme, pour la Cour, le problème principal de la loi anti-blasphème ne relevait pas de sa constitutionnalité mais de son application. Les traitements discriminatoires à l’encontre des fidèles de courants religieux minoritaires relevaient, selon elle, d’erreurs administratives, indépendamment de toute contradiction entre la loi et la Constitution. La formulation de l’article premier de la loi, interdisant la publication d’interprétations déviantes des doctrines de religions reconnues en Indonésie, était une mesure préventive légitime destinée à prévenir les conflits au sein de la société. En conclusion de son arrêt, la Cour invitait toutefois le législateur à préciser la loi, afin de clarifier les conditions de son application et éviter les erreurs d’interprétation mais elle ne conditionna pas la constitutionnalité de la loi à cette révision, laissée à l’appréciation de l’exécutif et du législatif71.
- 72 Voir la chronologie de cette tragédie dans Kontras, Negara Tak Kunjung Terusik : Laporan Hak Asasi (...)
- 73 « Terusir Entah Sampai Kapan », Gatra, 7 mars 2012, p. 31-32.
29Le gouvernement et les groupes religieux reconnus partageant le même point de vue quant aux interprétations « déviantes » ou aux formes d’expression pouvant être considérées comme des critiques envers l’une des religions reconnues, cette dernière recommandation de la Cour est demeurée lettre morte. Depuis 2010, la lutte contre le blasphème et l’hérésie se poursuit au gré des indignations populaires et, le plus souvent, en dehors de tout cadre légal. L’Ahmadiyya en demeure la cible principale. Le 6 février 2011, par exemple, un millier de villageois d’Umbulan, dans la province de Banten, armés de pierres, de bâtons et de machettes, attaquèrent et incendièrent une maison où se réunissaient neuf membres de l’Ahmadiyya. Trois ahmadis perdirent la vie et cinq autres furent grièvement blessés. Pour des raisons de sécurité et pour éviter la poursuite des violences, 25 membres de la communauté furent évacués par les forces de l’ordre qui étaient demeurées inactives jusque-là72. Leur retour dans leur propre village est désormais soumis aux conditions posées par le MUI local : renoncer à leur croyance pour se conformer à l’orthodoxie sunnite et se reconvertir au « vrai islam »73.
- 74 « Anarki Agama Berbalut Cinta », Gatra, 11 Januari 2012, p. 20-21.
- 75 « Syiah Sampang Berdarah », Gatra, 5 septembre 2012, p. 82-85.
- 76 Le texte complet de cette fatwa est disponible sur http://www.tanyasyiah.com/2014/02/fatwa-mui-jati (...)
- 77 Arrêt de la Cour d’appel de Java Est n° 481/Pid/2012/PT.Sby du 10 septembre 2012 ; Arrêt de la Cour (...)
30En 2011 et 2012, des attaques visèrent la communauté chiite du village de Karang Gayam, proche de Sampang (Madura). La première, en décembre 2011, fut perpétrée par quelque 500 villageois et obligea les chiites à s’installer dans un gymnase à Sampang74. Ils purent rentrer chez eux quelques semaines plus tard, mais une nouvelle attaque eut lieu en août 2012, une semaine après la fête de l’Aïd-el-Fitr. Plusieurs maisons furent brûlées, un chiite perdit la vie et un autre fut grièvement blessé75. Entre les deux agressions, l’intervention du MUI avait conféré une légitimité religieuse aux assaillants : en janvier 2012, une fatwa de la branche locale du MUI de Sampang qualifia les enseignements de Tajul Muluk, le responsable de la communauté chiite locale, de « déviants » et de « trompeurs ». Ce premier avis fut confirmé, quelques jours plus tard, par une seconde fatwa, émanant cette fois du MUI de Java Est, qui demanda aux autorités d’adopter une attitude plus ferme à l’égard des chiites et recommanda aux instances nationales du MUI de condamner l’ensemble de ce mouvement religieux pour déviance76. Cette demande demeura sans suite mais, accusé par son propre frère de déviance religieuse, Tajul Muluk passa en jugement en janvier 2012. Condamné à deux ans de prison par le tribunal de Sampang, il fit appel de la sentence, au motif que la procédure prescrite par la loi de 1965 prévoyant un avertissement par un décret ministériel conjoint n’avait pas été suivie. La Cour d’appel de Surabaya confirma cependant sa culpabilité et alourdit même sa peine à quatre années d’emprisonnement, une sentence confirmée en cassation un an plus tard 77.
- 78 http://www.beritasatu.com/politik/343664-kenapa-banyak-anggota-gafatar-hijrah-ke-kalimantan.html (c (...)
- 79 https://www.cnnindonesia.com/nasional/20160120105128-20-105490/gafatar-di-kalbar-bubar-april-2015-d (...)
- 80 https://www.cnnindonesia.com/nasional/20160120094441-20-105472/1119-anggota-gafatar-ditampung-di-ko (...)
- 81 Voir le texte complet de cette fatwa dans http://mui.or.id/wp-content/uploads/2017/02/Fatwa-GAFATAR (...)
- 82 Voir le décret ministériel conjoint n° 93 de 2016 ; n° KEP-043/A/JA/02/2016 ; n° 223-865 de 2016.
- 83 http://www.tribunnews.com/regional/2016/04/08/300-bekas-anggota-gafatar-sumut-baca-kalimat-syahadat (...)
- 84 Arrêt du tribunal de Jakarta Est n° 1107/ Pid.Sus/2016/PN.Jkt.Tim du 7 mars 2017.
- 85 Arrêt de la Cour d’appel de Jakarta n° 105/Pid.Sus/2017/PT DKI du 17 mai 2017.
31Début 2016, de nouvelles violences perpétrées au nom de l’orthodoxie islamique frappèrent une autre communauté religieuse qualifiée d’« hérétique », le mouvement Gafatar. Fondée en janvier 2012 par Ahmad Mushaddeq (alias Abdussalam Messias), cette organisation s’était développée dans plusieurs régions d’Indonésie grâce à ses activités sociales. Dans la province de Kalimantan Ouest, son programme « de souveraineté alimentaire » (kedaulatan pangan) avait ainsi connu un vif succès et lui avait permis d’attirer de nombreux adeptes78. Officiellement dissoute en août 2015, après avoir échoué à faire renouveler l’autorisation délivrée par le ministère de l’Intérieur, la communauté avait poursuivi ses activités au sein d’un groupe de paysans du village d’Antibar à Moton Panjang, dans la région de Mempawah79. De nombreuses rumeurs circulaient cependant à travers l’Indonésie relatives au caractère « déviant » de sa doctrine et, en janvier 2016, la communauté du village fut assaillie par une foule haineuse qui incendia les maisons, conduisant les autorités à reloger temporairement plusieurs centaines de ses membres sur une base militaire, avant de chercher à les renvoyer dans leurs régions d’origine80. Le MUI de Kalimantan Ouest émit alors une fatwa qui, tout en condamnant tout acte de violence, qualifiait le Gafatar d’organisation « déviante » et « trompeuse ». Ce même vocabulaire fut repris par la direction nationale du MUI, qui reprocha au fondateur du mouvement de se présenter comme un messie, de négliger les obligations relatives à la prière et au jeûne et de mêler les enseignements religieux de l’islam, du christianisme et du judaïsme81. Un mois plus tard, en mars 2016, un décret ministériel conjoint, émis par le ministre des Affaires religieuses, le procureur général et le ministre de l’Intérieur, ordonnait l’arrêt de toutes les activités du Gafatar82. Suite à la publication de ce décret, les antennes locales du MUI de plusieurs régions d’Indonésie, organisèrent, avec le concours des autorités, des programmes de « repentance de masse » pour les anciens membres du mouvement83. Ses principaux dirigeants furent traduits en justice et, le 7 mars 2017, le tribunal de Jakarta Est condamna pour blasphème et insulte envers l’islam l’ancien vice-président du Gafatar, Mahful Muis Tumanurung ainsi que son chef spirituel, Ahmad Musadeq, à cinq ans de prison. Le président de l’organisation, Andry Cahya, écopa, quant à lui, d’une peine de trois ans d’emprisonnement84. Cette décision fut confirmée par la Cour d’appel de Jakarta et plusieurs autres condamnations furent prononcées dans d’autres régions de l’Archipel85.
Conclusion
32La loi anti-blasphème, héritée du décret présidentiel de janvier 1965 a inauguré une nouvelle étape dans la politique religieuse du pays. Adoptée à l’origine pour limiter les affrontements politico-religieux, cette législation a conduit à un recul de la liberté religieuse et de la neutralité de l’État. En mentionnant explicitement que les courants de croyances (aliran kepercayaan) mettent à mal l’unité nationale et portent atteinte aux religions professées par la majorité des Indonésiens, à savoir l’islam, le protestantisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme, la loi a conduit à leur marginalisation et à des traitements discriminatoires.
33Alors que les six religions mentionnées ont pu bénéficier de cette reconnaissance, les aliran kepercayaan ont fait l’objet d’une surveillance du Comité interministériel Bakorpakem (« Badan Koordinasi Pengawas Aliran Kepercayaan Masyarakat »), créé en 1954. La mission assignée à ce comité est à la fois religieuse (persuader les adeptes des courants de croyances de rejoindre une « vraie » religion) et politique (prévenir la réapparition des mouvements communistes).
34L’élargissement progressif du champ d’application de la loi sur le blasphème de 1965 a par la suite conféré à chaque religion reconnue la possibilité d’exercer des pressions sur tout mouvement minoritaire s’écartant de l’orthodoxie définie par leurs autorités. Alors que l’article premier ne mentionne explicitement que les aliran kepercayaan, la loi est utilisée, depuis les années 1970, pour criminaliser des mouvements dissidents issus des religions reconnues, l’islam et le protestantisme principalement. Cette évolution a résulté d’une collusion entre les pouvoirs publics et des institutions semi-officielles (le MUI au premier chef) qui monopolisent l’interprétation de la doctrine religieuse au nom de la défense de l’orthodoxie. Depuis la Reformasi, les effets négatifs de ce dispositif sur la liberté religieuse se sont aggravés. Les ressentiments populaires à motifs religieux, relativement contrôlés durant l’essentiel de la période de l’Ordre nouveau ont connu une forte augmentation avec l’avènement de la démocratie. Instrumentalisées par les organisations musulmanes radicales, ces protestations exercent dorénavant une forte pression à la fois sur les autorités religieuses et sur les institutions judiciaires. Elles ont conduit à une criminalisation croissante des mouvements considérés comme « déviants » (sesat) dont l’article 156a du Code pénal, issu de la loi anti-blasphème, a constitué l’instrument privilégié, même si d’autres articles du Code pénal sont parfois utilisés. Cette évolution pose des problèmes d’ordre public — elle instaure de fait une prime à la violence — et bien sûr de restriction de la liberté religieuse.
35Dans son arrêt d’avril 2010, la Cour constitutionnelle a reconnu, en creux, les graves menaces que représentent, pour l’État de droit, les conditions actuelles d’application de la loi de 1965. Pour autant, en jugeant la loi conforme à la Constitution, la Cour a renvoyé à d’autres institutions le soin de régler ce problème, illustrant ainsi la paralysie des institutions démocratiques indonésiennes s’agissant de tout ce qui touche à la religion en général et à l’islam en particulier.
Annexe : le décret de 1965 (devenu loi en 1969) et sa traduction
PENETAPAN PRESIDEN REPUBLIK INDONESIA
NOMOR 1 TAHUN 1965
TENTANG
PENCEGAHAN PENYALAHGUNAAN DAN/ATAU PENODAAN AGAMA
PRESIDEN REPUBLIK INDONESIA,
36Menimbang: a. bahwa dalam rangka pengamanan Negara dan Masyarakat, cita-cita Revolusi Nasional dan pembangunan Nasional Semesta menuju ke masyarakat adil dan makmur, perlu mengadakan peraturan untuk mencegah penyalah-gunaan atau penodaan agama;
37 b. bahwa untuk pengamanan revolusi dan ketentuan masyarakat, soal ini perlu diatur dengan Penetapan Presiden;
38Mengingat: 1. Pasal 29 Undang-undang Dasar;
39 2. Pasal IV Aturan Peralihan Undang-undang Dasar;
40 3. Penetapan Presiden No. 2 tahun 1962 (Lembaran Negara tahun 1962 No. 34);
41 4. Pasal 2 ayat (1) Ketetapan M.P.R.S. No. II/MPRS/1960;
42MEMUTUSKAN:
43Menetapkan: PENETAPAN PRESIDEN REPUBLIK INDONESIA TENTANG PENCEGAHAN PENYALAHGUNAAN DAN/ATAU PENODAAN AGAMA.
44Pasal 1
45Setiap orang dilarang dengan sengaja di muka umum menceritakan, menganjurkan atau mengusahakan dukungan umum, untuk melakukan penafsiran tentang sesuatu agama yang dianut di Indonesia atau melakukan kegiatan-kegiatan keagamaan yang menyerupai kegiatan-kegiatan keagamaan dari agama itu; penafsiran dan kegiatan mana menyimpang dari pokok-pokok ajaran agama itu.
46Pasal 2
47Barang siapa melanggar ketentuan tersebut dalam pasal 1 diberi perintah dan peringatan keras untuk menghentikan perbuatannya itu di dalam suatu keputusan bersama Menteri Agama, Menteri/Jaksa Agung dan Menteri Dalam Negeri.
48Apabila pelanggaran tersebut dalam ayat (1) dilakukan oleh Organisasi atau sesuatu aliran kepercayaan, maka Presiden Republik Indonesia dapat membubarkan Organisasi itu dan menyatakan Organisasi atau aliran tersebut sebagai Organisasi/aliran terlarang, satu dan lain setelah Presiden mendapat pertimbangan dari Menteri Agama, Menteri/Jaksa Agung dan Menteri Dalam Negeri.
49Pasal 3
50Apabila, setelah dilakukan tindakan oleh Menteri Agama bersama-sama Menteri/Jaksa Agung dan Menteri Dalam Negeri atau oleh Presiden Republik Indonesia menurut ketentuan dalam pasal 2 terhadap orang, Organisasi atau aliran kepercayaan, mereka masih terus melanggar ketentuan dalam pasal 1, maka orang, penganut, anggota dan/atau anggota Pengurus Organisasi yang bersangkutan dari aliran itu dipidana dengan pidana penjara selama-lamanya lima tahun.
51Pasal 4
52Pada Kitab Undang-undang Hukum Pidana diadakan pasal baru yang berbunyi sebagai berikut:
53Pasal 156a
54Dipidana dengan pidana penjara selama-lamanya lima tahun barangsiapa dengan sengaja di muka umum mengeluarkan perasaan atau melakukan perbuatan:
55yang pada pokoknya bersifat permusuhan, penyalah-gunaan atau penodaan terhadap suatu agama yang dianut di Indonesia;
56dengan maksud agar supaya orang tidak menganut agama apapun juga, yang bersendikan ke-Tuhanan Yang Maha Esa.
57Pasal 5
58Penetapan Presiden Republik Indonesia ini mulai berlaku pada hari diundangkannya.Agar supaya setiap orang dapat mengetahuinya memerintahkan pengundangan Penetapan Presiden Republik Indonesia ini dengan penempatan dalam Lembaran Negara Republik Indonesia.
59Ditetapkan di Jakarta
pada tanggal 27 Januari 1965
Presiden Republik Indonesia,
SOEKARNO.
DÉCRET DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE D’INDONÉSIE NUMÉRO 1/PNPS/1965
RELATIF À LA PRÉVENTION DES ABUS EN MATIÈRE RELIGIEUSE ET/OU DU BLASPHÈME
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE D’INDONÉSIE,
60Considérant : a. que pour préserver l'État et la Société, les idéaux de la Révolution Nationale et le Développement National Global conduisant vers une société juste et prospère, il est nécessaire d'introduire des dispositions afin de prévenir les abus en matière religieuse et le blasphème ;
61b. b. que pour préserver la révolution et l'ordre public, cette question doit être réglée par décret présidentiel ;
62Compte tenu de : 1. L’article 29 de la Constitution ;
632. L’article IV des dispositions transitoires de la Constitution ;
643. Le décret présidentiel n°2/1962 (Journal Officiel n°34/1962) ;
654. L’article 2, alinéa (1) de la décision du M.P.R.S. n° II/MPRS/1960 ;
66DECIDE :
67Établie : DÉCRET DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE D’INDONÉSIE RELATIF À LA PRÉVENTION DES ABUS EN MATIÈRE RELIGIEUSE ET/OU DU BLASPHÈME
68Article 1
69Il est interdit à quiconque d'exprimer volontairement et publiquement, d'encourager ou de solliciter le soutien du public en faveur d'interprétations relatives aux religions professées en Indonésie ou de tenir des activités religieuses imitant celles l'une de ces religions, si ces interprétations ou activités dévient des bases des enseignements de ces religions.
70Article 2
71Quiconque enfreint les dispositions de l'article (1) sera sommé solennellement [sévèrement] de cesser ses agissements, par un décret conjoint du ministre des Affaires Religieuses, du ministre/Procureur Général et du ministre de l'Intérieur.
72Si l'infraction mentionnée à l'alinéa (1) a été commise par une organisation ou un courant de croyances, le Président de la République d'Indonésie peut dissoudre l'organisation et frapper d'interdiction cette organisation ou ce courant de croyance, mesures prises après avis du ministre des Affaires Religieuses, du ministre/Procureur Général et du ministre de l'Intérieur.
73Article 3
74Si, des mesures ayant été prises conjointement par le ministre des Affaires Religieuses, le ministre/Procureur Général et le ministre de l'Intérieur, ou par le Président de la République conformément aux dispositions de l'article 2 à l'encontre des personnes, des organisations ou courants de croyances, ils persistent à enfreindre les dispositions de l'article 1, ces personnes, fidèles, membres et/ou dirigeants de l'organisation concernée [et/ou] de ce courant seront condamnés à une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans.
75Article 4
76Au code pénal est ajouté l'article suivant :
77« Article 156a »
78Sera condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans maximum quiconque exprime volontairement en public des sentiments ou commet des actes :
79qui sont pour l’essentiel hostiles ou représentent un abus en matière de religion ou un blasphème à l’encontre d’une des religions professées en Indonésie.
80avec pour intention de faire en sorte que d'autres n’adhèrent à aucune religion basée sur le principe d’une Déité unique.
81Article 5
82Ce décret du Président de la République d'Indonésie entre en vigueur le jour de sa promulgation. Afin que chacun puisse en prendre connaissance, il en est ordonné la promulgation par sa publication dans le Journal Officiel de la République d'Indonésie.
83Fait à Jakarta
84Le 27 janvier 1965
85PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE D’INDONÉSIE,
86SOEKARNO
Notes
1 Enseignant-chercheur à l’Université islamique d’État de Sulthan Thaha Saifuddin de Jambi, Indonésie.
2 Pour un tableau général de ces conflits, voir Gerry van Klinken, Communal Violence and Democratization in Indonesia : Small Town Wars, London and New York, Routledge, 2007.
3 Voir par exemple les deux premiers rapports annuels sur la liberté religieuse publiés par le Setara Institute de Jakarta : Bonar Tigor Naipospos, et al., (eds.) Tunduk pada Penghakiman Massa : Pembenaran Negara atas Persekusi Kebebasan Beragama dan Berkeyakinan di Indonesia Tahun 2007, Jakarta, Setara Institute, 2008 ; Ismail Hasani (ed.), Berpihak dan Bertindak Intoleran ; Intoleransi Masyarakat dan Restriksi Negara dalam Kebebasan Beragama/Berkeyakinan di Indonesia Tahun 2008, Jakarta, Setara Institute, 2009.
4 Pour en savoir plus cette affaire, on se reportera à Rémy Madinier, « Le gouverneur, la sourate et l’islamiste adultère : retour sur l’affaire Ahok », Archipel, Volume 95, 2018, p. 173-193.
5 Voir Melissa Crouch, Law and Religion in Indonesia: Conflict and the Courts in West Java, London, New York, Routledge, 2014 ; Ismatu Ropi, Religion and Regulation in Indonesia, Singapore: Palgrave Macmillan, 2017; Stewart Fenwick, « Yusman Roy and the Language of Devotion-“Innovation” in Indonesian Islam on Trial », Studia Islamika, Vol. 18, n° 3, 2011, p. 497-529; Nadirsyah Hosen, « Pluralism, fatwâ, and court in Indonesia: The case of Yusman Roy », Journal of Indonesian Islam, Vol. 06 : 01, june 2012, p. 1-16 ; Melissa A. Crouch, « Law and Religion: The Constitutional Court and the Blasphemy Law », Asian Journal of Comparative Law, Vol. 7, Iss. 1, article 3 ; Kari Telle, « Faith on Trial: Blasphemy and “Lawfare” in Indonesia », Ethnos: Journal of Anthropology, Volume 83: 2, 2018, p. 371-391.
6 Pour en savoir plus sur l’évolution du terme « blasphème », voir entre autres, Alain Cabantous, Histoire du blasphème en Occident, XVIe-XIXe siècle, Paris, Éditions Albin Michel, 1998 ; Caroline Leveleux, La Parole interdite. Le blasphème dans la France médiévale (XIIIe-XVIe siècles) ; du péché au crime, Paris, De Boccard, 2001.
7 Le Code pénal des Indes néerlandaises est très largement inspiré du Code pénal néerlandais de 1881, avec quelques modifications pour l’adapter aux normes sociales locales existantes. Ce code pénal est entré en vigueur en janvier 1918. Il se compose de trois parties et compte 566 articles. Voir l’article d’Ayang Utriza, « La réception du code pénal français et du droit pénal d’Europe en Indonésie », in Yves Jeanclos, La dimension historique de la peine: Origines et projections en Europe du Code pénal de 1810, Economica, 2013, p. 322-342.
8 Sur ces affaires voir Deliar Noer, The Modernist Muslim Movement in Indonesia, 1900-1942, 2nd éd., Singapour, Kuala Lumpur, Oxford University Press (coll. « East Asian historical monographs »), 1973, p. 127-128, 152, 265-266 ; M. Natsir, Islam dan Kristen di Indonesia, Bandung, Peladjar Bulan-Sabit, 1969, p. 33‑38, 87, 90-91 ; Karel A. Steenbrink, Dutch Colonialism and Indonesian Islam: Contacts and Conflicts, 1596-1950, Amsterdam, New York, Rodopi, 2006, p. 52-56, 118-119 ; Takashi Shiraishi, An Age in Motion : Popular Radicalism in Java, 1912-1926, Ithaca (NY), Cornell University Press, 1990, p. 106-137.
9 Sur les raisons de la modification du Code pénal néerlandais, en particulier au sujet du blasphème, voir P. Cliteur et T. Herrenberg, « On the Life and Times of the Dutch Blasphemy Law (1932–2014) », in Paul Cliteur et Tom Herrenberg (eds.), The Fall and Rise of Blasphemy Law, 1st ed., Amsterdam, Amsterdam University Press, 2016, p. 72‑75.
10 Jusqu’à l’année 1968, on ne compta que neuf condamnations et trois suspensions basées sur la mise en œuvre de l’article 174a (1). Voir E. Jansen, « The Rise and Fall of the Offence of Blasphemy Law in the Netherlands », in Jeroen Temperman et András Koltay (eds.), Blasphemy and Freedom of Expression : Comparative, Theoretical and Historical, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 623‑624.
11 « Santri » et « abangan » sont les catégories popularisées par l’anthropologue américain Clifford Geertz pour désigner la stratification socio-culturelle javanaise. Malgré les critiques, ces termes sont souvent utilisés par certains chercheurs ; les santris sont des musulmans soucieux d’orthopraxie, tandis que les abangan revendiquent une identité musulmane mais ignorent tout ou partie des obligations de l’islam ou n’en comprennent pas bien la doctrine. Voir Clifford Geertz, The Religion of Java, Chicago, The University of Chicago, 1976 ; M.C. Ricklefs, Polarising Javanese Society: Islamic and other Visions (c. 1830-1930), Leiden, KITLV Press, 2007, p. 84‑104.
12 L’article 29 (§2) stipule que « l’État garantit à chacun la liberté de professer une religion et de la pratiquer selon ses cultes et ses croyances propres ».
13 En 1953, le ministère des Religions publia pour la première fois la liste des courants de croyance spirituelle. Dans cette liste 72 groupes étaient mentionnés : 21 d’entre eux utilisaient des noms associés à « agama » (religion), 48 se nommaient « kebatinan » (spiritualité) et 3 autres se désignaient comme « tarekat » (confréries soufies). Voir Kementerian Agama, « Berbagai Aliran dan Gerakan Agama di Indonesia di Luar Agama Islam, Roma Katholik dan Protestan », Penuntun, janvier-mars 1953, p. 13-15.
14 Ce Comité interministériel fut inauguré officiellement le 8 octobre 1945 et présidé par R.H.K. Sostrodanukusumo. Il était composé de 19 membres représentant certaines institutions gouvernementales, dont le parquet, la police nationale, le ministère de l’Intérieur et le ministère des Religions. Voir le décret du Premier ministre n° 167/PM/1954 du 1er août 1954 dans ANRI, « Kabinet Presiden RI », n° 1331.
15 Ibid. Cf. Soedjatmiko, Tugas Pengawasan Aliran Kepercayaan Masyarakat, Jakarta, Proyek Inventarisasi Kepercayaan Terhadap Tuhan Yang Maha Esa, Departemen Pendidikan dan Kebudayaan, 1992, p. 4.
16 « Laporan Pertama Panitia Interdepartemental Pengawas Aliran Kepercayaan Masyarakat », ANRI, « Sekretariat Negara Kabinet Perdana Menteri Tahun 1950-1959 », Vol. II, n° 1844.
17 « Laporan Kedua Panitia Interdepartemental Pengawas Aliran Kepercayaan Masyarakat », ANRI, « Sekretariat Negara Kabinet Perdana Menteri Tahun 1950-1959 », Vol. II, n° 1844.
18 Le Conseil provisoire des représentants du peuple a été actif du 16 août 1950 au 26 mars 1956, puis fut remplacé par l’assemblée élue lors des premières élections générales de septembre 1955.
19 Voir Rahmat Subagya, Kepercayaan Kebatinan Kerohaniaan Kejiwaan dan Agama, Yogyakarta, Penerbit Kanisius, 1976, p. 116.
20 Sur ce courant mystique, voir Abdul Rozak, Teologi Kebatinan Sunda: Kajian Antropologi Agama tentang Aliran Kebatinan Perjalanan, Bandung, Kiblat Buku Utama, 2005.
21 « Isa Anshary Bertanya : Benarkah Pemimpin-pemimpin Permai telah Hina Agama Islam dalam Rapat Umum Ulang Tahun ke-26 Permai ? », Abadi, 17 novembre 1953.
22 « Pemerintah Harus Adil Hadapi Soal-soal yang Ada Hubungannya dengan Agama Islam », Abadi, 27 novembre 1953. La province de Sumatra Centre a été supprimée en 1957 et subdivisée en trois provinces en 1958.
23 ANRI, « Sekretariat Kabinet Perdana Menteri 1950-1959 », n° 1837. Depuis son entrée en vigueur en 1918, l’article 156 n’avait été employé qu’en cas d’hostilité, de haine ou d’insultes envers un groupe, (notamment sur la base de l’appartenance religieuse). Il ne concernait pas les paroles outrageantes contre une divinité ou les objets sacrés d’une religion.
24 Fondé en novembre 1945, le BTI était une organisation liée au Parti communiste indonésien. En 1955, elle comptait plus de 3 millions de membres : près de 90 % d’entre eux vivaient à Java. Voir M. C. Ricklefs, A History of Modern Indonesia since c.1200, London, Palgrave Macmillan, 2008, p. 302.
25 Voir « NU Minta Tinjau Kembali Putusan Pengadilan Cilacap Mengenai Perkara Menginjak-injak Kitab Suci Alquran », Duta Masyarakat, 4 octobre 1963 ; « Kesimpulan BTI Terbantah oleh Palu Hakim ; Arit Disita para Terdakwa Dihukum Penjara », Duta Masyarakat, 5 juillet 1964 ; « Peristiwa ‘Tjigugur’ Berakhir dengan Vonis 3 Tahun Pendjara untuk Terdakwa », Duta Masyarakat, 9 août 1964.
26 « Resolusi Seminar Hukum Nasional 1963 » in 20 Tahun Indonesia Merkeda, dans Departemen Penerangan, 20 Tahun Indonesia Merdeka, Djakarta, Departemen Penerangan, 1965, p. 534-543.
27 ANRI, « Dokumen Ruslan Abdul Gani », n° 1238 et 1413.
28 « Pernyataan Bersama Partai-Partai dan Ormas Islam », Antara, 18 mars 1965. Voir aussi Jeremy M. Menchik, Tolerance without Liberalism: Islamic Institutions and Political Violence in Twentieth Century Indonesia, Ph.D., The University of Wisconsin - Madison, United States -- Wisconsin, 2011, p. 80.
29 « Mulai Dikibarkan untuk Laksanakan Panji dan Patakan Dep. Agama, Penpres n° 1 Tahun 1965 », Duta Masyarakat, 5 avril 1965.
30 Voir le texte du décret en annexe. Dans presque tous les textes juridiques indonésiens, on trouve des articles explicatifs (pasal-pasal penjelasan) dont la fonction principale est de préciser les termes pouvant apparaître peu clairs.
31 Le changement de statut juridique du décret présidentiel du 27 janvier 1965 en loi fit suite à la promulgation de la loi n° 5 du 7 mai 1969 sur la légitimation des décrets présidentiels de la période précédente. Ce changement était motivé par le fait que dans la hiérarchie juridique en Indonésie, le statut du décret présidentiel est inférieur à celui de la loi et ne pouvait donc pas modifier le Code pénal, par l’insertion d’un nouvel article (156a). Pour faire la différence avec les autres lois, on l’appelle donc la loi anti-blasphème de 1965 (litt. en indonésien la loi n° 1/PNPS/1965 « tentang Pencegahan Penyalahgunaan dan/atau Penodaan Agama ».
32 Departemen Penerangan, « Pidato Kenegaraan Presiden Republik Indonesia di Depan Sidang DPR-GR pada 16 Agutus 1968 », Jakarta, Departemen Penerangan RI, 1968, p. 29-32.
33 Voir Departemen Agama, Peraturan Perundang-undangan Kehidupan Beragama, op. cit., p. 13‑180 ; R. E. Djumali Kertorahardjo, Materi Aliran-aliran Kebathinan di Indonesia, Djakarta, Departemen Agama, 1971, p. 109‑112.
34 Cité dans Ahmad Baso, Islam Pascakolonial : Perselingkuhan Agama, Kolonialisme, dan Liberalisme, Bandung, Mizan, 2005, p. 246-247.
35 Silvia Vignato, Au nom de l’hindouisme : reconfigurations ethniques chez les Tamouls et les Karo en Indonésie, Paris, Montréal (Québec), l’Harmattan, 2000, p. 39-40.
36 Voir Heru Prasetia, « Masyarakat Adat Wet Semokan: di Tengah Ketegangan Ujaran dan Ajaran » in Hikmat Budiman, Hak Minoritas: Dilema Multikulturalisme di Indonesia, Jakarta, Interseksi Foundation, 2005, p. 132-138.
37 Voir TAP MPR n° IV/MPR/1973, p. 26.
38 TAP MPR n° IV/MPR/1978, p. 36.
39 Voir, « Kepercayaan Tidak akan Masuk Departemen Agama », Kompas, 4 avril 1978.
40 Voir « la lettre n° B.VI/11215/1978 » dans Weinata Sairin, Himpunan Peraturan di Bidang Keagamaan, Jakarta, Gunung Mulia, 1996, p. 124‑127.
41 La Décision présidentielle no 6 du 17 janvier 2000 révoque deux décisions de ses prédécesseurs : 1. l’Instruction présidentielle de Suharto n° 14 du 16 décembre 1967 sur l’interdiction de la religion, des croyances et des traditions chinoises en Indonésie qui retirait (pour des raisons politiques) au confucianisme le statut de religion reconnue que lui avait conféré la loi anti-blasphème de 1965. 2. Le Décret présidentiel de Soekarno n° 264 du 25 juillet 1962 qui interdisait diverses associations comme le Rotary Club, The Divine Life Society, l’Ancient Mystical Organisation of Rosi Crucians et l’Organisation des Baha’i.
42 Voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 97/PUU-XIV/2016 du 11 novembre 2017.
43 Sur l’histoire du mouvement, voir H. A. Walter, The Ahmadiya Movement, New Delhi, Manohar, 1991.
44 Martono, « Sejarah Singkat Perkembangan Jemaat Ahmadiyah di Indonesia selama 50 Tahun », Majalah Sinar Islam, n° Yubilium, Sulh 1355 (janvier 1975), p. 25-26 ; Munasirsidik, Dasar-Dasar Hukum dan Legalitas Jemaat Ahmadiyah Indonesia, Tangerang, IKAHAI, 2007, p. 21. Voir également Iskandar Zulkarnain, Gerakan Ahmadiyah di Indonesia, Yogyakarta, LKiS Pelangi Aksara, 2005.
45 Munasirsidik, Dasar-Dasar Hukum dan Legalitas Jemaat Ahmadiyah Indonesia, ibid., p. 22.
46 Voir Majelis Ulama Indonesia (ed.), Himpunan Fatwa Majelis Ulama Indonesia Sejak 1975, Jakarta, Penerbit Erlangga, 2011, p. 4142.
47 Amin Djamaluddin, Ahmadiyah dan Pembajakan Al-Qur’an, Jakarta, LPPI, 2008, p. 90.
48 Ibid., p. 92-97.
49 Voir « Laporan kecemasan Warga Parung terhadap Ahmadiyah kepada Menteri Dalam Negeri », cité in ibid., p. 252.
50 Jemaat Ahmadiyah, Bunga Rampai Sejarah Jemaat Ahmadiyah Indonesia (1925-2000), Bogor, Sekretariat JAI, 2000, p. 200-205.
51 Parmi les mouvements liés à l’islam on peut citer : Al-Qiyadah al-Islamiyah (un syncrétisme entre islam, christianisme et judaïsme, dont le chef, Abdussalam, se présente comme un nouveau prophète et messie), Islam Model Baru (« l’Islam nouveau modèle »), Satrio Paningit Weteng Buwono (“Le chevalier caché du ventre de l'univers”) ou encore Santriloka ; parmi ceux issus du protestantisme : la Jemaat Kristiani Pondok Nabi (« Communauté chrétienne de l’internat du Prophète ») ou encore la Jemaat Gereja Bethel Tabernakel (« Communauté de l’Église Bethel du Tabernacle »). Certaines associations enfin ne prétendaient pas être de nouvelles églises mais soutenaient des interprétations qualifiées de déviantes par les autorités chrétiennes comme la Yayasan I’tikaf Ngaji Lelaku (« Fondation de la retraite pieuse pour la compréhension de la pratique religieuse ») ou encore la Yayasan Kanker dan Narkoba Cahaya Alam, (« Fondation de la lumière universelle contre le cancer et les psychotropes »). À l’instar de l’Ahmadiyya, ces petits groupes religieux furent la cible d’attaques par des foules issues du voisinage, avant ou après la condamnation de leur doctrine par les autorités religieuses concernées.
52 Sur cette affaire, voir Andrée Feillard, « Du messianisme au dépassement de la « religion ». La voie de Salamullah dans l’Indonésie du XXIe siècle », Archipel, volume 76, 2008. p. 65-98.
53 Al Makin, Challenging Islamic Orthodoxy: Accounts of Lia Eden and Other Prophets in Indonesia, Switzerland, Springer, 2016, p. 57.
54 Voir la fatwa du MUI n° Kep.-768/MUI/XII/1997 du 22 décembre 1997 dans Majelis Ulama Indonesia, Himpunan Fatwa MUI sejak Tahun 1975, op. cit., p. 62-75.
55 Ibid., p. 39.
56 Ibid., p. 41.
57 Voir la décision du tribunal de Jakarta Centre n° 677/PID.B/ 2006/PN.Jkt.Pst le 29 juin 2006.
58 Al Makin, Challenging Islamic Orthodoxy, op. cit., p. 95‑96 et p. 112‑114.
59 Cet internat islamique a été fondé en 1997. Voir Lembaga Bantuan Hukum Malang, « Kriminalisasi Shalat Dua Bahasa, Ancaman Ekspresi Beragama dan Berkeyakinan ». http://lbhmlg.blogspot.com/2008_09_01_archive.html (consulté le 15 April 2014).
60 Sur la chronologie de ce mouvement, voir l’article de Paring Waluyo et Levi Riyansyah, « Pengawasan Negara terhadap Kehidupan Sipil : Kasus Penyesatan dan Kriminalisasi Yusman Roy », in Ahmad Suaedy (ed.), Politisasi Agama dan Konflik Komunal : Beberapa Isu Penting di Indonesia, Jakarta, Wahid Institute, 2007, p. 134-145.
61 Ibid., p. 144.
62 Voir la fatwa du MUI de la région de Malang no Kep.02/SKF/MUI/KAB/I/2004 sur « la diffusion d’un enseignement déviant dans la rue Sumberwaras Timur n° 136, Kalirejo Lawang de Malang ». Pour une traduction brève en anglais, voir Stewart Fenwick, « Yusman Roy and the Language of Devotion-“Innovation” in Indonesia Islam on Trial », Studia Islamika, Vol. 18, n° 3, 2011, p. 504.
63 Voir la fatwa du MUI de la province de Java Est n° Kep-13/SKF/MUI/TTM/II/2005 sur la traduction qui suit la récitation des versets du Coran dans la prière collective, ibid., p. 505.
64 La Commission nationale des droits de l’homme, par le biais de la lettre n° 258/K/SIPOL/IV/ du 26 avril 2005, affirme que le droit à la liberté religieuse, en vertu de l’article 4 de la loi n° 39 de 1999 sur les droits de l’homme, est absolu et ne peut être limité quelles que soient les circonstances ; il est également garanti par la Constitution de 1945. Voir « Keluarga Roy Menerima Surat dari Komnas Hak Asasi Manusia, Kompas, 10 mai 2005.
65 Voir « Java-Est : le responsable d’une école coranique suscite une controverse pour avoir traduit en indonésien une prière rituelle dite en arabe », Bulletin EDA n° 419 dans http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/indonesie/2005-05-16-java-est-le-responsable-dune-ecole--coranique/?SearchableText=Yusman %20Roy (consulté le 15 juin 2014).
66 « Yusman Roy Resmi Jadi Tersangka Penodaan Agama », Kompas, 9 mai 2005.
67 Voir la décision du Haut tribunal de Surabaya n° 361/PID/2005/PT.SBY du 22 novembre 2005 et l’arrêt de la Cour de cassation n° 75/K/Pid/2006 du 27 janvier 2006.
68 Voir leur requête dans Tim Advokasi Kebebasan Beragama, « Permohonan Pengujian Materiil Undang-Undang Nomor1/PNPS/1965 tentang Pencegahan Penyalahgunaan dan/atau Penodaan Agama terhadap Undang-Undang Dasar1945 », 20 octobre 2009, p. 1-2.
69 Voir Risalah Sidang XIII, décision de la Cour constitutionnelle n° 140/PUU-VII/2009 (19 avril 2010), p. 72-73.
70 Ibid., p. 74.
71 Ibid., p. 88.
72 Voir la chronologie de cette tragédie dans Kontras, Negara Tak Kunjung Terusik : Laporan Hak Asasi Manusia Peristiwa Penyerangan Jama’ah Ahmadiyah Cikeusik 6 Februari, Jakarta, Kontras, 2011 ; « Kerusuhan Tiga Daerah : Ada Penggerak Tanpa Jejak », Gatra, 23 février 2011, p. 13-15.
73 « Terusir Entah Sampai Kapan », Gatra, 7 mars 2012, p. 31-32.
74 « Anarki Agama Berbalut Cinta », Gatra, 11 Januari 2012, p. 20-21.
75 « Syiah Sampang Berdarah », Gatra, 5 septembre 2012, p. 82-85.
76 Le texte complet de cette fatwa est disponible sur http://www.tanyasyiah.com/2014/02/fatwa-mui-jatim-tentang-kesesatan.html (consulté le 20 juillet 2017).
77 Arrêt de la Cour d’appel de Java Est n° 481/Pid/2012/PT.Sby du 10 septembre 2012 ; Arrêt de la Cour de cassation n° 1787 K/Pid/2012 du 3 janvier 2013
78 http://www.beritasatu.com/politik/343664-kenapa-banyak-anggota-gafatar-hijrah-ke-kalimantan.html (consulté le 9 février 2017).
79 https://www.cnnindonesia.com/nasional/20160120105128-20-105490/gafatar-di-kalbar-bubar-april-2015-diduga-jadi-kelompok-tani (consulté le 9 février 2017).
80 https://www.cnnindonesia.com/nasional/20160120094441-20-105472/1119-anggota-gafatar-ditampung-di-kodam-tanjung-pura (consulté le 9 février 2017).
81 Voir le texte complet de cette fatwa dans http://mui.or.id/wp-content/uploads/2017/02/Fatwa-GAFATAR.pdf (consulté le 7 juillet 2017).
82 Voir le décret ministériel conjoint n° 93 de 2016 ; n° KEP-043/A/JA/02/2016 ; n° 223-865 de 2016.
83 http://www.tribunnews.com/regional/2016/04/08/300-bekas-anggota-gafatar-sumut-baca-kalimat-syahadat-dan-belajar-islam (consulté le 7 juillet 2017).
84 Arrêt du tribunal de Jakarta Est n° 1107/ Pid.Sus/2016/PN.Jkt.Tim du 7 mars 2017.
85 Arrêt de la Cour d’appel de Jakarta n° 105/Pid.Sus/2017/PT DKI du 17 mai 2017.
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Référence papier
Ayub Mursalin, « La législation sur le blasphème et le rétrécissement progressif du champ de la liberté religieuse en Indonésie depuis 1965 », Archipel, 98 | 2019, 151-176.
Référence électronique
Ayub Mursalin, « La législation sur le blasphème et le rétrécissement progressif du champ de la liberté religieuse en Indonésie depuis 1965 », Archipel [En ligne], 98 | 2019, mis en ligne le 11 décembre 2019, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archipel/1349 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archipel.1349
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