1Au nord du département de l’Essonne, à la latitude des pistes de l’aéroport international d’Orly Ouest, des opérations de diagnostics et de fouilles ont été réalisées entre 2001 et 2009 de part et d’autre de la limite communale séparant Massy de Chilly-Mazarin [ill. 1]. Ces fenêtres d’observation ont dévoilé un tronçon de voie de grand parcours et un établissement non contigu situé à moins de 150 m à l’est, tous deux en usage de La Tène finale à la période antique. Des indices collectés sur chacun des sites fouillés laissent supposer l’existence d’un carrefour de dessertes locales ayant raccordé les entités mises au jour. Certaines données fournies par l’analyse métrologique pourraient aller dans le sens d’une réorganisation de l’espace à partir de l’axe de la voie et le recours à des techniques d’arpentage.
1. Relation envisagée entre le carrefour de dessertes locales de la voie Cenabum-Lutetia et l’établissement de la Butte-au-Berger IV.
Mehdi Belarbi, Christophe Bertrand, Jean Bruant, Mathieu Duplessis, Philippe Granchon, Thierry Kubiak, Philippe Lenhardt, Laetitia Mathéry, Xavier Peixoto, Régis Touquet, Laurent Vallières.
2La fouille du site de l’avenue du Maréchal Leclerc, rue du Pérou à Massy a mis au jour un tronçon de la voie antique raccordant Orléans/Cenabum à Paris/Lutetia (Bruant, 2009 ; Pissot et al., 2013 ; Bruant et al., 2021). Ce point d’observation est situé à près de 7 lieues (Leuga gallica : 2 222 m), soit à 15,85 km, au sud du chef-lieu de la cité des Parisii et à près de 1,5 lieue (3,35 km) au nord de l’agglomération secondaire de Longjumeau (Noviomagellus ?), qui se serait développée près d’un gué, sur la berge méridionale de l’Yvette (Bruant, 2017, p. 356 ; Roblin, 1951). Dévoilé sur près de 280 m, le segment de chaussée résulte de la mutation progressive d’un chemin creux gaulois [ill. 1 , n° 1 ; ill. 3] en une voie romaine de grand parcours, avec pour corollaire une translation d’un peu plus de 14 m vers l’ouest de l’axe de la bande de circulation. Ce processus pourrait s’inscrire dans le cadre de la refonte du réseau routier dans les provinces gauloises, initiée en 20-19 avant notre ère et attribuée à Agrippa. Dans un contexte sans doute très marqué par l’intensification des échanges et la romanisation des campagnes, cette entreprise ne se serait pas limitée à la construction de routes nouvelles et aurait largement contribué à la restructuration du réseau de voies préexistantes (Kasprzyk, Nouvel, 2010, 2011).
3À l’échelle locale et en prenant en compte le temps long, le chemin creux est resté fossilisé par la limite communale séparant Massy de Chilly-Mazarin. Dans la partie sud du plateau de Longboyau, bordée par la Seine, la Bièvre et l’Yvette, cet axe a constitué un morphogène de premier plan dans la formation du réseau viaire et parcellaire. Parmi les différentes phases d’utilisation de la voirie ayant été reconnues, celle qui a bénéficié des plus hauts standards techniques est caractérisée par la présence d’une bande de circulation empierrée de 5,92 m de large, soit 20 pieds romains, entre les raidisseurs encadrant la couche de fondation de la chaussée [ill.1, n° 2]. Bordé par de larges accotements (8,50 m) et par deux fossés drainants [ill. 1, n° 3], le dispositif permettait la circulation de deux véhicules en sens opposés. Les éléments de datation rassemblés sur le terrain orientent la mise en place de ces équipements vers le Ier siècle.
- 1 Étude céramologique réalisée par Alix Fourré, Inrap, UMR 7324 « CITERES ».
4À l’est du tracé de la voie, la phase antique du site de la Butte-au-Berger IV à Chilly-Mazarin (Kubiak, à paraître) est caractérisée par la mise en place, à partir du Ier siècle, d’un établissement circonscrit par une enceinte quadrilatérale fossoyée de 69,7 m par 46,3 m, se superposant à une occupation laténienne, voire plus ancienne (Mathéry, Bertin, 2007 ; Kubiak, à paraître). La configuration bipartite de l’espace, généralement associée aux unités de production agricoles, va perdurer jusqu’à la fin du IVe siècle1. Si certains éléments de la trame parcellaire associée n’ont pas pu être appréhendés dans leur intégralité, les travaux de fouille ont mis en évidence toute une série de réagencements impactant l’orientation originelle de l’établissement, dont une partie se prolongerait au nord (Bruant et al., 2016). Or, la dernière évolution de la trame laténienne montre une relation entre l’orientation du chemin creux dévoilé à Massy et la mise en place de certains fossés, globalement parallèles ou perpendiculaires [ill. 1, n° 8].
5Le premier des indices plaidant en faveur de la présence d’un carrefour est un court chemin perpendiculaire au tracé de la route (ch 1092), appuyé sur le fossé drainant occidental de la chaussée. Dévoilée sur près de 8 m de long, cette voirie de 3,52 m de large est délimitée par deux reliquats de raidisseurs parallèles et conservés sur une seule assise de blocs et de moellons de meulière. La bande de circulation est, quant à elle, marquée par une coloration brunâtre se détachant assez nettement de la teinte plus orangée du limon encaissant [ill. 1, 2]. Aucun reste de revêtement ou de prolongement vers l’ouest n’a été mis en évidence au cours du diagnostic et de la fouille qui a suivi : il pourrait s’agir d’un simple chemin de terre dont l’extrémité touchant la voie a néanmoins été aménagée avec ce qui s’apparenterait à des raidisseurs. L’articulation directe du chemin sur le tracé du fossé bordier occidental de la voie laisserait entendre, quant à elle, que le franchissement de la dépression devait se faire par l’intermédiaire d’un dispositif de type passerelle, amovible ou non, ou que le fossé drainant était en grande partie voire totalement comblé.
2. Départ de chemin raccordé perpendiculairement au fossé drainant occidental de la voie Orléans-Paris (vu de l’est).
Jean Bruant, Inrap
6Il est vraisemblable que cette voirie ait été en relation avec l’exploitation d’une zone agricole attenante à l’axe de grand parcours ou avec un établissement situé dans un horizon médian, ou lointain, dont les limites n’ont pas été appréhendées. Tout aussi bien, il pourrait s’agir d’un vestige de chemin de traverse (trames) reliant à travers champs la voie Orléans-Paris à un axe ou à un autre carrefour relevant du réseau secondaire et dont la position se situerait plus à l’ouest (Chouquer, Favory, 2001, p. 261).
7Situés sur le même côté et observant une orientation identique à celle du départ de chemin, trois fossés d’environ 10 m de long, d’un peu plus de 0,90 m de large pour une profondeur d’environ 0,20 m et distants entre eux de 60 à 62 m, ont contribué au cloisonnement en parcelles de l’espace adjacent à la voie, à sa mise en valeur, voire à son drainage [ill. 1, n° 4]. Ces structures ont pu également servir d’exutoires au fossé bordier oriental.
8Immédiatement à l’est de la voie de grand parcours mise au jour à Massy, aucune trace de raccordement entre cette dernière et l’établissement de la Butte-au-Berger iv, prenant la forme d’un chemin ou d’une esplanade, n’a été perçue au cours des opérations archéologiques qui ont couvert le secteur, en particulier celles qui ont été menées à la Butte-au-Berger II et la Croix Brisée à Chilly-Mazarin (Peixotot, 2001 ; Granchon, à paraître). Mais l’existence d’un accès a pu être avancée en observant, dans un premier temps, une interruption nette du tracé du fossé drainant oriental de la voie qui aurait permis aux véhicules de bifurquer vers l’est. Située précisément dans le prolongement de l’axe longitudinal de l’enclos gallo-romain de la Butte-au-Berger IV au niveau duquel devait se situer l’entrée [ill. 1, n° 6], l’interruption en question correspond, à quelques mètres près, à l’extrémité méridionale du chemin creux gaulois [ill. 1, n° 5 ; ill. 3]. Cette configuration pourrait indiquer que l’établissement laténien préexistant à l’établissement antique était lui aussi raccordé à la voirie, en l’occurrence au chemin creux, et que le carrefour était potentiellement déjà en place. Notons que l’interruption du chemin creux se trouve précisément en face de l’amorce du chemin articulé au fossé drainant occidental de la voie empierrée : cette configuration irait également dans le sens d’une origine antérieure à la période gallo-romaine pour le diverticule occidental.
3. Interruptions du chemin creux gaulois (CH 2001) et du fossé drainant oriental de la voie Cenabum-Lutetia (SFO 2544), vues du nord.
Jean Bruant, Inrap
- 2 Effectuée par Marion Berranger, CNRS, UMR 5060, « IRAMAT ».
- 3 Étudiés par Nicolas Thomas, Inrap, UMR 8589, « LaMOP ».
9Parmi les éléments rattachés à la phase antique du site de la Butte-au-Berger iv, on a pu noter la présence de déchets d’activité sidérurgique scorifiés (1,4 kg) attribuables à la Protohistoire et au Bas-Empire et qui témoigneraient d’un savoir-faire d’une relative complexité. Même si ces vestiges n’ont livré qu’une image très fragmentaire des activités pratiquées, leur analyse2 atteste de la présence d’activités de forgeage et notamment de bas fourneaux durant ces deux périodes. En outre, des micro-déchets liés au travail des bases cuivre3 relèveraient d’activités polymétallurgiques en périphérie. Le travail du bronze serait ainsi bien attesté sur le site aux IIIe et IVe siècles. Une part non négligeable des objets produits pourrait être directement liée au domaine du transport (maréchalerie, charronnerie, sellerie).
- 4 Étude réalisée par Luc Lecomte, Inrap, UMR 7041, « ArScAn ».
10La production d’éléments décoratifs de harnachement en métal cuivreux outrepasserait apparemment les seuls besoins de l’établissement4. Si, à ce stade de l’étude, rien ne permet de caractériser l’occupation antique, cette dernière a néanmoins pu tirer une partie de ses ressources de services et d’équipements plus ou moins spécialisés, destinés aux usagers de l’axe Cenabum-Lutetia, notamment grâce à sa proximité de la voie et à sa visibilité.
11En attendant que des exemples pris en d’autres points du tracé et appuyés sur une étude métrologique ne viennent valider ou non cette hypothèse, certains indices pourraient constituer une piste d’étude concernant la relation de l’établissement gallo-romain à la voie. En effet, une fois convertie en mesures romaines, la distance séparant le milieu de la chaussée de la façade de l’établissement de Chilly-Mazarin a pu être évaluée à environ 148 m. Or, cette distance est en soit parfaitement compatible avec la valeur de 500 pieds, 100 doubles pas ou 50 perches (en prenant la valeur de 29,6352 cm pour le pied romain).
12De manière pratique, les arpenteurs ont pu mettre en œuvre leur équerre optique (groma) pour tracer une ligne perpendiculaire à partir d’un point central avant de déployer la longueur souhaitée. Ce cas de figure illustrerait un exemple d’ordonnancement de l’espace adjacent à la voie et de redéfinition des limites d’un établissement préexistant et situé à proximité. La démarche relèverait, dans ce cas précis, d’une conception odographique de l’aménagement de l’espace au sein de laquelle la voie est utilisée comme un axe pour la mise en place ou la recomposition de réseaux parcellaires géométriques. L’axe de grand parcours aurait constitué, de fait, un outil d’organisation primordial. Dans la zone étudiée, une partie de l’occupation du territoire pourrait donc résulter d’un dialogue entre la route, le parcellaire et l’habitat adjacent (Chevallier, 1997 ; Coulon, 2007). À cet égard, la translation vers l’ouest du tracé de la voie et de la position du carrefour a pu avoir une influence prépondérante sur la configuration de l’environnement immédiat.
13En dépit d’une altération très marquée de la partie méridionale du tronçon de voie mis au jour à Massy, notamment de son revêtement, la confrontation des données de terrain, même très parcellaires, aux contextes archéologiques environnants a sensiblement enrichi le faisceau de présomptions en faveur de la présence d’un carrefour de dessertes locales. Ce carrefour aura permis l’articulation de trois voies au statut différent : deux viae privatae, créées et entretenues par des particuliers, propriétaires du sol et raccordant les grands domaines au réseau routier à une via publica (Cenabum-Lutetia), a priori établie sur le domaine public, construite par l’État romain et entretenue avec le concours des cités et de certains grands propriétaires (Guillaumin, 2010, p. 26-32). L’importance, la durée de son utilisation, de même que son rôle dans la dynamique des échanges seront sans doute éclairés par la finalisation de l’étude de l’établissement de bord de voie de la Butte-au-Berger IV (Kubiak, à paraître) et par l’intégration de ces données dans une étude archéogéographique prenant en compte la partie sud du plateau de Longboyau.