- 1 Les deux sites bénéficient de jours de recherche dans le cadre de deux projet PAS : « Meaux/Ia(n)ti (...)
1La ville de Meaux (Seine-et-Marne), qui porte le nom d’origine gauloise de Ia(n)tinum dans l’Antiquité, est la capitale de cité du peuple des Meldes. Depuis la fin de la période gauloise, la ville s’insère au sein d’un paléoméandre de la Marne étiré vers le nord et recoupé, naturellement ou de manière anthropique, au moins depuis l’Antiquité tardive – la face sud du castrum s’appuie sur le nouveau cours [ill. 1]. L’agglomération ouverte de Poincy, située en amont à 4 km, occupée aux IIe-Ier siècles avant notre ère et dont l’ampleur est difficile à estimer, pourrait être à l’origine de l’agglomération précoce de Meaux (Viand, Séguier, 2019). L’hypothèse d’un déplacement entre les deux agglomérations peut être proposée, à l’instar de ce qui a été observé pour d’autres chefs-lieux de cité (Bedon, 1999)1. Entre ces deux pôles, se trouve le sanctuaire de la Bauve, qui a livré de nombreuses pièces d’armement de la fin du IVe et du début du IIIe siècle avant notre ère, ainsi que d’importants dépôts de restes de faune et de micro-vases (Couturier, Marion, 2003 ; Marion, 2005). Un important hiatus de l’ordre de deux siècles et demi sépare ce trophée démantelé des occupations de la fin du Ier siècle avant notre ère qui précèdent la construction d’un sanctuaire monumental édifié à la fin du Ier siècle (Magnan, 2008).
1. Plan schématique de localisation de la ville de Meaux.
David Couturier, Inrap
2Meaux prend place dans le vaste réseau routier d’Agrippa. La ville antique se situe plus précisément au carrefour de deux axes majeurs, d’une part entre Augustomagus (Senlis) et Augusta Suessionum (Soissons) au nord et Agedincum (Sens) et Augustabona (Troyes) au sud et, d’autre part, entre Lutecia (Paris) à l’ouest et Durocatalaunos (Châlons-en-Champagne) à l’est. La situation au sein d’un méandre d’un affluent de la Seine interroge forcément quant au rapport de la ville avec la rivière comme voie de communication et de transport de marchandises (Izarra, 1993). Si les sources font état d’un port au Moyen Âge, force est de s’interroger sur la réalité d’une navigation plus précoce sur la Marne. César évoque bien la construction de soixante navires chez les Meldes pour envahir l’actuelle Angleterre (Bellum Gallicum, v, 5), mais on ne peut exclure une erreur de copiste, à l’instar de celle figurant sur la table de Peutinger où la ville de Meaux porte le nom de « Fixtuinum » (Magnan, 2008, p. 713). L’attestation d’une corporation de nautes à Lutèce sur le célèbre pilier daté du principat de Tibère et la proximité des deux villes donnent un certain crédit à l’hypothèse d’une navigation ancienne.
- 2 Note de l'éditeur : À l'époque de la rédaction de cet article, David Couturier travaillait à l'Inra (...)
3Comme dans de nombreuses villes françaises, l’archéologie meldoise naît dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec Antoine-Étienne Carro qui produit un premier plan restitué de la ville antique (Carro, 1862) avec un quadrillage de rue [ill. 2] et la situation de monuments publics (théâtre et thermes en particulier). Une synthèse des données effectuée un siècle plus tard a fait surgir la notion de cardo maximus (Desbordes, 1970). Les opérations menées dans les années 1990, dans le cadre de sauvetages urgents, n’ont pas enrichi le dossier documentaire des voies de communication. Depuis 2002, la multiplication des diagnostics et surtout la réalisation de fouilles ont permis de considérablement faire progresser les connaissances sur la ville antique tant sur le plan de sa structuration que du point de vue chronologique. La réflexion sur le réseau viaire (Couturier, 2008) autorise à proposer certaines lignes de force2. Les rues ont été numérotées dans l’ordre de leur découverte sans présager de leur importance présupposée [ill. 3]. On peut seulement distinguer la présence d’éléments pérennes (nommés cardo et decumanus), et d’autres qui semblent plus éphémères (appelés axes), sans que l’on puisse distinguer pour autant deux réseaux distincts. On comptabilise à ce jour 20 segments d’éléments viaires découverts, certains appartenant au même axe (quatre occurrences pour le cardo 2 et trois pour le decumanus 1).
2. Plan de la ville antique de Meaux établi en 1858 par Carro.
Carro A. 1862 : « Mémoire sur la topographie primitive de la ville et le territoire de Meaux », Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France, 3e série, t. 5, p. 162-193.
3. Plan des découvertes récentes de tronçons de rues antiques sur la période 2002-2020.
David Couturier, Inrap
- 3 Le parcellaire napoléonien reprend la disposition de la trame antique qui est orientée entre 16 et (...)
- 4 Le rapport est en cours d’élaboration.
4Qu’ils soient pérennes ou non, une partie des éléments viaires sont associés initialement à des fossés présentant des traits communs (axe 1, decumanus 2, cardo 2 et 3). Ces fossés sont caractérisés par un gabarit important (largeur de 0,70 m à 1 m ; profondeur de 0,70 m à 1 m), des parois verticales et un fond plat ou légèrement en cuvette. Ces structures linéaires n’ont été observées qu’à l’occasion de fouilles permettant d’accéder à la totalité de l’emprise de la chaussée. En contexte de diagnostic, la superposition fréquente des éléments viaires et du parcellaire actuel3 n’autorise le plus souvent à appréhender ces structures linéaires que partiellement (cardo 1, 3 et 4, decumanus 3, 4 et 5). Finalement, parmi les cinq éléments viaires fouillés sur toute leur largeur, seuls deux (cardo 5 et decumanus 6) n’ont pas livré de fossé associé : cela traduit-il une mise en place plus tardive ? Rien n’est moins sûr au vu des données chronologiques disponibles4.
5Les autres éléments viaires présentent un fossé (decumanus 2, cardo 2 et 3) et seul l’axe 1 est associé à deux fossés. Dans ce dernier cas, sur le site de la rue du Rond des Fées (lot b), une chaussée est installée après le deuxième quart du Ier siècle et cette voie est abandonnée vers le milieu du Ier siècle. Sa continuité pourrait être assurée plus au sud sur le site du 25, rue Saint-Fiacre, mais sur ce site les fossés n’ont pas été mis en évidence. En outre, la circulation est ici d’abord représentée par des ornières, qui illustrent une circulation directement sur le paléosol, situation rare dans le contexte local (decumanus 2) ou peut-être plus difficilement perceptible : l’interprétation d’éléments linéaires est parfois délicate, surtout dans le cadre d’emprises de fouilles réduites et du fait des multiples recoupements.
6Les chaussées primitives du decumanus 2 et du cardo 3 sont bordées, respectivement au sud et à l’ouest, par un fossé sans que l’on puisse formellement établir de relations stratigraphiques du fait du tassement des sédiments déposés postérieurement sur le comblement du fossé. En tout cas, un fonctionnement synchrone ne peut être exclu. Les données chronologiques indiquent une mise en place de la chaussée du cardo 3 à la fin de la période augustéenne et un comblement du fossé légèrement postérieur (début du règne de Tibère). La création du decumanus 2 est datée de la période augustéenne.
7Les recherches récentes conduisent à envisager qu’un système fossoyé, une trame (parcellaire) ait été mise en place à l’époque augustéenne et ait servi de cadre pour l’installation du réseau viaire. Le gabarit des fossés permet de proposer de les interpréter plus précisément comme des égouts planchéiés.
8À 74 m, plus à l’est de l’axe 1, toujours sur le site du 25, rue Saint-Fiacre, un autre niveau de circulation pourrait correspondre à un nouvel élément éphémère du réseau viaire (axe 2). Installé à l’époque augustéenne, il est bordé par un fossé plus modeste que les éléments précédents.
9Le cardo 1, réputé être le cardo maximus de la cité, a été repéré au XIXe siècle et plus récemment au 60, rue de Châage. Néanmoins, son statut semble remis en cause en raison de son absence plus au nord, sur le site du 25, rue Saint-Fiacre, comme plus au sud au 23, boulevard Jean-Rose où le diagnostic préliminaire ne l’a pas mis en évidence, contredisant les observations du XIXe siècle. En outre, la même fouille a révélé l’existence d’un autre cardo, plus à l’ouest (cardo 3) qui présente deux caractéristiques originales : son entretien s’interrompt provisoirement après le milieu du Ier siècle alors qu’il serait remis en fonction au IIIe siècle avec soin puisqu’il est doté d’un revêtement de dalles. On peut toutefois se demander si le cardo 1 ne prend pas le relais du cardo 3 quand celui-ci est désaffecté. Même si nous manquons d’éléments de datation pour la mise en place du cardo 1, force est de constater que celui-ci se superpose à une succession d’occupations (dont un bâtiment), contrairement aux autre éléments viaires.
10Finalement, il semble qu’il faille sortir du modèle du plan régulier, hérité des extrapolations du XIXe siècle (Chouquer, 2012).
11Deux carrefours ont été fouillés récemment : l’un en 2016, au 62-72, rue Saint-Faron (sud rue de la Visitation) et l’autre, plus au nord, en 2018 au 1-9, rue Saint-Fiacre [ill. 3].
- 5 Il a été aussi été fouillé en 2012 sur le site du 62-72 rue Saint-Faron (nord rue de la Visitation) (...)
- 6 Par comparaison, la largeur du premier état de la chaussée du decumanus 2 est de 7 m.
12Le premier met en relation le cardo 25, que nous avons précédemment évoqué, et le decumanus 5. Les deux éléments viaires sont installés successivement. Le decumanus 5 a été perçu de manière incomplète sur une largeur de 2,90 m6– sa partie sud se situant hors emprise – et une longueur de 27,50 m. Il semble aménagé parallèlement à une limite correspondant à l’interruption de deux fossés augustéens (cf. infra) et également à un alignement de fosses [ill. 4]. Le modèle précédent peut donc connaître des variations ponctuelles, la trame étant dès lors aussi être représentée par des éléments en creux autres que des fossés. Cependant, la chaussée n’a pas été entièrement dégagée. Cet élément viaire est rapidement doté d’un caniveau et d’un trottoir.
4. Plan de l’occupation augustéenne du 62-72, rue Saint-Faron (sud rue de la Visitation).
David Couturier, Inrap
- 7 Ce chiffre pourrait être lié à une moins bonne conservation/perception de la chaussée.
13Le cardo 2 est construit dans un second temps. Il a été reconnu sur une largeur variable de 5 m7 à 7,50 m et sur une longueur de 23,75 m. Si deux fossés parallèles, distants de 16 m, présentant les mêmes caractéristiques que ceux des autres sites, ont aussi été retrouvés, confirmant le système, l’installation de l’élément viaire s’effectue ici au-dessus de l’un d’eux. Cette disposition, pour le moins surprenante, a entraîné des désordres du fait de l’affaissement des niveaux au-dessus du comblement du fossé et a nécessité par la suite un apport massif de matériaux alluvionnaires pour rétablir un niveau plan. Cette donnée est révélatrice du laps de temps qui peut s’écouler entre deux phases d’aménagement. Surtout, elle confirme que la phase précoce recouvre en réalité deux étapes qu’il est encore difficile de dater avec précision : la première correspond à l’installation de la trame fossoyée et la seconde à la mise en place du réseau viaire proprement dit. Pour autant, l’agglomération de la fin de La Tène que nous proposons de restituer, voire celle du début de la période augustéenne, étaient-elles pourvues de voies de communication ? Il y a aucune raison de penser le contraire.
14Les recharges successives de deux rues s’effectuent concomitamment avec la réfection des caniveaux bordiers, qui sont le plus souvent construits en bois, y compris au niveau du carrefour [ill. 5]. On peut se demander si un dispositif de protection n’a pas été démonté. Au total, les sédimentations générées par l’entretien des chaussées sont épaisses de 2 m pour le decumanus 5 et de 2,90 m pour le cardo 2, sachant que, pour ce dernier, le tassement du fossé sous-jacent a induit un apport plus important. Il faut aussi noter que la nature des recharges se modifie : des apports de cailloutis et de blocs remplacent à partir du milieu du Ier siècle le sable et le gravier utilisés initialement.
5. Ortho-photo du carrefour du cardo 2 et du decumanus 5.
Rachid El-Hajaoui, Inrap
15Le second carrefour correspond à l’intersection du cardo 5 et du decumanus 6 mis au jour à 315 m au nord du précédent [ill. 6]. Le cardo 5 a été observé sur une longueur de 88 m et une largeur variant de 5 m à 7,50 m. Trois sondages ont été effectués, un au nord, un au sud et le dernier à 14 m au sud de l’intersection. Les coupes présentent des niveaux de recharge successifs de gravier jaune à orangé, indurés, intercalés de couches d’utilisation plus ou moins épaisses. Du fait de la présence de nombreuses fosses sous-jacentes (ayant parfois entraîné d’importants phénomènes de tassements), mais également de nombreux recoupements contemporains, nous ne pouvons que supposer la présence de quelques éléments bordiers. En moyenne, le cardo est conservé sur 1 m de hauteur. Contrairement au cardo 2, aucune trame fossoyée antérieure au réseau viaire n’a été retrouvée. Seul un décalage (a priori dû à un rétrécissement de la chaussée) vers l’est s’est opéré au cours des rehaussements successifs et des constructions plus imposantes.
6. Ortho-photo du carrefour du cardo 5 et du decumanus 6.
Régis Touquet, Inrap
16Le decumanus 6 a été reconnu sur une largeur variant de 5,20 m à 6,45 m et une longueur de 29 m. Tout comme le cardo 5, il est conservé sur environ 1 m de hauteur et constitué de multiples recharges de gravier compactées. Lui aussi s’est décalé, du nord vers le sud, au cours de son existence (d’environ 1,30 m). Seul le quart nord-ouest de l’intersection a permis une reconnaissance des chaussées primitives en connexion. Ces dernières, aménagées dans le même laps de temps, dessinent un virage et encadrent un cellier augustéen (lato sensu). Si l’on considère la mise en place du réseau viaire à la fin du règne d’Auguste ou au début de celui de Tibère, ce cellier a semble-t-il joué un rôle lors de l’installation de la trame. Pour les derniers niveaux conservés, la densification de l’habitat pourrait expliquer le rétrécissement des rues, et principalement du carrefour, où les trottoirs sont absents.
- 8 On peut faire le même constat à Paris et à Melun, malgré la vitalité de la recherche archéologique.
17Les carrefours de rues antiques sont propices à la mise en place d’aménagements publics, en particulier des fontaines ou des sanctuaires de carrefour, abondamment représentés à Rome, Pompéi, Herculanum ou à Délos par exemple ou, pour la Gaule, à Bavay (Byhet, 2003). Force est pour l’heure de constater que ces types d’installation n’ont pas été décelés à Meaux8, la récupération intensive des matériaux de construction au cours de l’Antiquité et postérieurement pourrait les avoir fait disparaître. Les destructions engendrées par les occupations postérieures sont aussi à prendre en compte. Aussi ne faut-il pas conclure trop vite à leur absence. À cet égard, il faut signaler la découverte d’un tronçon de canalisation privé sur le site du 23, boulevard Jean-Rose, qui renseigne sur l’existence d’un réseau de distribution d’eau au sein de la cité, alimenté par un ou deux aqueducs (Bauchet et al., 2011).
- 9 Les recharges des chaussées meldoises comportent rarement des rejets témoignant d’une activité : la (...)
18Les activités exercées aux abords des carrefours ne sont pas toujours directement lisibles au travers de structures, mais peuvent être déduites de l’étude des vestiges mobiliers (céramique, faune, instrumentum…). La fouille réalisée au 62-72, rue Saint-Faron, à l’emplacement du carrefour du cardo 2 et du decumanus 5, illustre ce fait de façon exemplaire. Sur le carrefour entre le cardo 2 et le decumanus 5, vers le milieu du Ier siècle, on observe des transformations : une vaste aire de circulation d’au moins 150 m2 est aménagée sur le côté ouest de l’intersection et le cardo 2 est doté de portiques. On trouve à la même période de nombreux rejets de tessons d’amphores en recharge de chaussée9, dans des caniveaux, en comblement de fosse ou en remploi comme radier de sole de four.
19Parmi les 25 677 fragments de céramique antique, figurent 9 712 restes d’amphore. Le pourcentage d’amphores parmi l’ensemble du mobilier céramique (38 %) est cinq à six fois plus important que ce que l’on observe habituellement à Meaux en contexte domestique (autour de 7 %) et, plus généralement, en milieu urbain en Gaule septentrionale. En réalité, c’est au cours des phases 3 et 4 de l’occupation, datées vers 30-70 et 70-90 de notre ère, que ce taux est si élevé (61 % et 82 %) qu’il ne laisse qu’une place minime à la vaisselle de cuisine et de service, les rejets domestiques étant en grande partie masqués par la masse des amphores [ill. 7]. Ces dernières trahissent la présence, in situ ou à proximité immédiate, de boutiques de vente au détail dont les déchets ont été enfouis dans des fosses et des remblais, mais aussi mêlés à des recharges de voirie selon une pratique attestée dans quelques agglomérations, par exemple à Nîmes et Aix-en-Provence (Monteil et al., 2003 ; Nin, Leguilloux, 2003). Un incendie intervenu vers 90 de notre ère met fin à cette activité commerciale, le quartier étant sans doute restructuré au profit d’un habitat privé (Séguier, 2019).
7. Évolution quantitative des amphores et de la vaisselle sur le site du 62-72 rue Saint-Faron (d’après Séguier, 2019).
Jean-Marc Séguier, Inrap
20Que vendait-on dans ces boutiques ? Selon l’étude typologique des amphores, ce sont essentiellement des produits exotiques et c’est là une particularité [ill. 8]. Le produit phare est constitué par des salaisons de poisson produites sur le littoral de la Bétique (type Beltrán 2) et reconditionnées à Lyon pour une petite part d’entre elles (type Lyon 3). Ce condiment, très utilisé dans la cuisine romaine, devance, et de loin, les olives, l’huile et le vin. Les olives noires de Bétique confites dans du moût cuit (type Haltern 70) accompagnent des olives vertes de la basse vallée du Rhône sans doute conservées dans du vin blanc doux (type Augst 21). L’huile provient de Bétique (type Dressel 20) mais en assez faible quantité. La diversité des types amphoriques traduit la variété des vins proposés à la clientèle : crus de Narbonnaise, de Tarraconaise, de mer Égée… alors que les amphores produites à Noyon (type Gauloise 4) et dans la région de Meaux ont pu servir à emballer le produit de viticultures locales dont on commence à saisir l’importance, ou à reconditionner des vins parvenus en vrac. Si les produits halieutiques de Bétique dominent les étals de la phase 3, ceux de la phase 4 proposent surtout du vin.
8. Exemples d’amphores du 62-72, rue Saint-Faron : type, contenu et origine.
Patrick Pihuit et Jean-Marc Séguier, Inrap
- 10 La fouille d’une partie du forum de Chartres a livré cette même association privilégiée entre des a (...)
21Les nombreuses cruches, dont une bonne part issue des ateliers de la région de Noyon, trahissent certainement le mode de vente au détail d’une bonne part de ces denrées exotiques (vin, sauces de poisson, huile)10, mais elles ne semblent guère adaptées à un produit comme les olives. La présence de deux encriers n’est pas sans intérêt, l’atramentarium étant un instrument au service de la comptabilité qui accompagnait nécessairement les activités commerciales.
22Le caractère exigu de l’emprise fouillée et les destructions post-antiques expliquent qu’aucune boutique n’ait pu être identifiée sur le terrain. Au demeurant, les locaux à usage commercial, situés en façade des habitations, ne présentent, en Gaule comme en Italie, aucun plan-type en dehors des tavernes et boulangeries (Monteix, 2010). Seule l’iconographie funéraire met en scène des aménagements dans lesquels on peut voir des comptoirs et des systèmes de distribution plus ou moins sophistiqués.
23À noter aussi que deux phallus confectionnés dans des anses d’amphore ont été découverts au croisement du cardo 2 et du decumanus 5 [ill. 9]. Les représentations de pénis en érection sont communes dans le monde romain (amulettes, sculptures, peintures murales, instrumentum, vaisselle...). Elles revêtaient un caractère apotropaïque (Trombetta, 1999). Leur présence à un carrefour est une illustration symbolique de l’un des innombrables rites de passage dont l’anthropologie a souligné l’importance. Ici, c’est sans doute le passage entre divers quartiers qui est mis sous la protection de Priape (Baude, Dumas, 2005), divinité qui veillait sur les lieux assurant la transition entre des univers différents.
9. Phallus sculpté sur une anse d’amphore italique de type Dressel 1 découvert au 62-72, rue Saint-Faron.
Jean-Marc Séguier, Inrap
- 11 Son tracé courbe se lit facilement dans le parcellaire [ill. 3].
24Les tessons d’amphore ont aussi été retrouvés plus au nord, en recharge sur le cardo 2 (site IFSI), mais pas sur la fouille réalisée au nord de la rue de la Visitation. Cette concentration en limite d’un îlot délimité par le decumanus 5 au sud et le decumanus 1 au nord interroge forcément quant au lien avec la rivière dont le chenal colmaté se situe à une centaine de mètres plus à l’est. Des « pilotis » ont été observés au XIXe siècle lors de la construction du chemin de fer11 et sont reliés à la présence d’un pont (Carro, 1862) auquel aboutirait une rue, certainement le decumanus 5.
25Un port médiéval, nommé Port Ricoin, mentionné par les sources textuelles du XIIIe siècle, serait localisé plus au sud (Förstel, 2013). On imagine mal que la ville antique n’ait pas été aussi dotée d’une infrastructure portuaire. L’importation de matériaux pondéreux non disponibles sur place, employés notamment pour la construction, la fabrication des meules rotatives et la décoration des édifices publics ou privés, pose la question du mode de transport. Les éléments lapidaires constitutifs des colonnades proviennent largement des carrières de calcaire situées à proximité de Meaux (Varreddes et Isles-les-Meldeuses), situées en amont sur la Marne, et, dans une moindre mesure, de la vallée de l’Oise (Blanc, Blanc, 2020). Les meules en grès utilisées dans la ville antique pourraient provenir de Fosses (Val-d’Oise) où un centre carrier a été mis en évidence (Garcia, 2019). Si la voie fluviale, en l’occurrence l’Oise, a pu être utilisée – on pense à la découverte d’épaves dans le Rhin ou la Tamise témoignant du transport fluvial des meules à l’état d’ébauches (Picavet, 2011) –, on ne peut exclure un transport terrestre étant donné que la distance à couvrir est de l’ordre de 30 km à vol d’oiseau. Les roches décoratives utilisées dans la ville de Meaux antique proviennent de Mayenne, du Morvan et des Pyrénées pour l’essentiel (Prié, Blanc, Blanc, 2020). Pour les deux derniers gisements, l’hypothèse d’un transport par voie fluviale est proposée (Bouthier, 1999-2000 ; Fabre, Sablayrolles, 2002).
- 12 Est-elle navigable en amont de Meaux à partir d’Épernay (Suttor, 2015) ou de Vitry-le-François (Bel (...)
26Il faut aussi souligner que l’installation de l’abbaye Saint-Faron au VIIe siècle s’est également effectuée dans cet ilot délimité par le decumanus 5 au sud et le decumanus 1 au nord, côté nord. La proximité de la rivière et la conservation et l’entretien des aménagements antérieurs (pont et/ou port) ont pu exercer une attractivité, sans oublier l’intérêt pour la ressource halieutique et la possibilité d’utilisation de l’énergie hydraulique (moulins). Plus largement, la navigation sur la Marne est encore un vaste sujet à défricher12, même si de remarquables études locales ont été menées (Berthier, 2009 ; Jude-Serna, 1996).
27La ville antique de Meaux bénéficie d’une position privilégiée dans le réseau de voies de communication terrestres et sa localisation au sein d’un méandre, à l’instar de Besançon et de Cahors, suggère une intégration au vaste bassin de la Seine et, en filigrane, la présence d’un port que l’archéologie n’a pas encore révélé. Son organisation viaire se superpose à une trame fossoyée. Les deux carrefours fouillés n’ont pas livré d’aménagements spécifiques, comme des fontaines, mais l’importance des phénomènes d’altération (récupérations et destructions) pourrait expliquer ces absences. En revanche, des rejets massifs de tessons d’amphore sur l’un des croisements de rues traduisent la présence de boutiques, entre 30 et 90 notre ère, spécialisées d’abord dans la distribution de salaison de poisson puis de vin.