Site
Les Bosquets
Havrincourt
Pas-de-Calais
Date
2010 et 2011
Surface
2000 m² et 4100 m²
Équipe
Responsable d’opération
Émilie Goval, ministère de la Culture et de la Communication
Tracéologie
Émilie Claud, Inrap
Archéozoologie
Patrick Auguste, Inrap
1Néandertal n’était pas uniquement charognard mais un redoutable chasseur. Physiquement apte à la chasse et fin connaisseur de son environnement, il est désormais considéré par les chercheurs comme l’un des plus grands chasseurs de tous les temps. Ce statut renouvelé est le fruit des avancées récentes et nombreuses de la recherche. Ces dernières ont permis de faire tomber un à un les multiples préjugés concernant son mode de vie, son régime alimentaire ou encore sa capacité d’adaptation à certains milieux et certaines conditions climatiques. Dans ce courant, les analyses menées sur le site d’Havrincourt, fouillé en 2010 et 2011, ont été l’occasion d’apporter de nouveaux éléments de réflexion sur la manière dont Néandertal chassait et exploitait son territoire.
2Les fouilles préventives menées sur la commune d’Havrincourt dans le cadre du projet du canal Seine-Nord Europe ont mis au jour quatre niveaux d’occupation échelonnés du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur (Goval, Hérisson, 2012 ; Goval et al., 2012 ; Antoine et al., 2014). Au sein de cette succession, le niveau Hav.1-N3, daté d’environ 70 000 ans, a livré des éléments riches d’enseignement.
3Sur les 2 000 m² fouillés, seuls huit éclats Levallois étaient associés à des restes fauniques. Ces éclats, remarquables par leurs grandes dimensions (d’une longueur supérieure à 10 cm), ont été importés sur le site. Ils proviennent certainement d’ateliers de production à l’image du site d’Hermies (Vallin et al., 2006), situés dans la vallée, à proximité immédiate des blocs de matière première. Les éclats de haute facture ont été soigneusement préparés par de nombreux enlèvements centripètes et par un facettage attentionné [ill. 1 et 2]. Le détachement des éclats s’effectue au percuteur dur en percussion rentrante comme l’atteste la proéminence des bulbes et les stigmates de percussion. Le soin porté à la préparation des éclats permet d’obtenir des produits standardisés, symétriques selon le plus grand axe, aux tranchants des bords droits et gauches similaires. Élément rare, une morphologie similaire de la base des éclats a attiré notre attention.
1. Havrincourt - secteur 1 – N3, éclat Levallois préférentiel de grandes dimensions (15 x 8,5 x 1,6 cm).
© D. Gliksman/Inrap
2. Havrincourt - secteur 1 – N3, localisation et photographie des petits esquillements discontinus liés à la coupe de matière tendre à mi dure (boucherie). La mesure de l’angle de coupant correspond à une moyenne des angles mesurés le long de la zone active.
© E. Claud/Inrap
4En poursuivant les investigations, il a été remarqué que tous les éclats Levallois présentaient sur l’un de leurs bords une zone de petites retouches marginales à proximité du talon [voir ill. p. 102-103]. Ses dimensions sont toujours comprises entre 15 et 25 mm. Afin de saisir le mode de fonctionnement des éclats et le rôle que joue cette zone de retouche, une étude tracéologique a été menée concernant les éventuelles traces d’usure conservées sur leur tranchant et sur leur surface. Le recours à la loupe binoculaire (faible grossissement, de 10 à 30x) renseigne principalement sur le mouvement effectué et la dureté de la matière travaillée, le microscope métallographique (fort grossissement, de 100 à 500x) permet de rechercher la nature précise de la matière travaillée (viande, peau fraîche ou sèche, bois, os, etc.), ainsi que le mouvement. Au terme de l’étude, trois éclats présentent des traces d’utilisation résultant d’activité de découpe en boucherie [ill. 2 et 3]. Deux autres éclats auraient été utilisés, l’un pour couper une matière tendre comme de la peau ou de la viande et l’autre, pour percuter des matières dures organiques. C’est donc au traitement de carcasses animales qu’ont servi les éclats Levallois d’Havrincourt.
3. Illustration de l’utilisation et du mode de préhension supposé des éclats Levallois préférentiels d’Havrincourt, bulbe dirigé vers le haut.
© C. Font/Inrap
5Sur l’aire de fouille, seize restes de grands herbivores ont été retrouvés. Le rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis) est représenté par deux os (un métatarsien et un tibia droit) appartenant probablement au même individu, dont la présence semble sans lien évident avec les éclats. Cependant, la majorité des restes fauniques, treize dents de cheval, sont localisés à proximité immédiate de deux éclats Levallois. Ces dents sont les seuls témoins ayant survécu à l’acidité du sol, mais d’autres restes de carcasse de cheval devaient joncher le sol au moment de l’abandon du site par Néandertal. La tracéologie a également mis en évidence que la base des éclats et la retouche adjacente au talon sont des aménagements qui permettaient une bonne préhension de la pièce pour s’en servir en tant que couteau [ill. 3].
6L’ensemble de ces données permettent de reconstituer pour le niveau Hav.1-N3 un moment de vie d’un groupe de Néandertaliens il y a 70 000 ans. Munis d’éclats Levallois de grandes dimensions produits dans la vallée, ils sont venus chasser des chevaux dans la plaine steppique d’Havrincourt. Après avoir découpé des carcasses de chevaux, ils repartent du site en abandonnant sur place une partie de leurs couteaux de boucherie. Des quartiers de viande prélevés annoncent un festin, un steak de cheval pour Néandertal.