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4. Rationalisation et dynamisme de la recherche

Les apports méthodologiques et scientifiques du tracé de la LGV Le Mans-Rennes

The methodological and scientific contributions of the high-speed rail outline Le Mans-Rennes
Los aportes metodológicos y científicos del trazado de la línea de alta velocidad Le Mans-Rennes
Nelly Le Meur et Jean-Yves Langlois
p. 115-121

Résumés

Le projet de réalisation de la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire, dans les années 2010, a été précédé d’une série d’opérations archéologiques – diagnostics systématiques sur les 200 km de tracé et fouille d’une quarantaine de sites. Le faisceau ferroviaire traverse deux régions différentes, notamment administrativement, tant au niveau des services régionaux de l’Archéologie, qu’au niveau de l’Inrap Grand-Ouest. Environ 80 % de l’emprise de la LGV se situe dans les Pays de la Loire, et 20 % en Bretagne. La documentation archéologique préalable à l’opération est beaucoup plus riche dans les Pays de la Loire. Cette situation a conduit dans cette région à l’établissement d’un cahier des charges scientifiques et techniques des diagnostics basé sur la Carte archéologique, la topographie, la géologie, afin de mettre en exergue des secteurs thématiques demandant des approches spécifiques. C’est ainsi que 15 secteurs, de 4 à 40 km ont été établis. Les résultats entre les attendus et les informations montrent une bonne corrélation, notamment grâce à la mise en place d’équipes spécialisées, permettant ainsi d’apporter une plus-value dans les rapports. Ils démontrent aussi la nécessité de sonder systématiquement l’ensemble de la surface, même si certains tronçons apparaissaient exempts d’informations préliminaires.

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Texte intégral

1Le projet de réalisation de la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire (LGV BPL), réinitié en 2004 et long de 218 km, a entraîné la réalisation d’un diagnostic archéologique, sur la section courante comme sur les raccordements. Les opérations de diagnostics, puis de fouilles, se sont déroulées sur le terrain de novembre 2009 à juillet 2013. De nombreux archéologues ont été mobilisés tant sur le terrain qu’en laboratoire. Les opérations de diagnostic ont été intégralement réalisées par l’Inrap. Le montage des arrêtés permettait une ouverture du grand linéaire à des collectivités territoriales agréées.

  • 1 Anne Duval pour la Bretagne, Nelly Le Meur pour les Pays de la Loire.
  • 2 Michel Baillieu pour la Bretagne, Jean-Yves Langlois puis Pierre Chevet pour les Pays de La Loire.
  • 3 Éric Mare, Inrap.

2Ce programme a concerné deux régions : la Bretagne, pour 40 km, et les Pays de la Loire, pour 171 km [ill. 1]. Pour le volet archéologique, une coordination a été mise en place entre les deux services régionaux de l’Archéologie (SRA) concernés, avec la désignation d’un référent pour chaque région1. Du côté de l’Inrap, la division territoriale a également été respectée sous la direction des deux adjoints techniques et scientifiques (AST) régionaux supervisant les secteurs de la LGV dépendant de leur région2. Pour les Pays de la Loire, l’AST a été assisté d’un archéologue chargé de la coordination technique3 – interlocuteur privilégié et référent entre l’aménageur, l’AST et les responsables d’opération, notamment pour les accès au terrain. Réseau Ferré de France (RFF) a été le premier maître d’ouvrage, pendant la quasi-totalité des diagnostics et la première fouille. Eiffage Rail Express (ERE) a pris le relais pour la dernière phase de sondages et la quarantaine de fouilles prescrites.

1. Localisation et chronologie des sites fouillés sur le tracé.

N. Le Meur, J.-Y. Langlois

Les stratégies d’intervention

3L’emprise a été divisée en 19 secteurs archéologiques  : 4 en région Bretagne et 15 en région Pays de la Loire. Comme c’est souvent le cas sur les grands tracés, les territoires traversés sont hétérogènes. La mise en place des diagnostics le long du tracé a été en partie conditionnée par les données de la Carte archéologique et a été décidée différemment suivant les deux régions. En Bretagne, les 40 km étaient peu ou pas renseignés archéologiquement, à l’inverse d’une bonne partie du territoire des Pays de la Loire. Le SRA de Bretagne a donc mis en place 4 secteurs de 10 km de long, assortis de prescriptions d’ordre général pour établir l’existence de sites et leurs potentialités scientifiques.

  • 4 Le code du Patrimoine et le décret du 3 juin 2004 sur l’archéologie préventive permettaient aux ser (...)

4En revanche, la documentation disponible dans les Pays de La Loire a permis une approche différente des terrains, en imaginant des méthodologies et des procédures nouvelles suivant les secteurs. La stratégie d’intervention adaptée a eu pour conséquence de modifier, en amont, l’image de l’archéologie : de véritables études d’impact ont permis de dépasser le simple « nuage » de points transmis comme « alerte » du potentiel ou risque archéologique en relation avec l’aménagement4.

5Pour ce faire, un travail préparatoire méthodique et systématique a été effectué en 2005. Un dépouillement des données archéologiques, géologiques, historiques, disponibles sur de multiples supports, visait à l’analyse la plus fine possible du territoire à explorer, similaire par exemple aux études des écosystèmes (faune, flore…). Ce travail a été réalisé dans l’idée que la surface des aménagements (linéaires ou « surfaciques ») pouvait être considérée comme un « espace géographique », en référence à la définition de Roger Brunet. Cet espace consiste en « l’étendue terrestre utilisée et aménagée par les sociétés en vue de leur reproduction – au sens large : non seulement pour se nourrir et s’abriter, mais dans toute la complexité des actes sociaux. Il comprend l’ensemble des lieux et de leur relation (…). Il incorpore des héritages, des mémoires naturelles et artificielles (…) » (Brunet et al., 2005, p. 194). Ces études préalables ont montré que, localement, les données souvent éparses pouvaient être intégrées dans des ensembles cohérents. La confrontation des données et les analyses croisées ont fait émerger des tendances permettant d’envisager des problématiques scientifiques localisées. Les méthodologies de diagnostic sur le terrain en relation avec les hypothèses de susceptibilité archéologique pouvaient être variées et affinées en amont.

6Ces réflexions n’étaient en aucun cas une remise en question de la recherche systématique ni un renouvellement du diagnostic, mais avaient pour ambition de réintroduire des méthodes d’approches (techniques et intellectuelles) en archéologie préventive (Le Meur, 2006). Ainsi, l’objectif de l’ensemble de ce travail préparatoire n’était pas d’établir un dogme, mais d’essayer d’envisager autrement le diagnostic archéologique sur un linéaire. Il fallait l’interpréter comme un modèle dans le sens d’une « simulation de base facilitant la compréhension du fonctionnement de processus complexes et l’élaboration de projets applicables » (Wackermann, 2005, p. 261), et ce, pour l’ensemble des partenaires.

7Au moment de la réflexion portée sur les problématiques et sur les méthodologies adaptées, les lots d’aménagement étaient inconnus. Il a donc été fait abstraction de ceux-ci et le choix des limites de secteurs a été effectué en vue de concilier au maximum la meilleure visibilité pour chaque interlocuteur : lisibilité cartographique permettant une compréhension directe dans le discours et repérable dans le paysage pour les équipes sur le terrain. Pour ce faire, la recherche et le report des limites des secteurs archéologiques ont été réalisés sur le support le plus pratique et accessible à tous : le fond cartographique au 1/25000e. Dans ce cadre, il s’est avéré que les systèmes de voiries (chemin vicinaux, routes départementales…) étaient les plus adaptés pour répondre à ces objectifs, ils furent donc les plus sollicités. Toutefois, dans de rares cas, il a été impossible d’allier l’ensemble des paramètres pour une lecture maximale. Alors, au lieu de construire une limite ex-nihilo et complètement abstraite, c’est la lecture cartographique qui a orienté la trame (deux cas de limites communales).

Les particularités de la prescription

8Ces secteurs archéologiques, ainsi définis, ont eu des implications directes et concrètes pour la mise en place des diagnostics sur la ligne à grande vitesse Le Mans – Rennes. Dans les Pays de la Loire, cela a abouti à la rédaction d’arrêtés préfectoraux séparés et différenciés pour chaque secteur et non à un arrêté général de diagnostic. Des prescriptions spécifiques et détaillées correspondaient à l’adéquation entre les attendus scientifiques et les méthodes à mettre en œuvre. Les arrêtés, en lien avec un suivi attentif, ont certes nécessité davantage de procédures administratives. Ils présentaient cependant des avantages aussi bien scientifiques que techniques.

9Du point de vue scientifique, ils ont en effet permis de définir au mieux la constitution des équipes (spécialistes des périodes historiques concernées, compétences par type d’intervention, nombre d’acteurs) et de pouvoir anticiper l’intégration de spécialistes aux opérations. Le choix des responsables d’opération selon leurs spécialités – tout en sachant que chacun d’entre eux avaient déjà l’expérience de la conduite de diagnostics, toutes périodes confondues – a apporté une plus-value évidente à la réalisation des diagnostics. Il a permis, sur le terrain, une meilleure reconnaissance des sites (cf. infra), ainsi qu’une bonne mise en perspective historique des vestiges dans les rapports. L’anticipation des thématiques et la présence immédiate et permanente de ces spécialistes au sein des équipes ont donné une grande souplesse aux interventions. En partant des hypothèses de travail émises pour chaque secteur, il fallait que le service régional de l’Archéologie soit le plus réactif possible pour éventuellement réadapter les prescriptions en fonction de l’avancement sur le terrain. Les échanges permanents entre les agents du SRA, les AST et les responsables d’opération ont ainsi permis d’adapter en temps réel certains aspects des interventions, comme le taux d’ouverture, qui pouvait, sur certains indices de sites identifiés et documentés, être réapprécié en vue d’une bonne compréhension en fouille.

10Du point de vue technique, ces différents arrêtés préfectoraux ont largement contribué aux négociations avec la maîtrise d’ouvrage (RFF puis en 2011 ERE). Au-delà d’une sensibilisation aux fortes probabilités de découvertes en fonction des lieux, elles ont porté sur la nécessité de rendre accessible les terrains en continu par secteur prédéfini et de ne pas disperser les diagnostics sur le linéaire, et de prioriser les secteurs à libérer en raison des enjeux soit scientifiques soit techniques là où les investigations étaient les plus complexes à mettre en œuvre. En termes opérationnels, cette solution a ménagé, ou du moins diminué fortement, les transferts d’équipes et de matériel sur le tracé en dehors des franchissements d’obstacles naturels – rivières, routes, bois, saisons de nichées d’oiseaux, etc. Les situations de terrains non libérés, hormis les secteurs en bois, ont été rares. Elles ont eu lieu, dans la majorité des cas, à la demande expresse des agriculteurs souhaitant procéder aux récoltes avant le passage des équipes d’archéologues. Elles ont concerné essentiellement de grandes parcelles et ont nécessité des aménagements de planning.

11Le travail par secteur a eu pour résultat le rendu des rapports de diagnostic dans des délais raisonnables. Ajusté au calendrier serré des interventions, propre aux opérations archéologiques liées à ce type d’aménagement, le rendu progressif des rapports a permis un meilleur suivi scientifique et administratif (procédures, avancement du chantier, découvertes, aide à la décision pour les fouilles...).

12Pour faciliter l’approche et la compréhension des arrêtés de prescription de diagnostic, les annexes donnaient toutes les informations recensées au préalable (fiche récapitulant les limites de secteur, le nombre de kilomètres, la topographie/hydrographie/géologie, les éléments archéologiques connus dans le fuseau et sur le tracé, les contextes archéologiques et historiques...) et un jeu de cartes (situation, géologique et topographique) où étaient reportés les sites connus. Les arrêtés comportaient tous des variantes avec toutefois une constante : l’étude des formations sédimentaires.

Des prescriptions adaptées aux secteurs identifiés

13Les prescriptions ont défini 15 secteurs dans les Pays de la Loire. Huit (secteurs 6, 8, 9, 10, 14, 16, 18 et 19) ont livré très peu d’informations préliminaires. Le diagnostic prescrivait des tranchées linéaires ou en quinconce avec un taux d’ouverture entre 5 % et 10 %. L’objectif était la recherche des sites structurés ou à forte emprise au sol. Toutefois, pour certains secteurs (16, 18 et 19), où la lecture des courbes de niveau a fait apparaître des reliefs prononcés (buttes), les sondages/tranchées devaient tenir compte des pentes (tranchées linéaires continues dans le sens des pentes) avec un taux d’ouverture plus élevé, à proximité et sur les buttes, avec pour objectif la recherche des formes d’anthropisation en relation avec la géomorphologie. Dans ce cas, c’est la topographie qui a alerté sur un potentiel archéologique et orienté la méthodologie à mettre en place. Le passage de ruisseaux ou de rivières a également été pris en compte, en particulier autour de la rivière Mayenne (secteur 8) et de la rivière Quartier (secteur 9), où des carottages ont été demandés avec un taux d’ouverture à 20 %. Ainsi au sein d’une même prescription, des méthodologies différentes pouvaient être prescrites.

14Deux autres secteurs (7 et 11) présentaient, soit par leur topographie, soit par les éléments archéologiques et historiques, des zones de passages privilégiés avec de probables systèmes de défense et/ou de contrôle des accès, entre autres sur les hauteurs dominant les vallées encaissées.

15La prospection mécanique devait tenir compte de la topographie et être effectuée par le biais de tranchées linéaires et continues couplées par des sondages carottés paléo-environnementaux (en rive droite de la Jouanne, en rives droite et gauche de la rivière du Vicoin et du ruisseau des Brûlés) avec un taux d’ouverture à 15 %.

16Pour deux secteurs (12 et 13), la présence de nombreuses mottes castrales ou maisons fortes avait été relevée. Elle a conduit, d’une part, à un travail de dépouillement d’archives et de lecture des cadastres préalable aux investigations. D’autre part, les observations de terrain ont été adaptées, avec une attention particulière portée aux microreliefs, des relevés microtopographiques si nécessaire, des sondages/tranchées en adéquation avec ce type d’architecture (les moins destructeurs possibles) et, en dehors de celui-ci, des tranchées à un taux d’ouverture à 20 % afin de recenser un maximum d’informations. L’objectif était de mettre en correspondance directe ces données avec les études documentaires, en particulier concernant les mottes (orientations des sondages/tranchées organisées en fonction, par exemple, des parcellaires anciens repérés dans la documentation). Il s’agissait non seulement de dater et de vérifier les états de conservation des mottes, mais surtout d’appréhender leur territoire.

17Pour les périodes gauloise et antique, deux secteurs ont été privilégiés en raison de leur richesse documentaire (5 et 17). Le diagnostic devait consister en tranchées linéaires continues avec un taux d’ouverture à 20 % pour un repérage de toutes les formes d’anthropisation, même de faible amplitude au sol (de l’objet isolé au site structuré). Ce repérage devait contribuer à l’analyse des terroirs, de leurs limites et de leur évolution, par le biais, notamment, des différentes formes d’enclos, parcellaires et axes de circulation. Pour le secteur 17, et au vu de l’expérience de l’A28, l’accent devait également être mis sur le repérage des extractions et/ou exploitations du fer (formations du Cénomanien, argiles à minerai de fer) à mettre en relation directe avec les habitats et les problématiques actuelles.

18Dans un dernier secteur (15), des variations importantes des recouvrements avaient été constatées localement : une troncature des sols extrêmement importante laissait apparaître en surface des amas de débitage du Paléolithique moyen (Fontenay-sur-Vègre, Chantenay-Villedieu), alors qu’à peu de distance (Asnières-sur-Vègre), ces mêmes horizons archéologiques étaient à plus de 1 m de profondeur. Dans le premier cas, une prospection pédestre intensive couplée à des sondages mécaniques peu profonds était indispensable ; dans le second, des tranchées linéaires profondes avec un taux d’ouverture de l’ordre de 15 % étaient préconisées. De plus, la carte géologique de cette « zone » montrait des argiles à silex du bajocien qui avaient pu être exploitées. Le diagnostic devait donc intégrer les éventuels lieux d’approvisionnement des occupations préhistoriques.

19La forte implication et réactivité d’un agent du service régional de l’Archéologie, des équipes d’archéologues impliquées dans ce projet et des aménageurs successifs ont permis de réaliser les diagnostics sur l’ensemble des terrains avec cohérence et dans le respect mutuel des uns et des autres.

Les méthodologies appliquées lors du diagnostic

20Les 1166,5 ha de terrain diagnostiqués (linéaire et travaux connexes) sur la totalité de l’emprise de la LGV dans les Pays de la Loire [ill. 2] ont permis de révéler 164 sites et indices de sites, hors parcellaire/cadastration.

2. Calendrier synthétique des surfaces étudiées en Pays de la Loire.

2. Calendrier synthétique des surfaces étudiées en Pays de la Loire.

N. Le Meur, J.-Y. Langlois

21La proportion surface diagnostiquée/nombre de sites ou indices représente en moyenne 1 site pour 7 hectares [ill. 3]. Ce chiffre est à relativiser car certains secteurs, comme le secteur 11, n’ont révélé aucun indice sur 23,10 ha. D’autres, malgré un fort potentiel, se sont révélés peu concluants. Ainsi, dans le secteur 15, la carte géologique et l’environnement archéologique laissaient envisager un potentiel de sites d’exploitation de surface des argiles à silex résiduel issu du bajocien (silex de Vion, par exemple). Il s’est avéré cependant, sur près d’une dizaine de kilomètres, que ce silex était en décomposition et inexploitable à toute époque et que les sites paléolithiques recensés étaient non seulement érodés mais avaient subi des ramassages de surface systématiques. Ce chiffre est également à mettre en perspective avec l’étendue, l’emprise au sol des vestiges, pour exemple une des minières découvertes sur le secteur 17 fait plus de 900 mètres de long ! Cependant, les résultats des diagnostics ont montré généralement une bonne corrélation entre les informations préalables et les données recueillies. Ceci s’est avéré particulièrement vrai dans les secteurs bien renseignés. D’autres secteurs, qui apparaissaient exempts d’indices, comme le secteur 14, se sont révélés positifs. Ces situations ont réaffirmé, s’il fallait encore le prouver, la nécessité de pratiquer des diagnostics même dans des zones non documentées.

3. Nombre d’indices de sites découverts dans chaque secteur diagnostiqué.

3. Nombre d’indices de sites découverts dans chaque secteur diagnostiqué.

N. Le Meur, J.-Y. Langlois

22Dans le secteur 15, dont le potentiel en sites préhistoriques était annoncé par les cartes archéologique et géologique, les résultats ont d’abord montré une très forte érosion des sites conduisant certains indices à n’être conservés que dans les labours. Puis, les sondages ont mis en évidence à « Château-Gaillard », dans la commune de Fontenay-sur-Vègre, un site de plein air du Paléolithique moyen, vieux de 60 000 ans, et peu altéré par l’érosion. Proche des sites paléolithiques de la vallée de l’Erve, ce site, témoignant pour la première fois dans l’ouest de la France d’un site structuré néandertalien, a été détecté par un néolithicien, Benoît Poisblaud (Inrap). Il a été, par la suite, étudié par l’équipe archéologique officiant dans la vallée de l’Erve, sous la direction de Stephan Hingant (Inrap). Le choix de ce second responsable d’opération pour la fouille a été motivé par l’intérêt d’avoir une homogénéité de traitement scientifique avec les sites voisins.

23Dans le même esprit d’efficacité scientifique, trois sites gaulois repérés, dans les communes de Ruillé-le-Gravelais (« la Gachotière »), Louvigné (« la Saulaie ») et Fontenay-sur-Vègre (« Braie et Bas Braie »), sur des secteurs différents, ont été confiés lors de la fouille à une même équipe dirigée par Olivier Nillesse (Inrap), spécialiste des occupations rurales de l’âge du Fer. Ce dispositif a, à nouveau, eu l’avantage de garantir une recherche cohérente ainsi qu’une souplesse opérationnelle.

  • 5 D'est en ouest, « les Landes » et « la Chataigneraie » à Neuville-sur-Sarthe, « Beslan », « Bois de (...)
  • 6 Deux sites ont abrité deux occupations avec deux fonctions distinctes : mine et forge à « Beslan » (...)

24Dans le secteur 17, au nord du Mans, le tracé croisait celui de l’autoroute A28, pour lequel la prospection et les fouilles avaient révélé, à la fin des années 1990, un ensemble de mines de fer et d’ateliers de réduction de minerai. L’opération dans ce secteur, placé sous un thème d’étude consacré à la paléométallurgie, a donc été confiée dans un premier temps à Véronique Gallien (Inrap), responsable d’opération sensibilisée au sujet et aguerrie aux sondages profonds spécifiques à la recherche des puits de mine. La définition thématique du secteur a permis, dans un second temps, au SRA et à la Commission interrégionale de la recherche archéologique (Cira) de réunir juridiquement en une seule et même prescription de fouilles un ensemble de sites distincts mais répondant à la thématique initialement mise sur pied. Sur une dizaine de kilomètres, 13 indices de sites paléométallurgiques – extraction, ateliers de réduction de minerai de fer et forge dans un habitat – ont été identifiés. Neuf d’entre eux ont fait l’objet de fouilles5. Le site de Beslan à La Milesse comportait, sur la même surface prescrite, deux occupations distinctes : une mine de fer et un habitat avec une forge. Il constituait un double site et portait en réalité à 10 le nombre d’occurrences étudiées. Lors du diagnostic, une parcelle boisée – « Bois de Beslan » à La Milesse – n’a pu être sondée. Les bois, coupés lors de la phase de fouille des sites précités, recouvraient un terrain parsemé de reliefs dûs à l'extraction minière, avec des têtes de puits et des haldes. Ce site a fait l'objet d’une seconde prescription et a été fouillé par la même équipe. En tout, trois mines, sept ateliers de réduction6 et une forge ont été étudiés par la même équipe de fouille. Une vingtaine d’hectares ont été analysés sur une durée de treize mois. Durant cette période, l’opération a pu compter jusqu’à trois chantiers ouverts simultanément. Chaque site a été dirigé par un responsable de secteur sous la responsabilité du détenteur de l’autorisation de fouille liée à la prescription unique. Ce montage a permis de constituer une équipe volante et de mettre en œuvre des méthodes de travail homogènes sur l’ensemble des sites. Les résultats des recherches ont été consignés dans un seul rapport de fouille. Cette concentration du travail a permis de privilégier, dès cette étape d’écriture et avant toute publication, une synthèse des connaissances acquises sur le bassin minier manceau depuis les recherches archéologiques liées à l’A28 (Deloze, Langlois, 2015). La synthèse a été facilitée par la présence, dans l’équipe, d’archéologues ayant à la fois suivi les fouilles de l’A28 et celles de la LGV. Elle représente une étude archéologique intéressant le bassin minier dans toute son extension d’est en ouest (LGV) et du nord vers le sud (A28), depuis ses origines, à la période Hallstatt, jusqu’aux marges de l’époque moderne, complétée par les archives contemporaines. La concentration des sites métallurgiques a révélé l’importance économique du secteur nord du Mans aux périodes gauloises et romaines.

Des résultats à la hauteur des attendus scientifiques

25Les découvertes ont concerné différentes thématiques, toutes périodes chronologiques confondues [ill. 4]. Un ensemble de terroirs, connus auparavant essentiellement par des indices de sites mentionnés par la carte archéologique, ont pu être documentés directement par des fouilles. Si certaines périodes ne sont concernées que par un unique site, d’autres le sont par plusieurs.

4. Nombre d’indices de sites par période et par secteur (hors parcellaire).

4. Nombre d’indices de sites par période et par secteur (hors parcellaire).

N. Le Meur, J.-Y. Langlois

  • 7 « Château-Gaillard » à Fontenay-sur-Vègre et « le Bois de Sirion » à Auvers-le-Hamon.
  • 8 « La Poterie » à Ruillé-le-Gravelais et « les Perrières » à La Cropte.
  • 9 « Le Grand Coudray » à Bonchamp-lès-Laval, « la Grillère » à Saint-Denis-du-Maine, « les Guimbertiè (...)
  • 10 Auvers-le-Hamon, Fontenay-sur-Vègre, « la Saulaie » à Louvigné, « la Petite Coyère » à La Cropte, B (...)
  • 11 « La Bourlerie » à Vallon-sur-Gée.
  • 12 « La Grillère » à Saint-Denis-du-Maine.
  • 13 Le « Bois de Beslan », à La Milesse.
  • 14 « La Quinte », Saint-Cyr-le-Gravelais, Coulans-sur-Gée.
  • 15 « La Chapelle » à Saint-Corneille, « les Touches » à Juigné-sur-Sarthe.
  • 16 « Les Nouis » à Coulans-sur-Gée, « les Chauvières » à La Quinte.
  • 17 « La Ronce » à La Milesse.

26Ainsi ont été identifiés, pour la première fois en Pays de la Loire, des sites de plein air structurés de l’homme de Néandertal7. Sa présence a été relevée sur deux sites proches des vallées de l’Erve et de la Vègre, hauts lieux de la Préhistoire dans l’ouest de la France. Ensuite, la période néolithique a été représentée par deux autres sites d’habitat8. En ce qui concerne la Protohistoire, on a noté un déficit d’informations pour l’âge du Bronze et la période de Hallstatt, en dehors d’une activité sidérurgique au premier âge du Fer. Présents tout au long du tracé, les établissements ruraux gaulois ont révélé le maillage du territoire et ont montré une organisation rationnelle du paysage9. L’occupation s’est poursuivie durant l’Antiquité avec une continuité d’occupation des sites antérieurs10, dont certains ont pu être transformés en villae, ou la création ex-nihilo de nouveaux complexes11 ou de sanctuaires12 (Guicheteau, à paraître). Les sites du haut Moyen Âge étaient peu nombreux. Le plus caractéristique a été étudié à Vallon-sur-Gée avec l’occupation, à la période mérovingienne, des ruines d’une villa. À la charnière du haut et du bas Moyen Âge, entre les IXe et XIe siècles, un atelier de verrier a pris place dans les haldes abandonnées d’une mine de fer antique13 (Raux et al., 2015). Les sites d’habitat attribués au bas Moyen Âge ont été plus nombreux sur le tracé, avec des restes de trois fermes14 et les vestiges d’habitats privilégiés entourés de douves15. Des sites d’habitat plus modestes ont complété ce panorama16. L’époque moderne s’est illustrée avec un manoir construit dès la fin du Moyen Âge et ayant évolué en ferme à la période contemporaine17.

27Depuis la première fouille en 2010 jusqu’à la dernière en 2013, la totalité des rapports de fouille ont été rendus. Les derniers attendent leur passage en commission de la Cira. D’ores et déjà, en plus des notices de sites à paraître dans les bulletins scientifiques régionaux, des sites, en tout ou partie, ont été intégrés dans des programmes de recherche, ont fait l’objet de communications, de publications d’articles ou font l’objet de projets de publication (Baillieu, Chevet, 2013).

28Ces travaux, sur plus de 200 kilomètres de longueur, ont considérablement renouvelé les connaissances dont la faiblesse correspondait jusqu’à présent à un défaut d’investigation. Il se confirme que le tracé de la LGV n’a pas traversé de zones à très faible peuplement ancien. Au contraire, la découverte de 164 sites ou indices de sites (dont 40 fouillés) a apporté de nouvelles données dans ce secteur géographique. Parmi les principales d’entre elles, il faut souligner la densité des établissements très structurés au cours des deux derniers siècles de l’âge du Fer et à la période antique. Les sondages et les fouilles ont montré avec certitude dans plusieurs cas la continuité des orientations du paysage agraire de la fin de l’indépendance gauloise avec celles d’établissements ruraux antiques. En deuxième lieu, l’identification de très nombreux habitats du haut Moyen Âge et surtout des XIIe-XIVe siècles en Sarthe et en Mayenne, sous des formes ouvertes ou encloses, a montré l’importance du substrat humain en milieu rural. Le transect réalisé au nord-ouest du Mans (A28 et LGV) a quant à lui permis de cerner le bassin géologique du minerai de fer et de démontrer l’importance de son exploitation depuis l’âge du Fer.

29Ces nouvelles informations permettent également d’envisager pour l’avenir des orientations de recherche, par exemple sur les terroirs et territoires de l’âge du Fer au Moyen Âge avec le récolement de l’ensemble des fossés parcellaires, voies, chemins relevés en liaison avec les sites ou indices de site découverts et connus hors LGV. De nouvelles études pourront également être entreprises sur l’impact de l’exploitation du minerai de fer sur l’économie locale de l’époque gauloise au Moyen Âge ou encore sur l’évolution des paysages et la densité des occupations.

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Bibliographie

Baillieu M., Chevet P., 2013, Sur les rails de l’histoire. Découvertes archéologiques le long du tracé de la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire, catalogue d’exposition, Le Mans, éd. de la Reinette, 64 p.

Brunet R., Ferras R. et Théry H., 2005, Les mots de la géographie, dictionnaire critique, Montpellier, Reclus, Paris, la Documentation Française, « Dynamiques du territoire », (1re éd. 1992), 518 p.

Deloze V., Langlois J.-Y., 2015, « L’exploitation du minerai de fer cénomanien », in Morel N. (coord.), Stratotype Cénomanien, Paris, Publications scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle, « Patrimoine géologique », 6, p. 299-310.

Guicheteau A., à paraître, « Deux exemples de bâtiments sur la pars rustica d’une villa de la Champagne mancelle (la Bourlerie, Vallon-sur-Gée, Sarthe) », in Trément F. (dir.), Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines. Problèmes d’interprétation fonctionnelle et économique des bâtiments d’exploitation et des structures de production agro-pastorale, XIe Colloque de l’Association d’étude du monde rural gallo-romain (AGER).

Le Meur N., 2006, « De la notion du systématique à celle de la modulation du diagnostic en fonction de susceptibilités archéologiques et la définition de “tranches territoriales” : l’exemple de la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes », in Actes du séminaire « le diagnostic archéologique en milieu rural », Ministère de la Culture – Mont Beuvray, p. 44-57.

Raux S., Gratuze B., Langlois J.-Y., Coffineau E., 2015, « Indices d’une production verrière du xe siècle à La Milesse (Sarthe) », in 29e Rencontre de l’AFAV, Paris, 2014, p. 66-70.

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Notes

1 Anne Duval pour la Bretagne, Nelly Le Meur pour les Pays de la Loire.

2 Michel Baillieu pour la Bretagne, Jean-Yves Langlois puis Pierre Chevet pour les Pays de La Loire.

3 Éric Mare, Inrap.

4 Le code du Patrimoine et le décret du 3 juin 2004 sur l’archéologie préventive permettaient aux services régionaux d’évoluer vers des missions davantage scientifiques et non plus seulement techniques.

5 D'est en ouest, « les Landes » et « la Chataigneraie » à Neuville-sur-Sarthe, « Beslan », « Bois de Beslan », « les Rochardières », « la Mare » à La Milesse, « Touzeau », « Houdouard » à Aigné, « la Groirie » à Degré.

6 Deux sites ont abrité deux occupations avec deux fonctions distinctes : mine et forge à « Beslan » et mines et ateliers de réduction au « Bois de Beslan ».

7 « Château-Gaillard » à Fontenay-sur-Vègre et « le Bois de Sirion » à Auvers-le-Hamon.

8 « La Poterie » à Ruillé-le-Gravelais et « les Perrières » à La Cropte.

9 « Le Grand Coudray » à Bonchamp-lès-Laval, « la Grillère » à Saint-Denis-du-Maine, « les Guimbertières » et « la Gachotière » à Ruillé-le-Gravelais, « la Saulaie » à Louvigné, « Braie » à Fontenay-sur-Vègre.

10 Auvers-le-Hamon, Fontenay-sur-Vègre, « la Saulaie » à Louvigné, « la Petite Coyère » à La Cropte, Bonchamp-les-Laval, et « Braie » à Fontenay-sur-Vègre, remarquable notamment par un dépôt d’armes du début de l’époque augustéenne.

11 « La Bourlerie » à Vallon-sur-Gée.

12 « La Grillère » à Saint-Denis-du-Maine.

13 Le « Bois de Beslan », à La Milesse.

14 « La Quinte », Saint-Cyr-le-Gravelais, Coulans-sur-Gée.

15 « La Chapelle » à Saint-Corneille, « les Touches » à Juigné-sur-Sarthe.

16 « Les Nouis » à Coulans-sur-Gée, « les Chauvières » à La Quinte.

17 « La Ronce » à La Milesse.

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Table des illustrations

Crédits N. Le Meur, J.-Y. Langlois
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Titre 2. Calendrier synthétique des surfaces étudiées en Pays de la Loire.
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Titre 3. Nombre d’indices de sites découverts dans chaque secteur diagnostiqué.
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Titre 4. Nombre d’indices de sites par période et par secteur (hors parcellaire).
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Pour citer cet article

Référence papier

Nelly Le Meur et Jean-Yves Langlois, « Les apports méthodologiques et scientifiques du tracé de la LGV Le Mans-Rennes »Archéopages, Hors-série 4 | 2016, 115-121.

Référence électronique

Nelly Le Meur et Jean-Yves Langlois, « Les apports méthodologiques et scientifiques du tracé de la LGV Le Mans-Rennes »Archéopages [En ligne], Hors-série 4 | 2016, mis en ligne le 18 août 2022, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/8057 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.8057

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Auteurs

Nelly Le Meur

Ministère de la Culture et de la Communication, UMR 6566, « CReAAH »

Jean-Yves Langlois

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