Navigation – Plan du site

AccueilNuméros hors-sérieHors-série 23. FormerUn partenariat de l’Inrap avec l’...

3. Former

Un partenariat de l’Inrap avec l’Algérie pour le développement de l’archéologie préventive

Inrap in partnership to develop Algeria's preventive archaeology
Una asociación entre el Inrap y Argelia en pos del desarrollo de la arqueología preventiva
François Souq
p. 96-104

Résumés

En Algérie, le partenariat avec l'Inrap vise le développement de l'archéologie préventive et le transfert de savoir-faire en ce domaine. Ce projet a donné lieu à la fois à l'accueil, en France, d'archéologues algériens, et à la pratique de terrain à Cherchell, en Algérie (l'ancienne Césarée de Maurétanie). Les travaux pour la station de métro « Place des Martyrs » à Alger ont conduit à un diagnostic archéologique, afin de pouvoir évaluer le potentiel du lieu, aménager les travaux pour le métro et, le cas échéant, prévoir une présentation au public des résultats de la fouille préventive. Deux sondages ont été ouverts, afin de disposer de la stratigraphie de la zone jusqu'au substrat schisteux. Les différents vestiges, dont une basilique d'une ampleur remarquable, témoignent des différentes époques d'occupation de la ville et renouvellent l'étude de son histoire.

Haut de page

Entrées d’index

Index géographique :

Algérie, Alger
Haut de page

Texte intégral

Les phases du partenariat

  • 1 Ce volet du programme a été initié par Mahfoud Ferroukhi-Inrap.
  • 2 Les découvertes scientifiques réalisées à l’occasion de cette opération de diagnostic sont présenté (...)

1La coopération archéologique avec les autorités algériennes a pu se redévelopper durant les années 1990, après la fin du terrorisme en Algérie. Dès 2003, à l’occasion des programmes mis en œuvre dans le cadre de « Djazaïr 2003, une année de l’Algérie en France », un partenariat1 était signé entre l’Inrap et l’Agence nationale d’archéologie et de protection des sites et monuments historiques (Anapsmh, établissement public du ministère de la Culture algérien, en charge de la protection du patrimoine national). Il visait à sensibiliser les archéologues algériens à l’archéologie préventive, devenue nécessaire dans un pays qui développait ses infrastructures modernes tout en préservant son patrimoine. Il s’agissait d’initier un transfert des compétences acquises en archéologie préventive en Europe. La formation s’est d’entrée orientée vers une dimension pratique, afin de faciliter la mise en œuvre de la démarche préventive en archéologie. Les cadres des équipes algériennes chargés de la gestion du patrimoine ont été accueillis en France, sur des chantiers de diagnostic, afin de les sensibiliser à la méthode et ses contraintes sur le terrain. Le second volet de cette formation s’est déroulé en Algérie, à Cherchell, afin de mettre l’expérience acquise en pratique dans les conditions réelles du pays ( cf. encadré p. 103 ). Le tremblement de terre qui a eu lieu au début de cet été, particulièrement dévastateur dans la région de Boumerdès, a retardé la mise en œuvre de cette étape. Les archéologues de l’Inrap ont alors provisoirement participé à la cellule de crise montée par le ministère de la Culture algérien pour la gestion des monuments historiques endommagés et celle des personnels qui y résidaient. À l’automne, durant trois semaines, une équipe algéro-française a pu réaliser le diagnostic archéologique prévu. Cette opération a donné lieu à un rapport corédigé par les partenaires, réalisé en France, afin de compléter les aspects rédactionnels de la formation. Il a pu être présenté, à titre d’exemple, l’année suivante aux autres pays du Maghreb2.

2Dès 2004, l’Unesco organisait, avec l’Inrap, le ministère de la Culture algérien, l’Anapsmh et le ministère de la Culture français, un colloque à Alger sur le thème « Patrimoine et aménagement du territoire : l’archéologie préventive ». Ces rencontres ont permis de mettre en perspective les efforts et les contraintes de gestion du patrimoine archéologique dans les pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie) et de les confronter aux expériences des pays de l’Europe méditerranéenne (Unesco, 2005). La volonté de l’Unesco est de donner à chaque pays les clés d’une gestion de son patrimoine active, autonome et adaptée aux développements économiques et politiques actuels. Les rapprochements ainsi favorisés entre les différents partenaires, une série de rencontres ou d’actions bilatérales a été développée par l’Inrap : journées d’études en collaboration avec l’Unesco sur l’archéologie préventive au Maroc en 2005, à l’occasion des travaux réalisés sur les autoroutes ; expertises sur le développement et la mise en valeur des sites inscrits au Patrimoine mondial en Libye (Cyrène, Leptis-Magna, Sabratha) en 2006, 2007 et 2008 ; séminaire de formation avec l’Université de Tlemcen en 2005, qui s’est poursuivi par la mise en place d’une rencontre sur la prospection archéologique en 2006 et la signature d’un partenariat avec cette université en 2007. Celle-ci a débouché sur une participation de l’Inrap à la sensibilisation des enseignants, puis la formation des étudiants en 2007, avec en particulier la réalisation d’une étude d’impact archéologique sur le nouveau site de l’Université de Tlemcen. Ces travaux ont été présentés à l’occasion d’un colloque à Guelma en 2008. En 2005, l’Inrap a pu accueillir des archéologues des pays du Maghreb pour une initiation à la réalisation et la conduite de chantiers d’archéologie préventive. À cette occasion, les archéologues algériens, qui avaient déjà bénéficié d’une expérience préalable, ont mis en pratique leur formation en assurant la codirection de diagnostics archéologiques effectués en France.

L’opération préventive sur le tracé du métro d’Alger

  • 3 Le diagnostic « Place des Martyrs » à Alger était codirigé par Kemal Stiti, du Centre national de r (...)
  • 4 Cette opération a été co-dirigée par Abdeldjebar Abbaci (†), Chef du Service Recherche et Inventair (...)

3Dès 2007, les autorités algériennes ont été confrontées aux travaux du métro dans le centre historique d’Alger. La station « Place des Martyrs » concernait près de 8 000 m3 au pied de la Casbah, site inscrit par l’Unesco sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité. Dès lors, s’est instauré un partenariat entre l’Inrap, le ministère de la Culture algérien, le ministère des Transports et l’Entreprise du métro d’Alger, établissement public maître d’ouvrage, sous l’égide du Centre du Patrimoine Mondial de l’Unesco. Un diagnostic archéologique est programmé avec les agents relevant du ministère de la Culture : Centre national de recherche archéologique, Office de gestion et d’exploitation des biens culturels, direction de la Culture de la Wilaya d’Alger4. Il a pour but d’évaluer le potentiel archéologique à l’emplacement de la future station. Ses résultats doivent permettre de disposer des données nécessaires à l’adaptation du projet d’aménagement, de préparer la mise en place d’une fouille préventive et éventuellement de prévoir les structures nécessaires à la présentation au public des vestiges exhumés. Par ailleurs, le programme s’inscrit dans une démarche plus globale des autorités algériennes en comportant le transfert de savoir-faire de l’Inrap en archéologie préventive auprès des archéologues algériens.

Le contexte historique

4Nous reviendrons rapidement sur l’histoire de la ville d’Alger, implantée au bord de la Méditerranée et adossée au flanc d’une colline. Au pied de la falaise littorale, l’abri constitué d’îlots a probablement motivé l’installation d’une escale maritime puis d’un port. La première occupation attestée remonte au iiie siècle avant notre ère (Le Glay, 1968). La ville, dénommée alors « Ikosim », devait faire partie des comptoirs gravitant dans l’orbite de l’Empire carthaginois en Méditerranée occidentale. Elle devient municipe romain, sous le nom latininisé d’Icosium, et reçoit le droit latin de l’empereur Vespasien. Après un intermède Vandale, elle repasse sous contrôle byzantin jusqu’au viie siècle.

5Le prince Ziride Bologhine refonde, vers l’an 950, la ville d’El-Djazair Bani Mezghanna sur les vestiges de la ville antique. Les Almoravides, puis les Almohades, vont contrôler la cité avant que n’émergent trois dynasties rivales, les Ziyanide, les Mérinide et les Hafcide, qui s’en disputent la souveraineté. Vers le milieu du xive siècle, la petite ville côtière se constitue en cité indépendante, gouvernée par une oligarchie bourgeoise. Après la chute de Grenade, elle reçoit une importante immigration de population musulmane andalouse. Cette situation renforce les attaques des Maghrébins sur les côtes espagnoles et amplifie la guerre de course en Méditerranée occidentale. Le Portugal essaye sans succès de mettre un terme à ces agressions. C’est l’Espagne qui va créer des points d’appui sur la côte africaine : un fort est édifié en 1510 sur les îles faisant face à Alger. Les habitants vont faire appel à des corsaires turcs, les frères Barberousse, afin de se défaire de la tutelle espagnole. Ces derniers vont en profiter, après s’être assurés du contrôle du port, pour prendre le pouvoir et consolider leur emprise en se déclarant vassaux du sultan.

6La domination ottomane marque un essor particulier dans le développement d’Alger. Son port, avec la flotte de course qui y est rattachée, devient une base maritime essentielle pour le contrôle de la Méditerranée occidentale qui se joue alors entre les pays musulmans et les états européens. La puissance maritime turque et l’influence de la ville diminuent toutefois à partir du xviie siècle. En 1830, les Français s’emparent d’Alger, prélude à la colonisation de l’Algérie toute entière. Dès 1954, la révolution algérienne est lancée, elle aboutira à l’accession du pays à l’indépendance en 1962, avec Alger comme capitale.

La méthode

7Le potentiel archéologique devait être évalué sur 8000 m2, dans un contexte urbain. Une étude documentaire succincte a permis une première approche [Fig.1]. Les sondages géotechniques laissaient entrevoir la présence du rocher naturel à plus de 7 m sous le sol actuel. Aussi la méthode choisie devait-elle tenir compte de cette profondeur tout en respectant les délais impartis (un mois de terrain) et l’extraction en centre-ville d’un important volume de terre. Deux sondages ont été ouverts, aux extrémités sud et nord du projet d’aménagement, qui avaient pour but d’étudier la stratigraphie jusqu’au substrat schisteux [Fig.2]. Nous avons procédé aux terrassements par paliers successifs, en retrait les uns des autres au fur et à mesure que s’approfondissait l’excavation. Le transfert du savoir-faire de l’Inrap a été présent tout au long de l’opération. Le traitement et l’étude du mobilier exhumé ont été réalisés au cours des travaux de terrain et le rapport de synthèse a été rédigé en France, par les personnels d’encadrement algéro-français. Fruit d’un partenariat exemplaire entre les équipes de l’Inrap et du ministère de la Culture algérien, l’importance des résultats scientifiques, qui renouvellent l’histoire d’Alger, doit être mise en exergue.

[Fig.1] L’extension supposée de la ville romaine d’après Le Glay, 1968.

[Fig.1] L’extension supposée de la ville romaine d’après Le Glay, 1968.

Le projet de station de métro qui a motivé la réalisation du diagnostic archéologique est situé au centre de l’agglomération antique.

DR

Des vestiges de l’époque jubéenne à la période coloniale

8Le premier état anthropique qui ait pu être caractérisé sur le terrain remonte à la seconde moitié du ier siècle avant notre ère et au tout début du siècle suivant. Il correspond à la période du royaume hellénistique de Juba II, satellite de Rome, qui avait étendu son emprise sur tout le Maghreb. Les vestiges de cette époque, posés directement sur le substrat rocheux, comportent un puits, sa margelle et le sol de circulation [Fig.3]. Il est probablement situé en bordure d’une vaste dépression, située au pied de la Casbah et orientée nord-sud, formant un oued qui se jette dans la mer. Ce relief était encore marqué dans la topographie d’Alger en 1830. Très rapidement, une série de colluvions comble le thalweg. L’épaisseur des sédiments accumulés atteint plus de deux mètres et témoigne de l’importance de l’érosion sur les pentes dominant le site.

[Fig.2] Vue d’ensemble des sondages sur la place des Martyrs au centre d’Alger.

[Fig.2] Vue d’ensemble des sondages sur la place des Martyrs au centre d’Alger.

Inrap

[Fig.3] Zone 2. Au centre, le puits creusé dans le rocher au ier siècle avant notre ère.

[Fig.3] Zone 2. Au centre, le puits creusé dans le rocher au ier siècle avant notre ère.

Ces niveaux sont recouverts par les constructions romaines et médiévales.

Inrap

9Au nord, la zone est urbanisée à la fin du ier siècle de notre ère. Un bâtiment aux puissantes fondations est alors édifié. Une grande pièce au sol de béton, comportant deux petites cuves maçonnées et dont les murs sont construits selon la technique de l’opus africanum, a été mise au jour. Il s’agit probablement d’un espace de service ou à vocation artisanale, utilisé jusqu’au ive siècle.

10Au sud, on date du milieu du iie siècle le creusement d’un fossé puis l’édification d’un important bâtiment. Il n’en subsiste que les fondations, ancrées dans le rocher et conservées sur 2,50 m de hauteur. Il est arasé pour faire place à un monument public, probablement une basilique (iiie ou ive siècle ?), dont nous n’avons dégagé qu’une petite partie. Deux rangées de colonnes séparent les bas côtés de la nef principal. Leurs bases, de type composite, sont probablement des remplois. Le soubassement d’un podium, en blocs moulurés, ainsi que six blocs mortaisés délimitant une clôture, occupent la partie centrale. Il pourrait s’agir d’aménagements liturgiques correspondant à l’utilisation finale du bâtiment. Les sols révèlent deux états : à un terrazzo primitif succède une mosaïque au décor géométrique [Fig.4] Les espaces encadrant la nef (bas-côté et podium) présentent une composition orthogonale de cercles sécants noirs sur fond blanc, inscrits de croisettes noires à chevrons. Le tapis de la nef, plus complexe et coloré, est orné d’octogones irréguliers oblongs, déterminant des carrés chargés de nœuds de Salomon, d’hexagones avec des cercles à filets denticulés ou offrant une couronne à méandres et d’hexagones ornés d’un fleuron. La composition, réalisée dans des couleurs rouge et vert sur fond blanc, est tracée en filet noir.

[Fig.4] Vue générale du sondage 1.

[Fig.4] Vue générale du sondage 1.

Le sol de la basilique romaine avec sa mosaïque, la nécropole byzantine dont les tombes sont recouvertes de dalles de grès et la fosse centrale creusée au xie ou xiie siècle.

Inrap

11L’ampleur du bâtiment est remarquable : la portée de la nef centrale atteint près de 10 m. On remarque toutefois les irrégularités du plan de construction, en particulier dans les valeurs des entrecolonnements (portées de 9,70 et 9,30 m, dans l’axe est-ouest, travées de 3,30 à 3,50 m ; et de 2,40 à 2,30 m perpendiculairement). Il subsiste donc des interrogations auxquelles l’exiguïté de la surface fouillée n’a pu donner de réponse : quelle est la destination exacte de cet édifice ? s’agit-il d’un bâtiment civil transformé en édifice religieux ? les irrégularités du plan sont-ils à mettre en relation avec des contraintes d’utilisation ou l’insertion dans l’urbanisme environnant ? En effet, les bâtiments de ce quartier de la ville romaine s’inscrivent dans une trame orthogonale orientée au nord (un écart d’environ 3° sur les axes nord-sud est malgré tout perceptible et pourrait témoigner de contraintes dues à l’articulation entre plusieurs quartiers) dont le souvenir a complètement disparu dans la ville postérieure.

12La basilique est abandonnée dans le troisième quart du ve siècle, tout comme le quartier d’habitation repéré au nord qui avait fait l’objet d’une campagne de restructuration du bâti au début du ve siècle. Il est étonnant de constater l’existence d’une séquence chronologique identique à Cherchell (cf. infra), où l’habitat est remanié à la fin du ive ou au début du ve siècle pour être temporairement abandonné dans la seconde moitié du ve siècle. Ces évènements pourraient être mis en relation avec l’occupation vandale de l’Afrique du Nord et l’évolution des conditions économiques et politiques qui en découlent. Il semble bien que l’emprise urbaine se rétracte ensuite. Le secteur est réinvesti par la végétation, puis subit un nouvel apport de colluvions qui indique la réactivation d’une dynamique torrentielle sur le versant. C’est dans cette zone qu’une vaste nécropole est installée au viie siècle. Les tombes, fermées en majorité de dalles de grès et qui ne renferment aucun mobilier d’accompagnement, sont implantées en pleine terre et orientée ouest-est.

13Aucun élément archéologique ne peut être mis en relation avec la refondation de la ville au xe siècle. Il est probable qu’elle occupait alors une surface restreinte sur les premières pentes de la Casbah. Le début de la période médiévale est attesté par une vaste fosse datée des xie-xiie siècles. Son comblement renferme de nombreux témoins d’une activité artisanale de potiers, dont les ateliers devaient se situer à proximité. Son creusement peut être mis en relation avec l’installation d’un chemin creux qui descend de la Casbah.

14Le quartier est à nouveau urbanisé à la période médiévale, sans possibilité de datation précise du fait des perturbations ultérieures. La majorité des mobiliers recueillis se rattache à une « ambiance » du xiie siècle. Cette période pourrait correspondre à une phase d’expansion de la ville médiévale. Au nord sont édifiées des maisons aux sols chaulés et donnant sur une rue. Elles seront reprises et transformées aux époques ottomane puis coloniale. Au sud, à partir du chemin qui descend de la Casbah, un quartier à vocation économique s’implante à l’interface du port et des quartiers résidentiels entre les xiie et xvie siècles, sans qu’il soit possible, à ce stade des recherches, d’en donner une date d’installation précise (Missoum, 2003). Il est bâti selon un plan orthogonal qui obère complètement les orientations de l’urbanisme romain [Fig.5]. Une phase de reconstruction générale a lieu au xviiie siècle sur les substructions des bâtiments médiévaux [Fig.6]. Les rues reçoivent un pavage soigné de galets et un réseau de canalisations d’adduction d’eau est mis en place. Les façades de boutiques et un atelier d’artisanat métallurgique ont été exhumés. Notons également la présence de sols construits en briques, découverts en 2008, qui pourraient correspondre à des installations annexes dépendant de la mosquée Jama’ al-Sayyida.

[Fig.5] Zone 1.

[Fig.5] Zone 1.

Plan des niveaux médiévaux. Une série de bâtiments est édifiée selon une trame orthonormée et articulée sur deux rues.

Inrap

[Fig.6] Zone 1.

[Fig.6] Zone 1.

Plan des niveaux d’époque ottomane et contemporaine. Au xviiie siècle, le quartier est rebâti. Au nord une série d’échoppes s’ouvre sur une rue. Au centre se situe un atelier lié au travail du métal, tandis qu’au sud se développent des bâtiments probablement annexes à la mosquée al-Sayyida. Ces vestiges ont été rasés pour dégager une place à l’époque coloniale, fermée sur un côté par l’hôtel de la Régence.

Inrap

15La mise en place d’un nouvel urbanisme, à partir de 1830, modifie l’aspect du quartier. Si, au nord, les habitations bâties à l’époque ottomane continuent à être occupées jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, au sud, elles sont rasées pour permettre l’établissement d’une vaste esplanade. Les travaux sont achevés dès 1832, avec la destruction de la mosquée al-Sayyida.

16L’aménagement de la place coloniale se reconnaît dans la découverte des niveaux de circulation correspondants ainsi que dans celle des caves de l’hôtel de la Régence qui en fermait l’extrémité nord. De cette époque subsistent également les fondations d’une fontaine et un collecteur du réseau d’assainissement. L’ensemble des niveaux archéologiques est scellé par les revêtements de surface (béton et macadam) constituant le sol actuel de la place des Martyrs.

17Les sondages ouverts lors de ce diagnostic, même s’ils n’ont concerné qu’une surface restreinte, ont non seulement permis d’établir que la placedes Martyrs renferme des niveaux archéologiques sur près de 7,5 m d’épaisseur, mais ils ont également révélé des vestiges d’une qualité exceptionnelle, témoins de plus de deux mille ans de l’histoire d’Alger qui seront certainement mis en valeur et présentés à la population. Ponctuellement, le partenariat élaboré autour du développement de l’archéologie préventive renouvelle l’histoire de la capitale algérienne. Il laisse plus généralement augurer d’une prise en compte de plus en plus efficiente du patrimoine et de sa gestion quotidienne dans un contexte de développement économique débridé. L’autorité de l’Unesco et le savoir-faire de l’Inrap ne peuvent que soutenir la volonté des autorités algériennes à mettre en place les cadres, les personnels et les structures destinées à répondre à ces défis d’aménagement du territoire et de modernisation de la société.

Une opération de diagnostic archéologique à Cherchell, l’ancienne Césarée de Maurétanie

Cherchell, comptoir punique dénommé Iol, puis cité du royaume Massyle, sera choisie par Juba II comme capitale du royaume de Maurétanie et rebaptisée Caesarea. Rome en fera le chef-lieu de la province de Maurétanie Césarienne (Leveau, 1984). Occupée par les Vandales, reprise par les Byzantins, elle perdra son statut privilégié après la conquête arabe. La ville reste repliée autour du port jusque dans les années 1960. Depuis, avec le développement économique du pays, l’urbanisation moderne recouvre progressivement l’emprise de la cité.

C’est dans ce contexte que l’opération archéologique a été réalisée sur le terrain « Marcadal », situé au sud-ouest de l’agglomération à proximité du cirque antique [Fig.1]. Dès 1996, l’Université d’Alger y avait entrepris deux sondages. D’une surface restreinte, ils s’étaient limités à l’exploration des niveaux superficiels. En 2003, un nouveau projet immobilier a entraîné la reprise de l’exploration et la réalisation d’un diagnostic archéologique (Souq, 2005a)4. Ce travail devait permettre l’identification des vestiges enfouis, d’en apprécier l’étendue et l’état de conservation. Les résultats guideront les autorités sur les choix patrimoniaux à faire avant la construction du bâtiment projeté : fouille préalable, adaptation du programme urbain, mise en valeur des vestiges, etc.

Nous avons réalisé d’une part un sondage profond. Mené jusqu’au substrat, il a permis d’obtenir une stratigraphie complète des niveaux d’occupation successifs. D’autre part nous avons ouvert deux tranchées parallèles, de manière à déterminer la répartition et la densité des vestiges sur l’ensemble du terrain. Les travaux, menés par une équipe franco-algérienne, n’ont duré que trois semaines en incluant le temps consacré à l’analyse du mobilier exhumé. Le rapport de fouille a été réalisé en France avec la même équipe d’encadrement de manière à approfondir le transfert de savoir-faire en matière d’archéologie préventive auprès de nos collègues algériens.

Un bâtiment public de l’époque Jubéenne. L’état le plus ancien date de la seconde moitié du ier siècle avant notre ère et du début du siècle suivant. Il témoigne de l’extension du noyau urbain à l’époque de Juba II. Deux murs en grand appareil conservés sur près de 2 m d’élévation [Fig.2]. La qualité et les proportions des maçonneries conservées nous font supposer leur appartenance à un ensemble monumental public. L’exiguïté du sondage ne permet toutefois pas de proposer une interprétation de sa fonction. Après plusieurs phases de modification de l’architecture, il est abandonné dans la première moitié du ier siècle de notre ère. Notons que l’ensemble dégagé s’inscrit dans une orientation NL57°E qui avait déjà été mise en évidence par P. Leveau et qui paraît structurer l’urbanisme de la partie ouest de l’agglomération antique.

L’urbanisme romain. Dans la seconde moitié du ier ou au début du iie siècle, l’ensemble du secteur est remblayé pour faire place à une vaste domus : une grande salle est édifiée sur une galerie hydraulique, une série de pièces se développe autour d’une cour à péristyle. La plupart des sols reçoivent un aménagement construit : signinum ou mosaïque. À la fin du ive ou au début du ve siècle, on constate une restructuration des espaces habités, avec la division des pièces existantes [Fig.3]. La majorité du mobilier recueilli date de cette époque et correspond à la dernière période d’occupation générale du site qui est abandonné dans la seconde moitié du ve siècle. Une réoccupation ponctuelle a lieu un siècle plus tard avec la construction d’une abside à l’ouest, alors que le reste du terrain est utilisé comme dépotoir. La parcelle est ensuite remise en culture et recouverte de près d’un mètre de remblai à l’époque contemporaine.

Les résultats scientifiques apportés par une opération de diagnostic archéologique, si limitée soit-elle dans le temps de réalisation comme dans la surface explorée, sont indubitables et permettent de relancer les études historiques de l’ancienne capitale du Maghreb romain. Cette intervention s’inscrit par ailleurs dans une démarche d’archéologie préventive initiée par le ministère de la Culture algérien qui permet la conciliation entre aménagement du territoire et gestion du patrimoine et qui s’articule avec la formation des archéologues algériens aux techniques développées dans ce domaine, en particulier par l’Inrap, depuis plusieurs décennies en Europe.

[Fig.1] Plan de la ville de Cherchell. Son extension urbaine actuelle et la localisation de l’opération de diagnostic archéologique.

[Fig.1] Plan de la ville de Cherchell. Son extension urbaine actuelle et la localisation de l’opération de diagnostic archéologique.

Inrap

[Fig.2] Le mur MR2026 et les US le constituant.

[Fig.2] Le mur MR2026 et les US le constituant.

Les techniques mises en œuvre dans son élévation, en grand appareil pseudo-isodome avec décrochements et bouchon, se rattachent à la tradition architecturale hellénistique.

Inrap

[Fig.3] Plan général des vestiges des ive et ve siècles.

[Fig.3] Plan général des vestiges des ive et ve siècles.

Inrap

Haut de page

Bibliographie

2005, Atelier euro-maghrébin, Patrimoine et aménagement du territoire : l’archéologie préventive, Alger, 26-30 novembre 2004, Unesco-Inrap, 112 p.

Le Glay M., 1968, À la recherche d’Icosium, Antiquité africaine, tome 2, p. 7-52

Leveau Ph., 1984, Caesarea de Maurétanie, une ville romaine et ses campagnes, Rome, Collection de l’École française de Rome.

Missoum S., 2003, Alger à l’époque ottomane, la médina et la maison traditionnelle, Aix-en-Provence.

Souq Fr., 2005a, « L’opération de diagnostic archéologique du terrain Marcadal à Cherchell (Algérie) », in Atelier euro-maghrébin « Patrimoine et aménagement du territoire : l’archéologie préventive », Unesco-Inrap, p. 69-79

Souq Fr., 2005b, « Rapport d’expertise du projet d’évaluation archéologique : Ilot Lallahoum (Icosium) », in Atelier euro-maghrébin « Patrimoine et aménagement du territoire : l’archéologie préventive », Unesco-Inrap, p. 80-84.

Haut de page

Notes

1 Ce volet du programme a été initié par Mahfoud Ferroukhi-Inrap.

2 Les découvertes scientifiques réalisées à l’occasion de cette opération de diagnostic sont présentées p. 103 « Une opération de diagnostic archéologique à Cherchell, l’ancienne Césarée de Maurétanie ».

3 Le diagnostic « Place des Martyrs » à Alger était codirigé par Kemal Stiti, du Centre national de recherche archéologique algérien.

4 Cette opération a été co-dirigée par Abdeldjebar Abbaci (†), Chef du Service Recherche et Inventaire à l’Anapsmh.

Haut de page

Table des illustrations

Titre [Fig.1] L’extension supposée de la ville romaine d’après Le Glay, 1968.
Légende Le projet de station de métro qui a motivé la réalisation du diagnostic archéologique est situé au centre de l’agglomération antique.
Crédits DR
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-1.png
Fichier image/png, 67k
Titre [Fig.2] Vue d’ensemble des sondages sur la place des Martyrs au centre d’Alger.
Crédits Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Titre [Fig.3] Zone 2. Au centre, le puits creusé dans le rocher au ier siècle avant notre ère.
Légende Ces niveaux sont recouverts par les constructions romaines et médiévales.
Crédits Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 392k
Titre [Fig.4] Vue générale du sondage 1.
Légende Le sol de la basilique romaine avec sa mosaïque, la nécropole byzantine dont les tombes sont recouvertes de dalles de grès et la fosse centrale creusée au xie ou xiie siècle.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 452k
Titre [Fig.5] Zone 1.
Légende Plan des niveaux médiévaux. Une série de bâtiments est édifiée selon une trame orthonormée et articulée sur deux rues.
Crédits Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-5.png
Fichier image/png, 88k
Titre [Fig.6] Zone 1.
Légende Plan des niveaux d’époque ottomane et contemporaine. Au xviiie siècle, le quartier est rebâti. Au nord une série d’échoppes s’ouvre sur une rue. Au centre se situe un atelier lié au travail du métal, tandis qu’au sud se développent des bâtiments probablement annexes à la mosquée al-Sayyida. Ces vestiges ont été rasés pour dégager une place à l’époque coloniale, fermée sur un côté par l’hôtel de la Régence.
Crédits Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-6.png
Fichier image/png, 160k
Titre [Fig.1] Plan de la ville de Cherchell. Son extension urbaine actuelle et la localisation de l’opération de diagnostic archéologique.
Crédits Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-7.png
Fichier image/png, 255k
Titre [Fig.2] Le mur MR2026 et les US le constituant.
Légende Les techniques mises en œuvre dans son élévation, en grand appareil pseudo-isodome avec décrochements et bouchon, se rattachent à la tradition architecturale hellénistique.
Crédits Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 300k
Titre [Fig.3] Plan général des vestiges des ive et ve siècles.
Crédits Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/799/img-9.png
Fichier image/png, 101k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

François Souq, « Un partenariat de l’Inrap avec l’Algérie pour le développement de l’archéologie préventive »Archéopages, Hors-série 2 | 2010, 96-104.

Référence électronique

François Souq, « Un partenariat de l’Inrap avec l’Algérie pour le développement de l’archéologie préventive »Archéopages [En ligne], Hors-série 2 | 2010, mis en ligne le 01 octobre 2010, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/799 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.799

Haut de page

Auteur

François Souq

Inrap, Umr 5140

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search