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4. Rationalisation et dynamisme de la recherche

Ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique et archéologie

South-Europe-Atlantic high-speed line and archaeology
Línea de alta velocidad Sur-Europa-Atlántico y arqueología
Isabelle Kerouanton
p. 108-114

Résumés

Dans le cadre des opérations préalables à la construction de la ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique, des diagnostics archéologiques ont été réalisés sur plus de 3000 ha entre septembre 2009 et juin 2013, générant une cinquantaine de prescriptions de fouille. Pour la réalisation de cette opération, l’Inrap s’est doté d’une coordination dédiée, rattachée à la Direction Interrégionale Grand-Sud-Ouest. Les opérations de diagnostics ou de fouilles ont permis, sur ce transect nord-sud de 300 km de long, de renouveler les données sur un plan local, mais également de manière beaucoup plus élargie, chrono-culturel ou thématique. La nature de l'opération support, les régions traversées (du Bassin parisien au Bassin aquitain) et les sites mis au jour constituent de surcroît un terreau très favorable aux questionnements et à l'examen du phénomène d'interactions entre groupes culturelles, de frontières.

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Texte intégral

  • 1 Découpage administratif antérieur à janvier 2016.

1Le projet de ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique (LGV SEA) consiste en la réalisation d’une ligne nouvelle entre Saint-Avertin – au sud de Tours, en Indre-et-Loire – et Ambarès-et-Lagrave – au nord de Bordeaux, en Gironde. Cette ligne nouvelle est composée de l’infrastructure à grande vitesse proprement dite, de 302 km, et de ses 40 km de raccordements aux lignes ferroviaires actuelles. Elle traverse les régions Centre, Poitou-Charentes et Aquitaine1, et plus particulièrement les départements de l’Indre-et-Loire, de la Vienne, des Deux-Sèvres, de la Charente, de la Charente-Maritime et de la Gironde.

Un projet réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé

  • 2 SNCF réseau depuis janvier 2015.

2Il s’agit de la première ligne à grande vitesse réalisée dans le cadre d’un partenariat public-privé, conduit sous forme de concession. Ce montage administratif, aux prémices très longues, mais dans un planning opérationnel contraint, ne fut pas sans incidence sur les opérations archéologiques [ill. 1]. Il implique, en effet, deux emprises qui se complètent, et dont le calendrier de mise en œuvre se chevauche ; l’avant-projet sommaire (APS) de Réseau Ferré de France2 est en effet affiné, après désignation du concessionnaire attributaire, sous la forme d’un avant-projet détaillé (APD). L’impact de ce projet, définitif et plus détaillé, sur le terrain, double, voire triple selon les secteurs, l’emprise initialement prévue. S’y adjoignent également de nombreuses zones, destinées au dépôt, temporaire ou définitif, de matériaux nécessaires à la construction de la nouvelle voie ferrée, ainsi que d’autres, réservées pour la construction de bases-travaux, de bassins de rétention d’eau, de merlons acoustiques, et autres zones nécessaires aux travaux ou aux installations ferroviaires (sous-stations électriques, etc.).

1. Des premières études à la mise en service de la ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique : un long processus administratif.

1. Des premières études à la mise en service de la ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique : un long processus administratif.

Inrap

3Ainsi, si les prescriptions archéologiques portaient tout d’abord sur le seul avant-projet sommaire, elles furent complétées, après désignation du concessionnaire, par l’avant-projet détaillé.

4Les premiers diagnostics archéologiques, découpés en cinquante opérations distinctes, ont débuté fin septembre 2009, sur la base de l’avant-projet sommaire de Réseau Ferré de France et se sont poursuivis jusqu’au printemps 2013. Sur cette première emprise, 1914 ha ont été prescrits. Soixante-dix-neuf nouveaux diagnostics ont été réalisés sur la base du projet détaillé du concessionnaire attributaire entre août 2011 et juin 2013, augmentant de 1 105 ha la surface diagnostiquée, soit 57,8 % de surfaces complémentaires diagnostiquées. Au total, 3 020 ha sur les 4 200 ha de l’emprise définitive du projet ont été diagnostiqués entre septembre 2009 et juin 2013, soit une moyenne de 10 ha par kilomètre linéaire [ill. 2]. Ce découpage entre APS et APD a nécessité de revenir deux fois, voire trois selon les secteurs, dans les mêmes parcelles, et ce, avec un à deux ans d’intervalle, mais, parfois, seulement quelques mois après ; les relations avec les propriétaires fonciers ou les exploitants n’étaient, de ce fait, pas toujours facilitées.

2. Des surfaces diagnostiquées différentes selon les régions traversées.

2. Des surfaces diagnostiquées différentes selon les régions traversées.

Pour exemple, 17,4 % du tracé traversent la région Centre, où 24,5 % des diagnostics de l’emprise initiale (APS) ont été réalisés, et 39,2 % des diagnostics des zones complémentaires (APD), soit, les deux emprises cumulées, 29,9 % des diagnostics, correspondant à une moyenne de 17,2 ha diagnostiqués par kilomètre linéaire.

Inrap

5Les acquisitions foncières, qu’elles soient définitives, ou simples occupations temporaires, initiées avant le démarrage des diagnostics archéologiques, se poursuivent pendant le déroulement de ceux-ci. La mise en place, opérationnelle, des opérations de diagnostics est souvent soumise aux aléas de mises à disposition des terrains. D’autant que les tracés ferroviaires se caractérisent par le fait de se trouver, potentiellement, éloignés des routes et autres chemins d’accès, et qu’ils induisent un certain nombre de contraintes logistiques (ouvrir des clôtures, en installer d’autres, provisoires, lorsque les terrains mis à disposition par les exploitants servent de pâturages, traverser des parcelles non touchées par les travaux d’aménagement en négociant des accès, etc.). Le calendrier contraignant des travaux, conjugué à celui de la mise à disposition effective des terrains, impose aussi une grande réactivité en termes opérationnels. Des opérations de diagnostic peuvent se mettre en place au nord du tracé, pendant que d’autres doivent l’être au sud, soit, à plus de 200 km de distance.

6En parallèle des diagnostics, les premières fouilles se mettent en place dès le premier semestre 2011 alors que les diagnostics sont loin d’être achevés. La gestion des ressources humaines et logistiques n’en est que plus ardue. Par ailleurs, scientifiquement, cela n’est pas sans occasionner quelques sueurs froides aux services prescripteurs. En effet, comment lever la contrainte archéologique sur un tronçon de l’APS, ou au contraire la maintenir, si les diagnostics complémentaires sont en attente de réalisation sur l’APD ? Des zones furent incluses dans les prescriptions de fouille, sans avoir été préalablement diagnostiquées (elles sont, cependant, rares), impliquant, pour les services prescripteurs comme pour les opérateurs ou l’aménageur, prise de risque et imagination, traduites administrativement par tranches conditionnelles ou arrêtés de fouilles complémentaires [ill. 3].

3. Exemples de prescription de fouilles archéologiques englobant des zones non diagnostiquées, sur la commune de Maillé, en Indre-et-Loire.

3. Exemples de prescription de fouilles archéologiques englobant des zones non diagnostiquées, sur la commune de Maillé, en Indre-et-Loire.

Inrap

La recherche d’une cohérence administrative, opérationnelle et scientifique

  • 3 En Indre-et-Loire, un peu plus de 80 ha ont été diagnostiqués par le Service d'archéologie du dépar (...)
  • 4 Les fouilles ont fait l’objet d’appels d’offre (RFF), puis, après désignation du concessionnaire, d (...)

7La gestion administrative, opérationnelle et scientifique de cette opération a amené l’Inrap, qui a réalisé, à quelques hectares près3, l’intégralité des diagnostics et qui s’est vu confié presque la moitié des opérations de fouille4, à se doter d’une structure dédiée, rattachée à la Direction Interrégionale Grand-Sud-Ouest. L’apport d’une telle organisation permet, outre d’assurer une réelle cohérence scientifique en adéquation avec les cahiers des charges scientifiques des trois services régionaux de l’Archéologie concernés, de limiter les incidences logistiques sur les équipes d’archéologues. En amont, un assistant technique – plusieurs au plus fort du chantier – était chargé, non seulement de prévoir les moyens mécaniques et logistiques nécessaires, mais également de préparer le déroulement de l’opération, afin de faciliter le travail des archéologues : recherche des accès et leur négociation le cas échéant, plans préalables de cheminements, suivi des mises à dispositions foncières, etc. Bien sûr, ce travail préparatoire n’a pu gommer tous les impondérables (qui furent nombreux), mais il en a, vraisemblablement, limité l’impact.

8Traversant trois des anciennes régions, le tracé de la LGV SEA intéresse trois préfectures de région différentes et, partant, trois services régionaux de l’Archéologie distincts. Les cahiers des charges scientifiques annexés aux prescriptions de diagnostics présentent quelques déclinaisons régionales qu’il a fallu intégrer à l’échelle globale du projet, tant en termes de pratiques de terrain – les cahiers des charges des uns préconisent des tranchées continues, tandis que ceux d’autres suggèrent des tranchées de 20 m alternées en quinconce – que de moyens. Sur le terrain, et en phase d’étude, des procédures homogènes ont également été mises en place lors des diagnostics, permettant, entre autres, de transcrire sous SIG les données mises au jour. En revanche, l’enregistrement des données sous SIG ne fut pas systématisé sur les opérations de fouille.

Les territoires traversés et les attendus scientifiques

9Le secteur géographique traversé par la LGV, soit un transect nord-sud de 300 km de long, s’étend sur deux grands bassins sédimentaires d’âge secondaire et tertiaire : le Bassin parisien, au nord, et le Bassin aquitain, au sud, séparés, entre Vouneuil-sous-Biard, dans la Vienne, et Sauzé-Vaussais, dans les Deux-Sèvres, par un bombement du substratum connu sous le nom de Seuil du Poitou, émergé lors de l’ère secondaire. Zone de transition entre les deux Bassins, le Seuil du Poitou relie en outre Massif armoricain, au nord-ouest, et Massif central, au sud-est. Le tracé de la LGV traverse des paysages variés, et s’implante sur des terrains de nature très diverses [cf. encadré]. Du Cher à la Garonne, il croise également plusieurs vallées, aux rivières s’écoulant majoritairement perpendiculairement : Indre, Vienne, Charente et Dordogne sont les plus importantes.

  • 5 À l’approche de Bordeaux, les zones les plus urbanisées n’ont pas été diagnostiquées.

10Comme l’indiquent les cahiers des charges scientifiques annexés aux arrêtés de prescription de diagnostic archéologique, « les communes traversées par le tracé de la LGV Sud-Europe-Atlantique sont très inégalement connues sur un plan archéologique, et probablement aussi assez inégalement occupées au cours de l’Histoire ». Si le tracé parcourt des secteurs déjà bien documentés, d’autres sont restés à l’écart des travaux d’aménagement du territoire. « D’autre part, il faut aussi signaler de vastes secteurs où les connaissances archéologiques sont très pauvres, faute de prospections spécifiques. Cette pauvreté de l’information archéologique ne signifie pas que ces secteurs sont vides d’occupations humaines passées. » à cet égard, ce tracé fut, pour l’archéologue, une réelle opportunité, car il fut prescrit, du sud au nord, sur l’intégralité, ou presque5, de son déroulé, et non pas uniquement dans les zones les plus « sensibles » archéologiquement. Les résultats des diagnostics, précisés par ceux des fouilles, ont permis de compléter les données déjà acquises, ou pressenties, comme par exemple une occupation humaine peu intense dans le sud de la Charente - nord de la Gironde.

  • 6 Le projet LGV SEA était initialement découpé en deux tronçons (SEA 1 et SEA 2) qui ont chacun fait (...)
  • 7 Le « site » ou « indice de site » étant, ici, défini géographiquement et chronologiquement, le nomb (...)

11Bien avant le démarrage des opérations de terrain, le « risque » archéologique avait été pris en compte par RFF et il est d’ailleurs noté, dès 1999, dans les annexes de l’Enquête Publique, que « le patrimoine archéologique réel ne sera connu que par ouverture systématique du sol » (Enquête Publique, 2005, Annexe 2, p. 45). Une première tentative d’estimation de ce « risque » avait été effectuée dans le cadre des études préalables, et, au même titre que les études environnementales ou socio-économiques menées entre 2000 et 2006, une étude d’impact du projet LGV SEA sur le patrimoine archéologique avait été commandée par RFF à l’Afan en 2001 pour le tronçon Angoulême-Bordeaux6 (Massan et al., 2001), doublée en 2004 de celle commandée à l’Inrap pour le tronçon Tours-Angoulême (Rousseau et al., 2004). Ces deux études menées sur une largeur d’1 km, conjuguant dépouillement de la carte archéologique, des archives, de la bibliographie et enquête auprès des riverains ou prospections pédestres, ont permis de dresser une liste de plusieurs milliers de sites, indices de sites ou sites potentiels. Les diagnostics archéologiques, réalisés sur l’emprise soumise aux travaux, ont permis d’identifier 364 occupations ou indices de sites. Parmi ceux-ci, 80, soit 22 %, ont été fouillés7 [ill. 4].

4. Occupations identifiées lors des diagnostics et sites fouillés : un ratio différent selon les régions.

4. Occupations identifiées lors des diagnostics et sites fouillés : un ratio différent selon les régions.

Inrap

Les résultats scientifiques et l’exploitation des données

12Les fouilles, mais également les diagnostics, permettent, en renouvelant les données sur un plan local, d’aborder ou d’approfondir certaines thématiques. Chrono-culturelles [ill. 5], tout d’abord, mais également à visée plus synthétique et globalisante.

5. Spectre chronologique des découvertes archéologiques, par région.

5. Spectre chronologique des découvertes archéologiques, par région.

Pré : Préhistoire ; Proto : Protohistoire ; Ant : Antiquité ; MA : Moyen Âge ; Mod : époque moderne  ; Ind : indéterminé.

Inrap

  • 8 Fouille de la Grande Brousse, à Londigny, en Charente, menée d’avril à juin 2012, sous la responsab (...)

13Dans le nord de la Charente, le site de Londigny, localisé sur le Seuil du Poitou, a livré, piégée en bordure de doline, une séquence stratigraphique du Pléistocène moyen et du début du Pléistocène supérieur, incluant plusieurs ensembles des Paléolithique inférieur et moyen8 (Connet, 2014). Il constitue, en l’état actuel des données, la manifestation la plus méridionale de l’Acheuléen classique, traditionnellement rattaché aux grands bassins sédimentaires crétacés du Nord-Ouest (Connet, 2013).

  • 9 Fouille du Canton des Bergauds, à Clérac, en Charente, menée de juin à août 2011, sous la responsab (...)
  • 10 Fouille du Caillou, à Lapouyade, en Gironde, menée d’octobre à décembre 2011, sous la responsabilit (...)

14Les opérations archéologiques menées sur la LGV, entre le sud des Charentes et le nord de la Gironde, en documentant la transition épipaléolithique, ont permis d’offrir un spectaculaire bond en avant à la communauté scientifique. Le site du Canton des Bergauds à Clérac, en Charente-Maritime, présente une industrie originale, sans équivalent connu à ce jour, s’ancrant pourtant nettement dans le processus d’« azilianisation » qui a lieu au cours du XIIe millénaire avant notre ère, le faciès mêlant des traits innovants de l’Azilien ancien et des traits hérités du Magdalénien final9 (Fourloubey, 2013). En outre, Clérac est géographiquement située très à l’écart des occupations contemporaines, ce qui accentue un peu plus encore l’impression de singularité (Fourloubey, 2013). Un peu plus au sud, la fouille réalisée dans la commune de Lapouyade, au lieu-dit le Caillou, en Gironde, vient également renouveler les données sur cette période charnière entre Pléistocène et Holocène10 (Chehmana, en cours).

  • 11 Fouille du Bois Adrien, à Maillé, en Indre-et-Loire, menée de mars à juin 2013 et en octobre 2013, (...)

15Les sites du Néolithique identifiés et fouillés sur la LGV sont localisés, pour l’essentiel, de part et d’autre de la vallée de la Vienne, montrant une très forte occupation du secteur : habitat ouvert, enceinte à fossés interrompus, nécropoles. Sur le site du Bois Adrien, à Maillé, des vestiges d’habitat en terre ont été mis en évidence11 (Hamon, en cours). Après remise des différents rapports de fouilles, il sera sans doute utile de réexaminer et rassembler l’ensemble des données.

  • 12 Fouille du Mas de Champ Redon, à Luxé, en Charente, menée d’août à octobre 2011, sous la responsabi (...)

16Les occupations de l’âge du Bronze, sur le tracé de la LGV, restent, comme c’est souvent le cas, assez mal appréhendées. S’étendant parfois sur plusieurs hectares, elles sont souvent très dispersées et discrètes. Le nombre d’occupations de l’âge du Bronze mises au jour à l’occasion des diagnostics est cependant assez conséquent, mais elles restent marquées, dans le cadre des diagnostics, uniquement par quelques fosses éparses, ou quelques enclos fossoyés circulaires, pour lesquels il a pu être difficile de justifier une fouille. Une reprise intégrale des données issues des diagnostics sera cependant nécessaire, afin d’étoffer les données régionales et amender les schémas d’occupation des terroirs. Les fouilles ont toutefois porté l’attention sur quelques sites au caractère un peu plus exceptionnel. Ainsi, par exemple, en Charente, la fouille du Mas de Champ Redon, à Luxé, a mis au jour un ensemble sépulcral du Bronze ancien : la défunte est déposée sur le ventre, accompagnée de 32 perles discoïdes en test coquillier, vraisemblables vestiges d’un collier, d’éléments de parures ou d’éléments ornant un tissu12 (Audé et al., 2013).

  • 13 Fouille de la Brangerie, à Villognon, en Charente, menée d’octobre 2011 à février 2012, sous la res (...)

17Pour les âges du Fer, seuls des habitats ont été identifiés : habitats ouverts, plus ou moins structurés, ou habitats enclos très structurés de la fin du second âge du Fer et début de la période antique. À Villognon, l’habitat, ouvert, de La Tène ancienne se développe sur près d’un kilomètre13 (Pueyo, 2013). L’étude de ses mobiliers constitue un jalon supplémentaire permettant de mieux saisir les modalités de mise en place de la culture laténienne dans l’ouest de la Gaule (Maitay, 2013). Du sud du tracé, en Charente-Maritime, au nord, en Indre-et-Loire, ce sont près de dix habitats enclos, de type « ferme indigène », qui ont été fouillés, confortant les données déjà acquises.

18Les sites bien structurés des premiers siècles de notre ère sont finalement moins nombreux que ce que l’on aurait pu attendre. Par exemple, à Luxé, en Charente, il s’agit d’une vaste villa antique, composée d’un vaste bâtiment résidentiel (pars urbana), de plan classique constitué de trois ailes disposées en U, s’ouvrant à l’est sur une cour. Au sud de celle-ci, des fossés délimitent des parcelles dédiées à l’agriculture et à l’élevage

  • 14 Fouille de l’Ouche Torse, à Luxé, en Charente, menée d’août à décembre 2011, sous la responsabilité (...)

19(pars agraria). L’ensemble est ceinturé par un vaste fossé peu profond et large de 4 m, qui marque nettement la séparation entre les deux espaces14 (Moizan et al., 2015).

  • 15 Fouille de la Pièce du Maine Grier, à Cressac-Saint-Genis, en Charente, menée d’octobre à novembre (...)
  • 16 Fouille de Villiers, La Roche, Maillé, Indre-et-Loire, menée de juin à décembre 2012, sous la respo (...)

20Une réflexion pourrait également être menée sur la nature et la fonction des souterrains médiévaux, très nombreux à avoir été mis au jour, et fouillés, sur le tracé de la LGV, du sud (Charente) au nord (Indre-et-Loire) du tracé. En Charente, à Cressac-Saint-Genis, l’édification d’au moins deux bâtiments au XIIe siècle s’accompagne du creusement de nombreux silos et de l’aménagement d’une voirie15. Le creusement d’un souterrain suit l’édification de ces bâtiments, très probablement en une seule fois et suivant un plan préétabli. Le site est occupé vraisemblablement par une population au statut social marqué, voire par des militaires ou chevaliers. Le site est abandonné vers la fin du XVe siècle, et entièrement détruit peu après. Le terroir dans lequel il est implanté subit de plein front les aléas de la guerre de Cent Ans, et il est si dévasté qu’à partir du XVe siècle on entreprend toute une série de mesures pour le repeupler (Bats, en cours). C’est également entre le XIe et le XIIe siècle qu’à Maillé, en Indre-et-Loire, sont érigés des bâtiments maçonnés surplombant de vastes réseaux souterrains16 (Roy, en cours), avant d’être abandonnés entre le XIVe et le XVe siècle. Ce terroir se situe à la convergence de nombreux pouvoirs qui cherchent alors à s’affirmer et sont parfois en conflit ouvert : les comtes d’Anjou et de Blois et les ducs d’Aquitaine.

21La nature de l’opération support (un linéaire), les régions traversées, les contextes sédimentaires (Bassin parisien, Bassin aquitain) et les sites mis au jour constituent un terreau très favorable aux questionnements et à l’examen du phénomène de frontière, ou de limites entre groupes culturels, et ce, toutes périodes confondues. Le Seuil du Poitou, les vallées de la Creuse et de la Vienne marquent une limite géographique, géopolitique et culturelle que les découvertes archéologiques effectuées sur la LGV pourraient éclairer d’un nouvel éclat. Cette limite constitue-t-elle une frontière ? Ou bien, au contraire, un lieu de passage et d’échanges privilégiés ? De très nombreux sites, du Paléolithique au Moyen Âge, ont été mis au jour et fouillés de part et d’autre de la vallée de la Vienne, près de sa confluence avec la Creuse. Est-ce uniquement dû à une conservation privilégiée des données, ou bien à une implantation préférentiellement choisie ? Les mobiliers permettent-ils d’identifier des réseaux d’échanges privilégiés ? L’opportunité d’étudier ces phénomènes d’échanges, de groupes culturels, sur une longue durée, est apportée ici par les opérations archéologiques menées sur le tracé de la LGV Sud-Europe-Atlantique. Ces différentes études ne peuvent toutefois se faire qu’en les intégrant aux découvertes « hors LGV », car, si d’un point de vue administratif et opérationnel, diagnostics et fouilles sur la LGV SEA constituent un ensemble cohérent, ils ne doivent cependant, scientifiquement, pas être déconnectés des opérations non linéaires.

Un cadre géographique et géologique varié.
Le tracé de la LGV s'étend, sur 300 km de long, sur deux bassins sédimentaires : le Bassin parisien au nord, et le Bassin aquitain au sud, séparés par le Seuil du Poitou. Une alternance de vallées et de plateaux ponctue ce tracé : du nord au sud, vallée de l’Indre, plateaux de la Champagne tourangelle, vallées de la Manse et de la Vienne, plateaux et plaines du Haut-Poitou, coteaux calcaires de Charente, landes vallonnées de Charente-Maritime, plateau boisé de la Gironde nord, vallées de la Dordogne et de la Garonne. La nature des terrains y est très variée : du nord au sud, formations crayeuses et marneuses du Crétacé supérieur du Bassin parisien, formations superficielles calcaires, surmontant le bombement des formations granitiques profondes du Seuil du Poitou, assises du Jurassique, assises du Crétacé supérieur, parfois aussi dans des fonds de vallée, placages tertiaires, terrains tertiaires masqués par des terrains de recouvrement quaternaires, terrasses quaternaires). Ainsi, de Saint-Avertin, en Indre-et-Loire, à Ambarès, en Gironde, plusieurs entités paysagères sont traversées.

1 [encadré]. Tracé de la LGV sur fond de carte géologique.

1 [encadré]. Tracé de la LGV sur fond de carte géologique.

BRGM et Inrap

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Bibliographie

Enquête Publique, 2005, Angoulême-Bordeaux, Réseau Ferré de France – Mission LGV Sud-Europe-Atlantique.

Enquête Publique, 2007, Tours-Angoulême, Réseau Ferré de France – Mission LGV Sud-Europe-Atlantique.

Audé V., avec la coll. de Dupont C., Ferrié J.-G., Louyot D., Mougne C., Quérré G., Pailler Y., Poirier P. et Semelier P., 2013, Le Mas de Champ Redon à Luxé. Un ensemble sépulcral du Bronze ancien et un habitat rural du premier âge du Fer, Rapport d’opération, Inrap-SRA Poitou-Charentes, 270 p.

Bats J.-C., en cours, LGV SEA, Cressac-Saint-Genis, Pièce du Maine Grier, Charente, Rapport d’opération.

Chehmana L., en cours, LGV SEA, Lapouyade, Le Caillou, Gironde, Rapport d’opération.

Connet N., 2013, « Une séquence du Pléistocène moyen et supérieur en Charente », Archéopages, n° 36, p. 74-75. DOI : 10.4000/archeopages.232.

Connet N., 2014, LGV SEA, Londigny, lieu-dit La Grande Brousse, Rapport d’opération, Inrap-SRA Poitou-Charentes, 215 p. https://dolia.inrap.fr/flora/ark:/64298/0137465.

Fourloubey C., 2013, LGV SEA, Clérac, Le Canton des Bergauds : un cas original d’azilianisation, Rapport d’opération, Inrap-SRA Poitou-Charentes, 402 p. https://dolia.inrap.fr/flora/ark:/64298/0131994.

Hamon T., en cours, LGV SEA, Maillé, Bois Adrien, Indre-et-Loire, Rapport d’opération.

Maitay C., 2013, « La céramique protohistorique », in Pueyo C., LGV SEA, Villognon, La Brangerie, Rapport d’opération, Inrap-SRA Poitou-Charentes, p. 290-369.

Massan P., Konik S., Mollet H., coll. Brunie D. et Marembert F., 2001, Études archéologiques sommaires (études documentaires archéologiques), La LGV Aquitaine (Angoulême Nord – La Grave d’Ambarès), DFS de prospection pédestre du 15/10/2001 au 07/12/2001, Afan, SRA Poitou-Charentes, 134 p.

Moizan E., coll. Sanglar V. et Louyot D., 2015, LGV SEA, L’Ouche Torse, Luxé, Charente, Aperçu de l’occupation d’un territoire : d’un habitat de l’âge du Bronze à une villa romaine, Rapport d’opération, Inrap-SRA Poitou-Charentes, 538 p.

Pueyo C., 2013, LGV SEA, Villognon, La Brangerie, Rapport d’opération, Inrap-SRA Poitou-Charentes, 570 p.

Rousseau J., coll. Bethe A.-L., Champagne A., Lenoble A. et Ricard J.-L., 2004, LGV Sud-Europe-Atlantique. Section Tours / nord Angoulême (Indre-et-Loire, Vienne, Deux-Sèvres, Charente), Avant-Projet Sommaire, étude documentaire, 5 vol. 

Roy G., en cours, LGV SEA, Maillé, Villiers, La Roche, Indre-et-Loire, Rapport d’opération.

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Notes

1 Découpage administratif antérieur à janvier 2016.

2 SNCF réseau depuis janvier 2015.

3 En Indre-et-Loire, un peu plus de 80 ha ont été diagnostiqués par le Service d'archéologie du département d'Indre-et-Loire (SADIL).

4 Les fouilles ont fait l’objet d’appels d’offre (RFF), puis, après désignation du concessionnaire, de consultations (Cosea). Elles ont été confiées à l’Inrap (47 %) et au SADIL (2 %), ainsi qu’à plusieurs opérateurs privés, parfois regroupés en groupement solidaire (de deux à trois associés) : Archéosphère, Arkémine, Archéoloire, Eveha, Hadès, Iker, Oxford Archéologie et Paléotime.

5 À l’approche de Bordeaux, les zones les plus urbanisées n’ont pas été diagnostiquées.

6 Le projet LGV SEA était initialement découpé en deux tronçons (SEA 1 et SEA 2) qui ont chacun fait l’objet d’une enquête publique, précédée des études d’avant-projet afférentes. La mise en œuvre technique devait initialement se réaliser en deux temps. Le retard (administratif et politique) pris sur ces deux dossiers a fini par comprimer le calendrier de réalisation, et les deux projets ont été mis en œuvre simultanément. Le découpage SEA1 et SEA2 reste toutefois en vigueur jusqu’à la désignation du concessionnaire attributaire.

7 Le « site » ou « indice de site » étant, ici, défini géographiquement et chronologiquement, le nombre de sites n'est pas égal au nombre de prescriptions de fouilles.

8 Fouille de la Grande Brousse, à Londigny, en Charente, menée d’avril à juin 2012, sous la responsabilité de Nelly Connet, Inrap.

9 Fouille du Canton des Bergauds, à Clérac, en Charente, menée de juin à août 2011, sous la responsabilité de Christophe Fourloubey, Inrap.

10 Fouille du Caillou, à Lapouyade, en Gironde, menée d’octobre à décembre 2011, sous la responsabilité de Lucie Chehmana, Inrap.

11 Fouille du Bois Adrien, à Maillé, en Indre-et-Loire, menée de mars à juin 2013 et en octobre 2013, sous la responsabilité de Tony Hamon, Inrap.

12 Fouille du Mas de Champ Redon, à Luxé, en Charente, menée d’août à octobre 2011, sous la responsabilité de Valérie Audé, Inrap.

13 Fouille de la Brangerie, à Villognon, en Charente, menée d’octobre 2011 à février 2012, sous la responsabilité de Christine Pueyo, Inrap.

14 Fouille de l’Ouche Torse, à Luxé, en Charente, menée d’août à décembre 2011, sous la responsabilité d’Emmanuel Moizan, Inrap.

15 Fouille de la Pièce du Maine Grier, à Cressac-Saint-Genis, en Charente, menée d’octobre à novembre 2011, sous la responsabilité de Jean-Christophe Bats, Inrap.

16 Fouille de Villiers, La Roche, Maillé, Indre-et-Loire, menée de juin à décembre 2012, sous la responsabilité de Gwenaël Roy, Inrap.

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Table des illustrations

Titre 1. Des premières études à la mise en service de la ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique : un long processus administratif.
Crédits Inrap
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Titre 2. Des surfaces diagnostiquées différentes selon les régions traversées.
Légende Pour exemple, 17,4 % du tracé traversent la région Centre, où 24,5 % des diagnostics de l’emprise initiale (APS) ont été réalisés, et 39,2 % des diagnostics des zones complémentaires (APD), soit, les deux emprises cumulées, 29,9 % des diagnostics, correspondant à une moyenne de 17,2 ha diagnostiqués par kilomètre linéaire.
Crédits Inrap
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Titre 3. Exemples de prescription de fouilles archéologiques englobant des zones non diagnostiquées, sur la commune de Maillé, en Indre-et-Loire.
Crédits Inrap
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Titre 4. Occupations identifiées lors des diagnostics et sites fouillés : un ratio différent selon les régions.
Crédits Inrap
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Titre 5. Spectre chronologique des découvertes archéologiques, par région.
Légende Pré : Préhistoire ; Proto : Protohistoire ; Ant : Antiquité ; MA : Moyen Âge ; Mod : époque moderne  ; Ind : indéterminé.
Crédits Inrap
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Titre 1 [encadré]. Tracé de la LGV sur fond de carte géologique.
Crédits BRGM et Inrap
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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Kerouanton, « Ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique et archéologie »Archéopages, Hors-série 4 | 2016, 108-114.

Référence électronique

Isabelle Kerouanton, « Ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique et archéologie »Archéopages [En ligne], Hors-série 4 | 2016, mis en ligne le 18 août 2022, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/7982 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.7982

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Isabelle Kerouanton

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