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3. Former

Les fouilles de l’aéroport de Siem Reap à Angkor

Excavations on Siem Reap Airport in Angkor
Las excavaciones del aeropuerto de Siem Reap en Angkor
Pierre Bâty
p. 86-93

Résumés

La construction d'un nouveau terminal sur l’aéroport de Siem Reap à Angkor a été l'occasion de fouilles préventives en 2004, permettant d’aborder deux sites angkoriens (Xe et XIe siècles), Prasat Trapeang Ropou et Trapeang Thlok. Une nouvelle programmation archéologique de 5 ans sur la zone concerne huit sanctuaires associés à de l'habitat et vise l'étude des formes de celui-ci et la compréhension de son évolution, ainsi que ses connexions avec le groupe de temples mitoyens, datés des Xe-XIIe siècles, afin d'aborder l'imbrication des trames foncières et territoriales. Les décalages chronologiques et morphologiques entre les ensembles étudiés amènent à se questionner sur le statut et les connexions des différents sites entre eux.

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Entrées d’index

Index géographique :

Cambodge, Angkor

Index chronologique :

Moyen Âge
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Texte intégral

1Angkor ne se résume pas à Angkor Vat, à l’inverse de ce que l’imaginaire occidental retient trop souvent. C’est un site archéologique immense (près de 40 000 ha) qui n’est pas un simple site-musée [Fig.1]. Angkor est aussi un lieu vivant, toute une population y habite, y travaille, y consomme, s’y déplace. Le tourisme, en pleine expansion, entraîne un aménagement du territoire et une pression foncière importante. Ces flux, comme cette réalité démographique, ont un impact certain sur la conservation de sites fragiles, qu’ils soient monumentaux ou pas.

[Fig.1] Vignette de localisation.

[Fig.1] Vignette de localisation.

© Fleur Lauga

  • 1 Société concessionnaire de l’aéroport.
  • 2 Direction Pierre Bâty (Inrap).
  • 3 Autorité pour la protection du site et l’aménagement de la région d’Angkor/Siem Reap.

2Le site de l’aéroport de Siem Reap à Angkor est localisé dans le périmètre de la zone 1, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco et faisant l’objet d’une protection maximale. Il est géré par une filiale du Groupe Vinci, la Sca1, qui administre également les aéroports de Phnom Penh et de Sihanoukville. C’est à l’occasion de la construction du nouveau terminal international que des fouilles préventives ont été réalisées en 20042, financées intégralement par la Sca, en partenariat avec l’Apsara3 et l’Inrap.

[Fig.2] Diagnostic en cours à l’aéroport.

[Fig.2] Diagnostic en cours à l’aéroport.

P. Bâty, Inrap

  • 4 École française d’Extrême-Orient.

3L’étude des photographies aériennes de la zone d’implantation de l’aéroport montre une quantité de tertres d’habitat, de sanctuaires, de structures linéaires et d’indices parcellaires, appartenant à la période angkorienne et pré-angkorienne. L’installation du champ d’aviation en 1931 avait déjà motivé une première opération archéologique sur le site de Prasat Trapeang Ropou [Fig.3 à 5], par l’Efeo4 sous la direction d’Henri Marchal (Marchal, 1931). Des travaux d’agrandissement furent ensuite menés à partir de 1939, jusqu’en 1946. Ils concernent la construction d’une première piste en béton. En 1966, l’extension de la piste est entreprise. Ces travaux, ainsi que les combats livrés autour de l’aéroport dans les années 1980 et 1990, ont gravement nuit aux sites archéologiques de cette zone. Il faut attendre 1998 pour que l’Apsara et la direction de l’Aviation civile demandent une évaluation du potentiel archéologique de l’aéroport (Gaucher, Franiatte, 1999). Cette démarche novatrice n’a pas empêché de nouveaux terrassements destructeurs d’avoir lieu en 1999 et en 2000. C’est donc dans un environnement très dégradé que nous avons dû intervenir en 2004.

[Fig.3] Prasat Trapeang Ropou, plan général.

[Fig.3] Prasat Trapeang Ropou, plan général.

DR

[Fig.4] Prasat Trapeang Ropou, porte du sanctuaire sud, seconde moitié du xe siècle.

[Fig.4] Prasat Trapeang Ropou, porte du sanctuaire sud, seconde moitié du xe siècle.

P. Bâty

[Fig.5] Prasat Trapeang Ropou, les portes des chapelles en élévation, seconde moitié du xe siècle.

[Fig.5] Prasat Trapeang Ropou, les portes des chapelles en élévation, seconde moitié du xe siècle.

P. Bâty

Prasat Trapeang Ropou. Ce site d’environ 30 ha a été décrit par Lunet de Lajonquière dès 1911 (Lunet de Lajonquière, 1911). Les dégagements archéologiques de 1931 par Henri Marchal (Efeo) ont évité sa destruction lors de la construction du premier champ d’aviation. Ce sanctuaire est daté de la deuxième moitié du xe siècle par le style et par des inscriptions v(K 690 et K 691, Corpus des inscriptions khmères (CIK)) découvertes in situ : l’une date du roi Rajendravarman (944-968) et l’autre remonte à 1002 (Coedes, 1952). Ces deux textes conservés dans le grès nous apprennent le nom du site en sanscrit (Travan Rvau), le « bassin des citrouilles », et nous renseignent sur la dévolution du bâtiment annexe (« l’asrama où réside le feu sacré est entretenu par l’officiant de Candrapura Rlam »). Enfin, ils manifestent l’importance du site en relatant l’envoi, par le souverain, de plusieurs dignitaires afin de mesurer la contenance des terres de Vnam Kantal (aujourd’hui Phnom Bakheng, temple d’État du souverain Yasovarman 1er, 889-910) et d’en restituer une partie à Travan Rvau (Coedes, 1952). Le site [Fig.3] se compose d’un sanctuaire muni de trois tours, d’un bâtiment annexe, d’une terrasse et d’un mur de clôture entouré de douves. À l’est, une chaussée le relie à un grand trapeang (bassin sacré) de 320 x 180 m. Quatre tertres d’habitats étaient déjà connus en périphérie des douves. Le diagnostic archéologique révèle huit nouveaux tertres répartis au sud et à l’ouest du temple. Ces plates-formes rectangulaires de 1 500 à 3 000 m² permettaient de maintenir les maisons hors d’eau lors des fortes précipitations de mousson. Ces ensembles stratifiés comportent de la céramique datable des xie et xiie siècles. Des analyses radiométriques réalisées à cette occasion confirment cette position chronologique (AA 60778 Radiocarbon Age BP 1144 +/- 45 et AA 60779 BP 953 +/- 45) .

4Le diagnostic archéologique de l’aéroport international de Siem Reap [Fig.2], sur une superficie de 26 hectares, a permis d’aborder deux sites angkoriens datés des xe et xie siècles : Prasat Trapeang Ropou et Trapeang Thlok (cf. encadrés p. 88 et 89). La fouille exhaustive, sur plus de 2 ha du site de Trapeang Thlok est une première qui permet d’observer et d’analyser l’organisation d’un site d’habitat et d’un sanctuaire associés. Une première étude typo-chronologique de la céramique a été réalisée en tenant compte de l’ensemble du vaisselier (Desbat, dans Bâty, 2005).

5Ce travail fait partie des rares fouilles exhaustives menées au Cambodge à ce jour. La réussite de cette opération archéologique et les questionnements qu’elle a suscités ont conduit à une réflexion sur la poursuite des recherches dans le secteur de l’aéroport. Ce nouveau projet scientifique, programmé sur cinq ans, aborde en priorité la question de l’habitat et de son insertion dans les trames foncières et territoriales, puisqu’il est connecté à un groupe de temples mitoyens, remontant aux xe-xiie siècles. La chronologie de ces occupations reste à préciser.

Des états de parcellaires angkoriens

6Les contraintes morphologiques majeures qui caractérisent ce secteur d’Angkor appartiennent à des époques variées et traduisent une longue occupation de la zone. Les principales contraintes correspondent à des digues et des canaux : le Baray occidental, gigantesque réservoir daté du xie siècle, la double digue dite de « Yaçodharapura », reliée au Baray et à l’ensemble des structures pré-angkoriennes qui constituent le site de « Banteay Choeu » (Groslier, 1974). Dans ce maillage structurant se développent différents états de parcellaires asynchrones. Ce système de rizières délimitées par des digues est irrigué par gravité depuis le Baray occidental. Il est admis qu’une partie au moins de ce système soit contemporaine du Baray et donc datée du xie siècle (Pottier, 1999).

7Juste au sud du temple de Trapeang Thlok nous avons coupé une trentaine de digues de rizières. Elles sont organisées selon un axe approximativement nord-sud et est-ouest, mais leur orientation varie de quelques degrés. Cet écart se manifeste par une disposition « en éventail » de certains groupes de parcelles, qui tranche par rapport à l’orthogonalité de l’organisation générale et suggère que la zone étudiée est située aux confins de plusieurs espaces fonciers. La disposition des sanctuaires voisins accrédite cette hypothèse.

8Ces digues se superposent parfois à de petits fossés plus anciens dont elles reprennent le tracé. Des sols culturaux recouvrent les digues des parcellaires dont ils atténuent le relief. Ils contiennent très peu de mobilier archéologique : quelques tessons de céramique commune très érodés et des grès angkoriens. Un élément chronologique nous est toutefois fourni par la découverte d’une occupation du xie siècle superposée à une digue de parcellaire.

9Grâce aux photo-interprétations et aux observations au sol, les limites entre les groupes parcellaires afférents à Prasat Trapeang Ropou et Trapeang Thlok ont pu être déterminées. Ces interactions mettent en évidence des agrégats de parcelles, accolées aux limites préexistantes de groupes fonciers plus anciens (Bâty, 2005).

Un nouveau projet, des thématiques cohérentes

10L’existence d’un patrimoine monumental sur le foncier même de l’aéroport et à ses abords immédiats motive aujourd’hui une programmation archéologique pluriannuelle, établie sur cinq ans, consacrée à la fouille des sites localisés dans le domaine sécurisé de l’aéroport et en périphérie. Ces fouilles s’inscrivent dans une problématique scientifique centrale : leur étude exhaustive permettra, dans la suite des travaux de 2004, d’aborder pleinement la question de l’habitat angkorien, sa forme, son évolution, et les interactions entre plusieurs groupes d’habitats dans une période comprise entre le xe et le xiie siècle. Ces fouilles serviront de chantiers d’application pour la formation de jeunes étudiants cambodgiens en archéologie. Elles serviront à la mise en place de « classes culturelles » en direction des écoles de la zone. Afin de permettre à l’Apsara de disposer des nouveaux cadres nécessaires au développement de son service d’archéologie préventive, un cycle de formation aux techniques de l’archéologie préventive sera développé dans le cadre de ces fouilles. Cette démarche est aujourd’hui ressentie comme une nécessité, tant par les futurs ingénieurs/archéologues cambodgiens que par les institutions internationales qui font appel à eux. Cette formation doit être proposée aux jeunes étudiants en archéologie comme un complément à leur formation universitaire.

  • 5 Cescm, Université de Poitiers.

11Une telle démarche a déjà été initiée, puisque des agents de l’Apsara ont pu bénéficier d’une formation de trois mois au Centre archéologique de l’Inrap à Poitiers. Ils ont été intégrés à plusieurs opérations d’archéologie préventive, et ont suivi une formation de la part de spécialistes de l’établissement et de l’Université de Poitiers5. Ce chantier-école pourra devenir le laboratoire où seront adaptées, aux spécificités de l’archéologie angkorienne, les méthodes de terrain et d’enregistrement. Il est important, dans le contexte du patrimoine mondial, que l’Apsara puisse bénéficier d’un tel outil. La formation se fera sur le terrain, dans le cadre du programme de fouille pluriannuel.

Le nouveau programme de fouille

12Huit sanctuaires associés à de l’habitat et à des bassins sont concernés par le projet, ils présentent des cohérences géographiques et foncières (sites mitoyens dont les espaces fonciers interagissent), thématiques (présence de tertres, de terre-pleins, de trapeang, de bassins inscrits dans des espaces afférents) et chronologiques (fondations supposées au xe siècle ou au début du xie siècle, pérennité de l’occupation durant les xie-xiie siècles au moins). De ces huit sites, seuls trois ont fait l’objet de recherches archéologiques par le passé : le grand ensemble Prasat Preï (Trouvé, 1933), Prasat Trapeang Ropou (Marchal, 1931) et récemment Trapeang Thlok. Les autres sites ont été prospectés par Ch. Pottier (Efeo) (Pottier, 1999) et par Pierre Bâty de 2004 à 2010.

  • 6 Kossak S., 1994, « The Arts of South and Southeast Asia », The Metropolitan Museum of Art Bulletin, (...)

13C’est en 1933 que Georges Trouvé (Efeo) entreprend le dégagement de la tour centrale de Prasat Preï. Plusieurs éléments statuaires sont découverts, dont une représentation de Brahma en grès attribuable au premier quart du xie siècle, aujourd’hui exposée au Metropolitan Museum of Art de New York6. Ce temple en brique est installé sur une plate-forme de 100 m de côté, entourée de douves et associé à un grand trapeang [Fig.9]. Le site se développe sur 700 m environ selon un axe est-ouest rigoureux et s’insère dans un parcellaire isocline en contact avec l’espace foncier attribué au Prasat Trapeang Thlok, fouillé en 2004.

[Fig.6] Trapeang Thlok, plan général.

[Fig.6] Trapeang Thlok, plan général.

DR

[Fig.7] Fouille en cours sur le tertre de l’habitat de Trapeang Thlok.

[Fig.7] Fouille en cours sur le tertre de l’habitat de Trapeang Thlok.

A. Bolle

[Fig.8] Trapeang Thlok, le temple et ses douves après décapage.

[Fig.8] Trapeang Thlok, le temple et ses douves après décapage.

P. Bâty

[Fig.9] Vue aérienne du temple et des douves de Prasat Preï.

[Fig.9] Vue aérienne du temple et des douves de Prasat Preï.

P. Bâty

[Fig.10] Piédestal de Kôk Russeï.

[Fig.10] Piédestal de Kôk Russeï.

P. Bâty

Trapeang Thlok. Ce sanctuaire se situe dans une enceinte carrée de 65 m de côté [Fig.6]. Il est composé d’un trapeang, de petits bassins à la périphérie des douves et d’un habitat [Fig.7]. Un ou plusieurs bâtiments sont situés au centre de cet espace et correspondent à la cella de la divinité principale et à d’éventuelles chapelles d’assesseurs. Comme le montre la céramique, le temple et son occupation peuvent être datés de la première moitié du xie siècle, de même que l’habitat. Des analyses radiométriques (AA 60775 Radiocarbon Age BP 1076 + / - 37. AA 61357 Radiocarbon Age BP 954 + / - 35) confirment la datation par la céramique (Desbat, Marquié, dans Bâty et al., 2005). Pour le temple, nous n’avons pas retrouvé de tuiles, ce qui manifeste l’utilisation privilégiée de matériaux légers. L’absence de latérite, de grès et de briques nous incite à voir dans le temple de Trapeang Thlok un édifice en bois, qui précédait souvent la construction d’un édifice définitif en pierre [Fig.8]. Sur le tertre, d’une superficie d’environ 1 500 m2, sont regroupées les structures d’habitat, à 40 m au sud du temple. La localisation précise des maisons est très difficile à établir. Seule la répartition du mobilier reflète les zones d’occupation. Une zone privilégiée se dessine clairement sur le point haut du tertre, d’où provient la majorité des céramiques importées, accompagnées d’un lot important de céramique khmère et de mobilier métallique et lithique.

La brièveté de l’occupation à Trapeang Thlok est remarquable. Cet ensemble fonctionne dans un court laps de temps intercalé entre la fin du xe siècle et la première moitié du xie siècle. Il permet d’esquisser l’image d’un édifice cultuel et d’un habitat associé. Rien ne nous renseigne sur la disparition de cet établissement rural. Ce sont peut être les réussites des fondations voisines plus importantes comme Prasat Trapeang Ropou ou Prasat Preï [Fig.9] qui éclipsent cette création plus modeste.

14Le terre-plein du sanctuaire présente une dépression carrée dans son angle nord-est correspondant à un petit bassin. Plusieurs microreliefs, dont il reste à définir l’origine, marquent la plate-forme. En 2009, nous avons pu faire réaliser le débroussaillage du sanctuaire. Après nettoyage, la tour centrale ressort nettement. En briques, elle ne présente pas d’éléments de datation évidents, notamment aucun caractère typiquement pré-angkorien. La décoration est inachevée. Une seconde tour inédite, très arasée, apparaît au nord de la première. L’ensemble pourrait se situer au début du xe siècle. Nous ne possédons aucun élément de datation pour les nombreux tertres associés à cet ensemble au sud et à l’ouest, ni sur les occupations probables des remblais entourant le bassin, propices à l’installation de villages. Il est vraisemblable que l’occupation se soit poursuivie sur une assez longue période.

15Plusieurs sites apparaissent très dégradés ou menacés par les terrassements liés aux aménagements de l’aéroport. C’est notamment le cas de Tuol Ta Lo, coupé en deux par la piste de secours. Ce sanctuaire se compose d’un terre-plein, entouré de douves et ouvert à l’est par une chaussée, de deux petits bassins et d’un tertre au nord. L’ensemble se développe sur plus de 200 m selon un axe est-ouest. En 2004, lors de notre intervention, un beau piédestal en grès y a été découvert, il gisait en bordure de la piste de secours. Il est aujourd’hui déposé au musée Norodom Sihanouk à Siem Reap.

16L’extension de la piste a détruit un sanctuaire connu grâce aux photographies aériennes de W. Hunt en 1945 (Anonyme, CP 707 : cf. Pottier, 1999). L’ensemble se développe sur 360 m selon un axe est-ouest et comprend un trapeang, un terre-plein et un tertre (habitat ?). En mai 1966, les terrassiers y ont découvert une cache d’objets en bronze comprenant de nombreuses divinités, attribuées au xiiie siècle. Les 44 objets recensés dans ce lot font aujourd’hui partie des plus belles pièces en bronze du Musée national à Phnom Penh.

17Localisé à l’extrémité sud-ouest de la piste, le site de Kôk Neak Ta Kruong est coupé en deux par la clôture de l’aéroport. Il possède un trapeang (bassin sacré), prolongé à l’ouest par un terre-plein entouré de douves, puis par un très grand tertre de 100 m de long. Des tertres plus petits, localisés au sud du sanctuaire, peuvent être rattachés à cet ensemble. Quelques éléments lapidaires (linteau, piédroits) attestent d’une architecture à la décoration soignée.

18Le site de Kôk Russeï correspond à un trapeang d’axe est-ouest, aujourd’hui très dégradé. Un tertre au nord possède un beau piédestal en grès décoré sur chaque face d’un petit personnage dans une arcature et des éléments d’architecture [Fig.10]. Il a été vandalisé dernièrement, nous avons demandé à l’Apsara sa mise à l’abri. Une zone surélevée, à l’ouest du trapeang, particulièrement dévastée par les prises de terre, pourrait correspondre à un tertre de grande dimension, ou aux vestiges du terre-plein d’un temple. L’ensemble se développe sur plus de 270 m selon un axe est-ouest. Lors de nos prospections, de la céramique post-angkorienne a également été observée à l’ouest du site, suggérant une occupation assez longue.

19Le site de Trapeang Samrong est composé d’un petit terre-plein entouré de douves, d’un gros tertre quadrangulaire, au sud, accompagné d’un tertre secondaire, d’une chaussée axiale et de quatre petits bassins. L’ensemble est complété à l’est par un très beau trapeang. Certaines anomalies topographiques évoquent l’existence d’un grand enclos fossoyé, mais ce point reste très hypothétique. Des prises de terre en 2005 ont provoqué la destruction du gros tertre au sud du terre-plein. Les prospections sur p lace ont permis de récolter un peu de céramique angkorienne. La présence de grès à glaçure brune associée à d’autres fragments de type Kulen suggère une occupation s’étendant au moins jusqu’au xiie siècle. Les travaux de construction d’une route effectués en 2005 ont gravement altéré le site, qui est aujourd’hui menacé de disparition.

Problématique et objectifs scientifiques

20L’état de la connaissance des sites intégrés dans ce projet est, comme nous l’avons vu, très inégal : Prasat Trapeang Ropou est assez bien documenté. Les analyses radiométriques, l’étude de la céramique comme l’approche stylistique et la traduction des inscriptions confirment une installation probable sous le règne du souverain Rajendravarman au milieu du xe siècle, l’occupation se poursuivant jusqu’au milieu du xiie siècle au moins. Pour les autres sites, nous n’avons que des connaissances sporadiques et lacunaires. Leur datation est souvent indirecte, jamais précise, sauf à Trapeang Thlok grâce aux analyses radiométriques et à l’étude de la céramique.

21Deux périodes plus ou moins distinctes semblent se dessiner : des fondations au xe siècle, peut-être précoces, comme Trapeang Ropou. Ces ensembles s’inscrivent dans des espaces fonciers homogènes et isoclines. Des fondations plus modestes ne présentant pas de vestiges monumentaux et dont les espaces fonciers, moins homogènes, semblent accolés aux limites préexistantes des gros ensembles du xe siècle. En l’état actuel des connaissances, ces groupes ne remonteraient pas au-delà de la fin du xe siècle. Ces décalages chronologiques et morphologiques sont à l’origine du questionnement motivant ce programme de recherches. Ils posent la question du statut de ces différents sites, de leurs habitants et de leurs interactions.

Parcellaire et espace foncier

22Cette approche systématique sur un groupe de temples et d’habitats limitrophes nous apportera les éléments de datation essentiels pour comprendre l’évolution de la zone et la construction du paysage. Les résultats de ces opérations archéologiques permettront d’étudier les interactions de plusieurs sanctuaires de dimensions et de statuts différents (simples temples en bois ou édifices en briques), associant de l’habitat (village ?) à des « territoires immédiats ».

23Le terme d’« espace foncier » reste à pondérer : il renvoie à des notions fiscales et/ou juridiques avérées dans le cas de Prasat Trapeang Ropou (querelle de bornage entre Ropou et Vnam Kantal : inscription K 690), mais purement spéculatives en l’état des connaissances pour les autres sites. Ces territoires correspondent à un ancien état d’appropriation de l’environnement, centré sur des temples, dont la mesure pourrait être considérée comme la distance de la maison aux champs. À l’intérieur de ces espaces, la dispersion de l’habitat ainsi que la forme et la contenance des parcelles paraissent induites par des contraintes techniques liées aux pratiques agricoles et au caractère diachronique de ces ensembles parcellaires entre eux. À ce stade du raisonnement, l’apport de la géo-archéologie, combinant une analyse géomorphologique et pédologique, est important. L’étude géomorphologique nous renseignera sur les choix d’implantation des habitations au regard des ressources naturelles, hydriques et agronomiques, du milieu. Parallèlement, l’étude pédologique permettra de faire la part des caractéristiques naturelles des sols et celles héritées de son anthropisation. Il est donc crucial, afin de déterminer quelques-unes de ces interactions, de pouvoir sonder mécaniquement des intersections de digues et de diguettes offrant le plus de chance de livrer des informations sur ce phasage et ces contraintes. L’étendue des investigations correspond à une zone de 10,55 km² intégrant l’aéroport et les terrains afférents. En complément de ces sondages ciblés, des relevés topographiques au sol, une couverture photographique aérienne et l’utilisation du Lidar (Light Detection and Ranging), permettront la réalisation d’un modèle numérique de terrain précis, illustrant cette organisation du territoire.

Sanctuaires et habitats

24À l’échelle des sites étudiés, les résultats des fouilles des tertres permettront d’aborder les questions liées à la constitution et à l’organisation de l’habitat d’un point de vue technique, spatial et social, à l’intérieur de plusieurs phases chronologiques. L’un des points éminents de ce programme est l’étude du lien structurel entre le temple et l’habitat, tant du point de vue de la culture matérielle que de la structuration géographique et physique de l’ensemble. Il est nécessaire de rappeler qu’en un siècle d’archéologie à Angkor, les questions liées à l’habitat n’ont que très rarement été abordées.

25La fouille des sanctuaires et des habitats permet d’espérer apporter des connaissances nouvelles sur l’architecture en matériaux périssables, à l’image du temple en bois de Trapeang Thlok. La fouille exhaustive de plusieurs tertres d’habitat et les sondages sur les berges des grands trapeang permettront d’aborder la question de l’habitat de manière globale, en menant une réflexion sur l’organisation, le déplacement et l’extension de celui-ci autour des différents sanctuaires. Le projet vise une approche globale, considérant le temple et le village à l’intérieur d’un territoire, lui-même influencé par des limites préexistantes et contraignantes.

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Bibliographie

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Bâty P. et al, 2005, « Extension de l’aéroport de Siem Reap, Trapeang Thlok Prasat Trapeang Ropou », Rapport de diagnostic archéologique ; « Trapeang Thlok sanctuaire et habitat », Rapport de fouille, DFS de sauvetage urgent, base Inrap de Poitiers, 1 volume A3, 167 pages, 157 fig., 248 photographies.

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Groslier B. Ph., 1979, « La cité hydraulique angkorienne : exploitation ou surexploitation du sol ? », Befeo, 68, p. 161-202.

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Pottier Chr., 2000, « À la recherche de Goloupura », Befeo, 87, p. 79-107.

Trouve G., 1933, Chronique Efeo 1933, Befeo, 33 (2), 1134 p.

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Notes

1 Société concessionnaire de l’aéroport.

2 Direction Pierre Bâty (Inrap).

3 Autorité pour la protection du site et l’aménagement de la région d’Angkor/Siem Reap.

4 École française d’Extrême-Orient.

5 Cescm, Université de Poitiers.

6 Kossak S., 1994, « The Arts of South and Southeast Asia », The Metropolitan Museum of Art Bulletin, vol. 51, n° 4.

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Table des illustrations

Titre [Fig.1] Vignette de localisation.
Crédits © Fleur Lauga
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Titre [Fig.2] Diagnostic en cours à l’aéroport.
Crédits P. Bâty, Inrap
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Titre [Fig.3] Prasat Trapeang Ropou, plan général.
Crédits DR
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Titre [Fig.4] Prasat Trapeang Ropou, porte du sanctuaire sud, seconde moitié du xe siècle.
Crédits P. Bâty
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Titre [Fig.5] Prasat Trapeang Ropou, les portes des chapelles en élévation, seconde moitié du xe siècle.
Crédits P. Bâty
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/791/img-5.jpg
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Titre [Fig.6] Trapeang Thlok, plan général.
Crédits DR
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Titre [Fig.7] Fouille en cours sur le tertre de l’habitat de Trapeang Thlok.
Crédits A. Bolle
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Titre [Fig.8] Trapeang Thlok, le temple et ses douves après décapage.
Crédits P. Bâty
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Titre [Fig.9] Vue aérienne du temple et des douves de Prasat Preï.
Crédits P. Bâty
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Titre [Fig.10] Piédestal de Kôk Russeï.
Crédits P. Bâty
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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Bâty, « Les fouilles de l’aéroport de Siem Reap à Angkor »Archéopages, Hors-série 2 | 2010, 86-93.

Référence électronique

Pierre Bâty, « Les fouilles de l’aéroport de Siem Reap à Angkor »Archéopages [En ligne], Hors-série 2 | 2010, mis en ligne le 01 octobre 2010, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/791 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.791

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