1La mise en œuvre de Systèmes d’information géographique (SIG) pour l’étude des territoires anciens ou actuels est une pratique désormais courante : dès lors que la problématique posée fait intervenir l’espace, le recours au SIG relève de l’évidence. En archéologie, en France, les SIG sont utilisés depuis les années 1990, mais leur généralisation à l’échelle de l’opération archéologique est récente. À l’Inrap, cette généralisation fait l’objet depuis 2011 d’un déploiement à l’échelle nationale qui vise à systématiser l’utilisation des SIG sur les opérations de diagnostic et de fouille (Rodier, Ciezar, Moreau, 2011). Souvent dotés de moyens propres et d’équipes de terrain dédiées, les projets linéaires sont l’occasion de tester des méthodes, des techniques et des processus nouveaux : à l’Inrap, les tracés d’envergure font généralement l’objet d’une coordination scientifique et technique qui conduit à la mise en place de processus d’organisation du travail réfléchis, anticipés et reproduits tout au long du tracé afin de répondre aux exigences du planning de l’aménagement et de délai de rendu des rapports minimaux services de l’état. C’est ainsi que des projets d’aménagement linéaires récents ont fourni le cadre à des expériences d’application systématique des SIG.
2Il existe une multitude de définitions des SIG, comme il existe une multitude d’acronymes pour désigner les différents dispositifs mis en œuvre dans le domaine de la géomatique. En général, deux définitions différentes mais complémentaires des SIG sont proposées : la première met l’accent sur l’aspect technique des SIG en tant qu’outils informatiques, de gestion, d’interrogation, d’analyse, de modélisation et de restitution de l’information. Ces fonctionnalités sont résumées par les cinq « A » (abstraire, acquérir, archiver, analyser, afficher) qui rythment le processus de conception et de mise en œuvre d’un SIG (Denègre, Salgé, 1996). La seconde définition favorise une perception plus conceptuelle du SIG insistant davantage sur sa finalité : le SIG est défini comme « un ensemble de structures, des méthodes, des outils et des données constitués pour rendre compte de phénomènes localisés dans un espace spécifique et faciliter les décisions à prendre dans cet espace » (Joliveau, 1996).
3De manière générale, l’optimisation du processus et l’augmentation de la qualité de la documentation produite au sens large (données et productions cartographiques) sont les retombées attendues du recours systématique aux SIG dans le cadre des opérations d’archéologie préventive. Il ne nous a pas semblé nécessaire de revenir, dans cet article, sur l’intérêt d’utiliser les SIG pour l’exploitation et l’analyse des données, fonctions premières, évidentes, dont la littérature fait largement état. On rappellera simplement que l’interrogation des données spatiales selon un critère descriptif choisi relève déjà de l’analyse spatiale et qu’il n’est nul besoin de mettre en œuvre une méthode d’interpolation pour parler d’analyse. Cela étant, il est vrai que les données collectées à l’échelle d’une opération ne se prêtent pas toujours à une analyse spatiale qui va au-delà de la simple localisation des structures sur un plan. Dans ce cas, si le SIG n’est pas mis en œuvre pour ses fonctions d’analyse, il intervient comme outil de gestion et de stockage des données. L’utilisation systématique des SIG pour la gestion des opérations, à plus forte raison dans le cadre d’un linéaire qui implique un va-et-vient entre l’échelle de l’opération/du tronçon et celle du tracé dans sa globalité, est un atout majeur. Constitué au fur et à mesure du terrain, le SIG permet de gérer la progression du chantier (type de relevé effectué à un moment T, détection des doublons, etc.) ; il offre à l’archéologue la possibilité d’obtenir un plan actualisé en temps réel si les données ont été numérisées au plus tôt dans le processus. À l’échelle de l’ensemble du tracé, le SIG permet également de gérer des opérations réalisées conjointement en des lieux différents. L’automatisation de la cartographie est une autre fonction des SIG largement mise en œuvre, notamment sur les diagnostics du gazoduc (cf. contributions de P. Serafini, R. Rougier et R. Durost dans ce volume), puisque le SIG peut faciliter la production rapide et harmonisée des figures du rapport. Enfin, l’un des potentiels de la systématisation des SIG en archéologie préventive réside dans les perspectives offertes par la collecte harmonisée des données : si toutes les équipes respectent une structure de données commune a minima, l’élaboration d’un catalogue de données à l’échelle d’un tracé, voire du territoire national, devient possible.
4Savoir si la mise en place d’un SIG, à l’échelle d’une ou plusieurs opérations archéologiques, a répondu aux objectifs fixés relève de la gageure pour deux raisons principales. La première tient au fait que les effets de l’intégration d’un outil comme le SIG dans une organisation ne sont jamais immédiats et que le processus d’appropriation par les utilisateurs peut être long. La seconde est liée au fait que le SIG transforme le fonctionnement des organisations et les modes de travail des individus (Roche, Caron, 2004 ; Costa, 2009) : il « modifie le fonctionnement d’un groupe tout autant qu’il doit s’adapter et évoluer de manière permanente au fonctionnement du groupe » (Costa, 2009, p. 751).
5Ainsi, le bénéfice réel de l’introduction des SIG à l’Inrap ne se trouve pas tant dans l’optimisation du processus et la qualité des données produites que dans le développement d’un sentiment d’appartenance à « des réseaux d’utilisateurs dans le but de développer une culture commune structurée autour d’un territoire d’étude donné » (Pornon, 2007 cité par Costa, 2009, p. 751). Cette dimension, éprouvée à l’échelle d’une opération ou d’une coordination, peut être transposée, à l’échelle de l’Institut dans son ensemble, autour de la question du partage des données archéologiques avec, d’une part, les aménageurs dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive et, d’autre part, les archéologues de tous horizons. La question de la mutualisation des données de la recherche, en l’occurrence, des données spatiales, suite logique à la démocratisation des SIG en archéologie préventive, apparaît comme le moyen de fédérer les archéologues autour d’un bien commun que sont les données archéologiques.