1Le site antique appelé « Jebel Oust » est situé à Hammam el-Oust, à 32 km au sud-ouest de Tunis, sur la route de Zaghouan. Il occupe la pente orientale du Jebel Oust, entre une source chaude (sur laquelle est construit un temple) et un secteur thermal équipé de deux portiques, donnant sur une résidence. Le temple, la source et les thermes ont été à l’origine du site, qui n’a sans doute jamais été une agglomération, mais plutôt un lieu de culte associé à une source thermale avec ses différentes annexes. Aucun matériel antérieur à l’Empire n’a été découvert à Jebel Oust, et l’histoire de cet ensemble s’étend entre le début de l’Empire et le début du viie siècle. Après deux grandes étapes dans l’aménagement du site, vers la fin du ier siècle de notre ère et à partir du milieu du iie siècle, avec deux implantations successives de thermes, l’une sur la pente devant le temple, l’autre au pied de la colline, les bâtiments sont christianisés au début du ve siècle. Le temple est transformé en baptistère et une basilique est construite en bordure du portique du temple. Le nom antique du site et l’identité de la divinité propriétaire du temple et de la source sont inconnus. L. Maurin a supposé qu’il pourrait s’agir du site Onellana, qui est mentionné sur la Table de Peutinger à égale distance de Oudhna et de Thuburbo maius (Ben Bassen, Maurin, 1998 ; Maurin, 2003), mais il n’y a aucune certitude. Il faut toutefois signaler que le temple de Jebel Oust est situé à proximité des limites de plusieurs cités ou pagi de vétérans. Étant donné sa probable naissance au début de l’Empire, il est raisonnable de l’attribuer à la colonie augustéenne d’Uthina (Oudhna) ou à l’un des deux pagi de vétérans augustéens situés entre Jebel Oust et Oudhna.
[Fig.1] Plan général des constructions connues sur le site.
J. Scheid
[Fig.2] Plan général de la résidence. De 2005 à 2010, le jardin ( zone hachurée ) a fait l’objet de cinq sondages pour connaître ses contours et son contenu. Les qualités agronomiques du sol sont probablement obtenues par des amendements réguliers.
N. André
[Fig.3] Le sondage (angle ouest du jardin) a révélé des pièces sommaires (au premier plan) dont l’étude permettrait de comprendre la destination du secteur résidentiel (habitat privé ou vocation publique et commerciale).
R. Durost, Inrap
[Fig.4] L’angle ouest du jardin conserve un premier état à sol maçonné (non daté), recouvert de dépôts hydromorphes provenant d’au moins sept orages, démontrant une longue absence d’entretien avant que le sol de chaux de la résidence du ive siècle ne soit installé.
R. Durost, Inrap
2Signalé pour la première fois en 1862, le site n’a été l’objet de fouilles qu’en 1907. À l’occasion de la découverte, par un prospecteur minier, de la nappe phréatique qui sort à 55 °C, le bassin circulaire et la grande piscine rectangulaire dont les colonnes émergeaient encore de terre furent hâtivement fouillés par les militaires français (Carton, 1907). Le site fut ensuite oublié jusqu’en 1962, quand Mohammed Fendri dégagea les trois ensembles actuellement visibles, les thermes, le secteur du temple et les citernes. Une petite partie du matériel (non publié) a été déposée au musée d’Utique. Il a été rapatrié à Jebel Oust en 2003. Le reste des découvertes faites au cours de ces fouilles n’est pas conservé ou exploitable.
3M. Fendri a fait dresser un plan de la zone de la résidence et des thermes, sur laquelle portait principalement la fouille de 1962-1963. Ce plan est d’excellente qualité et a conservé beaucoup de données, notamment sur l’aménagement des thermes, qui ont aujourd’hui disparu ou ont été abîmés au cours du temps. De la résidence, il livre peu de données de fouille. Le plan de la zone du temple, quant à elle, est conservé, mais dans un état très incomplet. Les citernes n’ont pas été relevées en détail. Enfin, ces différents plans n’étaient pas reliés entre eux. À part un article sur les mosaïques (Fendri, 1963) et deux conférences présentant le site et surtout les thermes de Jebel Oust, dont les manuscrits sont conservés, M. Fendri n’a laissé aucun document sur ses fouilles.
4La mission actuelle de Jebel Oust a comme tâche la reprise du chantier de 1962, son relevé complet, l’étude des vestiges, au besoin par la fouille, et des couches encore en place, en vue de la publication du site. Cette équipe a été dirigée par Aïcha Ben Abed (Inp) et John Scheid (Collège de France), avec la collaboration de Henri Broise (Iraa, Cnrs), Catherine Balmelle (Centre Henri Stern, Cnrs), Christophe Petit (Université de Bourgogne) et Jeannot Metzler (musée national d’Histoire et d’Archéologie de Luxembourg).
5Le site de Jebel Oust se compose de trois unités : les thermes et les bâtiments qui les entourent, le temple et ses dépendances, ainsi qu’une série de grosses citernes, situées au sud, en marge du site proprement dit. Une fois le plan général établi, nous avons concentré les recherches sur le secteur du temple, sur les thermes et sur la résidence (Ben Abed, Scheid, 1905). C’est dans ce dernier secteur que la signature d’une convention avec l’Inrap a permis à un de ses archéologues d’intervenir de 2005 à 2010, ultime campagne de la mission. Cette étude s’est concentrée sur le jardin aménagé contre le côté de la résidence opposé aux thermes, au plus bas de la pente du Jebel Oust. La résidence est essentiellement connue par son dernier état, structuré à partir du ive siècle et intégrant apparemment les thermes au cours du ve siècle, et munie d’une salle de réception à absides ouvrant sur le jardin. Deux appartements donnant aussi sur le jardin jouxtent la salle de réception puis, sur le côté nord, une série de petites pièces carrées se succèdent. Leur fonction reste énigmatique car la plupart d’entre elles sont munies de deux ou trois portes donnant accès aux pièces suivantes, et l’espace disponible pour y séjourner se trouve donc fortement réduit.
6L’intérêt archéologique du jardin est multiple. Tout d’abord, l’absence de maçonneries affleurantes a laissé penser à M. Fendri qu’il n’y avait pas de vestiges majeurs à cet endroit, et qu’il n’était pas prioritaire de l’explorer. Le jardin est donc parvenu au xxie siècle avec une stratigraphie intacte, chose rare sur le site. Il offrait la possibilité de documenter les phases tardives qui manquent ailleurs. Ensuite, la position en bas de pente a favorisé la préservation des strates successives, alors que les constructions des autres secteurs reposent, pour la plupart d’entre elles, directement sur la roche calcaire. Les phases les plus anciennes pouvaient donc être potentiellement préservées et il était envisageable de reconstituer les phases architecturales antérieures à la résidence du ive siècle.
7Les thèmes d’étude liés à un tel espace d’ornement végétal étaient extrêmement différents de ceux abordés dans le secteur cultuel, thermal et résidentiel. Il était nécessaire d’identifier des vestiges a priori plus discrets, tels que des fosses de plantation ou des niveaux agricoles. Les compétences de l’Inrap ont été sollicitées pour cette raison, ses archéologues étant plus coutumiers de l’étude d’occupations sans maçonneries, avec des aménagements en creux. La densité moindre des aménagements attendus a également permis de mettre en œuvre certaines pratiques courantes en archéologie préventive : ouverture de sondages plus étendus que dans les autres secteurs, permettant de choisir les points d’échantillonnage de la stratigraphie, recours à un tracto pelle pour le décapage et prélèvement de sédiments pour des approches géomorphologiques (lames minces, palynologie, carpologie et malacologie). L’exploration du jardin a tenu ses promesses. Les six campagnes qui lui ont été consacrées permettent de documenter l’histoire du site avant, pendant et après l’existence de la résidence telle qu’elle se présente à partir du ive siècle. Durant ces deux siècles et le siècle suivant, le jardin forme une cour plane de 1 285 m² délimitée, sur son côté ouest, par les pièces de la résidence et, sur les trois autres côtés, par un simple mur. Le seul moyen connu d’y entrer se situe dans l’angle nord-ouest. Durant cette phase, un long et étroit bassin précède la vue du jardin depuis la grande salle de réception, et interdit de passer de l’un à l’autre. Ce n’est qu’au ve ou vie siècle que le point d’eau est comblé pour permettre de descendre à l’extérieur par trois marches et de rejoindre une allée.
8Si l’intégralité du plan du jardin est loin d’être connue, les sondages démontrent qu’il s’agit d’un espace compartimenté en quartiers ornementaux et utilitaires. Les fosses de plantation identifiées au sein d’un sédiment aux qualités agronomiques extrêmement médiocres montrent que des espèces végétales sont plantées afin de composer un point de vue agréable depuis la salle de réception. Si la taille de certaines fosses peut accueillir des arbres, la découverte de pots horticoles dans les strates contemporaines du même secteur prouvent qu’il ne peut pas s’agir uniquement d’un verger. Notons par ailleurs que ces pots en céramique sont les premiers exemplaires découverts en Tunisie. À l’instar de ceux connus dans la péninsule italique ou en Gaule, ils comportent trois trous ménagés à la base de la panse avant la cuisson. Contre le mur sud du jardin, à l’écart de la salle de réception, la nature du sol est différente. À la place d’espèces végétales plantées dans un substrat stérile, un niveau limoneux extrêmement organique est entretenu sur une trentaine de centimètres d’épaisseur. Son homogénéité suggère qu’il a fait régulièrement l’objet de labours, et les fréquents nodules de chaux rencontrés correspondent probablement à un apport volontaire destiné à atténuer l’acidité naturelle du terrain. Les tessons de céramique y abondent également, et appartiennent certainement aux déchets répandus comme fertilisant. Leur datation de la deuxième moitié du ive jusqu’au vie siècle concorde avec la période d’occupation supposée du dernier état de la résidence, au cours duquel elle semble donc conserver son jardin sans modification majeure. L’abandon de ce dernier se situe à partir de la deuxième moitié du vie siècle, terminus post quem du mobilier présent dans les niveaux qui marquent le recouvrement et l’arrêt de l’exploitation maraîchère du secteur. Deux prélèvements de cette couche organique ont été réalisés, l’un en colonne et le second en vrac, destiné à être tamisé pour étude carpologique et malacologique. Les premiers résultats tirés de la colonne stratigraphique montrent que le sol n’a pas conservé de pollens, et les autres études sont en cours.
9En cherchant à localiser l’angle nord-est du mur du jardin, des constructions du iiie siècle, antérieures à la résidence, sont apparues. Elles appartiennent à un bâtiment d’une largeur de 3 m et d’une longueur inconnue puisqu’il se poursuit de part et d’autre du sondage. Sa fonction tranche avec les espaces jusqu’à présent explorés sur le site, puisque il s’agit d’une zone de travail : un mur de refend divise l’espace étudié en deux pièces, dont l’une présente un aménagement singulier : six creux indurés sont alignés à intervalle régulier au-dessus d’un mur d’une cinquantaine de centimètres de haut. Ces creux, plus ou moins bien conservés, possèdent une induration plane sur le fond et, au mieux, sur trois côtés. Le quatrième côté, face au sud, est systématiquement ouvert. La rubéfaction environnante est très irrégulière, formant des contrastes aléatoires qui voisinent avec des endroits non rubéfiés. L’absence de rubéfaction du sol sous-jacent, à la base du mur, exclut l’hypothèse d’une sole suspendue de four, ou une suspensura d’hypocauste. Les plus fortes températures sont au contraire atteintes dans la partie supérieure. Ces creux sont plus probablement les empreintes de l’extrémité de six solives en bois servant à soutenir un plancher, leur autre extrémité reposant sur un mur situé hors du sondage. Le vide ménagé sous ce plancher correspondrait alors à un vide sanitaire, destiné à protéger de l’humidité du sol. Ce type de construction en bois paraît extrêmement rare, les comparaisons recherchées dans le cadre de cet article restant absentes en Afrique du Nord. La recherche d’un tel assainissement dans une seule pièce pourrait correspondre à un lieu de stockage de denrées alimentaires, telles que des céréales. Ces éléments démontrent qu’avant la construction de la résidence telle qu’elle se présente à partir du ive siècle, un habitat existe dès le iiie siècle, et qu’il possède au moins un secteur plus fonctionnel que résidentiel. Cet aspect inattendu rappelle que, dans un tel contexte rural, une résidence devait certainement tirer des ressources du terroir environnant, tout comme les établissements des campagnes romaines sur le continent européen. Quant au domaine reconstruit au cours du ive siècle, les moyens de subsistance de ses occupants restent inconnus, mais la suite de l’espace bâti au nord n’a jamais été explorée, et doit certainement contenir des réponses à ces questions.
10En se consacrant au secteur dédié à l’ornementation végétale, ces campagnes ont apporté des informations qui intéressent la compréhension de la résidence de Jebel Oust. Les quelques résultats présentés ici montrent qu’en s’éloignant des aspects strictement architecturaux et en se penchant sur des secteurs marginaux, la compréhension des vestiges les plus spectaculaires du site s’améliore. L’exploitation de l’ensemble des données permettra de présenter un exemple richement documenté d’habitat rural de l’Afrique romaine.