- 1 Sous la direction de Samuel Guérin (Inrap), un décapage extensif sur 20 m de large et 500 m de long (...)
1À la faveur d’un diagnostic archéologique réalisé en 2013 par Muriel Friboulet (Inrap), préalablement à la pose d’un gazoduc (Friboulet, 2014), un nouveau sanctuaire gallo-romain a été mis au jour à Estrées-Saint-Denis (Oise). Si cette agglomération secondaire urbaine, située en territoire bellovaque, était connue par des fouilles menées dans les années 1980-1990 (Woimant, Quérel, 2002), ces nouvelles investigations ont permis des découvertes inattendues localisées à environ 2 km du centre-ville, sur une éminence naturelle. La fouille de l’été 20141 (Guérin, à paraître) a en effet révélé les vestiges d’un fanum associé à un théâtre antique, ainsi que ceux d’une cour bordée d’une galerie de circulation, partie supposée d’un enclos sacré [ill. 1].
1. Vestiges d’un fanum associé à un théâtre antique.
À gauche, on observe les vestiges du fanum ; à droite, partiellement ceux du théâtre.
P. Raymond ; M. Belarbi, Inrap
2Dans la moitié nord du site ont été découverts les vestiges d’un temple romain du Ier siècle de notre ère, dont seules les fondations sont préservées. Constituées d’un radier de silex, celles-ci permettent de restituer un temple à plan centré, comprenant une cella sub-carrée cernée d’une galerie, construit au sein d’un espace sacré, le temenos, clôturé ici par un mur, e péribole. La fouille a, par ailleurs, démontré qu’un temple gaulois en bois (et en terre ?) précédait cet aménagement. Des vestiges de poteaux et sablières ont été mis en évidence à l’emplacement même du fanum et du péribole. Les nombreuses monnaies retrouvées dans cet espace, ainsi que la céramique indiquent que le lieu a été occupé dès le milieu du Ier siècle avant notre ère. Outre un dépôt de fondation monétaire trouvé à l’angle sud-ouest du temple gaulois, une fosse localisée entre celui-ci et le péribole originel a révélé plusieurs fragments d’orle de bouclier, soulignant ainsi que des armes étaient entreposées, voire exposées, dans le temenos avant leur enfouissement ritualisé.
3Au sud de l’enceinte sacrée s’ouvre une esplanade permettant l’accès à un théâtre, dont il subsiste principalement les fondations de la façade avant, de l’estrade adossée au mur de scène, ainsi que les vestiges bien préservés de l’orchestra [ill. 2]. Cet hémicycle de 12 m de diamètre est en grande partie occupé par l’estrade. Par ailleurs, il est limité par une assise en grand appareil (dalles de grès et de calcaire) qui constitue soit la proédrie, autrement dit là où les sièges mobiles des notables étaient installés, soit un simple couloir de circulation dont la particularité tient dans son léger enfoncement, permettant ainsi de recueillir l’eau de ruissellement de la cavea et de l’évacuer hors de l’orchestra. Large de 68 m, l’emprise globale de la cavea reste incertaine, celle-ci étant constituée d’une grande butte de remblais sableux aujourd’hui arasée. Au-dessus s’élevaient des gradins probablement en bois, auxquels on accédait par des escaliers et couloirs de circulation dont aucune trace n’est conservée.
2. Vue aérienne de l’orchestra avec l’emprise de l’estrade (théâtre).
P. Raymond ; M. Belarbi, Inrap
4Les premières données indiquent manifestement que ce théâtre n’a pas été construit en une seule fois. Plusieurs structures en creux suggèrent qu’un édifice primitif en bois précéda le monument en partie maçonné. Et selon l’étude numismatique, ce dernier pourrait avoir été élevé au cours de la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère, peut-être autour de la Conquête. Cet édifice aurait ensuite été « pétrifié » au Ier siècle de notre ère. Enfin, son abandon remonte vraisemblablement au IIIer siècle de notre ère (avant l’an 275).
5Dans la moitié sud du site, sont apparus les vestiges d’un enclos orienté nord-sud. Il semble délimiter un grand espace ouvert bordé par une galerie de circulation dont seules les fondations subsistent. Constituées d’un radier de silex, elles circonscrivent principalement l’angle sud-est de l’enclos ainsi que la fondation d’une probable tour-porche d’entrée [ill. 3], la suite étant située hors zone de prescription archéologique. Par restitution, la longueur générale de la galerie est estimée à 48 m. Sa largeur interne est d’environ 1,50 m pour des fondations larges de 0,70 à 0,80 m. Les fondations de la tour-porche, faites essentiellement de radiers de silex et de tuiles plates fragmentaires, définissent un espace quadrangulaire. À la faveur d’un nouveau décapage, il a été établi que cet enclos maçonné d’époque romaine reprend le tracé d’un enclos fossoyé gaulois (période de la Conquête) attesté, entre autres, par des monnaies et de la céramique. Plusieurs éléments du mobilier archéologique (rouelle, amulette, etc.) suggèrent que cet enclos borne un espace sacré. Son plan permet d’ailleurs de le rapprocher de celui de la grande esplanade précédant l’enclos sacré du sanctuaire de Ribemont-sur-Ancre et qui s’ouvre avec un porche monumental tenant lieu de propylée.
3. Fondations d’une galerie associée à celles d’une tour-porche.
P. Raymond ; M. Belarbi, Inrap
6En l’état actuel des recherches et quel que soit le secteur donné, on constate que les vestiges romains pérennisent des vestiges de la fin de l’époque gauloise. En marge de l’agglomération antique, ce site interpelle pour différentes raisons liées, d’une part, à la durée de son occupation et à l’origine de son abandon, et, d’autre part, à son emprise. On aborde là les limites de l’exercice archéologique corrélé à un projet d’aménagement linéaire, le site s’étant dévoilé au travers d’une simple lorgnette. Toutefois, après concertation entre les différents acteurs de l’intervention (le Service régional de l’archéologie, l’aménageur, le propriétaire des terrains et l’opérateur), de petites extensions hors emprise ont été consenties, permettant ainsi de dégager la moitié est de l’orchestra et la moitié ouest du fanum. En dépit de cela, pour la compréhension générale du site, de nouvelles perspectives sont à envisager. En effet, la réalisation de prospections géophysiques permettrait de délimiter le sanctuaire sur sa marge occidentale, de compléter le plan du théâtre, ou encore celui de l’enclos maçonné dont la vision très partielle ne permet qu’une vague interprétation. En outre, des prospections pédestres combinées à des prospections aériennes pourraient également permettre de circonscrire le site plus largement.