- 1 Les opérations citées dans cet article ont été réalisées par des équipes de l’Inrap entre mars 1996 (...)
1En Nord-Picardie, la première opération archéologique sur un tracé de gazoduc date de 1996. Depuis, en vingt ans, les équipes régionales de l’Inrap ont été amenées à travailler sur une douzaine de tracés, représentant environ 650 km de linéaire sur les deux régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie1. Ces conduites de transport de gaz naturel traversent ce territoire en suivant un axe principal méridien, entre le secteur de Dunkerque, dans le Nord, et la station de stockage de Gournay-sur-Aronde – Cuvilly, dans l’Oise, avec la particularité d’éviter les principaux centres urbains [ill. 1]. Les opérations sur gazoduc s’apparentent par de nombreux aspects aux grands travaux sur tracés linéaires, dont elles diffèrent toutefois en raison de surfaces plus modestes que celles des linéaires classiques, et en raison de durées d’intervention moindres. Au fil du temps, leur mode d’approche et leurs objectifs ont évolué, en s’appuyant sur les retours d’expérience des chantiers précédents. Ainsi, alors que les interventions des premières années s’apparentaient parfois à de la surveillance de travaux améliorée, avec toutes les difficultés que cela implique notamment en termes de planning, elles ont pris par la suite la forme de véritables opérations, avec la succession, sur un délai d’exécution plus long, du diagnostic et de fouilles à proprement parler.
1. Carte des gazoducs qui ont fait l’objet d’un suivi archéologique dans les régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie.
E. Mariette, Inrap
2Les questions de méthode d’intervention sur ces emprises un peu particulières ont longtemps focalisé l’attention et elles ont donné lieu à de nombreux débats. Une fois ces sujets évacués et la méthode stabilisée, les questions strictement scientifiques ont concentré l’attention des intervenants. On peut d’ailleurs remarquer que la qualité des résultats scientifiques obtenus a considérablement augmenté avec le temps, tant en nombre de sites détectés qu’en diversité. L’une des caractéristiques est que ces travaux fournissent l’occasion d’établir de grands transects à travers une région, en documentant le contexte sédimentaire d’abord, le potentiel archéologique ensuite et la qualité de conservation des sites archéologiques en troisième lieu. Outre la reconnaissance et la fouille de quelques sites, ces acquis justifient à eux seuls l’engagement de ces opérations, position qui ne semble toutefois pas faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique qui reste divisée. La question d’opportunité se pose donc pour certains qui trouveront peut-être des arguments à la lecture de l’expérience acquise dans le nord de la France au cours des deux dernières décennies.
- 2 L’occupation temporaire de propriétés privées est autorisée pour les opérations déclarées d’utilité (...)
- 3 Dans l’ordre chronologique : la conduite Gournay-Arleux dite Artère d’Artois en 1996 ; l’Artère des (...)
- 4 Ces opérations plus récentes de diagnostic et de fouille ont été mises en œuvre dans le cadre du pa (...)
3La nature des opérations archéologiques sur de tels ouvrages et la méthode employée tiennent avant tout aux particularités des chantiers qui les génèrent : longueur du tracé, positionnement à l’écart des zones où l’archéologie préventive intervient le plus souvent, rapidité du chantier, et intervention sur des terrains majoritairement agricoles et soumis au régime de l’occupation temporaire2. La contrainte la plus forte est sans doute le rythme d’avancement très rapide des travaux sur lequel les archéologues doivent se caler. En effet, la phase archéologique est étroitement insérée dans le déroulement de l’aménagement et dans le planning global des travaux. L’intérêt du maître d’ouvrage est donc que la contrainte archéologique soit identifiée et levée le plus en amont possible, afin de limiter les interférences avec le chantier de pose qui, une fois lancé, ne peut souffrir aucun retard. Les gazoducs traités dans le nord de la France depuis vingt ans se répartissent en deux périodes bien distinctes. Les plus anciens, entre 1996 et 20013, ont servi de laboratoires pour la mise au point de la méthode d’intervention. Les plus récents, traités depuis 2012, ont largement bénéficié des acquis des opérations précédentes4. Le plus emblématique est sans doute l’Artère des Hauts de France qui a fait l’objet de deux opérations menées à quinze années d’intervalle, en 1997 puis en 2012-2013, sur des fuseaux strictement parallèles, distants d’une dizaine de mètres l’un de l’autre. Elles ont permis de mesurer les avancées de la recherche archéologique préventive et les avantages d’une professionnalisation accrue, avec des équipes d’archéologues rompues à travailler sous la contrainte de délais tendus. Ainsi les méthodes mises en œuvre se sont-elles adaptées et des équipes rodées sont aujourd’hui en capacité de traiter un chantier de cette nature en un temps réduit.
- 5 Coordination des recherches : Frédéric Séara, Inrap.
- 6 Cette proportion est aussi celle observée sur l’Artère des Hauts de France I section Nord-Pas-de-Ca (...)
4Dans sa mise en place et son déroulement, l’opération menée sur l’Artère des Plateaux du Vexin, suivie en 1999 sur les 80 km de son tracé dans le département de l’Oise5 (Séara, 1999), est représentative des gazoducs que l’on pourrait qualifier de « première génération ». Une enquête documentaire qui reposait sur la carte archéologique a permis de définir vingt-deux zones tests retenues pour être diagnostiquées, soit en raison de l’existence avérée de sites archéologiques, soit pour des motifs topographiques, soit encore en raison du contexte sédimentaire. Cette étude préalable a pu être complétée par des prospections pédestres bien localisées. Le diagnostic mécanique a consisté à ouvrir des sondages, ponctuels ou en tranchée, calés sur la tranchée de pose de l’artère gazière. Le pourcentage de tracé observé fut donc réduit, un quart tout au plus6. À partir de cette seule tranchée, la difficulté est d’entrevoir l’ampleur exacte d’un site qui aurait été détecté. Les sondages permettent néanmoins de documenter des secteurs pour lesquels les informations archéologiques sont rares, confirment ou infirment la validité des données déjà recueillies et contribuent à dresser le bilan du potentiel de conservation des occupations. En raison du caractère sélectif des zones d’intervention, les découvertes effectuées ne constituent qu’un échantillonnage des gisements potentiellement concernés par le tracé de l’ouvrage. De grandes tendances se dégagent toutefois, avec une surreprésentation des sites des périodes historiques par rapport à ceux des périodes plus anciennes, sans doute moins évidents à détecter. Le rôle donné à la carte archéologique et aux prospections diverses accentue encore ces phénomènes de représentation des différentes périodes chronologiques. Les sondeurs de l’époque avaient en outre noté un grand nombre de découvertes isolées, soit de structures, soit de mobilier hors contexte. Les huit évaluations qui ont suivi ont consisté en un décapage d’une bande de 22 m de large au droit des concentrations de vestiges, avec une fouille exhaustive des structures découvertes. L’opération s’était clôturée par une surveillance des travaux de terrassement, phase un peu compliquée à mettre en œuvre tant les travaux de pose, qui font appel à des matériels lourds et nombreux, sont peu compatibles avec la présence de personnels au sol.
5Une décennie plus tard, sur ce constat, les gazoducs dits de « deuxième génération » ont été traités de manière différente, grâce aux expériences précédentes mais aussi parce que le niveau général d’expertise des équipes engagées avait entre-temps considérablement augmenté. En effet, il est apparu que se fier aux seules informations de la carte archéologique introduisait une vision réductrice puisqu’elles reposent pour une bonne part sur des données de prospections et des découvertes anciennes parfois mal identifiées et/ou mal localisées. L’accent est mis artificiellement sur les sites en cours de démantèlement alors que les vestiges préservés bien enfouis sont totalement occultés. Le diagnostic ne devait donc plus se limiter aux seules zones déjà connues, en ignorant des portions entières du tracé. Par ailleurs, la meilleure connaissance du contexte sédimentaire devait permettre d’exploiter au mieux le potentiel archéologique des zones rencontrées, par exemple pour la détection de sites anciens.
- 7 Responsables d’opération Inrap du diagnostic partagé en 5 tronçons : Karin Libert, Samuel Guérin, C (...)
6L’Arc de Dierrey, reconnu en 2014 sur les 75 km de son tracé picard, est très représentatif de cette seconde vague. L'objectif du diagnostic a consisté à sonder la tranchée de pose de la future conduite, soit une bande de 4 m de large définie par l’arrêté de prescription, à déterminer la présence éventuelle de vestiges archéologiques, et, le cas échéant, leur nature, leur densité et leur état de conservation7. Et ce, sur la totalité du linéaire. En fonction des secteurs, les objectifs ont pu être différents, tenant compte du niveau inégal de connaissance du potentiel archéologique. Ainsi, sur deux portions bien connues du tracé, d’une part la vallée de l’Oise, objet de multiples recherches depuis près de 30 ans, et d’autre part le plateau du Valois, parcouru depuis longtemps par des équipes de prospecteurs avertis, l’objectif était surtout de reconnaître l’état de conservation des sites. Sur deux autres zones, le Multien au sud-est du département de l’Oise et la plaine d’Estrées au nord, très peu concernées par les recherches archéologiques des dernières décennies, l’objectif était plutôt d’identifier le potentiel sédimentaire et d’estimer la densité de sites archéologiques. Le protocole d’intervention, appuyé sur l’expérience des opérations antérieures, a été clairement défini puis validé par le service régional de l’Archéologie ; il tient compte des engagements pris par le maître d’ouvrage auprès de la profession agricole et des nombreuses contraintes ainsi engendrées lors de la mise en œuvre. Outre le tri des terres, les bandes de roulement des engins agricoles ont été laissées libres d’accès pour assurer la continuité des parcelles traversées, notamment pour les traitements sur les cultures. De ce fait, la tranchée de sondage continue, habituellement pratiquée dans la région, a laissé place à une succession de tranchées plus ou moins longues, un phénomène accentué par les nombreuses autres interruptions inévitables que sont les routes, les voies ferrées, les lignes électriques ou encore les conduites d’irrigation. L’ensemble donne ainsi une impression visuelle de pointillés [ill. 2]. Au nombre de 780, ces tranchées totalisent 64,6 km, soit plus de 86 % du tracé qui a été ouvert, auxquelles il faut ajouter 86 sondages profonds, destinés à détecter des vestiges préhistoriques et/ou à visées géomorphologiques. Le diagnostic de l’Arc de Dierrey a mis en évidence une soixantaine d’indices de sites, de toutes natures et de toutes périodes, allant du groupe de vestiges peu denses, parfois quelques fosses mal datées, à des ensembles fortement structurés suivis sur plusieurs hectomètres. La proportion de presqu’un site par kilomètre de tracé observée dans ce cas se rapproche donc de celle généralement constatée en Picardie sur les autres tracés linéaires. Notons toutefois des différences d’un point à l’autre du tracé, avec une concentration accrue (et attendue) dans le Valois et aux abords de la vallée de l’Oise et une densité moindre aux extrémités nord et sud du tracé. À la suite du diagnostic, dix fouilles ont été prescrites sur des points de découvertes particulières, leur mise en œuvre s’est étalée sur six mois au cours de l’année 2014, en se calquant sur le planning d’avancement du chantier de pose. Chacune a donné lieu à un décapage de quelques décamètres à quelques hectomètres de longueur, pour une largeur de 20 à 25 m en fonction de la nature des travaux réalisés.
2. Vue du diagnostic de l’Arc de Dierrey. La trace du gazoduc court à travers les cultures, sous la forme d’un pointillé de tranchées.
N. Descheyer, Inrap
- 8 Fouilles dirigées en 2012 et 2013 par David Kiefer, Inrap.
7Ainsi, on voit bien, à quinze ans de distance, l’évolution méthodologique qui est l’aboutissement de réflexions engagées au fil des opérations. Petit à petit, la proportion de tracé reconnue en diagnostic augmente pour atteindre 80 à 90 % contre seulement 20 à 25 % sur les premières opérations ; le choix de se rapprocher de l’exhaustivité, sans se focaliser sur les découvertes auparavant recensées, permet d’engager le diagnostic sans a priori, suivant en cela le caractère tout à fait aléatoire du positionnement du tracé. Bien évidemment, on ne peut pas non plus en faire totalement abstraction, notamment si l’opération devait traverser un site majeur déjà identifié. Mais collecter les informations de la carte archéologique, comme on le ferait sur toute autre opération, ne signifie pas se baser exclusivement sur elles. Un autre aspect concerne la meilleure connaissance des environnements sédimentaires, qui permet de cibler certaines zones plus que d’autres, par exemple pour la mise au jour de vestiges anciens. Ainsi, lors de l’opération Artère des Hauts de France II en 2012, l’équipe locale de préhistoriens s’est appuyée sur sa connaissance des versants limoneux pour cibler l’ouverture de sondages profonds sur certaines portions de tracé, avec succès d’ailleurs puisque trois sites du Paléolithique moyen ont été découverts et fouillés, à Lahoussoye et Corbie, dans la Somme8.
8Les questionnements méthodologiques touchent principalement à la détection des sites archéologiques lors de la phase de diagnostic. Désormais, la méthode semble rodée et elle a montré son efficacité sur les opérations les plus récentes : ouverture d’une tranchée de 3 m de large à l’emplacement de la tranchée de pose de la conduite, en pointillés pour maintenir la continuité des parcelles traversées, sur la plus grande longueur possible de tracé, fouille des structures découvertes, relevés topographiques bi-hebdomadaires avec traitement de tous les plans sous Autocad, creusement de sondages profonds si nécessaire par une équipe spécialisée et enfin remblayage des sondages. Cette succession de tâches est bien ordonnée, elle ne peut pas être bouleversée, elle se déroule sur un chantier itinérant au rythme moyen de 600 à 650 m linéaires par jour avec un côté logistique déterminant. Pour ce qui est des fouilles, rien ne différencie vraiment une fouille sur gazoduc d’une autre fouille, sauf sans doute dans la phase d’exploitation des données en raison des contraintes de largeur exposées plus haut.
9Chaque opération préalable à l’installation d’un gazoduc a ses spécificités, géographiques mais pas seulement, puisqu’elle vient s’intégrer dans une recherche archéologique régionale évolutive. Elle vit donc avec son temps et doit participer à alimenter les problématiques. Les apports scientifiques de telles opérations sont réels, même s’il est évident que la faible largeur des emprises offre une vision forcément partielle des sites rencontrés. L’intérêt réside donc bien dans la quantité de vestiges détectés et dans la nature aléatoire du tracé. C’est pourquoi il semble nécessaire d’allier une reconnaissance aussi exhaustive que possible, au moyen d’un diagnostic complet, et de fouilles qui offrent des fenêtres de décapage conséquentes, sans occulter que la faible largeur nuit à la qualité de l’interprétation des sites : une bande de 12 m ou même de 20 m ou de 30 m offre-t-elle un échantillon représentatif ou donne-t-elle au contraire une information trop réduite pour être recevable ? Les deux thèses s’opposent et les arguments ne manquent pas ; d’un côté, les détracteurs diront que les plans relevés sont plus un sondage élargi qu’une véritable fouille et que les interprétations avancées sont sujettes à des discussions car elles reposent sur un plan partiel ; a contrario, les défenseurs argueront que ce type de tracé traverse des portions complètes de région, souvent éloignées des zones habituellement investies par les archéologues, avec l’avantage de sonder les potentialités archéologiques d’une vaste zone. Les résultats dépassent ainsi la simple collecte d’informations pour la carte archéologique.
- 9 Coordination des recherches : Richard Rougier, Inrap. Elle avait été précédée en 1996 par la condui (...)
10La première opération d’ampleur menée sur un gazoduc dans le nord de la France a été l’Artère des Hauts de France, en 1997, particulièrement sur la portion nord du tracé9. Outre les questions de méthode abordées par cette opération inaugurale, les différentes fouilles ont permis d’explorer une vingtaine de sites inédits dont plusieurs d’intérêt régional. Par ailleurs, l’opération a établi une sorte de bilan sédimentaire et de l’état de conservation des sites ; ainsi, que ce soit en Flandre intérieure ou en Artois, le constat général est une préservation médiocre des vestiges, souvent entamés par les raies de labours. En Flandre, la topographie assez plane semble constituer un ralentisseur à l’érosion des sols mais en Artois, la situation paraît plus critique, en particulier dans les zones où la topographie est plus irrégulière (sommets de coteaux, vallées et vallons secs). Des accumulations de colluvions historiques souvent importantes issues de l’érosion des versants ennoient les creux et les vallons secs. Cette évolution est également constatée dans le département voisin, la Somme, où des sites repérés en photographie aérienne par Roger Agache dans les années 1960 et 1970 sont aujourd’hui totalement arasés. Les résultats de l’opération Artère des Hauts de France peuvent être classés en grands thèmes, qui pour certains étaient assez précurseurs à l’époque et qui ont pu être publiés (Saulce, 2004). Les sites romains et médiévaux de la Flandre maritime et de ses bordures illustrent les phases successives de conquête et de colonisation de cet espace hostile, avec l’occupation opportuniste de la moindre éminence topographique favorable et les creusements d’une multitude de fossés dont les fonctions de drainage et d’assainissement semblent évidentes. La traversée de l’Artois a permis d’appréhender une série de sites ruraux de la fin de l’époque gauloise et du Ier siècle de notre ère, avec certains dont l’existence s’est prolongée sur les périodes plus tardives. Deux modèles d’organisation de l’habitat ont été vus, l’un qui est un prolongement de la tradition indigène avec des enclos plus ou moins réguliers, l’autre avec une disposition générale qui se rapproche davantage de celle d’un hameau organisé par des fossés de petite taille. L’une des découvertes marquantes effectuées sur ce tracé reste le site romain inédit de Pitgam, dans le Nord [cf. encadré Emmanuel Elleboode], sorte d’agglomération côtière d’abord détectée dans la tranchée de diagnostic, reconnue sur une bande de 20 m de large en 1997 puis fouillée sur une surface de 7 ha au gré des extensions successives de la station de décompression/recompression voisine, entre 1998 et 2013. Juste entrevue grâce au tracé linéaire initial, cette occupation très dense est devenue une référence pour la période dans cette partie de la Flandre. On peut également signaler le site diachronique de Coullemont (Pas-de-Calais), avec notamment une occupation des IXe et Xe siècles, composée de plusieurs unités protégées par des enclos palissadés et renfermant chacune une habitation excavée, et celui de Marcelcave (Somme) qui abritait des tombes de la seconde moitié du IIe siècle avant notre ère. L’une d’elles renfermait des offrandes d’une richesse particulière, une paire de chenets à têtes de taureau, un chaudron en métal avec sa crémaillère et plusieurs céramiques de grande qualité.
- 10 Les fouilles dirigées par Thierry Ducrocq, Inrap, sur cette carrière se sont déroulées entre 2000 e (...)
11Prenant la suite de cette première opération, l’Artère des Plateaux du Vexin a pu s’appuyer, en 1999, sur l’expérience acquise, au moins d’un point de vue logistique et méthodologique. Des sites importants, comme le sanctuaire gaulois de Montiers, l’habitat médiéval de Neufvy-sur-Aronde ou l’habitat romain de la Neuville-d’Aumont, tous dans le département de l’Oise, ont été largement abordés, tant sur le plan de la densité des structures que sur leur degré de conservation, la nature de l’occupation ou le cadre stratigraphique. Le suivi archéologique de cette nouvelle artère fut à nouveau l’occasion de questionnements méthodologiques, notamment au sujet de la détermination des zones sondées sur la base des données de la carte archéologique. Lors de cette opération, le parti pris a été celui d’une intervention qui visait surtout à valider la documentation existante et qui ne s’est pas engagée dans l’exploration de zones inconnues. Le résultat global est que la densité des vestiges repérés est assez faible comparativement à la fréquence habituelle de sites découverts dans le cadre régional. La conclusion avait été, de façon visionnaire, de dire que l’un des principaux apports était documentaire et que cette opération devait être vue sous l’angle prospectif, en permettant d’engager un premier niveau de réflexion sur la conservation des sites archéologiques et de hiérarchiser des zones selon leur sensibilité archéologique. Et ce d’autant plus que le tracé de ce gazoduc, coupant le département de l’Oise selon un axe NE-SO, se développait dans les secteurs du Plateau picard et du Vexin peu connus et rarement investis. Quinze ans plus tard, la remarque est toujours vraie. A posteriori, il apparaît que l’un des points forts de ce chantier a été la phase de surveillance de travaux, qui avait pour objectif de compléter l’information recueillie et d’identifier des sites implantés à l’écart des zones tests. Elle s’est surtout focalisée sur les fonds de vallée et sur l’observation des transects stratigraphiques créés par la tranchée de pose de l’ouvrage. Le rôle essentiel des vallées pour l’étude des occupations du Paléolithique supérieur et du Mésolithique a été confirmé même si le décalage entre le mode d’intervention archéologique et l’impact des travaux eut pour conséquence la quasi-impossibilité d’avoir une vision précise de la composition archéologique de ces zones. La coupe observée à travers la vallée du Thérain, à l’est de Beauvais, a néanmoins montré tout l’intérêt de telles observations. Au cours de cette surveillance, treize zones ont livré des découvertes d’importance et quatre franchissements de vallées tourbeuses ont montré des conditions de conservation particulièrement favorables. C’est dans ce contexte qu’a été identifié l’exceptionnel site préhistorique de Warluis, dans l’Oise, qui sera ensuite exploré sur plusieurs hectares à l’occasion de l’ouverture d’une carrière de granulats dans l’environnement immédiat [cf. encadré Thierry Ducrocq]10. Dans cette zone, ce sont bien les observations réalisées sur le gazoduc qui ont constitué le facteur déclencheur de tout ce qui a pu être fait par la suite.
- 11 Responsables des diagnostics : Philippe Feray, Inrap (section Nord) et Pascal Le Guen, Inrap (secti (...)
12L’Artère des Marches du Nord-Est, en 2000, a constitué la dernière grande opération de cette vague ; elle traverse les secteurs excentrés de l’Avesnois et de la Thiérache, en longeant la frontière belge. L’évolution méthodologique a été sensible par rapport aux chantiers précédents puisque le diagnostic complet sur tout le tracé consistait à ouvrir deux tranchées en quinconce espacées de 20 m11. Par ailleurs, des sondages en puits destinés à la reconnaissance sédimentaire du tracé ont été ouverts. Le diagnostic a permis l’identification de 28 sites archéologiques et de plusieurs secteurs livrant du mobilier erratique hors contexte. Ils se répartissent inégalement sur le plan chronologique avec une large majorité pour la période romaine. Ils couvrent tout le tracé et toutes les implantations topographiques possibles (plateaux, versants et fonds de vallée), avec une érosion prononcée des vestiges qui semble toucher toutes les occupations découvertes, quelle que soit leur ancienneté. Quelques rares entités présentaient un meilleur état de conservation et ont pu faire l’objet d’une intervention complémentaire. Côté département du Nord, l’ouverture de quelques sondages, dans des zones où la couverture quaternaire laissait entrevoir un potentiel, a permis d’observer des horizons de sol, parfois accompagnés de silex taillés. Ces artefacts très discrets ont ainsi confirmé le potentiel de cette région pour la Préhistoire ancienne.
- 12 L’Artère de Flandre et l’Artère du Santerre ont été traitées au cours de l’année 2015.
13Avec les opérations plus récentes, on entre dans une dimension nouvelle puisque la démultiplication des ouvertures se traduit par une détection accrue de sites de toutes natures et de toutes périodes. Nous limiterons le propos à l’Artère des Hauts de France II et à l’Arc de Dierrey dans la mesure où les deux opérations les plus récentes12 sont achevées depuis trop peu de temps pour que l’information scientifique soit exploitée.
- 13 Responsables des diagnostics : Lydie Blondiau, Nathalie Descheyer, Emmanuel Petit, Jean-Luc Locht e (...)
- 14 Du site éponyme de Bettencourt-Saint-Ouen, dans la Somme.
14L’Artère des Hauts de France II a fait l’objet en 2012-2013 d’une opération archéologique sur la seule portion picarde de son tracé, comme un contre-pied à celle de 199713. La soixantaine d’indices de sites repérés se répartissent très inégalement, avec notamment la traversée du Santerre qui s’est avérée particulièrement pauvre en vestiges. A contrario, l’Amiénois et les deux rives de la vallée de la Somme ont confirmé les concentrations rencontrées dans ces secteurs sur les opérations ordinaires, tout particulièrement pour les périodes protohistoriques. Le tracé a également vu la découverte en trois points de restes de taille et d’outils en silex, dont un biface, conservés au sein d’un niveau de sol ancien de type gris forestier. La très bonne connaissance du contexte sédimentaire de l’Amiénois permet aux chercheurs d’identifier ce sol comme étant celui dit « de Bettencourt »14, daté entre 105 000 et 80 000 ans avant notre ère. Ces nouvelles données viennent enrichir le corpus des sites de cette période déjà identifiés dans une région qui a vu la naissance de l’école de Préhistoire française. La Protohistoire est l’autre point fort de cette nouvelle opération, venant parfois compléter les découvertes de 1997. Ce fut le cas à Aubigny, par exemple, avec la découverte d’une exceptionnelle tombe à incinération du IIIe siècle avant notre ère [ill. 3] ; elle renfermait un important dépôt funéraire composé d’une paire de landiers à têtes de palmipèdes, d’un chaudron en bronze et en fer accompagné de sa crémaillère de suspension, d’un couteau, d’une trousse de toilette (composée d’une paire de forces, d’un rasoir et d’une pince à épiler), d’éléments de parure (fibule et bracelet en bronze) et d’une dizaine de récipients en céramique. Ce type d’assemblage ne dépare pas avec ce qui est connu en matière funéraire dans le bassin de la Somme pour cette période (Buchez, 2011). Les sites fouillés sur le tracé du gazoduc ne constituent donc pas des exceptions, ils viennent s’insérer dans le contexte régional qu’ils alimentent et précisent. Au-delà du cas des gazoducs, plus globalement quand il s’agit d’opérations liées à des grands travaux, une certaine déconnection des données recueillies par rapport à l’activité que l’on qualifie régionalement « d’ordinaire » peut se faire ressentir. C’est un travers malheureusement fréquent, que nous essayons désormais de corriger, en impliquant en priorité les équipes de recherche locales sur ce type de chantier.
3. Aubigny (Somme), la sépulture à incinération renferme de nombreuses offrandes de qualité.
E. Petit, Inrap
15L’Arc de Dierrey apparaît à ce stade comme l’opération la plus aboutie, tant sur le plan méthodologique que sur celui des résultats, dans l’approche du diagnostic et des différentes fouilles. Concernant le diagnostic, il a été divisé en cinq tronçons avec chacun une problématique bien précise. Au sud du tracé, au contact de l’Île-de-France, le Multien est un secteur de plateau entamé par de nombreux vallons et vallées secondaires bien incisées, souvent très encombrés par des épaisseurs conséquentes de colluvions datées des périodes médiévale ou postmédiévale. Globalement, le recouvrement de terre végétale est faible sur des terrains composites où alternent les sables, le calcaire et les argiles à silex. Le tout donne l’impression d’une érosion assez soutenue. On la retrouve dans le faible nombre de sites détectés, composés de structures assez érodées. La fouille de deux de ces indices a bien montré ces problèmes d’érosion. À l’évidence, ce secteur de la Picardie demanderait des recherches complémentaires afin de confirmer ou d’infirmer cette première impression. L’une des vallées, celle de la Grivette, a fait l’objet de sondages plus attentifs, d’autant que quelques indices d’occupation paléolithique ont été récoltés au XXe siècle dans des briqueteries. Le fond de vallée est colmaté par des apports sableux ou limoneux modernes, un niveau de tourbe a été rencontré à plus de deux mètres de profondeur. Un reste de dent de cheval et un silex taillé ont été récoltés dans des sédiments attribuables au Pléniglaciaire moyen.
- 15 Fouille réalisée par David Delaporte, Inrap, études en cours.
16La traversée du Valois a permis la détection d’une densité de sites bien supérieure, à l’image de ce que les prospections laissaient présager. Les occupations détectées sont en majorité inédites, datées principalement de La Tène ou du Haut-Empire romain. Parmi ces dernières, plusieurs entités pourraient appartenir à des entités de type villa qui sont par ailleurs bien connues en Picardie au travers des photographies aériennes. Les sondages montrent régulièrement que le champ chronologique des occupations est bien plus vaste, soit que la villa se substitue à une unité plus ancienne, soit que son existence se prolonge sur les périodes tardives voire le haut Moyen Âge. Ces observations permettent ainsi de corriger un peu la vision offerte par les prospecteurs au sol, avec un plateau du Valois qui serait constellé de villae romaines, dans un paysage bien organisé autour de quelques itinéraires principaux. Le gazoduc montre, d’une part, que d’autres périodes sont représentées, et, d’autre part, que les sites bien identifiés en prospection sont souvent en cours de démantèlement. Ainsi, c’est une fouille sur une occupation romaine inédite, enfouie sous quelques décimètres de colluvions, qui a livré à Ormoy-Villers15 les restes les mieux conservés d’une aile de villa.
- 16 Fouille de Clément Paris, Inrap, études en cours.
17Recouper la vallée de l’Oise sur 6,5 km du nord au sud, avec les versants et plateaux environnants, offrait l’occasion d’observer les conditions de conservation des sites et de compléter les données archéologiques, puisque le gazoduc louvoie entre les anciennes sablières. Dans le fond de vallée, autour des berges actuelles de la rivière, deux zones sédimentaires ont été observées, l’une à faible sédimentation contenant de nombreux vestiges diachroniques et l’autre qui se dilate. Un site du Paléolithique final à Federmesser a été détecté puis fouillé à Houdancourt16, période rare dans ce secteur, et la découverte d’un niveau en place donne l’opportunité de combler un vide géographique.
- 17 Sites fouillés respectivement par Estelle Pinard et Samuel Guérin, Inrap.
18Le rebord nord de la vallée de l’Oise puis le plateau qui le domine sont des zones moins connues en raison d’une urbanisation moindre et d’opérations archéologiques moins nombreuses. La période romaine et la Protohistoire récente sont de loin les mieux représentées, avec près d’une quinzaine d’occurrences, souvent par de petites entités difficiles à interpréter mais également par des ensembles plus fortement structurés qui ont donné lieu à des fouilles. C’est le cas des espaces funéraires multipériodes de Bazicourt et de l’espace cultuel d’Estrées-Saint-Denis17. Ce dernier a une place particulière car cette agglomération est connue de longue date pour abriter plusieurs sanctuaires (Quérel et Woimant, 2002) sur son flanc est. Le gazoduc offrait l’occasion d’explorer sa périphérie ouest et la surprise fut de retrouver un autre ensemble cultuel avec fanum et édifice de spectacle [cf. encadré Samuel Guérin]. Cette découverte confirme la place singulière de cette agglomération dont l’existence semble très liée à cette activité cultuelle. Pour mieux en comprendre l’extension, au-delà de la bande du gazoduc, un programme de prospections, électriques et magnétiques d’une part, pédestres d’autre part, est prévu sur plusieurs hectares. Comme dans plusieurs exemples précédents, l’emprise gazière de 25 m de largeur n’est pas une fin en soi ; elle inaugure une action de recherche plus large à partir des vestiges qu’elle a permis d’identifier.
19Sur les vingt dernières années, le nord de la France a vu l’installation de nombreuses conduites de gaz naturel dont une douzaine ont été précédées d’une opération archéologique. La forme de ces opérations a évolué dans le temps pour aboutir sur les derniers exemples à des chantiers archéologiques de grande ampleur désormais classés dans la catégorie des grands travaux. Les premières ont pu prendre la forme d’un accompagnement de chantier avec toutes les difficultés inhérentes, comme la proximité avec les travaux de pose, laissant ainsi un temps d’intervention très réduit aux équipes archéologiques. Petit à petit, à mesure que les objectifs de ces opérations augmentaient, elles se sont transformées et font aujourd’hui partie de la palette d’opérations habituellement traitées par les équipes régionales. Au-delà des questions de méthode, leurs détracteurs ont souvent avancé la faiblesse de leurs résultats scientifiques, n’y voyant qu’un moyen pour alimenter la base de données des cartes archéologiques. On voit que les apports vont bien plus loin, qu’ils ont même pu être parfois initiateurs de problématiques. Dans tous les cas de figure, il semble nécessaire de les intégrer à l’activité « ordinaire » d’une région afin que les résultats obtenus viennent alimenter les corpus de sites sur lesquels travaillent les chercheurs.