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1. Expertiser

Géoarchéologie dans le « Berceau de l’humanité » : Gauteng, Afrique du Sud

Geo-archaeology at the "cradle of humankind": Gauteng, South Africa
Geoarqueología en la «cuna de la civilización»: Gauteng, Sudáfrica
Laurent Bruxelles
p. 24-29

Résumés

La zone située le long de la vallée de la Blauawbankspruit (Afrique du Sud) a été inscrite en 1999 sur la liste du Patrimoine Mondial de l'Unesco sous l'appellation « Berceau de l'Humanité ». Ce terme provient de la densité des vestiges d'hominidés qui y ont été découverts, datant de l'apparition du genre Homo. Le contexte dolomitique de l'endroit a conduit à la création de nombreuses cavités karstifiées. C'est pour comprendre la stratigraphie complexe de cet ensemble que plusieurs approches complémentaires ont été mises en place. La cartographie géomorphologique s'attache à enregistrer les formes du paysage et les formations superficielles. La stratigraphie des remplissages a permis de comprendre la disposition inversée des couches, puisque les formations les plus récentes sont placées le plus bas. Le scannage 3D du seul squelette d'australopithèque quasi-complet au monde (Little Foot), et de son contexte stratigraphique, a permis l'enregistrement des données avec le moins possible de pertes avant l'enlèvement des ossements de la cavité. Enfin, la datation des planchers stalagmitiques a été approchée par trois méthodes complémentaires pour une appréhension plus précise du site.

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Texte intégral

Je tiens à remercier Kathleen Kuman et Ron J. Clarke (Université du Witwatersrand, Johannesburg) pour m’avoir proposé d’entamer ces recherches passionnantes et pour leur soutien ; José Braga (Université Paul Sabatier, Toulouse) pour m’avoir permis, dans le cadre de la fouille du site de Kromdraai, de développer une grande partie de ces problématiques. Je remercie également Francis Thackeray et Karim Sadr (Université du Witwatersrand) pour leur aide indispensable. Ces missions ont été réalisées avec le soutien constant de l’ambassade de France en Afrique du Sud, du ministère des affaires étrangères et de la Ville de Toulouse.

1À environ 35 km au nord-ouest de Johannesburg, le long de la vallée de la Blauawbankspruit, un secteur incluant plusieurs cavités naturelles a été inscrit en 1999 sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco sous le nom de « Berceau de l’humanité », terme attribué communément à la région depuis la fin des années 1930 après que de très nombreux restes d’hominidés y ont été retrouvés. Pourtant, ce n’est pas dans cette partie de l’Afrique que l’on trouve les fossiles d’hominidés les plus anciens. La particularité de l’endroit tient à leur densité. Ainsi, sur une surface d’à peine 25 000 ha, ce sont plus d’un millier de vestiges d’hominidés anciens qui ont été mis au jour, soit un tiers des découvertes de ce type pour tout le continent africain. De plus, ces fossiles, dont l’âge s’étend de quatre à un millions d’années avant notre ère, couvrent une période chronologique clé : celle qui voit l’apparition des premiers hommes (genre Homo). Néanmoins, ce site exceptionnel se heurte à un gros problème de calage chronologique. En l’absence de datation directe sur les fossiles, celle des sédiments qui les contiennent a été obtenue par paléomagnétisme et par datation uranium/plomb sur des planchers stalagmitiques. Or les résultats obtenus se sont révélés contradictoires et suscitent de vifs échanges par l’intermédiaire d’articles dans de prestigieuses revues internationales.

Le contexte géologique : des dolomies karstifiées

2L’ensemble de l’aire fossilifère se positionne dans la vallée de la Blauawbankspruit. Ce petit cours d’eau a entaillé une large vallée dans des dolomies vieilles de plus de 2,5 milliards d’années [Fig.1]. Ces dolomies, légèrement solubles dans l’eau, ont été profondément karstifiées au cours de la lente évolution morphologique de ce secteur. Ainsi, au moins depuis le Miocène (Martini et al., 2003), toute une série de cavités s’est développée par dissolution le long des fractures et des principales discontinuités de la roche. Il en résulte une grande densité de cavités qui dessinent un véritable labyrinthe en trois dimensions. Au fur et à mesure de l’encaissement du cours d’eau et de l’élargissement de la vallée, ces cavités ont été recoupées par la surface topographique. Le secteur est donc caractérisé par la présence de très nombreuses entrées de grottes qui correspondent à ces galeries partiellement décapitées. Beaucoup d’entre elles deviennent vite impénétrables, colmatées par des brèches et par d’imposants massifs stalagmitiques.

[Fig.1] Vue en direction du sud-est de la vallée de la Blauawbankspruit et du secteur de Sterkfontein depuis la colline de Swartkrans.

[Fig.1] Vue en direction du sud-est de la vallée de la Blauawbankspruit et du secteur de Sterkfontein depuis la colline de Swartkrans.

L. Bruxelles, Inrap

3Ces brèches, aujourd’hui exposées à l’air libre, se sont initialement formées sous terre. Lors du démantèlement des cavités, des colluvions (argile, cailloutis, mais aussi restes végétaux et ossements) se sont accumulées à la base des entrées, constituant de vastes talus. Puis, les infiltrations d’eau, surchargées de calcite dissoute, ont peu à peu cimenté ces dépôts qui sont devenus de véritables brèches très indurées. Ainsi, chaque brèche en surface correspond à une ancienne galerie karstique recoupée par le versant.

L’approche géoarchéologique

4En 2006, Ron J. Clarke et Kathleen Kuman, respectivement paléoanthropologue et archéologue à l’Université du Witwatersrand (Johannesburg), me contactent pour les aider à étudier ce karst, en particulier pour situer chronologiquement les séquences sédimentaires qui contiennent les fossiles. En tant que karstologue, c’est-à-dire spécialiste des paysages et des cavités en région calcaire (ou dolomitique), je suis a priori habitué à ce type de contexte parfois difficile à interpréter. Une première mission, financée par l’Université du Witwatersrand, est donc organisée en octobre 2007. Mais très vite, la visite des différents sites fossilifères (Sterkfontein, Swartkrans, Kromdraai, etc.) rend manifeste l’ampleur de la tâche. La stratigraphie est bien plus complexe que je ne pouvais l’imaginer et seul un véritable travail de fond permettra progressivement d’en maîtriser les grands traits. Pour répondre à la question de la datation, plusieurs approches complémentaires sont envisagées, mais à des échelles différentes, allant du paysage à la lame mince.

Cartographie géomorphologique

5En premier lieu, il a semblé important de connaître l’histoire du paysage et des cavités qui s’y sont développées. Dès la mission de 2007, puis en 2008 et 2009 dans le cadre de la fouille du site de Kromdraai (direction J. Braga), nous avons commencé une cartographie des formes du paysage et des formations superficielles. Basée sur un travail de prospection minutieuse, cette approche permet d’identifier les principales morphologies et d’en comprendre les relations géométriques (Bruxelles et al., 2009). Ainsi, plusieurs niveaux de surface d’érosion ont été reconnus en contrebas des hauts plateaux (African Surface). La structure géologique ainsi que le pendage général des couches de 30° en direction du nord nous ont permis d’exclure un quelconque contrôle lithologique pour expliquer ces formes. Étagées au sein de la vallée de la Blauawbankspruit, ces surfaces d’érosion matérialisent l’enfoncement saccadé de la vallée et le développement de replats par corrosion latérale pendant les phases de moindre incision. Or, ce sont justement ces surfaces qui ont recoupé les conduits karstiques préexistants et qui ont donc permis, pour la première fois, l’introduction directe de sédiments détritiques (argile et cailloutis) depuis la surface. La succession de ces formes fournit donc un premier canevas relatif de l’histoire des paysages, mais informe aussi sur les premiers remplissages fossilifères des cavités.

6En parallèle, la caractérisation des formations superficielles permet de préciser les dynamiques responsables de cette évolution. Au fond de la vallée, de part et d’autre du cours d’eau, on retrouve deux niveaux de terrasses alluviales emboîtées. Plus haut, on reconnaît quelques placages alluviaux, mais toujours à proximité du lit de la rivière. Dès que l’on s’en éloigne, les principaux replats sont couverts d’une formation argileuse contenant de nombreuses chailles et des fragments anguleux de quartz. C’est cette couverture meuble qui a permis le développement latéral de la corrosion et la formation de larges replats. Ponctuellement, des lambeaux de cuirasse latéritique ont été découverts sur au moins deux niveaux de replats. Souvent préservés en position résiduelle, ils pourraient fournir les premiers jalons chronologiques de l’histoire de cette vallée grâce à leur datation par paléomagnétisme.

7Enfin, au cours de ces prospections, nous enregistrons tous les indices de présence de cavités. Les brèches, les massifs stalagmitiques à l’air libre et les entrées de grottes sont relevés au GPS et intégrés, avec les autres éléments cartographiés, dans un SIG. Le but est de reconstituer la géométrie de ces anciens réseaux karstiques et d’identifier, par exemple, les éventuelles connexions. Ces cavités sont systématiquement visitées pour évaluer leur potentiel paléontologique, mais aussi pour observer les sédiments qu’elles contiennent. Ici aussi, l’objectif est de préciser les conditions de formation de ces grottes, d’évaluer leur développement dans l’ensemble du secteur et donc d’orienter nos recherches en fonction de ce potentiel.

Stratigraphie des remplissages

8Au niveau des cavités, les choses sont nettement plus compliquées. Ainsi, les masses de brèches qui les composent correspondent à des apports de sédiments provenant directement de la surface, à la suite de l’ouverture de nouvelles entrées. Mais ces dépôts ne sont pas de simples talus d’accumulation gravitaire. À l’image de ces grottes complexes, les remplissages détritiques ont également connu une histoire polyphasée.

9Dès 2007, nous avons donc entamé une révision de la stratigraphie de ces sites. Avec Dominic Stratford (Université du Witwatersrand), nous avons entamé l’étude de la Name Chamber dans le réseau de Sterkfontein. Dans cette salle, la voûte est constituée d’une brèche de gros blocs sous laquelle restent plaqués des vestiges d’une autre séquence de brèches, de module moindre [Fig.2]. Au sol, un talus de cailloutis et de terre contient des fragments d’os ainsi que de l’industrie lithique. Il est alimenté par un puits naturel qui rejoint la surface, au niveau de la fouille extérieure. Ainsi, si l’on étudie les relations géométriques entre les différents dépôts, on s’aperçoit que le talus le plus bas dans la séquence est la formation sédimentaire la plus récente. Elle remanie néanmoins les brèches anciennes, partiellement altérées, dans lesquelles se trouvaient initialement des outils et des ossements. En revanche, la brèche à gros blocs qui forme la voûte est la formation la plus ancienne. Elle résulte d’effondrements internes avant même que la surface topographique ne décapite ces galeries. On a donc là un bel exemple d’inversion stratigraphique, où les formations les plus récentes sont les plus basses.

[Fig.2] Name Chamber (Sterkfontein). Le plafond de cette salle est constitué de deux brèches anciennes cimentées par la calcite. Au sol, un talus plus récent remanie les éléments d’autres brèches et colmate presque entièrement la salle.

[Fig.2] Name Chamber (Sterkfontein). Le plafond de cette salle est constitué de deux brèches anciennes cimentées par la calcite. Au sol, un talus plus récent remanie les éléments d’autres brèches et colmate presque entièrement la salle.

L. Bruxelles

10Mais ce dispositif n’est pas systématique et l’on peut compliquer encore un peu le schéma. L’observation des brèches des sites de Sterkfontein ou de Kromdraai montre qu’il ne s’agit pas seulement d’une inversion stratigraphique, mais que les différents corps bréchiques sont emboîtés les uns dans les autres. Ce dispositif peut s’expliquer par une alternance entre des phases de formation de brèches, au cours desquelles les sédiments sont cimentés par la calcite, et des phases d’altération qui ameublissent les brèches et favorisent leur soutirage. Ainsi, à plusieurs reprises, certainement au gré des variations climatiques, les brèches ont été cimentées puis karstifiées. Les vides successivement créés au sein des brèches ont ensuite été colmatés par des sédiments largement postérieurs. Il est donc primordial de bien identifier ce phénomène sur le terrain lors de la fouille, mais aussi pour toute tentative de prélèvement à fin d’analyse ou, a fortiori, pour la datation.

Scannage 3D de Little Foot

11Depuis plus d’une quinzaine d’années, Ron Clarke et ses assistants mettent au jour, dans la grotte de Sterkfontein, un fossile exceptionnel : Little Foot (Clarke, 1998). C’est le seul squelette d’australopithèque quasi-complet au monde (il ne lui manque que quelques os des pieds). Il est en connexion et, à peu de choses près, dans la position où il est mort à la suite de sa chute dans un gouffre, il y a environ trois millions d’années [Fig.3]. Pourtant, son âge reste incertain et les datations réalisées donnent des résultats contradictoires dus, en partie, à des problèmes stratigraphiques. En 2010, nous avons donc repris avec Ron Clarke une étude stratigraphique détaillée de la séquence autour de ce fossile (publication en préparation). De nombreux échantillons ont également été prélevés pour datation, mais aussi pour réaliser toute une série d’analyses géochimiques. Le problème était que les premiers éléments de ce fossile allaient très bientôt être extraits de la cavité, empêchant dès lors tout nouveau contrôle stratigraphique. Afin de garder la mémoire du contexte stratigraphique, de pouvoir poursuivre nos études, mais aussi d’en démontrer le fondement, il fallait donc pouvoir conserver une représentation fiable du fossile et des sédiments qui l’encadrent.

[Fig.3] Silberberg Grotto (Sterkfontein). Vue du crâne complet et de l’humérus de l’australopithèque Little Foot au cours de la fouille.

[Fig.3] Silberberg Grotto (Sterkfontein). Vue du crâne complet et de l’humérus de l’australopithèque Little Foot au cours de la fouille.

L. Bruxelles

12Après un test dans une cavité du Gard, une opération de scannage 3D à haute résolution a donc été lancée en 2010. Avec Gérard Subsol (Lirmm), Jean-Pierre Jessel (Umr 5505, Irit), Benjamin Moreno (Ima-Solutions) et José Braga (Fre 2960, Université Paul Sabatier, Toulouse), équipés de deux scanners (Konica-Minolta Vivid 910 et NextEngine scanner HD), nous avons réalisé un scannage complet du fossile et de son contexte. Au-delà du relevé 3D à haute résolution, le scannage permet également de prendre une série de photos géo référencées que l’on peut draper sur le modèle. L’essentiel de l’information est donc sauvegardé puisque chaque niveau de brèche ou plancher stalagmitique est clairement identifiable et mesurable. Il est donc désormais possible, alors qu’une grande partie du fossile a déjà été retirée, de replacer Little Foot dans son contexte et de poursuivre la réflexion.

Projet exploratoire pour la datation des planchers stalagmitiques

13Les tentatives de datation (par le paléomagnétisme, l’uranium/plomb, les cosmo-nucléides) ont donné des résultats très aléatoires. Ainsi, pour les brèches du membre 2 dans lesquelles se trouve Little Foot, les résultats ont varié de 1,5 à plus de 4 millions d’années (Clarke, 1998, Partridge et al., 1999 ; Berger et al., 2002 ; Walker et al., 2006, Pickering et Kramers, 2010). La reprise complète de l’étude stratigraphique apporte déjà quelques réponses pour expliquer une telle différence. Mais une question restait en suspens : quelle est l’histoire des planchers stalagmitiques sur lesquels ont été réalisées les datations avec la méthode uranium/plomb ? En effet, enfouis depuis plusieurs millions d’années, ils ont très certainement subi des phénomènes de diagenèse (recristallisations avec ouverture du système géochimique) qui ont pu fausser le chronomètre, dans des proportions inconnues. Pour répondre à cette question, j’ai fait une demande de Peps (Projet exploratoire premier soutien) auprès de l’Inee du Cnrs. Le projet a été retenu et j’ai donc mis en place un programme de recherche sur les planchers stalagmitiques de l’ensemble du secteur. Basé sur une collaboration entre paléoanthropologues, paléontologues, archéologues, karstologues, chimistes et géoarchéologues, ce programme a donc pour ambition de chercher et d’identifier des phénomènes de diagenèse, de préciser les mécanismes géochimiques en jeu et d’évaluer le biais chronologique induit par ce phénomène. Trois approches sont développées :

  • la micromorphologie : l’analyse pétrographique et micromorphologique de lames minces et de sections polies (microscopie, épifluorescence, cathodoluminescence, analyse laser) permet de voir si ces planchers stalagmitiques ont conservé leurs caractéristiques originelles ou s’ils ont subi des diagenèses et des contaminations (sols, téphra) qui pourraient expliquer les problèmes de datation, qu’elles soient absolues ou relatives. Ce travail d’identification des caractéristiques physiques des planchers, réalisé par Richard Maire (Umr 5185 Ades-Dymset, Bordeaux), permet en outre d’identifier des plages non recristallisées sur lesquelles les datations avec la méthode uranium/plomb devraient être plus fiables ;

  • l’imagerie microchimique. En complément des observations micromorphologiques, la cartographie chimique à haute résolution spatiale par microsonde XRF (X Ray Fluorescence) est réalisée par Richard Ortega et Guillaume Devès (Umr 5084, Cnab , Bordeaux). Elle permet de cartographier la distribution des éléments chimiques (U, Sr, Ca, Si, Zr, S, P, Mn, Fe, Ti, etc.) en fonction des organisations cristallines, mais aussi des altérations et/ou des contaminations piégées dans les dépôts. Cette information est essentielle pour mettre en évidence des recristallisations du type calcitisation, aragonitisation, silicification, etc., mais également des apports d’éléments nouveaux piégés après la formation du spéléothème (silicium) sous forme d’opale, (uranium d’origine volcanique). Parmi les éléments chimiques piégés, la distribution de l’uranium joue un rôle fondamental dans le choix des échantillons ou des zones à dater par la technique uranium/plomb ;

  • les datations par la méthode uranium/plomb et les isotopes stables. Tout d’abord, la reconnaissance de zones saines, c’est-à-dire de plages non recristallisées, où le système géochimique est resté fermé, fournira des fourchettes chronologiques plus fiables, représentatives de l’âge réel de ces planchers. De plus, des datations comparatives seront réalisées sur un même échantillon ayant subi une diagenèse partielle. Nous comptons dater non seulement la phase originelle de cristallisation (formation de la concrétion), mais aussi la phase de diagenèse. Il sera donc possible d’évaluer, pour la première fois, le décalage chronologique induit par ce phénomène. En outre, les formations stalagmitiques peuvent apporter beaucoup plus d’informations que le seul calage chronologique. Les eaux d’infiltration qui les ont constituées et/ou transformées ont en effet transporté un signal chimique qui a été piégé dans le spéléothème. Ces premières analyses peuvent être complétées, sur les mêmes échantillons, par l’étude de la matière organique et de l’évolution des isotopes stables (δ18O et δ13C), afin d’apporter des informations paléoenvironnementales (paléotempératures) sur une période climatique charnière, qui voit l’apparition du genre Homo.

Perspectives

14Se lancer dans l’étude d’un tel site implique nécessairement un travail de longue haleine, avec des approches multiples et de nombreuses collaborations. Nous avons donc commencé par comprendre l’histoire du karst et ses remplissages grâce à l’étude géomorphologique du secteur. En parallèle, une révision systématique des stratigraphies a été entamée. Il reste encore beaucoup de travail dans ce domaine car les coupes sont nombreuses et complexes. Enfin, au fur et à mesure que ce travail de fond progresse, des interrogations plus précises apparaissent. Un programme de recherche sur les planchers stalagmitiques a donc été lancé afin de répondre à la question cruciale de l’âge de ces séquences sédimentaires et des fossiles qu’elles contiennent.

15Les premiers résultats aboutissent, amenant de réelles perspectives de recherche plus ciblées. Ainsi, la présence de cuirasses latéritiques peut permettre de donner un âge aux surfaces d’érosion qui structurent le paysage. Cela indiquera à quelle époque les cavités karstiques ont été successivement recoupées et, donc, à partir de quel moment elles ont pu piéger des restes de faune. Au niveau stratigraphique, nous avons montré sa complexité, avec des brèches, largement diachroniques, emboîtées les unes dans les autres. La recherche de nouveaux fossiles doit donc prendre en compte ce dispositif et être orientée en fonction de l’identification des différents corps de brèche. Enfin, les études lancées sur les planchers stalagmitiques, réalisées pour la première fois sur des sites fossilifères à hominidés, vont permettre d’obtenir des datations plus fiables. D’ores et déjà, de nombreux phénomènes de recristallisation ont été observés dans les premiers échantillons. Mais l’on ne sait pas encore à quel point cette diagenèse peut perturber la mesure de l’âge de la concrétion. Des datations comparatives entre zones saines et plages altérées sont en cours et devraient répondre bientôt à cette question. L’analyse des isotopes stables fournira également des informations paléoenvironnementales qui seront corrélées avec celles déduites des restes de faune et de flore conservés dans les brèches. Ces résultats fourniront donc une meilleure perception de l’histoire des hominidés anciens de cette partie de l’Afrique australe. En retour, ils permettront, en fonction du contexte géomorphologique et du type de brèche, de nous guider dans la recherche de nouveaux sites dans cette région fossilifère déjà exceptionnellement riche.

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Bibliographie

Berger L. R., Lacruz R., De Ruiter D. J., 2002, « Brief communication: Revised age estimates of Australopithecus-bearing deposits at Sterkfontein, South Africa », American Journal of physical Anthropology, 119, p. 192-197.

Bruxelles L., Braga J., Duranthon F., Thackeray F., 2009, New researches in a famous karst area: the cradle of humankind (South Africa), 15e congrès international de spéléologie et de karstologie, Kerrville (Texas), p. 64-68.

Clarke R. J., 1998, « First ever discovery of a well-preserved skull and associated skeleton of Australopithecus », South African Journal of Science, 94, p. 460-463.

Martini J.E.J., Wipplinger P.E., Moen H.F.G., Keyser A., 2003, « Contribution to the speleology of Sterkfontein Cave, Gauteng Province, South Africa », International Journal of Speleology, 32 (1/4), p. 43-69.

Partridge T.C., Shaw J., Heslop D., Clarke R.J., 1999, « The new hominid skeleton from Sterkfontein, South Africa: age and preliminary assessment », Journal of Quaternary Science, 14, p. 293-298.

Pickering R.,Kramers D., 2010, « Re-appraisal of the stratigraphy and determination of new U-Pb dates for the Sterkfontein hominin site, South Africa », Journal Of Human Evolution, vol. 59, 1, P. 70-86.

Stradford D, Bruxelles L, Clarke R.J., Kuman K., « New interpretations on the stratigraphy of the fossil and archaeology bearing deposits of the Name Chamber, Sterkfontein », Journal of Human Evolution.

Walker J., Cliff R.A., Latham A.G., 2006, « U-Pb isotopic age of the StW 573 Hominid from Sterkfontein, South Africa », Science, vol. 314, p. 1592-1594.

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Table des illustrations

Titre [Fig.1] Vue en direction du sud-est de la vallée de la Blauawbankspruit et du secteur de Sterkfontein depuis la colline de Swartkrans.
Crédits L. Bruxelles, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/743/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 592k
Titre [Fig.2] Name Chamber (Sterkfontein). Le plafond de cette salle est constitué de deux brèches anciennes cimentées par la calcite. Au sol, un talus plus récent remanie les éléments d’autres brèches et colmate presque entièrement la salle.
Crédits L. Bruxelles
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/743/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 328k
Titre [Fig.3] Silberberg Grotto (Sterkfontein). Vue du crâne complet et de l’humérus de l’australopithèque Little Foot au cours de la fouille.
Crédits L. Bruxelles
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/743/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 313k
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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Bruxelles, « Géoarchéologie dans le « Berceau de l’humanité » : Gauteng, Afrique du Sud »Archéopages, Hors-série 2 | 2010, 24-29.

Référence électronique

Laurent Bruxelles, « Géoarchéologie dans le « Berceau de l’humanité » : Gauteng, Afrique du Sud »Archéopages [En ligne], Hors-série 2 | 2010, mis en ligne le 01 octobre 2010, consulté le 26 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/743 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.743

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Auteur

Laurent Bruxelles

Inrap, Umr 5608 « Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés » ; Gaes, Université du Witwatersrand, Johannesburg

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