1La fouille menée depuis 2005 dans la catacombe des saints Pierre et Marcellin à Rome correspond à une collaboration multi-institutionnelle entre la Commission pontificale de l’archéologie sacrée (Pcas, Vatican), le Cnrs, la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine (Msha), l’Inrap et l’École française de Rome (Efr). Jusqu’à présent, quatre campagnes de fouille d’une durée d’environ deux mois ont été réalisées (2005, 2006, 2008 et 2010).
2La catacombe des saints Pierre et Marcellin est localisée sur l’actuelle commune de Rome, à environ 4 km au sud-est de la muraille de l’antique cité. Située sur l’ancienne voie antique Labicana, le cimetière souterrain fait partie de la soixantaine de catacombes chrétiennes actuellement recensées dans la périphérie de Rome.
3Les quelques fouilles de surfaces réalisées durant le xxe siècle ont permis de déterminer que les terrains surplombant la future catacombe sont utilisés très tôt comme espaces funéraires (présence de mausolées des ier et iie siècles en bordure de voie) et qu’ils s’inscrivent au sein d’une vaste propriété impériale désignée sous l’appellation « ad duas lauros » (aux deux lauriers) (Guyon, 1987 ; Giuliani, 2008). C’est au sein de cet espace que les equites singulares Augusti (garde privée à cheval de l’empereur) installeront leur cimetière (iie siècle) avant d’être le lieu d’une des plus importantes nécropoles chrétiennes de Rome.
4C’est en effet un peu après le milieu du iiie siècle que seront creusés les premiers noyaux de la catacombe à partir de plusieurs pôles distincts (Guyon, 1987). Au fil du temps ces couloirs, bordés de niches (loculi) [Fig.1] ou de tombes plus élaborées (arcosolia, cubicula) [Fig.2] se rejoindront pour ne plus former qu’un seul vaste et unique réseau souterrain comprenant 4,5 km de galeries réparties sur deux niveaux et couvrant près de 3 hectares en surface. Le nombre de tombes est estimé entre 20 et 25 000. C’est au sein de cette catacombe que seront inhumés les saints martyrs Pierre et Marcellin, victimes des persécutions ordonnées par l’empereur Dioclétien et qui donneront leur nom à ce cimetière souterrain qui restera en fonction jusqu’au milieu du ve siècle.
[Fig.1] Vue d’une galerie et de ses loculi dans la catacombe des saints Pierre et Marcellin.
Commission Pontificale de l’Archéologie Sacrée
[Fig.2] Vue d’un cubiculum avec ses loculi dans la catacombe des saints Pierre et Marcellin.
Commission Pontificale de l’Archéologie Sacrée
5Ensuite, jusqu’aux viie-viiie siècles, la catacombe deviendra un lieu de pèlerinage pour des fidèles venant se recueillir sur les tombeaux des saints martyrs. À cette occasion seront rédigés des itinéraires, sortes de guides de voyages. L’un d’entre eux précise même qu’à côté de la tombe des saints Pierre et Marcellin (c’est-à-dire à l’emplacement de nos interventions archéologiques), se trouve un tombeau contenant les restes « d’autres innombrables saints ». En raison des troubles, liés aux invasions et aux fréquents pillages des tombes saintes, les reliques de ces dernières sont transférées dans les églises intra muros. Les catacombes ne sont alors plus fréquentées et sombrent dans l’oubli à partir du xe siècle. Ce n’est qu’à compter du xvie siècle que ces espaces funéraires souterrains seront redécouverts et progressivement explorés grâce à la persévérance du grand érudit maltais Antonio Bosio.
6La Commission pontificale de l’archéologie sacrée fut fondée par Pie IX en 1852, afin d’assurer la préservation et la mise en valeur des catacombes chrétiennes. Elle a conservé cette compétence exclusive après la naissance de l’État italien moderne (concordat entre le Saint-Siège et l’État italien en 1929, révision en 1984). C’est dans ce cadre que la catacombe des saints Pierre et Marcellin fut conservée, restaurée et que des actions de recherche purent être envisagées (Guyon, 1987 ; Castex et al., 2007 ; Castex et al., 2009) afin de permettre la diffusion des données auprès de la communauté des historiens de l’art, archéologues et anthropologues.
7Le point de départ du projet est lié à une rupture de canalisation qui surplombait un secteur inconnu de la catacombe en raison d’un effondrement des voûtes. Raffaella Giuliani, inspectrice en charge des catacombes de Rome pour la Pcas, décida d’engager les travaux de réparation sur la conduite percée et de profiter de ces derniers pour faire déblayer la zone inaccessible (Giuliani, Castex, 2006-2007). Le dégagement a permis de mettre au jour une portion de galerie et cinq salles de forme et de surface irrégulières (de 2 à 9 m²) [Fig.3]. Les parties dégagées se distinguaient nettement de l’organisation qui existait dans le reste de la catacombe, notamment en raison de l’absence de loculi, d’arcosolia, de cubicula. Lors du déblaiement des salles nouvellement découvertes, la mise au jour d’une importante quantité d’ossements humains alerta les archéologues de la Commission pontificale qui interrompirent alors leurs travaux. De plus, une peinture des vie ou viie siècles venant sceller l’un des couloirs d’accès aux salles fut mise au jour. Sur celle-ci figurait un personnage nimbé d’une auréole, bien que très dégradée. Comme, dans l’iconographie chrétienne, ce type de représentation correspond à celle d’un saint martyr, l’hypothèse de tombes saintes ou d’un lieu de dépôt de reliques fut alors envisagée par la Commission pontificale. La mention de plusieurs tombes saintes à proximité de celle de Pierre et Marcellin, dans l’un des itinéraires du haut Moyen Âge renforçait cette hypothèse car les salles découvertes se situaient à proximité immédiate de la tombe des martyrs éponymes de cette catacombe.
[Fig.3] Plan du secteur X de la catacombe.
Document de la mission
8Dès lors, la fouille d’un premier ensemble osseux fut mise en place par une équipe d’anthropologues de l’Université de Pise (G. Pagni et L. Burdassi), l’objectif étant une caractérisation de la nature des dépôts osseux (primaires ?, collectifs ou multiples ?), de fournir une première datation, mais aussi de proposer une première interprétation de ces lieux. Cette intervention permit d’apporter une première datation aux environs du iie siècle (monnaies et radiocarbone sur un fragment de tissu) et de confirmer la présence de corps en connexion, excluant l’hypothèse de l’ossuaire. Néanmoins, le caractère multiple (dépôts simultanés de plusieurs corps) ou collectif (dépôts successifs espacés dans le temps) des inhumations n’était pas clairement tranché au terme de l’opération.
9Pour la Pcas, la nécessité de reconstruire les voûtes au-dessus de certaines galeries ou de salles impliquait la construction de piliers de soutènement dont les fondations détruiraient irrémédiablement une partie des vestiges osseux. Une intervention de sauvetage devenait donc fondamentale sur les parties menacées. Raffaella Giuliani ayant eu connaissance des recherches du laboratoire anthropologique de l’Université de Bordeaux 1, particulièrement avancées en matière de sépultures complexes, se mit alors en relation avec Dominique Castex (Cnrs) dont la thématique de recherche portait sur les sépultures multiples et leur relation avec des crises de mortalité. En outre, en raison d’une précédente collaboration fructueuse avec le même laboratoire d’anthropologie dans un cadre préventif (fouille à Issoudun par l’Inrap en 2002), l’Inrap, représenté par Philippe Blanchard, fut associé au projet pour une codirection de l’intervention. En effet, l’opération d’Issoudun en 2002 avait été l’ocasion d’aborder différentes problématiques liées aux crises de mortalité et elle s’était révélée particulièrement enrichissante pour ses principaux acteurs. Nous citerons notamment la production d’un travail universitaire (Blanchard, 2006) ainsi que la mise en œuvre d’une méthodologie de fouille adaptée à des sépultures multiples en contexte préventif (Souquet-Leroy et al., 2007, p. 62-67). L’investissement scientifique sur les sépultures de la catacombe des saints Pierre et Marcellin représentait donc un intérêt indéniable dans la mesure où il pouvait nous permettre de reproduire, mais surtout d’améliorer nos connaissances du fonctionnement de structures funéraires complexes. Une discussion fut alors engagée entre Dominique Castex et Philippe Blanchard pour envisager une telle intervention (organisation, moyens techniques et financiers, etc.), afin de préparer au mieux ce projet d’envergure. Une visite de reconnaissance du site en juin 2005 nous a permis de constater que l’exploitation du matériel osseux était possible en dépit de sa très mauvaise conservation ; une première opération archéologique fut alors engagée dès le mois de septembre de la même année.
10La mission débutée en 2005 a été restreinte à deux ensembles funéraires (X80-T16 et X82-T18) de superficie relativement modeste en regard de celles provenant d’autres salles du même secteur central [Fig.3] ; elle fut reconduite en 2006 afin de terminer la fouille. En 2008, une nouvelle mission fut engagée sur les deux salles les plus importantes (X83 et X84), toujours en cours de fouille lors de la mission de septembre et octobre 2010.
11Dès le départ, nous avons souhaité développer une problématique de recherche définie selon plusieurs axes : a) comprendre le mode de fonctionnement de ces dépôts (multiples et/ou collectifs) ; b) caractériser les pratiques funéraires ; c) identifier la population inhumée (âge, sexe, profil de mortalité, éventuelles pathologies, etc.) et tenter d’interpréter la nature des décès (massacre, épidémie ?) ; d) cerner chronologiquement l’utilisation de ces différents ensembles et discuter de leur relation avec le cimetière de surface et le reste de la catacombe.
12La fouille intégrale des tombes T16 et T18 a permis d’identifier le dépôt respectif de 77 et 96 individus. Les sépultures encore en cours d’étude (X83 et X84) ont livré respectivement 167 et 201 squelettes, mais l’épaisseur de la stratigraphie restante suggère une estimation basse d’environ 800 corps pour chacune des salles [Fig.4]. À cet effectif, nous devons rajouter les individus issus de deux autres tombes, la X78-T15 (bien qu’elle ait été initialement étudiée par l’équipe italienne, le décompte précis des premiers dépôts d’inhumés méritait d’être repris) et la X83 (secteur « vidé » par strates successives lors de l’aménagement des chemins d’accès aux différentes fosses). Dans cette tombe, aucun squelette n’avait été préalablement individualisé, en sorte qu’elle a été étudiée comme un ensemble collectif à partir d’une analyse fondée exclusivement sur un nombre minimal d’individus (Nmi). Les tombes X78-T15 et X83 renfermaient respectivement 46 et 32 individus (Nmi). Deux espaces ont été conservés (une partie des secteurs X80 et X81), comme témoignage pour d’éventuelles futures recherches archéologiques.
[Fig.4] Vue d’une zone de travail dans la salle X83.
© Denis Gliksman, Inrap
13La fouille des espaces T16 et T18 a révélé que les cadavres ont été déposés lors de phases successives, séparées les unes des autres par une couche de sédiments d’épaisseur variable. Ainsi, neuf phases de dépôts ont pu être mises en évidence à l’intérieur des fosses 16 et 12, dans l’ensemble 18. La gestion des corps s’est révélée relativement rigoureuse dans les tombes T16 et T18 puisque les individus sont apparus bien ordonnés, majoritairement disposés les uns à côté des autres et tête bêche [Fig.5], avec parfois quelques superpositions. Seul un niveau a livré des corps désordonnés dans la tombe T16.
[Fig.5] Vue des cinq corps recouverts de plâtre et déposés dans le fond de la tombe T16.
Mission SSPM 2006
14La disposition des individus au sein des salles X83 et X84 [Fig.6 et 7] apparaît beaucoup moins ordonnée, mais il reste toutefois assez difficile d’en définir la raison. En effet, l’impression de rangement des tombes T16 et T18 est peut être directement liée à leurs dimensions car il n’existe que peu de possibilités pour ranger des individus dans une fosse ne dépassant pas 2 m pour 1,30 m au sol (cas de la T16). Aussi, la moins bonne organisation que nous percevons dans les plus grandes salles n’est peut être liée qu’à une surface disponible plus importante.
[Fig.6] Vue générale de la salle X83 en fin de mission 2008.
Mission SSPM 2006
[Fig.7] Vue générale de la salle X84 en fin de mission 2008.
Mission SSPM 2006
15L’effectif des individus obtenus pour chaque tombe étudiée jusqu’à présent nous permet d’affirmer qu’il n’était pas possible d’inhumer un aussi grand nombre de corps simultanément dans des espaces aussi restreints, ce que confirme visuellement le travail de restitutions 3D (actuellement en cours par Géraldine Sachau, Université de Bordeaux 3). Par conséquent, la seule possibilité reste un fonctionnement collectif avec des apports successifs de plusieurs corps. Lors de chaque nouvel apport, les cadavres précédemment déposés devaient être suffisamment décomposés pour laisser ainsi la place à de nouveaux défunts. Le fonctionnement de ces différentes salles apparaît donc comme mixte avec des séries successives (collectives) de dépôts simultanés (encore appelés multiples).
16Outre le fonctionnement de ces ensembles, nous avons obtenu des résultats particulièrement intéressants en ce qui concerne les pratiques funéraires qui se sont révélées très originales.
17En effet, un matériau blanchâtre a été retrouvé au contact d’une grande majorité d’individus (tombes T16, T18, X83 et X84) ainsi qu’un grand nombre de paillettes rougeâtres. De la même façon, des fragments de textiles, des fils d’or et des résidus brunâtres ont été reconnus. En outre, des odeurs d’agrumes mais aussi d’encens ont également été senties par plusieurs fouilleurs lors de la rupture de certains agrégats mêlant matériau blanchâtre, paillettes rougeâtres et résidus brunâtres dans les tombes X83 et X84.
18Enfin, des résidus organiques ont aussi parfois été retrouvés tels des cheveux, des fragments de cerveaux, mais aussi des restes d’insectes.
19Le mobilier mis au jour lors de ces différentes campagnes reste très faible. Ainsi, outre les fils d’or, une paire de boucles d’oreilles (ier-iiie siècle) dans le même matériau a été retrouvée dans la tombe T18. De la même façon, un anneau en jais se trouvait autour de la phalange d’un individu de la salle X84. Enfin trois fragments d’épingles à cheveux (deux en os et un en jais) ont été identifiés. Quelques monnaies ont été mises au jour lors de la fouille de T15 et dans certains sondages de l’espace X81, permettant une datation comprise entre la fin du ier et la première moitié du iiie siècle.
20Pour l’instant nos efforts se sont surtout concentrés sur le terrain (fouille et interprétation des dépôts funéraires), l’étude biologique reste donc relativement sommaire et malheureusement fortement soumise à la très mauvaise conservation des restes osseux. Sur les deux premières tombes étudiées (T16 et T18) nous pouvons dire pour l’instant que, d’une part, les individus féminins semblent majoritaires (77,5%) et que, d’autre part, il existe un très net déficit des sujets immatures de moins de 15 ans avec, à l’inverse, une prédominance des adolescents et des jeunes adultes. Nous n’avons pas pu déceler de lésions traumatiques, indices d’éventuelles violences, mais l’état de conservation des individus a considérablement limité nos observations.
21Afin de mieux comprendre les pratiques funéraires mises en œuvre au sein de ces espaces, de nombreux prélèvements ont été réalisés sur des matériaux de nature diverse et ont été étudiés dans le cadre de travaux universitaires ; une partie d’entre eux a récemment fait l’objet d’une publication (Devièse et al., 2010). Ainsi, le matériau blanchâtre interprété à tort comme de la chaux s’est avéré être du plâtre. Ce résultat est important car la chaux peut être associée à des contextes épidémiques alors que le plâtre, dont la fonction précise reste indéterminée, pourrait davantage être mis en relation avec un dispositif funéraire particulier, proche de ce que l’on connaît par exemple pour les momies égyptiennes.
22Les fins cristaux rougeâtres découverts au sein du plâtre ou recouvrant parfois ce dernier se sont révélés être de fines particules d’ambre rouge en provenance des côtes de la mer Baltique (Devièse et al., 2010). Le coût de ce matériau durant l’Antiquité semble avoir été particulièrement élevé et était très recherché des Romains pour ses vertus supposées prophylactiques. L’analyse des nombreux résidus de fils d’or a révélé une composition à 75 % d’or pur ainsi qu’une structure torsadée créée par enroulement sur un fil végétal très fin désormais disparu. Cette technique est caractéristique des fils d’or intégrés dans des pièces vestimentaires, mais aucun indice de ce type n’a été pour l’instant formellement reconnu.
23Les résidus brunâtres mis au jour directement en contact avec les ossements ont révélé quant à eux la présence de résines tel l’oliban (encens) en provenance du Yemen ou de la sandarak issue de la côte nord-africaine (T. Devièse, communication personnelle, données encore non publiées). Plusieurs datations radiocarbones ont été tentées sur ces différents ensembles afin de mieux en cerner la chronologie (ensembles contemporains ou utilisés successivement ?). La difficulté à laquelle nous avons été confrontés réside principalement dans la mauvaise conservation des ossements, rendant impossibles certains résultats en raison de l’absence de collagène dans les échantillons. Toutefois, une datation sur un individu déposé dans les niveaux intermédiaires de la T16 a livré une chronologie comprise entre 28 et 132. De la même façon, deux datations sur quatre se sont avérées fructueuses pour les salles X83 et X84 et celles positives ont livré une chronologie entre le milieu du iie et la fin du ive siècle (X83) et entre la fin du ier siècle et le milieu du iiie (X84). Ces trois tentatives s’ajoutent à celles réalisées par la Commission pontificale sur deux échantillons de textile prélevés dans la tombe T15 et qui indiquaient une utilisation située entre la fin du ier et le début du iiie siècle.
24Des analyses sont toujours en cours (ou à venir) sur certains prélèvements effectués dans les différentes salles. Certains des échantillons prélevés ont pour objectif d’identifier les matériaux entrant dans la préparation du corps tels les très nombreux fragments textiles dont l’interprétation demeure encore incertaine (pièces vestimentaires, linceul ou bandelettes entrant dans le rituel de momification égyptienne ?). D’autres analyses, tels les phosphates, ont pour objectif de déterminer jusqu’à quel niveau les corps ont été entassés dans les salles car les jus de décompositions ont dû imprégner les parois des cavités et pourraient ainsi permettre d’estimer la hauteur maximum des dépôts. Enfin, une étude sur les isotopes a débuté depuis 2010 afin d’approcher le régime alimentaire des individus et tenter ainsi de déterminer leur éventuelle mobilité (péninsule italienne, bassin méditerranéen, etc.).
25Les espaces nouvellement découverts dans cette partie centrale de la catacombe ont révélé l’impossibilité d’inhumer les défunts en une seule fois ou dans un laps de temps restreint. Par conséquent, le dépôt des corps a été indubitablement échelonné dans le temps (sépulture collective). Toutefois, selon les observations de terrain, des dépôts simultanés de plusieurs cadavres (sépulture multiple) ont été pratiqués. La gestion de ces différents espaces pourrait donc être mixte en permettant l’apport de un à plusieurs corps, et ce de façon régulière, probablement sur un grand nombre d’années. L’hypothèse que nous envisageons serait donc celle d’un lieu souterrain utilisé régulièrement pour le dépôt de victimes de plusieurs épidémies.
26Les matériaux employés pour l’inhumation des défunts restent très originaux par rapport à ce qui est connu à Rome en terme de pratiques funéraires pour la période considérée.
27Ainsi, les recherches bibliographiques entreprises ont permis de recenser un certain nombre de sépultures utilisant le plâtre en Europe, mais le plus grand nombre a été répertorié sur la périphérie du bassin méditerranéen (en Tunisie avec notamment plusieurs cas dans la catacombe d’Hadrumète à Carthage durant le ive siècle. Signalons également que le corps de Britannicus, fils de l’empereur Claude, fut enduit de plâtre avant d’être déposé sur le bûcher. Les quelques références à notre disposition sembleraient donc plutôt désigner des pratiques funéraires plus habituelles pour l’Afrique du Nord (notamment Carthage et peut être l’Égypte, toutes deux provinces de l’Empire romain).
28Au terme de nos diverses missions, les éléments à notre disposition révèlent qu’un grand nombre de corps ont fait l’objet d’un traitement funéraire particulier. Il semble en effet acquis que les cadavres ont majoritairement subi une préparation après le décès des individus. Ainsi, des résines odorantes (oliban, sandarak ou d’autres encore non identifiées) ont dû être directement appliquées sur le corps même du défunt ou mêlées au plâtre qui venait le recouvri. De la même façon, il semble que des paillettes d’ambre rouge ait été intégrées directement au plâtre ou parfois réparties en fines couches sur le corps. La présence de pièces vestimentaires reste incertaine. Une fois cette préparation terminée, le corps était alors placé dans une ou plusieurs pièces textiles puis déposé dans les espaces souterrains.
29D’un point de vue social, les matériaux utilisés (or, ambre, résines…) impliquent un coût financier important et suggèrent un statut relativement élevé pour les défunts. Il convient alors de s’interroger sur les raisons qui ont permis leur inhumation sur des terrains dont la propriété relève directement de l’Empereur (proches du milieu impérial ? Familles des equites singulares ?). Enfin, les rares éléments de datation à notre disposition semblent placer le fonctionnement de ces différentes salles entre les ier et iiie siècles, donc avant le développement de la catacombe. Si cette antériorité se trouvait confirmée, alors les salles de ce secteur central seraient à l’origine de ce vaste espace funéraire souterrain.
30Le succès de la mission est indubitablement lié à l’étroite collaboration entre les différents partenaires. Ainsi, la Commission pontificale de l’archéologie sacrée est un acteur incontournable par sa connaissance historique des lieux, du mode de fonctionnement de ces espaces et des pratiques qui y sont liées.
31La présence de l’Inrap a été positive dans différents domaines techniques, mais aussi scientifiques, tant d’un point de vue méthodologique qu’interprétatif. Comme nous l’avons déjà discuté, des collaborations Cnrs-Inrap avaient été précédemment engagées dans des contextes archéologiques de crise. L’expérience professionnelle héritée de contextes et d’environnements variés a ainsi permis d’intégrer à la fois un savoir-faire, mais aussi une adaptabilité à des situations complexes qu’il est possible de réutiliser et d’améliorer à chaque nouvelle intervention. Ainsi, la méthodologie fut particulièrement discutée du point de vue de l’enregistrement des données de terrain et, en raison du très mauvais état de conservation, il convenait de prendre toutes les dispositions pour assurer le minimum de pertes de données tout en conservant une procédure des plus efficaces en termes de rapidité.
32Des discussions régulières ont été menées au sein de l’équipe pour interpréter les différents vestiges mis au jour ainsi que pour comprendre le mode de gestion des différents espaces. Cette communication permanente entre archéologues, archéo-anthropologues et historiens a permis de proposer des hypothèses de travail et de définir ensuite les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à les infirmer ou les confirmer. C’est ainsi que, selon les interprétations présentées, des analyses physico-chimiques et des études spécifiques ont été recommandées pour certains matériaux (plâtre, fils d’or, ambre, résine…) ou pour argumenter certains points (analyses de phosphate pour déterminer la hauteur des dépôts de corps et leur décomposition).
33La présence de multiples partenaires au sein de cette mission a donc été extrêmement positive puisqu’elle a permis d’obtenir une complémentarité des différents domaines d’activité en exploitant au mieux les compétences des uns et des autres. Cette recherche a, de plus, largement bénéficié des apports transdisciplinaires en sollicitant des laboratoires ou spécialistes extérieurs pour des études spécifiques. Enfin, la confiance mutuelle entre les différents acteurs a été un point important qui a contribué au succès de ces missions et a ainsi permis de répondre au mieux à la problématique de début. Les différentes interventions menées depuis 2005 ont donc permis de mettre en évidence le caractère simultané du dépôt des corps lors de plusieurs crises de mortalité successives. Ces premiers résultats permettent d’envisager que ce secteur fut le lieu de regroupement des victimes de plusieurs épidémies. De la même façon, l’originalité des pratiques funéraires est reconnue et reste désormais à interpréter. L’objectif des années à venir est de mieux cerner la nature des décès (peste antonine de la seconde moitié du iie siècle ?) et le recrutement des défunts (population étrangère à Rome, famille des equites singulares Augusti ?).