Éditorial [Archéologie sans frontières]
- Traduction(s) :
- Editorial [Archaeology without borders] [en]
- Editorial [Arqueólogía sin fronteras] [es]
Texte intégral
1Le colloque international « La Préhistoire des autres – Comment l’archéologie et l’anthropologie abordent le passé des sociétés non occidentales », organisé par le musée du quai Branly et l’Inrap, en janvier 2011 – auquel participent une dizaine d’archéologues de l’Inrap –, fournit l’occasion de consacrer un numéro hors-série de la revue Archéopages aux activités internationales de notre institut. Celles-ci sont en effet indissociables de nos missions de sauvegarde : étude des vestiges archéologiques menacés par l’aménagement du territoire (en France métropolitaine et dans les DOM), comme missions d’exploitation et de restitution des résultats à la communauté scientifique et au public. Ces actions internationales procèdent, de façon concomitante, de l’initiative individuelle des chercheurs de l’Inrap et de la vocation de l’institut à partager ses compétences dans l’étude et la protection du patrimoine archéologique, où qu’il se situe.
2Dès avant la création de l’Inrap, un certain nombre d’archéologues de l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan) avaient souhaité élargir leurs champs de recherche et confronter leurs pratiques à celles d’autres archéologies. Leur engagement était notamment motivé par la comparaison féconde entre les données de sites très éloignés et celles de sites mieux connus, ainsi que par le rapprochement des démarches techniques et scientifiques mises en œuvre. Il était aussi fondé sur la volonté de voir émerger une archéologie préventive dans les pays du Sud, à l’instar du développement de la discipline en Europe, discipline à laquelle la convention de Malte a apporté, à partir de 1992, une reconnaissance européenne forte, confortant les archéologues dans leur démarche militante. Dès avant les années 1990, des archéologues de l’Afan ont donc participé, le plus souvent à titre bénévole et sur leur temps personnel, mais aussi dans le cadre de conventions passées par l’Afan avec des missions archéologiques à l’étranger – notamment en Égypte et en Éthiopie – à des programmes où leurs compétences ont été progressivement reconnues, appréciées et recherchées. La création de l’Inrap en 2002 a permis de renforcer ces collaborations avec les missions françaises et étrangères (CNRS, universités, etc.), ainsi que des accords bilatéraux avec certaines institutions (Centre français d’études éthiopiennes, École française de Rome, École française d’Extrême-Orient), voire des accords avec de grands aménageurs français tel le groupe Vinci sur le site de l’aéroport d’Angkor. Ainsi, les initiatives pour le partage des compétences et la sensibilisation (séminaire à Alger avec l’Unesco en 2004 ou en Albanie en 2008, diagnostic sur le tracé du métro d’Alger en 2009, etc.) ont-elles pu être multipliées. En peu d’années, ces collaborations se sont développées, la présence de l’Inrap dans les instances européennes et internationales de l’archéologie et du patrimoine (Association européenne des archéologues, Europae Archaeologiae Consilium, Comité international pour la gestion du patrimoine archéologique de l’Icomos, conseil au Centre du Patrimoine mondial de l’Unesco, etc.) s’est renforcée et des collaborations internationales avec des organismes aux missions comparables à celles de l’Inrap, tels l’Académie des sciences de Russie, l’institut Max Planck pour l’anthropologie évolutive à Leipzig, ou l’autorité israélienne des Antiquités ont été nouées. Des programmes de sensibilisation et de formation ont été mis en œuvre, avec notamment l’organisation, en 2007, à Nouakchott, d’un colloque international consacré aux perspectives de l’archéologie préventive en Afrique, tandis que se développait, avec l’aide des ambassades françaises et la mise en place de dispositifs par le ministère des Affaires Étrangères et Européennes, l’accueil d’archéologues albanais, azerbaïdjanais, cambodgiens et maghrébins, sur des chantiers d’archéologie préventive en France. Enfin, l’Inrap a suscité – et pilote jusqu’en 2012 – le programme « Archéologie dans l’Europe contemporaine », associant treize institutions de recherche européennes et soutenu par la Commission européenne, pour « explorer la portée de l’archéologie dans le monde contemporain, confronter les pratiques archéologiques, contribuer à la reconnaissance des métiers de l’archéologie, développer la médiation auprès du public ».
3Pour leur part, les collaborations d’archéologues de l’Inrap, à titre individuel, s’organisent principalement autour de quatre axes : sensibilisation aux enjeux de l’archéologie préventive dans les pays où elle est encore balbutiante ; formation d’archéologues étrangers aux méthodes de l’Inrap, soit à leur demande, soit à celle de leurs tutelles ; expertise scientifique au service de missions de recherche et de gestion de sites ; enfin, participation, codirection ou direction de fouilles. Ce numéro hors-série d’Archéopages passe ainsi en revue un certain nombre d’expériences significatives dans lesquelles des chercheurs de l’Inrap ont été impliqués à différents titres. Ces collaborations à des programmes internationaux sont en effet très variées, tant en ce qui concerne les domaines d’expertise que les zones géographiques abordées : de la Mongolie à la Mauritanie et de l’Afrique du Sud au Québec, des premiers hominidés à l’âge du Bronze, de l’Antiquité à l’époque moderne. La diversité des problématiques – présentées ci-après du site le plus ancien au plus récent – en montre la richesse : étude géomorphologique du site de Sterkfontein (Afrique du Sud), abritant des dizaines de vestiges d’hominidés ; étude technologique et expérimentale des vestiges lithiques provenant du site de Blombos (Afrique du Sud), démontrant la maîtrise de la retouche par pression 50 000 ans plus tôt qu’en Europe ; fouille du site d’Umm el-Tlel (Syrie) ; étude du site néolithique précéramique de Beïsamoun dans la vallée du Jourdain (Israël) ; géomorphologie des mines de sel néolithiques de Lunca et Tolici (Roumanie) ; fouilles préventives de sites de l’Égypte prédynastique, menacés par le développement agricole ; analyse des urnes cinéraires de la nécropole de l’âge du Bronze de Tell Shiukh (Syrie) ; fouilles du site de Gongying (Chine, dans la province du Hénan) ; programme de recherche sur le tell de Sanghol au Pendjab indien ; études anthropologiques de la nécropole hellénistique de Plinthine à l’ouest d’Alexandrie ; fouilles à Pétra (Jordanie) ; étude du village antique fortifié de Shaara (Syrie) ; reprise de l’étude du site thermal antique de Jebel Oust (Tunisie) ; fouille d’un monastère copte à Saqqarah (Égypte) ; étude archéozoologique des nécropoles d’Egiin Gol et de Gol Mod (Mongolie) ; fouille des ensembles funéraires multiples de la catacombe des saints Pierre et Marcellin à Rome ; programme de conservation et de gestion du site de Paharpur (Bangladesh) ; topographie des églises monolithes de Lalibela (Éthiopie) et étude géomorphologique du site ; relevé des fortifications médiévales de Césarée au nord de Tel-Aviv ; étude de pratiques funéraires islamiques médiévales à Mértola (sud du Portugal) ; analyse des productions métallurgiques de Dinant et Bouvignes (Belgique) au Moyen Âge ; étude de la diffusion des céramiques françaises en Amérique du Nord à l’époque moderne ; fouille des vestiges des installations de fortune des esclaves malgaches abandonnés par le vaisseau de la compagnie des Indes l’« Utile » sur l’îlot Tromelin, dans l’océan Indien au xviiie siècle, etc. À ces exemples – pour la plupart développés dans ce numéro –, ajoutons les programmes de sensibilisation et de formation à l’archéologie préventive en Albanie, en Azerbaïdjan, au Cambodge, en Éthiopie, au Maghreb et en Russie, conduits en partenariat avec les institutions locales et les institutions françaises à l’étranger.
4On le voit, l’Inrap est devenu un acteur important de l’archéologie française au-delà de l’Hexagone et, à ce titre, participe au rayonnement de l’excellence française, aux côtés du Cnrs, des universités ou encore du Ministère de la Culture et de la Communication. Il est un atout majeur pour notre pays dans le développement de programmes internationaux de coopération scientifique et culturelle, voire économique. Mais surtout, attaché à la sauvegarde et à l’étude du patrimoine archéologique, quel qu’il soit, l’Inrap et l’ensemble de ses chercheurs ne peuvent concevoir leurs interventions hors de l’Hexagone que comme un partage d’expériences avec leurs collègues étrangers. À ce titre, il peut être le fer de lance d’une émergence de l’archéologie préventive dans de très nombreux pays du Sud, où le développement économique, l’explosion urbaine et la construction de grandes infrastructures menacent le patrimoine archéologique, et dans lesquels pourraient être évitées les erreurs commises en Europe pendant des décennies.
Table des illustrations
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Titre | Collaboration de l’Inrap dans des missions archéologiques à l’étranger. |
Crédits | DAO : Fleur Lauga. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/735/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 342k |
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Paul Jacob, « Éditorial [Archéologie sans frontières] », Archéopages, Hors-série 2 | 2010, 2-4.
Référence électronique
Jean-Paul Jacob, « Éditorial [Archéologie sans frontières] », Archéopages [En ligne], Hors-série 2 | 2010, mis en ligne le 03 décembre 2016, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/735 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.735
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