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Dossier

Les victimes de la bataille du Mans (12-13 décembre 1793). Apports archéo-anthropologiques

The victims of the battle of Le Mans (12–13 December 1793). Archaeological and osteological evidence
Las víctimas de la batalla de Le Mans (12-13 de diciembre de 1793). Aportes arqueo-antropológicos
Élodie Cabot
p. 32-39

Résumés

La bataille du Mans des 12-13 décembre 1793 entre l’armée républicaine et l’Armée catholique et royale signe la défaite des royalistes (2500 à 3000 victimes dans le centre ville) et la fin de la Virée de Galerne. Les corps jonchant les rues du Mans sont ensevelis en divers endroits de la ville dont le Quinconce des Jacobins. Ce site a fait l’objet d’une fouille exhaustive en 2010. La découverte de neuf fosses collectives contenant les restes osseux de 159 personnes décédées pendant l’événement, l’étude fine des lésions osseuses (macroscopiques et microscopiques), leur localisation, leur taille, leur direction et angulation etc., permettent la reconstitution des armes et gestes responsables du traumatisme (arme à feu, arme blanche, corps à corps, cavalerie, canonnade, fuite...).

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Texte intégral

1Le contexte politique et social de la fin du xviiie siècle après l’instauration de la république et l’exécution du roi Louis XVI le 21 janvier 1793 est explosif. La France, « pays régicide », affronte une coalition armée de l’Europe monarchique. À ces fronts de guerre aux frontières, s’ajoute sur son sol le soulèvement des populations de l’Ouest initié à Cholet début mars en réaction au décret de réquisition du 25 janvier organisant la levée de 300 000 hommes afin d’augmenter les effectifs de l’armée républicaine. Ce mouvement populaire, vite réprimé au nord de la Loire, donne naissance à la Chouannerie, une guérilla qui touche la Bretagne et le Maine. Au sud du fleuve, dans ce qui est appelé la Vendée militaire, les attroupements de jeunes hommes s’étoffent et s’organisent. Pour Dieu et le Roi, des effectifs considérables sont mobilisés dans ce qui prendra le nom d’Armée catholique et royale [ill. 1] (Martin, 2007 ; Meyer-Sablé, Le Corre, 2007). Les guerres de Vendée font partie d’une histoire récente qui, dans l’ouest de la France, imprègne encore les mentalités : cet épisode reste très controversé dans la littérature, et les débats entre les « artisans inconditionnels de la Révolution » et les « héritiers des Vendéens » sont vifs (Gérard, 2013). La terminologie employée par les historiens en témoigne : « génocide, mémoricide, déni de mémoire… » (Sécher, 2011 ; Gérard, 2013). Des associations alimentent la mémoire des événements (Souvenir Vendéen, Virée de Galerne, Souvenir Chouan…) et des politiques s’invitent dans le débat à l’exemple d’une proposition de loi « relative à la reconnaissance du génocide Vendéen de 1793-1794 », soumise plusieurs fois par des députés. Aux textes et aux débats d’idées, nous pouvons maintenant proposer une approche archéo-anthropologique de l’un des faits majeurs des guerres de Vendée : la bataille du Mans, lieu emblématique de la défaite des Vendéens les 12-13 décembre 1793.

1.a. Des effectifs considérables sont mobilisés dans de véritables batailles rangées et, pendant le printemps 1793, les succès militaires de l’Armée catholique et royale s’enchaînent.

1.a. Des effectifs considérables sont mobilisés dans de véritables batailles rangées et, pendant le printemps 1793, les succès militaires de l’Armée catholique et royale s’enchaînent.

Ces premières victoires sont rendues possibles par la soudaineté du mouvement populaire mais aussi par le manque de réaction des autorités républicaines face à ce qui s’avère plus important qu’un mouvement éphémère. L’échec devant Nantes le 29 juin marque le déclin du soulèvement, cruellement mis à mal par l’armée de Mayence devant Cholet le 17 octobre.

http://guerredevendee.canalblog.com/​archives/​2010/​08/​28/​18910312.html.
DAO F. Lauga

1.b. La défaite de Cholet marque le début d’une longue errance de l’Armée catholique et royale, qui ne compte plus que 60 à 80 000 personnes dont une majorité de non-combattants (femmes, enfants, vieillards).

1.b. La défaite de Cholet marque le début d’une longue errance de l’Armée catholique et royale, qui ne compte plus que 60 à 80 000 personnes dont une majorité de non-combattants (femmes, enfants, vieillards).

Ils sont placés sous le commandement de La Rochejacquelein, jeune généralissime de 21 ans, et décident de repasser la Loire afin de chercher du soutien auprès des Anglais. Cette expédition, nommée Virée de Galerne, doit son nom au vent dominant soufflant du nord-ouest. La remontée au nord se solde par l’échec devant Granville les 14 et 15 novembre. La défaite de Savenay clôture définitivement cette expédition.

http://fr.wikipedia.org/​wiki/​Vir%C3%A9e_de_Galerne.
DAO F. Lauga

  • 1 Pour exemple, la fouille de la tombe d’Alain-Fournier (Adam, 2006), les recherches conduites sur le (...)

2En 2010, la fouille préventive menée place des Jacobins au Mans – qui a succédé à deux diagnostics réalisés en 1999 et 2009 (Chevet, 1999 ; Chevet, Cabot, Le Boulaire, 2009 ; Cabot, Chevet, Schmitt, 2009 ; Cabot, Chevet, Duchesne, 2012) – met au jour des fosses ayant servi à l’inhumation des victimes du conflit entre républicains et royalistes dans la ville (Chevet, Cabot, à paraître 2015). Les périodes récentes bénéficient de plus en plus d’une approche interdisciplinaire intégrant l’archéologie, l’anthropologie et d’autres spécialités1 ; la fouille des fosses révolutionnaires du Mans s’inscrit dans ces nouvelles études dédiées à la compréhension des événements d’un passé proche.

Le contexte historique

3La bataille du Mans conclut l’expédition militaire connue sous le nom de Virée de Galerne qui voit l’armée royaliste traverser la Loire en direction du nord. Cette campagne a pour objectif la prise d’un port en eaux profondes afin d’assurer le débarquement de troupes anglaises et, avec ce soutien, rétablir le pouvoir monarchique (Dupuy, 1997 ; Gréau, 2012). La remontée au nord se solde par un échec devant Granville en novembre. L’armée épuisée va alors chercher à rentrer en Vendée le plus vite possible. Les insurgés échouent à passer la Loire à Angers les 4 et 5 décembre. Talonnés par l’armée républicaine, ils remontent au Mans qu’ils prennent sans difficulté le 10 décembre afin d’y puiser de nouvelles forces. À l’arrivée au Mans, l’armée royaliste n’est plus formée que de 30 à 40 000 personnes sur les 80 000 de départ, dont seulement 10 à 15 000 combattants. Le reste de la troupe est composé de blessés, de femmes et d’enfants. La population du Mans, quant à elle, est estimée à 18 115 habitants lors du recensement de septembre 1793. En face, l’armée républicaine est forte de 20 à 30 000 militaires aguerris. Ces derniers reprennent la ville à partir du 12 décembre et les combats dans le centre durent jusqu’au 13 au matin. La topographie urbaine – notamment l’étroitesse des rues – entrave la fuite des Vendéens : l’estimation des victimes montre le déséquilibre des forces en présence avec environ 100 décès républicains pour 2 500 à 3 000 morts côté vendéen dans la souricière mancelle. Le bilan total est alourdi par la poursuite des royalistes sur la route de Laval et les historiens s’accordent sur un total de 10 à 15 000 morts. La Virée de Galerne s’achève le 23 décembre 1793, avec la destruction quasi totale du reste de l’Armée catholique et royale à Savenay (Loire-Atlantique).

4À la suite des combats des 12 et 13 décembre, les rues du Mans sont jonchées de cadavres. L’armée républicaine lancée à la poursuite des fuyards et les élites municipales locales ayant fui à l’arrivée des Vendéens (dès le 10 décembre, ils reviennent le 27 frimaire soit le 17 décembre), ce sont les habitants restés dans les murs pendant les troubles qui prennent en charge l’enlèvement et l’enfouissement des corps.

5Si la littérature contemporaine ou postérieure aux faits (Bonchamps, 2003 ; Kléber, 2008 ; La Rochejaquelein, 1993 ; Savary, 1824 ; Westermann, 1794 ; Chardon, 1869-1872 ; Launay, 2006 ; Sécher, 1986 et 2011 ; Martin, 2007 et 2013 ; Dupuy, 1997 ; Gérard, 2013) abonde sur le déroulement des guerres de Vendée, la Virée de Galerne, les combats et les exactions réelles ou fantasmées sur les cadavres, la gestion de l’inhumation des corps sur les terrains de bataille reste peu abordée. Au Mans, seul le rapport du bureau de la Commission des arts publié en 1798, soit cinq ans après les faits, en témoigne. On y apprend que l’enlèvement des cadavres, effectué tout d’abord de manière anarchique, s’organise dès le 14 décembre, avec la nomination d’une administration provisoire chargée des inhumations. Ainsi les corps jonchant les rues du Mans furent ensevelis en deux jours dans de « grandes fosses » en « divers endroits ». Le quinconce des Jacobins, terrain public appartenant autrefois aux monastères des Cordeliers et des Jacobins, fut l’un des lieux choisis. Le ramassage dans la ville s’effectua à l’aide de 95 tombereaux permettant le transport de 20 à 22 corps à la fois. Aucun traitement différentiel entre les victimes républicaines, vendéennes ou encore civiles n’est indiqué. En 1815, les fosses des Jacobins sont de nouveau mentionnées lors du projet de nivellement de l’avenue Paderborn (au nord de la place) dans le registre de délibérations du conseil municipal du Mans (séance du 21 novembre 1815) : des « cavités hideuses » auraient fait l’objet d’un réaménagement avec adjonction de chaux. En 1960 encore, de nombreux témoignages oraux évoquaient les ossements, affleurant dans l’allée bordant le nord de la place, communément nommée « allée des veuves » en souvenir des inhumations. Enfin, en 1982, des restes osseux sont découverts lors de la création de toilettes publiques au nord-ouest de la place.

6Au lendemain de ces violents combats, le nombre absolu de morts, mais aussi le contexte des combats ne permettent pas une gestion classique des inhumations. Un tel pic de mortalité en un temps court est généralement issu d’épisodes épidémiques, de catastrophes naturelles ou encore de conflits armés. Dans ces contextes, l’urgence conduit souvent à procéder à des inhumations multiples dans des fosses de grandes dimensions, de même qu’un seul lieu est généralement choisi pour les enfouissements. Des différences s’observent toutefois dans le traitement des cadavres en fonction des contextes de crises. Dans les situations de conflits armés, les corps sont principalement enterrés, voire abandonnés près ou sur les champs de bataille (Signoli, 2008) et parfois regroupés et inhumés ultérieurement dans des ossuaires (Rigeade, 2007 et 2008). Au Mans, ce ne sont pas les armées – ni les vainqueurs, ni encore moins les vaincus – qui vont gérer l’enlèvement des corps, mais les habitants abandonnés par les autorités municipales. On peut penser qu’ils ont agi sous la crainte d’une propagation de maladies liées à la putréfaction, peut-être augmentée par la réputation de cette armée décrite comme l’armée des gueux ou des pouilleux. À cela pourrait s’ajouter une volonté d’oublier l’événement au plus vite.

Les données archéologiques, analyses taphonomique et anthropologique

  • 2 Opération menée au quinconce des Jacobins en 2010 sous la direction de Pierre Chevet, Inrap.
  • 3 Programme de recherche moléculaire de pathogènes bactériens et analyse des sédiments pour étude ent (...)

7Neuf fosses contenant 159 corps ont fait l’objet d’une fouille exhaustive de mai à juillet 2010 [ill. 2]2. Les travaux d’analyse et de recherche pluridisciplinaires étant encore en cours, les résultats communiqués ici sont susceptibles d’être légèrement modifiés à l’issue des études3. Cependant, certains éléments permettent déjà de dégager des axes de réflexion. À considérer que les individus mis au jour sont exclusivement issus de l’Armée catholique et royale, les 159 sujets découverts représenteraient 5 à 7 % du total des victimes (entre 2 500 et 3 000 victimes intra muros, cf. supra). On ne peut cependant pas écarter l’hypothèse que de rares civils ou encore des républicains dépouillés aient été inhumés en même temps. Cependant, la proportion inégale des victimes des deux camps ainsi que la forte présence de femmes dans les fosses incitent à penser que ce lieu d’inhumation comporte une majorité de royalistes.

2. Localisation sur plan de la zone de concentration des charniers (en grisé, zone d’implantation de l’ancien théâtre municipal).

2. Localisation sur plan de la zone de concentration des charniers (en grisé, zone d’implantation de l’ancien théâtre municipal).

E. Cabot, P. Chevet, Inrap

8L’étude taphonomique témoigne de l’urgence des ensevelissements et de leur prise en charge par la population. Huit creusements sont de forme rectangulaire. Une unique fosse s’écarte de ce schéma par sa forme semi-circulaire [ill. 3]. Les tranchées rectangulaires sont de dimensions variables et mesurent pour la plus grande jusqu’à quatre mètres de longueur. Le nombre de corps déposés varie de 3 à 53 ; l’épaisseur du dépôt atteint un mètre pour la fosse la plus importante. Ces tranchées sont condamnées par de la chaux en couverture totale avec des épaisseurs atteignant æzz30 cm ou par des dépôts sporadiques témoignant d’un manque de matière première. Aucune trace de réintervention n’a été mise en évidence sur les restes osseux : on ne peut confirmer les recharges en chaux des « cavités hideuses » mentionnées dans les délibérations du conseil municipal de 1815. Les corps sont basculés du tombereau dans les fosses, par les côtés latéraux des tranchées. Ils apparaissent pêle-mêle, sur le dos, le ventre ou encore le côté, les membres enchevêtrés, dans la position de réception dans la fosse [ill. 4].

3. Vue des neufs corps inhumés dans la fosse semi-circulaire (fosse 1).

3. Vue des neufs corps inhumés dans la fosse semi-circulaire (fosse 1).

Les sujets sont déposés tête-bêche, le premier niveau sur le dos. Le second niveau, plus chaotique, montre des dispositions sur le côté et sur le ventre.

E. Cabot, Inrap

4. Relevé des 53 sujets inhumés dans le charnier 5 et du mobilier isolé lors de la fouille (balles de fusil, boutons, boulets biscaïens, mitraille…).

4. Relevé des 53 sujets inhumés dans le charnier 5 et du mobilier isolé lors de la fouille (balles de fusil, boutons, boulets biscaïens, mitraille…).

Les corps apparaissent pêle-mêle, dans la position de réception dans la fosse.

J. M. Richard, Inrap

9L’analyse du mobilier présent dans les tombes indique que les corps ne sont pas complètement dépouillés et dénudés [ill. 5]. En effet, des boutons civils, mais aussi militaires, ainsi que des objets personnels sont encore portés. Les boutons, généralement en bois ou en os, sont pour certains recouverts d’une fine capsule de métal témoignant de l’appartenance à un régiment militaire républicain (hussard, dragon, grenadier). Les rares exemplaires de boutons militaires ne correspondent jamais à un costume complet (vestes, culotte…) et sont probablement issus de récupérations sur des cadavres lors de la longue Virée de Galerne. Les boutons civils correspondent pour certains à des chemises ou encore des fermetures de culotte bouffante au niveau des mollets. Une boucle métallique, accompagnée d’un lambeau de cuir et surement associée à une botte ou des guêtres, était encore en position sur la cheville gauche d’un sujet du charnier 1. Les objets personnels sont rares et de faible valeur commerciale, ils témoignent soit de la vie quotidienne (couteau, petite monnaie, épingles), soit d’une appartenance religieuse (médaille, croix…). Les objets de prix ont probablement été récupérés mais sans systématisme. Des monnaies en argent (écus Louis XV) ou encore une croix dorée ont été retrouvées dans les fosses, elles avaient probablement été dissimulées dans les vêtements. La chaux versée directement sur les cadavres des niveaux supérieurs a parfois conservé l’empreinte de membres (une épaule, un genou…), mais aussi des traces de tissus dont la trame des fibres est encore lisible et permet d’infirmer l’hypothèse d’un dénudement complet des corps.

5.a. Boucle et reste de cuir, attache de botte ou de guêtre sur le tibia de l’individu 7, sujet masculin, charnier 1.

5.a. Boucle et reste de cuir, attache de botte ou de guêtre sur le tibia de l’individu 7, sujet masculin, charnier 1.

E. Cabot, Inrap

5.b. Boulet biscaïen retrouvé sous le fémur gauche du sujet 519, individu de sexe féminin, charnier 5.

5.b. Boulet biscaïen retrouvé sous le fémur gauche du sujet 519, individu de sexe féminin, charnier 5.

E. Cabot, Inrap

5.c. Série de boutons en verre de belle facture probablement associés à un manteau d’apparat porté par un sujet masculin (individu 309, charnier 3).

5.c. Série de boutons en verre de belle facture probablement associés à un manteau d’apparat porté par un sujet masculin (individu 309, charnier 3).

E. Cabot, Inrap

5.d. Bouton militaire, uniforme du 12e régiment de Dragons (charnier 10).

5.d. Bouton militaire, uniforme du 12e régiment de Dragons (charnier 10).

E. Cabot, Inrap

10L’unique fosse semi-circulaire, non condamnée par de la chaux, contient les dépouilles partiellement dénudées de neuf sujets disposés tête-bêche. D’aucuns ont cru voir dans cette différence de traitement funéraire une sépulture réservée aux soldats républicains qui auraient ainsi bénéficié d’une attention particulière malgré l’urgence des ensevelissements. Cette question de la différenciation des armées lors des inhumations est difficile, voire impossible à déterminer sur les restes osseux. Cependant, la présence d’une femme parmi ces neuf adultes infirme l’hypothèse d’un recrutement strictement militaire. Par ailleurs, des boutons représentant les corps d’armée républicains ont été retrouvés en faible nombre dans les fosses, mais aucun dans celle-ci.

  • 4 Données métriques É. Cabot et S. Parmentier UMR 7268 ; DSS effectuée par P. Murail, Consultance et (...)
  • 5 P. Balaresque et C. Thèves, AMIS, UMR 5288.

11La détermination sexuelle a été menée selon trois procédures : d’abord une analyse morphométrique à partir des os coxaux (DSP, Murail et al., 2005) complétée par une étude statistique à partir des mesures enregistrées sur le squelette post-crânien4 (DSS, Murail, 1996 ; Murail et al., 1999) puis une détermination du sexe moléculaire à partir de l’ADN fossile permettant notamment de sexer les jeunes adolescents5. Ainsi, plus de 90 % de l’échantillon a pu être sexé. On observe une représentation importante de femmes (1/3 de l’effectif) qui confirme les textes et leur description de cette armée, composée de jeunes hommes mais aussi de femmes. Les adultes sont jeunes, majoritairement âgés de moins de trente ans, peu d’entre eux portent de traces de sénescence (Schmitt, 2005). Pour les enfants (Scheuer, Black, 2000 ; Schaefer, Black, Scheuer, 2008), les données biologiques montrent une proportion d’immatures de 12,5 %, pour la plupart des adolescents socialement assimilables à de jeunes adultes ayant de fait pris part aux combats. Seuls deux enfants de moins de cinq ans ont été identifiés. Les jeunes enfants accompagnant l’armée « blanche » ne se retrouvent pas dans cet échantillon archéologique.

12On observe une discrimination sexuelle significative dans cinq fosses. Si, pour quatre charniers, les sujets des deux sexes sont représentés dans des proportions proches, pour les cinq autres, les hommes sont majoritaires dans trois fosses (charniers 5, 9 et 10) et les femmes dans deux (charniers 7 et 8) [ill. 6].

6. Vue des charniers 8 et 9 en cours de fouille.

6. Vue des charniers 8 et 9 en cours de fouille.

La fosse 8 (en haut) ne renferme que des sujets de sexe féminin (21 sujets), décédés pour la plupart des suites de coups portés à l’arme blanche (sabre majoritairement). La fosse 9 est exclusivement masculine (13 sujets) mais renferme toutefois un jeune enfant âgé de 3 à 5 ans. Les corps sont pour certains criblés de balles, et d’autres présentent des traumatismes liés à l’emploi d’arme blanche.

E. Cabot, Inrap

13Ces regroupements « sexués » dans les fosses ne semblent pas volontaires, mais reflètent plus probablement la dynamique du ramassage des corps, effectué par quartier urbain, révélant ainsi différentes phases de la bataille (combats rapprochés ici, embuscades ou charges de cavalerie là, canonnades et fuites ailleurs), ayant impliqué des populations distinctes. En effet, l’analyse de la représentation des projectiles retrouvés dans les fosses, la typologie des blessures par l’étude comparée de leur répartition et leur caractérisation (arme blanche/arme à feu, choc frontal/choc postérieur…), avec l’identification biologique (homme/femme, adulte/adolescent), même si elle reste trop incomplète à ce jour pour avancer des chiffres fiables, permettent toutefois de proposer cette hypothèse. La majorité des projectiles issus de fusils ou de pistolets de même que les boulets biscaïens ont été retrouvés dans les charniers 5 et 9 majoritairement masculins, ils sont accompagnés de nombreux éléments métalliques associés à de la mitraille. Dans certaines fosses (charnier 8 par exemple, majoritairement féminin) seules des traces de coups tranchants ont été notées, assénées sur le crâne ou les jambes, ces coups sont principalement portés d’en haut et par l’arrière. Ces différences, pressenties à l’étude, semblent indiquer deux aspects des combats : d’un côté, deux armées face à face et, de l’autre, une masse de non-combattants poursuivie lors de sa fuite hors les murs.

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Bibliographie

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Kléber J.-B., 2008, Mémoires politiques et militaires 1793-1794, (1re éd. 1907), Cholet, éd. Pays et Terroirs, 2 vol., 376 et 230 p.

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Notes

1 Pour exemple, la fouille de la tombe d’Alain-Fournier (Adam, 2006), les recherches conduites sur les lignes de front de la guerre 1914-1918 (Desfossés, Jacques, Prilaux, 2008), ou encore les travaux sur la retraite de Russie menés à Vilnius (Signoli et al., 2008).

2 Opération menée au quinconce des Jacobins en 2010 sous la direction de Pierre Chevet, Inrap.

3 Programme de recherche moléculaire de pathogènes bactériens et analyse des sédiments pour étude entomologique, caractérisation des pathologies dont la maladie « brigantine », Laboratoire AMIS UMR 5288 CNRS/UPS, Toulouse et University of Padova, Italie. Armement et historique, CESMA (comité d’experts scientifiques du Musée de l’Armée, Invalides), CVRH (Centre Vendéen de Recherches Historiques), Service Historique de la Défense, Musée de Vincennes. Études biologiques, Université Aix-Marseille, UMR 7268, ADES, Université Paris Descartes, Faculté de Chirurgie Dentaire.

4 Données métriques É. Cabot et S. Parmentier UMR 7268 ; DSS effectuée par P. Murail, Consultance et Expertise en Anthropologie Biologique.

5 P. Balaresque et C. Thèves, AMIS, UMR 5288.

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Table des illustrations

Titre 1.a. Des effectifs considérables sont mobilisés dans de véritables batailles rangées et, pendant le printemps 1793, les succès militaires de l’Armée catholique et royale s’enchaînent.
Légende Ces premières victoires sont rendues possibles par la soudaineté du mouvement populaire mais aussi par le manque de réaction des autorités républicaines face à ce qui s’avère plus important qu’un mouvement éphémère. L’échec devant Nantes le 29 juin marque le déclin du soulèvement, cruellement mis à mal par l’armée de Mayence devant Cholet le 17 octobre.
Crédits http://guerredevendee.canalblog.com/​archives/​2010/​08/​28/​18910312.html. DAO F. Lauga
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-1.png
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Titre 1.b. La défaite de Cholet marque le début d’une longue errance de l’Armée catholique et royale, qui ne compte plus que 60 à 80 000 personnes dont une majorité de non-combattants (femmes, enfants, vieillards).
Légende Ils sont placés sous le commandement de La Rochejacquelein, jeune généralissime de 21 ans, et décident de repasser la Loire afin de chercher du soutien auprès des Anglais. Cette expédition, nommée Virée de Galerne, doit son nom au vent dominant soufflant du nord-ouest. La remontée au nord se solde par l’échec devant Granville les 14 et 15 novembre. La défaite de Savenay clôture définitivement cette expédition.
Crédits http://fr.wikipedia.org/​wiki/​Vir%C3%A9e_de_Galerne. DAO F. Lauga
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-2.png
Fichier image/png, 108k
Titre 2. Localisation sur plan de la zone de concentration des charniers (en grisé, zone d’implantation de l’ancien théâtre municipal).
Crédits E. Cabot, P. Chevet, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-3.png
Fichier image/png, 32k
Titre 3. Vue des neufs corps inhumés dans la fosse semi-circulaire (fosse 1).
Légende Les sujets sont déposés tête-bêche, le premier niveau sur le dos. Le second niveau, plus chaotique, montre des dispositions sur le côté et sur le ventre.
Crédits E. Cabot, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 484k
Titre 4. Relevé des 53 sujets inhumés dans le charnier 5 et du mobilier isolé lors de la fouille (balles de fusil, boutons, boulets biscaïens, mitraille…).
Légende Les corps apparaissent pêle-mêle, dans la position de réception dans la fosse.
Crédits J. M. Richard, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-5.png
Fichier image/png, 925k
Titre 5.a. Boucle et reste de cuir, attache de botte ou de guêtre sur le tibia de l’individu 7, sujet masculin, charnier 1.
Crédits E. Cabot, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 440k
Titre 5.b. Boulet biscaïen retrouvé sous le fémur gauche du sujet 519, individu de sexe féminin, charnier 5.
Crédits E. Cabot, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 356k
Titre 5.c. Série de boutons en verre de belle facture probablement associés à un manteau d’apparat porté par un sujet masculin (individu 309, charnier 3).
Crédits E. Cabot, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 400k
Titre 5.d. Bouton militaire, uniforme du 12e régiment de Dragons (charnier 10).
Crédits E. Cabot, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 472k
Titre 6. Vue des charniers 8 et 9 en cours de fouille.
Légende La fosse 8 (en haut) ne renferme que des sujets de sexe féminin (21 sujets), décédés pour la plupart des suites de coups portés à l’arme blanche (sabre majoritairement). La fosse 9 est exclusivement masculine (13 sujets) mais renferme toutefois un jeune enfant âgé de 3 à 5 ans. Les corps sont pour certains criblés de balles, et d’autres présentent des traumatismes liés à l’emploi d’arme blanche.
Crédits E. Cabot, Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/540/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 566k
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Pour citer cet article

Référence papier

Élodie Cabot, « Les victimes de la bataille du Mans (12-13 décembre 1793). Apports archéo-anthropologiques »Archéopages, 39 | 2014, 32-39.

Référence électronique

Élodie Cabot, « Les victimes de la bataille du Mans (12-13 décembre 1793). Apports archéo-anthropologiques »Archéopages [En ligne], 39 | 2013-2014 [2014], mis en ligne le 01 janvier 2016, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/540 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.540

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Auteur

Élodie Cabot

Inrap, UMR 7268-ADéS-Anthropologie bio-culturelle, Droit, Éthique & Santé

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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