1Ces dix dernières années, les connaissances relatives au Chasséen de la partie occidentale de l’Hérault ont considérablement évolué grâce à plusieurs fouilles archéologiques majeures opérées par des équipes de l’Inrap. À l’échelle régionale, les découvertes réalisées dans le cadre de ces fouilles préventives prennent toute leur importance, puisqu’elles viennent combler un déficit de documentation archéologique relatif à l’évolution typochronologique des productions céramiques du Chasséen méridional dans les bassins de l’Orb et de l’Hérault [Fig.1].
[Fig.1] Carte de localisation des principaux sites chasséens fouillés dans l’Ouest de l’Hérault au cours de la dernière décennie.
DAO F. Vinolas, Inrap
- 1 Fouille dirigée par G. Loison (Loison et al., 2004).
2La fouille du site du Crès (Béziers), achevée en 20011, avait marqué un tournant dans la recherche sur le Chasséen méridional, ce site ayant livré, à lui seul, davantage de sépultures du début du Néolithique moyen que l’ensemble des occupations connues jusque-là dans tout le Sud de la France. La présence d’un espace funéraire à part entière, situé à proximité directe d’un habitat, représentait un fait nouveau et d’importance pour les préhistoriens. Le site du Crès a également livré d’abondants vestiges mobiliers qui constituaient, au moment de leur découverte, un premier jalon pour la connaissance des productions domestiques du Chasséen ancien de la zone biterroise jusque-là fort mal connue.
- 2 Fouille dirigée par G. Loison (Loison et al., 2011).
- 3 Fouille dirigée par G. Loison (Loison et al., 2011).
3Quelques années plus tard, à la faveur des travaux d’aménagement de l’Autoroute A75 entre Béziers et Pézenas, plusieurs découvertes conséquentes sont venues compléter cette séquence chronologique. Le site du Pirou à Valros, fouillé entre octobre 2006 et juillet 20072, a livré les vestiges d’une occupation du Chasséen ancien (4500-4100 av. notre ère) qui témoignent de la présence d’un habitat intégrant le fait funéraire, bien que dans une proportion moindre qu’au Crès. Sur les 160 structures chasséennes reconnues, sept contenaient une sépulture et une dizaine ont livré le dépôt d’un chien inhumé selon des modalités très proches de celles observées pour les êtres humains [Fig.2]. Le site a également livré un mobilier abondant et très homogène qui permet, notamment, de caractériser les plus anciennes productions céramiques chasséennes connues dans ce secteur. La série céramique du Pirou est, quantitativement, la plus importante actuellement connue pour le Chasséen ancien de cette zone géographique. À quelques kilomètres à peine, sur la commune de Tourbes, une petite occupation (Montferrier 2) a livré une vingtaine de fosses également rattachées au Chasséen ancien3. La petite série céramique découverte sur ce site présente de nombreuses affinités avec celle du Crès et permet, mise en regard de la série du Pirou, de percevoir une évolution au sein des productions du Chasséen ancien de la zone piscénoise.
[Fig.2] Sépulture du Chasséen ancien du Pirou (Béziers).
Cliché R. Haurillon, Inrap
- 4 Fouille dirigée par H. Vergély et R. Haurillon (Loison et al., 2011).
4En 2008, les dernières fouilles réalisées dans le cadre de l’A75, au Barreau de la Devèze-Sud à Béziers4, sont à l’origine de la découverte de plusieurs occupations chasséennes, dont les principales se rapportent aux phases classique et récente de cette culture, documentées pour la première fois de façon conséquente à l’ouest de l’Hérault. Ce site est remarquable, notamment par l’abondance des vestiges récoltés au sein d’un nombre limité d’aménagements domestiques qui témoignent de plusieurs occupations successives [Fig.3]. Il a également livré une sépulture tout à fait exceptionnelle pour la période chasséenne [cf. encadré p 95]. À l’issue de ces découvertes, il est possible de proposer une première synthèse de l’évolution typochronologique des productions céramiques du Chasséen méridional héraultais, au sein d’une zone située entre les fleuves Hérault et Orb [Fig.4].
[Fig.3] Assemblage céramique du Silo 2002, du Barreau de la Dévèze-Sud (Béziers).
H. Vergély, Inrap
[Fig.4] Vue synoptique de l’évolution des productions céramiques chasséennes entre Hérault et Orb.
M. Gandelin, H. Vergély, Inrap
5La série de mobilier céramique issue des fouilles du Pirou constitue un ensemble quantitativement important : 12 500 tessons, soit 120 kg de céramique, qui ont permis d’individualiser 180 vases et plus d’un millier de fragments isolés présentant une spécificité typologique (bords, éléments de préhension, décors isolés). La série du Crès représente plus de 6 000 tessons, soit plus de 80 kg de mobilier, parmi lesquels 80 formes individualisables et 694 fragments typiques ont été étudiés par G. Jédikian (2004).
6Considérées dans leur ensemble, les productions céramiques du début du Chasséen présentent presque exclusivement des profils continus. Les formes segmentées sont absentes ou très rares, à l’exception des assiettes à marli bien différencié et des coupes à socle. Les coupes en calotte sont bien attestées, elles représentent plus du tiers des formes individualisables au Pirou. Elles sont exclusivement sans sillon, parfois ornées d’un bouton. De rares exemplaires (un est attesté au Crès, un autre au Pirou) sont dotés d’anses en ruban diamétralement opposées. Les formes globuleuses profondes dominent largement le corpus des deux sites. Les vases les plus petits présentent fréquemment un profil galbé. Les modes de suspension associés sont, le plus souvent, constitués de barrettes ou de cordons multiforés placés dans la partie supérieure des vases. Il semble que la localisation de ces cordons directement sur la lèvre, fréquente au Crès et à Montferrier 2, et absente sur le site du Pirou, certainement plus ancien, constitue une évolution du type. Sur les vases de moyen et grand volume, la quasi-totalité des préhensions est assurée par des anses en ruban, parfois funiculaires et, plus rarement, par des anses en boudin. Les languettes et tétons de préhension sont totalement absents. Des bandeaux ou des épaississements viennent parfois renforcer les bords extérieurs des vases globuleux. Des plaquettes au faible relief, larges et perforées horizontalement, ornent parfois le maximum des panses des vases à fond surbaissé et parois convergentes, dont la morphologie et la taille annoncent les formes carénées qui apparaîtront plus tard. On retrouve aussi ce type d’applique sur le bas des panses de formes à parois divergentes au Crès.
7La famille des vases à col occupe toujours moins de 5 % des assemblages. Elle n’est documentée que par des exemplaires à col court et mal différencié de la panse. Les coupes à socle sont circulaires, d’un diamètre généralement compris entre 10 et 15 cm et d’une hauteur toujours supérieure à la moitié du diamètre au bord. Leur profil est droit, ou plus ou moins concave. Elles sont fréquemment décorées sur le pied et sur le marli par des motifs incisés organisés en réseaux géométriques plus ou moins réguliers. Les louches à poignée plate, parfois relevée, sont fréquentes. Les décors, rares, se concentrent sur les marlis des assiettes et les parois des coupes à socle. Il s’agit essentiellement de motifs en sillons ou en micro-sillons figurant des triangles hachurés, des chevrons et plus rarement des damiers intégrés à des cloisonnements triangulaires, un motif en échelle et de possibles fragments de décors cannelés « en guirlande » sont également attestés au Pirou [Fig.5]. Au Crès, un vase à carène très haute et anse tunelliforme verticale témoigne clairement d’une influence ou d’une relation avec le groupe culturel Montbolo, toutefois cette affinité est absente au Pirou.
[Fig.5] Principaux décors du Chasséen ancien du Pirou (Valros).
M. Gandelin, Inrap
8La légère diachronie qui existe entre les séries du Crès, datée entre 4 350 à 4 000 av. notre ère, et du Pirou, datée entre 4 450 et 4 050 (mais probablement antérieure à 4200 av. notre ère), permet d’ores et déjà de percevoir une évolution au sein des productions du Chasséen ancien avec notamment une première phase qui se distinguerait de la suivante par l’absence totale des carènes anguleuses et des cordons multiforés disposés directement sur la lèvre des vases, ainsi que par un galbe plus systématique des profils. Toutefois, les similitudes entre les deux séries restent très nombreuses et témoignent d’une évolution relativement lente des formes et des décors entre 4 500 et 4 100 av. notre ère.
9Les convergences entre les séries du Chasséen ancien héraultais et du faciès audois, principalement documenté par le style des Plots à Berriac, sont très fortes, bien que des affinités existent également avec les productions héraultaises plus orientales (Vaquer, 1991 ; Georjon, 2003).
10La phase médiane du Chasséen dite « classique », bien définie dans l’Aude et le Toulousain, n’est pas toujours individualisée au sein des productions plus orientales, pour lesquelles une bipartition ancienne/récente est le plus souvent proposée. Pourtant, le corpus du Barreau de la Devèze-Sud, qui associe des séries biens documentées issues d’ensembles clos et des dates 14C fiables, autorise clairement la distinction de deux phases successives, postérieures au Chasséen ancien, sur le modèle actuellement en vigueur dans les Chasséens garonnais et audois. Par définition, la phase médiane du Chasséen comporte de nombreux éléments communs, d’une part, à la phase ancienne et, d’autre part, à la phase récente.
11Traditionnellement distinguée de la phase ancienne par la présence de coupes à sillon périphérique interne, le Chasséen classique en conserve toutefois la plupart des morphotypes : anses en ruban, formes galbées, éléments horizontaux perforés verticalement… Cependant, la proportion de ces éléments, concurrencés par de nouvelles formes, tend fortement à diminuer. Certains types voient également leur proportion augmenter de façon très significative au sein des assemblages. Ainsi, les formes segmentées, notamment les carènes vives, très rares dans la phase précédente, y sont très bien représentées au détriment des vases à profil galbé et à carène douce dont la proportion devient anecdotique. Les languettes et mamelons de préhension font leur apparition sur les vases de moyens et gros volumes, et concurrencent fortement les anses en ruban qui restent toutefois fréquentes. Les vases à col, nettement plus présents que durant le Chasséen ancien, adoptent plus souvent des raccords col-panse anguleux. Traditionnellement, dans l’Aude et le Toulousain notamment, les décors sont bien plus fréquents durant cette phase que durant les deux autres. Cette période « classique » est calée chronologiquement à la charnière des ve et ive millénaires, entre environ 4 100 et 3 850 av. notre ère.
12Au Barreau de la Devèze-Sud, huit fosses, dont quatre, riches en mobilier, qui ont fait l’objet d’une datation radiocarbone, s’y rattachent. Les datations 14C réalisées permettent de caler cette période d’occupation du site entre 4075 et 3950 av. notre ère. Au stade actuel des connaissances, cette série constitue le corpus le mieux documenté relatif au Chasséen classique dans la zone biterroise. Sa qualité réside notamment dans la présence de deux assemblages, homogènes et très conséquents, issus de deux fosses qui ont livré, chacune, plus d’un millier de tessons dont une soixantaine d’éléments typiques, parmi lesquels un nombre important de vases restituables. La plupart des formes spécifiques du Chasséen ancien sont ici quasiment absentes, toutefois, quelques éléments comme les anses en ruban perdurent. Ces dernières sont néanmoins concurrencées par les préhensions simples, tétons et languettes, parfois perforées et généralement disposées sur le haut des vases de moyen et grand volume. Les carènes anguleuses sont nombreuses et les vases à col segmenté sont présents bien qu’en faible proportion. Telle qu’elle apparait au Barreau de la Devèze-Sud, la phase médiane du Chasséen de la basse vallée de l’Hérault présente de nombreux critères communs avec les séries « classiques » de l’Aude et du Toulousain. Si l’on considère les quatre grandes familles de vases, on observe un assemblage largement dominé par les écuelles carénées, les coupes venant en seconde position, suivies par les vases à col et les globuleux en quantité voisine. Évidemment, cette répartition est partiellement induite par la fragmentation, qui favorise les formes segmentées (écuelles carénées, cols anguleux) qui se multiplient à l’approche du ive millénaire. Toutefois, si l’on met ces données en parallèle avec celles issues de plusieurs grands ensembles chasséens méridionaux bien documentés et bien datés, il apparait que la série du Barreau de la Devèze-Sud s’inscrit parfaitement dans le schéma observé par ailleurs [Fig.6]. Cette projection rapide, nonobstant des données relativement disparates provenant de sites parfois éloignés, montre bien que, de façon globale, la série du Barreau de la Devèze-Sud présente les mêmes caractéristiques générales que les autres ensembles du Chasséen classique de l’Aude et du Toulousain. Des parallèles nombreux existent également avec les séries plus orientales appartenant au même horizon chronologique. On note toutefois, comme plutôt caractéristique de la série biterroise, la rareté des décors et la monotonie des systèmes de suspension ou encore la taille relativement importante de certains vases à col et de certaines écuelles carénées dont le diamètre au bord peut dépasser les 40 cm.
[Fig.6] Graphique en étoile rendant compte de l’évolution de la proportion des principales familles de récipients au sein de huit ensembles du Chasséen méridional.
M. Gandelin, Inrap
13Le Chasséen récent était jusqu’à présent inconnu ou très mal défini dans la zone biterroise. La série du Barreau de la Devèze-Sud, rattachée à cette période malgré un effectif relativement faible, constitue donc un apport conséquent pour la définition et la connaissance de l’évolution régionale du Chasséen de la basse vallée de l’Hérault. Dans le Toulousain et dans l’Aude, où cette phase est bien définie, le Chasséen récent se caractérise principalement par la proportion importante de formes segmentées (carènes anguleuses, cols bien différenciés des panses), la variété des types de raccords cols/panses avec les « pseudo-cols » et les « micro-épaulements » bien représentés, la présence d’écuelles carénées à épaulement, parfois dotées d’une unique anse rubanée, la fréquence de préhensions simples, la rareté des décors ainsi que celle des anses en ruban.
- 5 Erl-15774 = 4921±60 BP soit 3805-3633 avant notre ère.
14Au Barreau de la Devèze-Sud, une fosse datée entre 3 932 et 3 538 av. notre ère, avec un maximum de probabilité entre 3800 et 36335, se rattache clairement à cette occupation et au moins deux autres aménagements présentent un ou plusieurs éléments qui autorisent un rattachement au Chasséen récent. Au sein de cette petite série, on retrouve notamment, parmi les critères retenus comme caractéristiques du Chasséen récent dans l’Aude et le Toulousain : l’existence d’écuelle à épaulement ; la proportion importante des formes segmentées, et notamment de carènes anguleuses et de cols bien différenciés des panses ; la variété importante des types de raccords cols/panses sur les vases à col avec les « micro-corniches » bien représentées ; la fréquence des languettes et tétons et la rareté des anses. Comme plus spécifique à cette production héraultaise, on retiendra, comme pour la phase précédente, l’existence de vases à col et d’écuelles de grand volume et l’absence de décor. On soulignera également la présence de deux vases à profil continu dotés de préhensions simples disposées au quadrant, et non diamétralement opposées, comme c’est le plus souvent le cas. Sur un exemplaire, on observe une alternance de tétons et de languette. Cette organisation se retrouve, au Barreau de la Devèze-Sud, uniquement dans des fosses que nous attribuons, sur d’autres critères, au Chasséen récent. Aussi, lorsque l’on connait le succès que connaîtrons, au Néolithique final (Vérazien), les alignements et les alternances de préhensions simples, on peut s’interroger sur une éventuelle paternité du type qui serait ici mise en évidence.
15Les fouilles réalisées ces dix dernières années ont donc considérablement fait évoluer les connaissances relatives aux productions céramiques chasséennes de l’Ouest de l’Hérault. En chronologie relative, ces productions constituent, à l’heure actuelle, le meilleur élément de datation des occupations du Néolithique moyen 2 découvertes dans cette zone. Replacées dans le contexte plus large du Chasséen méridional, ces séries viennent compléter ou affiner les séquences définies par ailleurs et s’insèrent parfaitement dans le schéma global du Chasséen méridional, bien qu’elles ne soient pas exemptes de spécificités locales.