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1. Évolution des disciplines

Anthropologie biologique et archéologie : regards croisés ?

Bioarchaeology and archaeology: shared perspectives?
Antropología biológica y arqueología: ¿enfoques cruzados?
Hervé Guy et Anne Richier
p. 25-29

Résumés

L’anthropologie physique est devenue anthropologie biologique à la faveur d’une histoire chaotique. Durant le années 1970-1980, la discipline connaît un profond renouvellement de ses problématiques. Celles-ci s’imposeront à la faveur d’une formation universitaire très orientée « terrain » et grâce au développement de l’archéologie préventive. Aujourd’hui, l’anthropologie biologique est une discipline très largement reconnue et développée au sein de l’Inrap. L’archéothanatologie, dernière-née dans ce cheminement disciplinaire, naturalise l’anthropologie biologique au contact d’une discipline des sciences humaines et sociales, l’archéologie. Pourra-t-elle survivre aux derniers découpages disciplinaires entrepris par le CNRS ?

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Texte intégral

1Les disciplines scientifiques ont de tout temps puisé dans les appareils conceptuels et méthodologiques, ainsi que dans les fondements heuristiques de leurs voisines. En conséquence, elles s’enrichissent mutuellement à travers ce qu’il est communément nommé la pluridisciplinarité ou la transversalité. Il apparaît nécessaire, pour bien mesurer les liens entre anthropologie et archéologie, d’opérer un bref retour sur l’histoire de la discipline.

Historiographie disciplinaire

  • 1 En référence au terme « anthropologie physique ».

2L’anthropologie biologique trouve son acception moderne vers le milieu du xixe siècle, sous l’impulsion de Paul Broca et d’Armand de Quatrefages, alors que Darwin vient de publier son monumental De l’origine des espèces et que son cousin Galton élabore ses théories eugénistes. Lorsque la Société d’Anthropologie est créée, elle inscrit dans ses statuts « l’étude des races humaines », recherche que l’on retrouve sous la mention « zoologie » dans les comptes rendus de l’Académie des sciences (Blanckaert, Ducros, Hublin, 1989). C’est dans ce contexte intellectuel que l’anthropologie se veut une science de l’histoire naturelle de l’homme. Ayant du mal à rompre avec la méthode classificatrice héritée de Linné et de Buffon, et s’insérant dans un contexte géopolitique dominé par l’expansion du monde western et la constitution des grands empires coloniaux, l’anthropologie biologique (« physique », dit-on à cette époque) accouchera de théories racistes et sociologiques, très vite utilisées par le discours politique. La Shoah, à cet égard, restera l’exemplaire et morbide avatar de cette conception hiérarchisée de l’homme. L’anthropologie, en tant que science naturelle, ainsi dominée par l’appareil conceptuel des « physiciens »1 peinera, aux lendemains de la seconde guerre mondiale, à se remettre de ses errements raciaux.

  • 2 « Les populations humaines ne sont plus les spécimens blancs, noirs, jaunes, rouges des tiroirs de (...)

3Parallèlement, l’émergence de la théorie synthétique de l’évolution porte un coup fatal à la thèse de la discontinuité évolutive (spéciation/adaptation) pour lui substituer celle de la continuité (pression/mutation). Dès lors, l’humanité n’est plus considérée comme un catalogue de races hiérarchisées, mais comme un continuum dont on passerait d’un extrême à l’autre par toute la gamme des différences2. L’humanité d’aujourd’hui ne serait qu’une et indivisible, sa variabilité constituerait sa richesse. Dans le même temps, la sociologie et l’ethnologie insistent sur l’aspect multiforme de la culture. Stocking (1988) croit alors déceler dans cette opposition nature/cultures une tension dialectique propre à la pensée occidentale où l’homme est singulier tandis que la culture se pense au pluriel.

  • 3 Il faut rendre hommage à André Leroi-Gourhan qui, dans une de ses vies académiques, s’intéressera a (...)

4Chemin faisant, l’anthropologie biologique prendra une trajectoire plus holistique en entretenant des liens forts avec l’écologie, l’histoire, la sociologie, la médecine et, bien entendu, l’archéologie. Néanmoins, jusque vers la fin des années 1970, l’école française d’anthropologie restera comme pétrifiée du fait de ses orientations passées et les hommes de l’art demeureront cantonnés dans leurs laboratoires, du moins ceux travaillant sur les populations du passé. Cette assertion requiert néanmoins quelques nuances, les méthodes de fouille empruntées à la palethnologie de Leroi-Gourhan étant mises en œuvre au cours des années 1960, dans le cadre de gisements funéraires : aux Mournouards (Leroi-Gourhan et al., 1962), à Marolles-sur-Seine (Masset et al., 1967) ou à La Chaussée-Tirancourt (Masset, 1971 ; Leclerc, Masset, 1980). Les fouilleurs s’attacheront à la reconnaissance des phénomènes taphonomiques des cadavres et à la restitution des gestes funéraires, n’hésitant pas, dans certains cas à s’essayer, déjà, aux diagnoses biologiques essentielles in situ3.

Quand l’anthropologie gagne du terrain

  • 4 La création du GDR 742 du CNRS par Henri Duday et Claude Masset restera certainement un événement i (...)
  • 5 L’anthropologie biologique déserte ce champ dans l’après seconde guerre mondiale. Quelques esprits (...)

5Au tournant des années 1970-1980, l’anthropologie, ou plutôt « l’anthropologie funéraire », va prendre un nouvel essor sous l’effet conjugué de trois événements : un renouvellement profond des problématiques disciplinaires4 qui traiteront aussi bien des idéologies funéraires (LA mort) que des populations anciennes (LES morts), la mise en place d’un enseignement académique ouvert, voire même orienté vers le terrain et l’émergence de l’archéologie préventive. On insistera ici sur le renouvellement des problématiques : alors que l’ostéométrie se voit reléguée au rang des méthodes peu fréquentables, la génétique (à travers l’étude des caractères discrets et, aujourd’hui, l’ADN), la paléoépidémiologie et la paléodémographie sont des approches censées répondre à la problématique générique dite du « recrutement funéraire » (Masset, 1986). Celle-ci se fonde toutefois sur un présupposé, somme toute assez trivial, supposant que le monde des morts est le reflet du monde des vivants. Du coup, les questionnements relatifs aux mouvements migratoires5 réinvestissent les problématiques archéologiques, à travers les échanges et la diffusion de la culture matérielle, alors que ceux traitant du fait social sont pris en charge par les bioanthropologues ! C’est là une ironique inversion des rôles.

6Les méthodes et problématiques enseignées à l’université allaient enfin, pensait-on, grâce à la multiplication des occurrences et à l’accumulation des individus (au sens statistique), pouvoir être soumises à l’épreuve de la validation. Aussi, c’est très naturellement que, dès 1990, cet espoir est palpable au colloque de Bordeaux « Anthropologie et archéologie : dialogues sur les ensembles funéraires » (Crubézy et al., 1990). Celui-ci traitera de ce « qu’il est maintenant convenu d’appeler « l’anthropologie de terrain », sous-entendant qu’auparavant il n’y en aurait pas eu, du moins sous une forme aussi théorisée (Duday et al., 1990). Replongeons-nous dans le contexte de l’époque : la nécessité de fouiller plusieurs grands ensembles funéraires a éveillé les appétits méthodologiques et cognitivistes de quelques-uns. Ce colloque a donné l’occasion de jeter les bases d’une approche ostéoarchéologique systématique. Dans tout les cas, le climat intellectuel était favorable à l’émergence d’une « sous-discipline » à travers une vision émique du cadavre et de ses restes, inspirée de l’épistémologie de Louis-Vincent Thomas (Brohm, 2010).

7Ce n’est qu’en 2003 que le CNRA prendra acte des apports de l’anthropologie à travers un avis sur « l’archéologie funéraire ». Les alinéas 1, 2 et 5 sont ainsi rédigés :

81. « Cette archéologie a connu un grand développement au cours de ces dernières années ce dont le CNRA se félicite. Cet essor, sous-tendu par des actions régulières de formation à destination de la communauté archéologique, est lié à l’archéologie préventive mais aussi à une recherche programmée, théorique et de terrain, qui a permis l’élaboration de protocoles d’une grande précision et efficacité. […] ».

92. « […] Une sépulture est un ensemble complexe qui ne prend du sens que si tous ses éléments constitutifs sont traités avec la même attention. Une nécropole n’est pas une simple addition de tombes, mais un espace funéraire qui doit être perçu dans ses dimensions topographiques et sociales.

10Le travail archéologique doit être conduit par des chercheurs ayant reçu une formation spécifique. La fouille doit associer les compétences de l’archéologue et celle de l’anthropologue : elle relève toutefois prioritairement d’une démarche archéologique, même si l’approche biologique doit utilement venir en complément ».

115. « Le CNRA tient enfin à souligner que le temps n’est plus où la fouille d’une tombe n’était que la récupération des mobiliers, au mépris de la déposition elle-même. Il souhaite que les présentations au public portent témoignage de ce changement de perspective. Il veut aussi rappeler que la fouille en milieu funéraire est la seule manière de traiter avec dignité les dépositions : la science et l’éthique ont de ce point de vue les mêmes exigences ».

  • 6 L’implication grandissante des anthropologues conduira ceux-ci à diriger les opérations de fouilles (...)
  • 7 Dans ce domaine on ne saurait oublier de mentionner le rôle capital qu’ont joué Henri Duday et Patr (...)
  • 8 Mark Guillon sur le site de Provins, Isabelle Legoff sur les sépultures à crémation, Anne Richier e (...)

12Toujours est-il qu’à la charnière des années 1980 et 1990, les besoins de l’archéologie préventive, d’une part, l’offre intellectuelle renouvelée de la discipline anthropologique, d’autre part, et enfin la formation universitaire de chercheurs à double casquette (archéologique et anthropologique) ouvrent une ère nouvelle : de nombreux grands ensembles funéraires (Serris, Chartres, Saint-Leu, Tournedos…) sont fouillés presque exhaustivement avec la collaboration d’anthropologues. Ceux-ci vont mettre en place des protocoles répondant aux exigences disciplinaires et aux contraintes de temps inhérentes à l’archéologie préventive. Des ensembles vastes ou complexes comme une sépulture collective, un charnier de la peste, une nécropole de mille tombes et plus, un bûcher, seront ainsi fouillés rapidement et sans complexe grâce à des méthodes d’enregistrement adaptées (Guillon, 1990 ; Guy, Blaizot, 1992 ; Billand et al., 1995 ; Guillot, Guy, 1996 ; Richier, 2011 ; Staniaszek, 1996). À compter de cette époque, il n’est plus envisageable d’exhumer des squelettes humains sans les impliquer dans les stratégies de fouilles6. Dans le même temps, alors que l’université poursuit ses efforts de formation, le CNRS et le ministère de la culture s’associent pour renforcer le développement de la discipline7, et les chercheurs de l’Inrap en viennent eux-mêmes à proposer des stages pratiques8. À ce jour, force est de constater que l’archéothanatologie (héritière de l’anthropologie funéraire) peut se prévaloir d’une masse critique conséquente et assise sur les expériences et savoirs de nombreux chercheurs nourris des découvertes de l’archéologie préventive.

Comment faire du neuf avec de l’ancien ?

13L’accroissement des découvertes de gisements funéraires, grâce à l’archéologie préventive, a permis d’appréhender une multitude de sites, élargissant significativement notre regard à l’échelle d’un territoire, selon une démarche chronologique, culturelle ou transversale. Concomitamment à la multiplication des découvertes, la bioanthropologie a évolué dans ses méthodes, allant même jusqu’à remettre en cause certaines hypothèses de travail, comme celles abordant les regroupements familiaux ou la représentativité des échantillons en paléodémographie. Les différentes séries ostéologiques accessibles par les découvertes archéologiques ne sont en effet que rarement complètes du fait de problèmes de conservation de la matière osseuse, de destructions ultérieures, de limites d’emprise de fouille pour les opérations préventives et enfin la question centrale des éventuelles tris sociaux qui ont présidé à la constitution de l’ensemble funéraire.

  • 9 On doit le terme « archéothanatologie » à Bruno Boulestin et Henri Duday (Boulestin, Duday, 2005). (...)

14Ces biais ont poussé de nombreux chercheurs à interroger la représentativité de l’échantillon en préalable à toute étude de population, celle-ci influant directement sur l’analyse et l’interprétation. Ainsi par exemple, le questionnement principal du paléodémographe face à des effectifs statistiquement représentatifs est de savoir s’ils reflètent ou non la population originelle9. Dans ce domaine, la réflexion doit se nourrir de la fouille et de l’étude de grandes séries à l’échelle, séquentielle, d’un site comme à celle, macroscopique, d’un territoire. L’apport des fouilles préventives est ici capital. Car, dans ce registre, les grands ensembles funéraires ont, par exemple, très tôt mis en évidence des anomalies démographiques, notamment pour les classes d’âges des plus jeunes (Bocquet, Masset, 1982 ; Guy, 1995 ; Guy et al., 1997 ; Sellier, 1996). De même, la multiplication des découvertes de sépultures dites « de catastrophe », parce qu’elles sont une sorte d’instantané de la structure démographique d’une population, ont apporté un regard sans doute dépourvu des principaux biais d’échantillon inhérents à un cimetière historique (voire préhistorique). Dans ces contextes particuliers d’urgence d’enfouissement des corps liés à des nécessités sanitaires (épidémies, massacres), l’échantillon sera moins dépendant d’un tri social, et donc plus proche d’une réalité naturelle (Signoli et al., 1998). Il y a là des potentialités pour construire des référentiels, en complément de ce que les paléodémographes appellent des « tables-types ».

  • 10 Claude Masset (Masset, 1971) fut le premier à s’interroger sur les écueils de la paléodémographie. (...)

15Concernant les fameux « caractères discrets », anomalies génétiques ou épigénétiques, ils sont censés rendre compte, après analyse de leurs distributions, d’éventuels regroupements familiaux10. Or, la parenté est, on le sait, essentiellement dépendante du lien social plutôt que des lois de la génétique. Il est donc légitime de se demander à quoi peut mener ce type de recherche, particulièrement dans le cas de sociétés dont on n’a pas de sources écrites pour nous aider à décrypter les principes de parenté qui les régissent. L’on peut dès lors se réjouir que les travaux de Gemmerich (1999) aient coupé court à ce type d’interrogation. À partir d’un matériel ostéologique récent et bien documenté, elle a pu montrer que, si les caractères discrets ne pouvaient pas nous aider à résoudre nos questionnements relatifs aux regroupements familiaux, leur étude prenait en revanche du sens lorsqu’on s’interrogeait sur les distributions de population à une échelle régionale. Autant dire ici que, si cette thèse eut un succès d’estime dans le monde des bioanthropologistes, elle n’eut que peu d’écho au sein de la communauté archéologique « appâtée » par la problématique des regroupements familiaux.

  • 11 Thèse d’Éric Crubézy sur Missiminia, qui donna à la communauté anthropologique de grands espoirs.

16A contrario, des pistes ouvertes dans les années 1980, comme la paléoépidémiologie11 (Zammit, 1990) ont permis de réelles avancées dans notre savoir biologique, social et culturel des populations anciennes (Vidal, 2003). Dans le domaine de l’archéologie préventive, si aucune synthèse n’a, à ce jour, été produite, la plupart des rapports rendent compte de la dimension sanitaire à l’échelle des sites concernés. Pour exemple, une très récente étude faite sur une population civile d’époque moderne (sise sur la commune de La Ciotat) a montré une péjoration des conditions de vie entre le xvie et le xixe siècle (Lisfranc, Rigeade, 2011), mettant en évidence une paupérisation de la commune après une longue période de prospérité. D’autres outils, comme l’ADN ou les isotopes, sont en développement mais le coût de ces analyses se heurte aux modalités de financement de l’archéologie préventive. À de rares exceptions, seule la recherche fondamentale se trouve pour l’instant en capacité d’explorer ces voies nouvelles. S’il est légitime de considérer la bioanthropologie comme une discipline incontournable en archéologie funéraire, l’indigence de grandes synthèses est en revanche regrettable. La recherche sur les méthodes semble plus encouragée que l’exploitation des résultats qu’elles génèrent pour la connaissance historique.

17L’anthropologie « de terrain », quant à elle, commence à proposer des analyses plus globales à l’échelle des territoires. Pour la période antique par exemple, une publication récente (Blaizot, 2009) propose une synthèse pluridisciplinaire à partir de nombreux gisements, pour certains inédits, considérés dans un vaste horizon géographique et historique. Ce type d’approche permet d’examiner aujourd’hui les faits dans leur continuité et de proposer une conception dynamique des usages funéraires à partir de données factuelles récentes, replacées dans leur chaîne opératoire originelle. En Champagne et à ses marges, les sites mis au jour pour le deuxième âge du Fer ont permis de revoir en profondeur certains aspects de la civilisation gauloise, notamment à travers le prisme particulier des dépôts humains en silos. Alors que ce type d’assemblage a longtemps été considéré comme « sépulture de relégation » (sous-entendue « sociale »), d’autres proposent une interprétation radicalement différente, dans laquelle les restes osseux, de nantis comme d’indigents, participent à un rituel dédié aux « forces telluriques » (Delattre, à paraître). En corolaire et dans la même région, la multiplicité de découvertes macabres (sépultures avec mise en scène de cadavres) souligne la richesse, la singularité et la complexité de la civilisation gauloise (Bonnabel, Paresys, à paraître). Si l’archéologie a mis à mal des images d’Épinal comme la hutte ronde, l’archéothanatologie nous interroge sur la relation que le Gaulois entretient avec ses morts. La Guerre des Gaules ne dit pas tout… et les travaux récents sur l’origine des inégalités à partir des vestiges funéraires gaulois, apparaissent soudainement quelques peu vieillissants et connotés.

18Les analyses globales peuvent également être thématiques : dernièrement, les fouilles de plusieurs cimetières paroissiaux d’Ancien Régime, au contexte d’ensevelissement normal, permettront une réflexion novatrice concernant aussi bien le traitement des morts, les pratiques funéraires que le recrutement et l’état sanitaire des populations. L’étude de la culture matérielle a beaucoup à apporter à l’étude sociale et culturelle des civilisations historiques, à condition qu’elle s’oriente clairement vers une dimension anthropologique et qu’une réelle discussion s’instaure entre les différentes disciplines.

« Tout ce qui s’amorce dans le futur reste pour moi un grand espoir » (A. Leroi-Gourhan)

19L’archéologie moderne est une discipline qui s’inscrit pleinement dans la grande famille des sciences humaines. Depuis une trentaine d’années, elle a multiplié les collaborations disciplinaires pour devenir une « archéologie globale ». Les recrutements de spécialistes (palynologues, zoologues, paléométallurgistes, physiciens, anthropologues, etc.) dans les sections 31 et 32 du CNRS sont révélateurs de cette volonté. L’Inrap, n’est pas en reste, puisqu’il compte, lui aussi, de nombreux spécialistes naturalistes dans ses effectifs.

20La récente réforme du CNRS en grands Instituts à rouvert la question de la pluridisciplinarité au sein des laboratoires et Umr. Beaucoup ont souhaité leur rattachement à l’INSHS alors que d’autres ont préféré opter pour l’INEE. Une discipline scientifique peut se définir par son objet d’étude et son périmètre de réflexion ou par ses méthodes. Les choix opérés par les laboratoires sous-entendent que certains auraient préféré s’inscrire dans une définition disciplinaire en rapport avec leur objet d’étude, alors que d’autres (essentiellement des « naturalistes ») ont choisi un rattachement plus en adéquation avec les méthodes d’études spécifiques qu’ils mettent en œuvre. Les deux grands laboratoires d’anthropologie (Bordeaux et Marseille) n’ont pas échappé à cet appel et sont rattachés à l’INEE. Il est encore trop tôt pour connaître les effets éventuels de cette réforme sur les objectifs théoriques d’une « archéologie globale ».

21Pour en revenir aux liens entre archéologie et anthropologie, il y a fort à parier qu’ils ne sont pas près de se distendre, d’une part du fait de l’implication toujours grandissante des chercheurs du CNRS ou de l’université dans les dossiers d’archéologie préventive : ils trouvent-là un réservoir de données quasi inépuisable et proposent aux étudiants des sujets qui permettent de prolonger l’exploitation scientifique d’un gisement funéraire fouillé dans le cadre préventif. D’autre part, du fait des profils à double formation, aujourd’hui assez nombreux à l’Inrap pour maintenir un lien fort entre les deux disciplines. L’engagement des chercheurs de l’Inrap dans leurs laboratoires de rattachement n’est plus à démontrer : on les recense par dizaine sur le Labintel. Ils sont par ailleurs nombreux à participer à la vie scientifique à travers leurs implications au sein des sociétés savantes, comme le GAAF (Groupement d’anthropologie et d’archéologie funéraire), Le GALF (Groupement des anthropologistes de langue française), le GPLF (Groupe des paléopathologistes de langue française) ou la SAP (Société d’anthropologie de Paris). Le président de celle-ci n’est-il d’ailleurs pas aujourd’hui une personnalité de l’Inrap en charge de la programmation scientifique de l’Institut ? Last but not least, l’initiative prise par l’Inrap de mener, à l’échelle du territoire national, une grande enquête sur le funéraire, indique clairement la volonté de cet institut de s’investir dans un domaine ou « (…) rarement une convergence a été aussi forte entre les deux faces de notre archéologie. » (Avis du CNRA, 2003).

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Bibliographie

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Notes

1 En référence au terme « anthropologie physique ».

2 « Les populations humaines ne sont plus les spécimens blancs, noirs, jaunes, rouges des tiroirs de la défunte « anthropologie classique » » (Langaney, 1988).

3 Il faut rendre hommage à André Leroi-Gourhan qui, dans une de ses vies académiques, s’intéressera aussi de très près à l’histoire naturelle de l’homme (Leroi-Gourhan, 1983) à travers une thèse soutenue en 1954 (Traces d’équilibres mécaniques du crâne des vertébrés terrestres).

4 La création du GDR 742 du CNRS par Henri Duday et Claude Masset restera certainement un événement important dans l’historiographie de la discipline. Dans son allocution de clôture du premier colloque du GDR « Méthodes d’étude des sépultures », tenu à Toulouse en 1982, André Leroi-Gourhan dira : « Il est évident que le concours de l’électronique et la stratégie de la recherche se traduisent par l’ouverture de voies qu’on n’aurait pas osé espérer prendre dans mes débuts, c’est-à-dire les années 30. […] C’est une joie profonde que j’éprouve en voyant se matérialiser plusieurs choses qui ont peuplé mes vieux rêves : tout ce qui s’amorce dans le futur reste pour moi un grand espoir » (Duday, Masset, 1986).

5 L’anthropologie biologique déserte ce champ dans l’après seconde guerre mondiale. Quelques esprits curieux continuent néanmoins de l’explorer, mais la phraséologie change : on ne parle plus de « races », mais de « types ». Quant aux archéologues, ils s’intéressent aux mouvements de populations à travers la néolithisation, les Indo-européens, les différents « peuplements ». Dans le registre « mouvements de population » nous renverrons à Pilet, 1994 : remarquable monographie où archéologues et anthropologues jettent un regard croisé sur leurs matériaux.

6 L’implication grandissante des anthropologues conduira ceux-ci à diriger les opérations de fouilles des gisements funéraires.

7 Dans ce domaine on ne saurait oublier de mentionner le rôle capital qu’ont joué Henri Duday et Patrice Courtaud qui ont formé toute une génération de chercheurs.

8 Mark Guillon sur le site de Provins, Isabelle Legoff sur les sépultures à crémation, Anne Richier et Renaud Lisfranc sur le site de la rue Malaval à Marseille.

9 On doit le terme « archéothanatologie » à Bruno Boulestin et Henri Duday (Boulestin, Duday, 2005). Ce vocable est arrivé bien à propos, puisqu’il ne limite plus le champ du spécialiste à la seule sphère du funéraire, donc du cultuel, mais à toute forme de vestiges humains, quels que soient les contextes archéologiques dans lesquels ont les découvre.

10 Claude Masset (Masset, 1971) fut le premier à s’interroger sur les écueils de la paléodémographie. Il a mis en évidence un certain nombre de biais, qu’il appelle « erreurs systématiques », erreurs que les Anglo-saxons mirent 20 ans (voire plus) à admettre. La suite de ses recherches, en collaboration avec Jean-Pierre Bocquet-Appel, a très fortement contribué aux avancées de la paléodémographie (Bocquet-Appel, Masset, 1978).

11 Thèse d’Éric Crubézy sur Missiminia, qui donna à la communauté anthropologique de grands espoirs.

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Pour citer cet article

Référence papier

Hervé Guy et Anne Richier, « Anthropologie biologique et archéologie : regards croisés ? »Archéopages, Hors-série 3 | 2012, 25-29.

Référence électronique

Hervé Guy et Anne Richier, « Anthropologie biologique et archéologie : regards croisés ? »Archéopages [En ligne], Hors-série 3 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2012, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/448 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.448

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Auteurs

Hervé Guy

Inrap, Centre Norbert Elias

Anne Richier

Inrap, Umr6578 « Anthropologie bioculturelle »

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Droits d’auteur

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