Le quartier du port à Marseille à l’époque moderne et contemporaine : essai de reconstitution d’un paysage urbain disparu
Texte intégral
17 juin 2010
Aix-Marseille Université
Directeur de thèse
Régis Bertrand, Professeur émérite, université de Provence
Membres du jury
Président
Gilbert Buti, Professeur, université de Provence
Rapporteur
Philippe Bernardi, Directeur de recherche, CNRS
Examinateurs
Robert Carvais, Chargé de recherche, CNRS
Michel Signoli, Directeur de recherche, CNRS
Consultable
Thèse publiée sous le titre Le quartier du port de Marseille 1500-1790. Une réalité urbaine restituée, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, série Archéologies méditerranéennes, 2016, 222 p.
1Cette thèse de doctorat d’histoire propose une reconstitution du quartier de Marseille dénommé Corps de Ville à partir du xvie siècle, situé autour de l’hôtel de ville, le long du quai du port, qui constitua le centre de la ville du Moyen Âge au xviiie siècle, mais fut presque entièrement détruit en 1943. Elle n’a donc pas pu, à la différence d’autres travaux ayant étudié des bâtiments urbains, s’appuyer sur des vestiges conservés, des élévations, des distributions intérieures. La restitution du quartier et de ses bâtiments a pu être menée grâce à quatre campagnes de fouille réalisées par l’Afan puis l’Inrap entre 1992 et 2004. Les études d’archives effectuées par l’auteur ont permis d’établir un dialogue entre l’archive et la fouille.
2Outre une restitution de la topographie des rues et des îlots qui n’est plus lisible depuis la reconstruction de cette rive septentrionale du port, la thèse reconstitue la trame urbaine disparue, avec ses artères, ses places et ses marchés. Elle montre également l’attractivité de ce quartier en replaçant les lieux de pouvoir civils et religieux. Au centre de l’ouvrage se situe l’histoire des maisons du quartier, qui n’était illustrée que par quelques bâtiments privés épargnés des destructions parce que jugés exceptionnels. Un corpus d’une centaine de textes a constitué la base de l’analyse. Il est composé de deux types d’actes notariés spécifiques, les prix-faits et les rapports de future cautèle, sources privilégiées ayant permis de documenter les maisons. Les premiers sont des contrats de travaux à prix forfaitaire, susceptibles de renfermer des indications sur les formes et l’évolution de l’habitat, ainsi que sur les techniques et les matériaux de la mise en œuvre. Les seconds, peu connus et inexploités jusqu’ici, sont des rapports d’estime établis par des experts à la suite d’une vente et décrivent le bien, pièce par pièce. La mise en perspective des textes d’archives et des vestiges découverts a ainsi permis la restitution, pour les périodes comprises entre le xviie et la fin du xviiie siècle, de la forme extérieure et de l’agencement des intérieurs dont l’archéologie ne livre que les caves ou les fondations. S’y découvre une grande mixité de la population et de son habitat, où les maisons prestigieuses, en minorité, côtoient différents types de bâtiments de qualité et de factures diverses. Ces derniers sont, dans la majorité des cas, dotés, dans leur rez-de-chaussée, d’une ou de deux boutiques, qui font de ces maisons un habitat à double affectation. Afin de tirer parti au mieux d’espaces particulièrement étroits, les constructeurs ont dû inventer différentes solutions permettant d’adapter chaque bâtiment aux besoins des commanditaires et des occupants des lieux. Cet ouvrage présente donc l’ensemble des maisons « ordinaires » du quartier au sens où elles revêtent une hétérogénéité de formes.
3Les sources d’archives conduisent au plus près des techniques et des matériaux mis en œuvre dans la réalisation de ces bâtiments : outre les matériaux du gros œuvre dont la pierre est la pièce maîtresse, la brique a toute sa place avec ses différents modules fabriqués dans les environs de Marseille, dont certains peuvent servir de décor ; le bois est également présent en particulier dans les charpentes de toit. Les différents éléments composant les mortiers sont également pris en compte : la chaux, le sable dont on précise les différentes provenances, le ciment hydraulique.
4L’étude s’inscrit aussi dans l’histoire sociale par la recherche de l’évolution des manières d’habiter. Les propriétaires de ce secteur ont changé dans les années 1670, époque de la décision royale d’agrandir la ville. L’ancienne aristocratie a fui le centre ancien au profit des bastides construites dans la campagne environnante. Elle est remplacée par les nouveaux marchands, bourgeois ayant voyagé, porteurs d’un goût nouveau, ayant connu les villes baroques européennes. La nécessité d’augmenter le nombre de logements pousse les Marseillais à abandonner progressivement les petites maisons d’un ou deux étages avec jardins, poulaillers et bâtiments de dépendances en fond de cour, pour des bâtiments qu’ils font construire, de trois ou quatre étages avec boutique. Celle-ci, dans un premier temps intégrée à l’habitation, en est différenciée, dissociation marquée par la porte d’entrée de l’immeuble séparée de celle de la boutique. D’autres transformations profondes traduisent des changements dans les manières d’habiter : les cuisines qui « montent » dans les étages et se multiplient au sein d’un même immeuble, associées à l’unique porte palière, en constituent quelques signes, de même que la division verticale des pièces traduisant une volonté de jouir de plus d’intimité. Progressivement, mais de manière non linéaire, ces mutations conduisent à l’immeuble dit d’appartements dans lequel chaque étage est occupé par une famille différente. Ces nouveaux agencements font découvrir les besoins d’une clientèle qui change. Les maisons ne sont plus, vers la fin de la période, occupées par une seule famille dont le représentant principal est un artisan œuvrant dans la boutique du rez-de-chaussée, intégrée à l’habitation. Les nouveaux propriétaires font construire des immeubles de rapport dont ils n’occupent qu’une partie.
5La diversité de maisons qui apparaît dans cet ouvrage permet de nuancer l’image dépréciée dont ce quartier a eu trop souvent à souffrir. Elle le redéfinit au contraire comme un « quartier de centralité et de reconnaissance sociale ».
Pour citer cet article
Référence papier
Colette Castrucci, « Le quartier du port à Marseille à l’époque moderne et contemporaine : essai de reconstitution d’un paysage urbain disparu », Archéopages, 45 | 2018, 145.
Référence électronique
Colette Castrucci, « Le quartier du port à Marseille à l’époque moderne et contemporaine : essai de reconstitution d’un paysage urbain disparu », Archéopages [En ligne], 45 | 2017 [2018], mis en ligne le 01 janvier 2020, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/3605 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.3605
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