- 1 Site fouillé en 2009 sous la direction de l’auteur.
1La fouille préventive de l’îlot Sainte-Chrétienne à Metz1 s’est déroulée à une centaine de mètres au sud du quartier de l’Esplanade-Arsenal et à quelques dizaines de mètres de l’abbaye Sainte-Glossinde (fondée au viiie siècle). Cette opération, par l’association des observations archéologiques, géoarchéologiques et de recherches en archives, a permis l’étude des terrassements mis en œuvre à l’occasion de l’installation du couvent et des jardins des sœurs carmélites dans la première moitié du xviie siècle. Elle a ainsi mis en évidence une attention particulière portée aux jardins de l’établissement au moment de sa construction.
2Le site, intégré à l’espace urbanisé dès le Haut-Empire, est localisé à l’intérieur des enceintes successives de la ville – depuis l’Antiquité tardive jusqu’à l’époque moderne. L’archéologie permet de reconnaître les contours de l’îlot, définis par les réseaux viaires à partir du xiiie siècle. Après l’installation des sœurs carmélites au xviie siècle, ce secteur est perturbé au xviiie siècle par de grands travaux d’urbanisme dus au duc de Belle-Isle (commandant en chef dans les Trois-Évêchés et gouverneur de Metz). Le premier plan détaillé de la ville, indiquant le nom des rues, dit « plan Belle-Isle » est levé dans ce cadre ; on y observe le plan du couvent et des jardins des sœurs carmélites [ill. 1] (Augry et al., 2012, Rouger et al., 2007).
1. Plan général des rues de la ville de Metz (dit plan Belle-Isle), 1738 : l’emprise de la fouille préventive est figurée en pointillé.
Metz, Bibliothèque-médiathèque, Cartes et plans 1
Le couvent des Carmélites
L’ordre des carmes, toutes branches confondues, possède environ deux cent cinquante maisons dans le royaume aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le premier carmel est installé à Paris en 1603 ; celui de Metz, le trentième en France, est fondé en 1623 à l’initiative de la duchesse de la Valette, femme de Bernard de Nogaret, gouverneur et lieutenant général des villes et citadelles de Metz, Verdun, Toul et Marsal. Les religieuses s’installent d’abord dans un hôtel bourgeois de la ville, le couvent n’ayant pas encore été construit. Leur première tâche fut de trouver un emplacement pour le nouveau couvent ; ce sera entre les rues de la Crète, aujourd’hui rue Dupont-des-Loges, et la rue Saint-Gengoulf, proche de l’abbaye Sainte-Glossinde. De 1623 à 1666, les carmélites font huit acquisitions de maisons, jardins, granges. La construction du couvent commence en 1624 et les carmélites s’installent dans le couvent dès 1626. L’église, en revanche, ne fut achevée et consacrée qu’en 1635. En 1694, des travaux pour édifier une nouvelle église sont entrepris ; en février, l’ancienne église est démolie. Le couvent des carmélites, propriété des sœurs jusqu’à la Révolution française, passe ensuite à l’ordre de la doctrine chrétienne.
3Le plan du couvent, reconnu lors de la fouille, ne présente guère d’originalité par rapport à l’archétype du couvent urbain de la période (Woodfield, Caple, 2005). Les fonds d’archives de l’établissement témoignent cependant de la présence à cet emplacement, avant l’édification du couvent, de maisons, jardins et granges acquis par les religieuses. Les observations archéologiques ont permis de comprendre qu’après la démolition des structures bâties, des remblais sont apportés sur une surface d’environ 2500 m2, constituant, avec les matériaux issus des destructions, une plateforme de près de 2 m de haut sur laquelle le couvent est construit.
4Quoiqu’aucun aménagement hydraulique (puits, adduction, lavabo...) ou d’agrément (trottoir, bordures, plantations...) n’ait été mis au jour, le jardin du cloître est facilement identifiable – à la différence du jardin médicinal, attesté par les documents d’archives, mais dont l’emplacement ne semble pas avoir bénéficié de préparation particulière. La nature du remblai de la plateforme est en effet différente en fonction des espaces : tandis que les bâtiments conventuels reposent sur du tout-venant, le jardin du cloître a été installé sur des sédiments d’aspect plus « terreux » [ill. 2], qui évoquent les terres noires du premier Moyen Âge (absence de stratification et apparence très homogène). Les niveaux stratigraphiques n’étant pas clairement perceptibles, une étude géoarchéologique a été menée de façon à mieux appréhender la manière dont a été préparé l’espace destiné à ce jardin.
2. L’apparence du remblai d’installation des bâtiments conventuels (a) contrate fortement avec celle du remblai du jardin (b).
La stratigraphie du jardin (c) a été abordée sur 4 m de profondeur sans que le substrat ne soit atteint ; l’étude géoarchéologique a permis de distinguer des niveaux au-delà de la simple observation stratigraphique.
S. Augry, Inrap
5La couche organique massive du jardin du cloître se développe au-dessus d’un niveau composé principalement de fragments de terres cuites architecturales, de mortier ou d’enduit, ainsi que de cailloux quartzeux et d’ossements animaux. Les trois unités supérieures ne sont pas des unités stratigraphiques stricto sensu, aucune interface n’étant perceptible entre elles. Elles s’apparentent davantage à des horizons pédologiques différents, mis en évidence par les analyses physico-chimiques et micromorphologiques.
6La partie supérieure de la couche de terre – bien conservée car scellée par un revêtement maçonné récent – se distingue ainsi par des teneurs faibles en carbonates et en fer, et par une présence importante de cuivre, de zinc et surtout de phosphore organique. Le plomb, élément peu mobile, admet un taux homogène dans toute l’épaisseur de la stratification. De plus, l’étude de trois lames minces, réalisées à partir de prélèvements non perturbés, a permis de mettre en évidence une bioturbation (présence de vers de terre) et un impact de l’infiltration d’eau (percolation) principalement dans cette partie supérieure. Ces éléments semblent confirmer le fait que la terre du jardin a été apportée en une seule fois.
7La nature des constituants contenus dans cet apport, ainsi que la teneur en plomb de l’ensemble (inférieur à 160 mg/kg), permettent de conclure que l’ensemble de la stratification a peu de lien avec les « terres noires » des ixe-xie siècles, retrouvées sur le même site [ill. 3], qui présentent une contamination au plomb bien plus élevée (plus de 1800 mg/kg) et contiennent de nombreux matériaux de construction (Borderie, 2011). L’hypothèse d’un important remaniement des terres noires sous-jacentes, « une stratigraphie inversée » évoquée pendant la fouille, est par conséquent définitivement écartée.
3. Les analyses physico-chimiques soulignent la différence entre les terres à jardins du cloître et les terres noires du premier Moyen Âge.
Q. Borderie
8Les remblais destinés à l’installation du jardin du cloître, limons sableux carbonatés relativement peu contaminés en plomb et riche en matières organiques (agrégats phosphatés), ont probablement été choisis pour la mise en place de végétation. Leur très faible remaniement témoigne de l’absence de mise en culture, les quelques amendements ou apports qui peuvent y avoir été effectués étant limités à la surface. Notons qu’aucune sépulture n’a été mise au jour dans le jardin ; elles sont en revanche nombreuses dans les galeries du cloître. Il s’agit donc sans doute d’un jardin d’agrément, bien qu’il ne soit pas possible d’en restituer un état précis, les aménagements légers ou les végétaux plantés n’ayant pu être identifiés.
9Le peu d’intérêt accordé par les archéologues, jusqu’à une date récente, aux structures postérieures au Moyen Âge a entraîné une disparité dans les éléments de comparaison dont nous disposons. Si les couvents de fondation médiévale sont régulièrement étudiés, ceux fondés après la Renaissance sont moins concernés par les études archéologiques. Les branches féminines des ordres mendiants, notamment des carmes (Hours, 2001, p. 4-6), sont particulièrement méconnues (Volti, 2003).
10De nombreux ensembles conventuels ont pourtant été, comme celui de Metz, élevés à l’époque moderne, soit ex-nihilo, soit à l’emplacement de constructions antérieures, civiles ou religieuses. Ainsi, à Épinal, les modalités d’implantation du couvent dans le tissu urbain et le remploi de murs antérieurs sont comparables à la situation messine (Kuchler, 2001). À Luxembourg, les modalités d’installation d’un couvent de l’époque moderne ont pu également être étudiées (Musée d’histoire de la Ville de Luxembourg, 1999, p. 135). La fouille de plusieurs établissements modernes a, par ailleurs, apporté des éléments relatifs à la vie quotidienne des religieux. Le couvent des Capucins à Reims et le couvent des Feuillantines à Paris ont livré des ensembles céramiques issus de dépotoirs (Balmelle et al., 1990 et Ravoire, 2004). À Thionville, les habitudes alimentaires des moines capucins ont pu être approchées grâce aux restes de faune trouvés dans des fosses dépotoirs (Pigière, en cours). Mais les jardins de ces sites et l’espace central – aussi bien en termes de circulation, que d’isolement et de méditation – que constitue celui du cloître n’ont pas fait l’objet d’une approche spécifique.
11L’analyse du remblai spécifique choisi pour l’espace destiné au jardin du cloître messin montre que la seule approche stratigraphique s’avère insuffisante pour pratiquer une archéologie des jardins (Boura, 2001, Vissac 2002). Il est à souhaiter que des analyses des « terres noires » de l’époque moderne, riches d’informations sur les usages sociaux des espaces urbains (Louis, 2004), puissent être plus régulièrement pratiquées de manière à constituer un référentiel sur lequel appuyer les études à venir.