- 1 Fouille « rue de l’Église » de juin à juillet 2000, sous la direction de Marilyne Prévot, Afan.
- 2 Fouille du lieu-dit Gungling de juillet à octobre 1998, sous la direction d’édith Peytremann, Afan.
- 3 Fouille du lieu-dit « Aux Quartiers », d’août à octobre 2010, sous la direction de Gérard Franck, I (...)
1Avant la fouille de Chaillon (Meuse), les fouilles menées en Lorraine depuis une vingtaine d’années n’avaient permis de mettre au jour que deux fours de potiers pour la période comprise entre le viiie siècle et la première moitié du xiie siècle. L’un est situé dans le sud de la vallée de la Moselle, à Ludres, à 9 km au sud de Nancy1 (Prévot, Prouteau, 2015), l’autre dans la vallée de la Sarre, à Grosbliederstroff, à 6 km au sud-ouest de Sarreguemines2. Ces deux fours, incomplets ou très arasés, n’étaient associés à aucune structure annexe et ont livré peu de céramique. La production présente un faciès et un mode de diffusion très différent dans ces deux sites. La céramique de Ludres semble avoir une diffusion beaucoup plus importante (dans le sud de la vallée de la Moselle) que celle de Grosbliederstroff, qualifiée de production « artisanale » de faible ampleur, probablement limitée dans le temps et destinée à des besoins locaux (Peytremann, 2000). Le site de Chaillon (Meuse) fouillé en 20103 (Gérard et al., 2014a) est quant à lui situé au pied du versant occidental des Côtes de Meuse, sur la rive droite de la Creüe, qui a formé une petite vallée stratégique constituant l’unique axe naturel de communication et d’échange entre deux entités naturelles et culturelles différentes : la riche et fertile vallée de la Meuse, à l’ouest, et la vaste plaine de la Woëvre et la vallée de la Moselle à l’est [ill. 1]. Le site s’inscrit dans un contexte chronoculturel local riche mais peu documenté. À moins d’1 km à vol d’oiseau se trouvent deux châteaux, celui d’Heudicourt-sous-les-Côtes et celui d’Hattonchâtel, ainsi que l’abbaye de l’Étanche. Si la fouille a permis de compléter le référentiel régional en matière d’architecture et d’évolution de l’habitat rural au Moyen Âge, elle a surtout mis en évidence un important référentiel de production de céramiques médiévales des xie et xiie siècles destinées à l’exportation. La combinaison des diverses données issues de la restitution architecturale, de l’organisation spatiale des édifices et de l’étude des restes végétaux et animaux incite à interpréter le site comme un village, certes aux activités agropastorales, mais qui se singularise par la présence des fours de potiers ayant une forte incidence sur l’économie villageoise.
1. Localisation du site de production de Chaillon et des différents sites de consommation et de production connus à ce jour.
R. Prouteau, Inrap
2Dès le xie siècle, le site s’organise le long d’un axe de circulation correspondant au tracé de l’actuelle Route Stratégique n° 3. Sept bâtiments à poteaux plantés dans le sol et deux unités de production céramique, situées à l’arrière des bâtiments, ont été mis au jour dans l’emprise de la fouille [ill. 2]. La première de ces unités consiste en deux fours successifs (phase 1 et phase 2) et la seconde en un seul four. Ces trois structures de cuisson sont plus ou moins similaires. En forme de fer à cheval, toutes sont construites à l’aide de blocs calcaires non équarris et non maçonnés mais sommairement liés à l’argile [ill. 3].
2. Plan général du site (phase xie-xiie siècles) et implantation des deux unités de production de céramique.
Le bâti s’organise tantôt perpendiculairement (bâtiments 1, 4, 5, 6 et 7), tantôt parallèlement à la chaussée (bâtiments 2 et 3) selon un rythme irrégulier de 2, 4, 6 et 10 m de distance entre les uns et les autres. Les façades et pignons ne sont pas strictement alignés malgré leur parfaite organisation orthogonale. La distance qui sépare les bâtiments de la chaussée varie entre 1 et 7 m. Plusieurs bâtiments sont alignés entre eux, perpendiculairement à la chaussée (bâtiments 2 et 3 et bâtiments 4 et 7). Les fours, situés à plus de 35 m de la chaussée, sont distants de 20 m l’un de l’autre.
F. Gérard, Inrap
3. Plan et profil des fours des unités de production 1 et 2.
La chambre de chauffe de l’unité 2 est la plus grande avec une surface de 1,80 m², les fours de l’unité 1 disposent d’une chambre de chauffe ne dépassant pas 1,50 m². La largeur de la gueule des fours (ou bouche à feu) est proche de 1,25 m. Les fosses de travail sont très différentes d’une structure à l’autre.
F. Gérard, Inrap
3Les deux fours de l’unité de production 1 adoptent une morphologie et une orientation différentes. Dans le premier état, le four est ouvert vers le nord-est. Il est pourvu d’une chambre de chauffe unique sans carneaux différenciés (absence de languette centrale). Il se développe sur une longueur totale de 3,75 m depuis le parement ouest de la chambre de chauffe jusqu’à l’extension maximale de l’alandier. Le four est excavé dans le substrat sur une profondeur légèrement supérieure à 0,50 m. Son parement, qui sert d’assise au développement de la voûte du laboratoire, est constitué de petits blocs calcaires non équarris, de 0,10 m à 0,15 m de côté, non maçonnés et sommairement liés à l’argile. Ce parement n’est ponctuellement conservé que sur une seule assise de 0,10 m de hauteur, en raison des démolitions occasionnées par la mise en œuvre du second four (phase 2). La chambre de chauffe occupe un espace légèrement supérieur à 1,50 m² (1,25 m de long et 1,25 m de large environ). Plusieurs éléments appartenant à des piliers de support de sole ont été mis au jour au centre de la chambre de chauffe et le long de la paroi nord. Il s’agit de bases de piliers constitués de quelques petits blocs calcaires disposés à même le sol. Leur dimension ne semble pas excéder 0,25 m à 0,35 m de côté. Toutefois, la reconstruction du four a probablement occasionné la démolition d’une partie de ces éléments. La chambre de chauffe adopte un profil à fond plat (très légèrement concave). L’étude stratigraphique atteste de l’existence d’au moins deux états d’utilisation. Dans un premier état, la gueule du four est très large avec une ouverture légèrement supérieure à 1 m de large (distance séparant les deux extrémités de la paroi du « fer à cheval »). Les niveaux d’utilisation de cet état primitif attestent d’indices thermiques moyens avec un terrain naturel graveleux rubéfié sur une épaisseur de 1 cm environ. Un niveau de charbons de bois de 5 cm d’épaisseur recouvre l’ensemble de la chambre de chauffe avant l’installation d’une chape d’argile en guise de nouvelle sole (5 cm d’épaisseur). Dans un second état, pour des raisons probablement techniques, la gueule du four est réduite de près de 0,60 m par la construction d’une nouvelle paroi réduisant l’ouverture à 0,40 m de large et s’installant en partie sur la sole rubéfiée. Une nouvelle couche d’utilisation matérialisée par un important niveau charbonneux recouvre alors l’ensemble de la chambre de chauffe. La fosse de travail de forme ovalaire, partiellement détruite par la fondation d’un mur du bâtiment 1 à l’horizon des xiiie-xive siècles, se développe sur une amplitude de 2,25 m de long et au moins 1,50 m de large. Elle accuse un pendage très fort de plus de 28 % (dénivelé de 0,50 m sur une longueur de 1,75 m, jusqu’à l’entrée de la chambre de chauffe). La morphologie du laboratoire n’est malheureusement pas définissable, aucun élément permettant d’en appréhender les caractéristiques n’ayant été mis au jour.
4Ce four est totalement détruit et reconstruit in situ. Seule change son orientation qui dorénavant est la même que celle du four de l’unité de production 2 voisine, avec une ouverture vers le sud. Sa chambre de chauffe se superpose à la précédente. Une languette centrale sépare deux carneaux. Le four se développe sur une longueur totale de près de 4,25 m depuis le parement nord de la chambre de chauffe jusqu’à l’extension maximale de l’alandier vers le sud. Il est excavé en partie dans le substrat mais essentiellement dans les niveaux du four du premier état. Sa profondeur est d’environ 0,40 m. Son parement, qui sert d’assise au développement de la voûte du laboratoire, est constitué de deux à quatre assises de blocs calcaires (jusqu’à 0,20 m de côté), peu ou pas équarris et sommairement liés à l’argile. Le parement est doublé sur l’ensemble de sa structure, atteignant ainsi une épaisseur de 0,20 à 0,40 m. Par endroits, la hauteur du parement est conservée sur près de 0,30 m. La chambre de chauffe occupe un espace d’environ 1,50 m² (1,50 m de long et 1 m de large). Elle est constituée de deux carneaux d’environ 0,40 m de large séparés par une languette centrale aménagée par une série d’imposants blocs calcaires (0,30 m de côté) disposés côte à côte dans la longueur du four et supportant une série de plus petits blocs calcaires (0,10 à 0,15 m de côté). Aucun de ces éléments ne présente de traces d’équarrissage. Cette languette centrale, qui assure le rôle de support de sole, se développe sur une hauteur de 0,40 m et sur une longueur de 1,30 m. Chaque carneau adopte un profil légèrement concave entre le bord du parement et la languette centrale. Le fond de la chambre de chauffe présente des indices de températures élevées avec une chape d’argile rubéfiée sur une épaisseur de près de 5 cm. La gueule du four est peu large, environ 0,80 m. La fosse de travail, qui s’étend sur 2 m de long et 0,50 à 1 m de large, se développe de façon longiligne vers le sud. Son pendage n’est malheureusement pas définissable en raison de l’importante démolition de cette partie du four occasionnée par la construction du bâtiment 1 au xiiie siècle.
5L’unité de production 2 est localisée à une quinzaine de mètres à l’arrière des bâtiments. Elle est constituée d’un four excavé pourvu d’un alandier ainsi que de deux fosses latérales de type dépotoir-tessonière. La structure de combustion est ouverte vers le sud [ill. 4]. Le four, long de 2,50 m (depuis le parement nord de la chambre de chauffe jusqu’à l’extension maximale de l’alandier), est creusé dans le substrat sur une profondeur de 0,50 m. Le parement, qui sert d’assise au développement de la voûte du laboratoire, est constitué de deux assises de blocs calcaires non équarris liés à l’argile. La hauteur conservée du parement n’excède pas 0,35 m. La chambre de chauffe, qui occupe un espace d’environ 1,80 m² (1,50 m de long et 1,25 m de large), est divisée en deux carneaux de 0,50 m de large séparés par une languette centrale qui assure le rôle de support de sole. Le fond de la chambre de chauffe présente des traces de cuisson à température élevée, le substrat étant rubéfié sur une épaisseur de 1 à 5 cm. La gueule du four est particulièrement large puisqu’elle s’ouvre sur 1,25 m. La fosse de travail, de 1 m de long et 1,70 m de large, se développe de façon ovalaire en direction du sud-est. Elle accuse un pendage fort de près de 21 % avec un dénivelé de 0,50 m sur une longueur de 2,30 m (jusqu’au centre de la chambre de chauffe). À l’instar des fours de l’unité de production 1, la morphologique du laboratoire n’est pas définissable.
4. Unité de production 2, four en cours de fouille.
La languette qui sépare les carneaux est aménagée à l’aide de gros blocs calcaires non équarris de 0,50 m de long et 0,25 m de hauteur et se développe sur une longueur de 1,20 m. Chaque carneau adopte un profil légèrement concave entre le bord du parement et la languette.
G. Ancelot, Inrap
5. Fragment d’élément d’enfournement découvert dans l’unité de production 2.
R. Prouteau, Inrap
6L’analyse anthracologique a permis de caractériser les essences de bois utilisées pour l’alimentation des fours en combustible. Le hêtre domine nettement les 10 taxons répertoriés parmi lesquels on note également la présence de l’aulne, du peuplier, du chêne à feuilles caduques, du noisetier, de pomoïdées, du saule, de prunoïdées, du frêne, du bouleau et de l’érable champêtre. Le hêtre Fagus sylvatica était apparemment le combustible principal, probablement en raison de sa valeur calorifique, des températures hautes et constantes qu’il produit et de sa combustion stable. Le choix d’un bon combustible (espèce, qualité et séchage) semblait toutefois peu important comme en témoignent d’une part la diversité des taxons de charbons de bois identifiés et d’autre part l’utilisation de bois de petits diamètres, entre 0,8 cm et 1,5 cm. Ces tiges et brindilles, éventuellement utilisées pour allumer le feu, ont probablement également été employées comme combustibles. Par ailleurs, l’usage très limité de bois de qualité indique que ces derniers étaient déjà une ressource contrôlée. Les chênes, par exemple, ont probablement été épargnés, gérés et utilisés comme bois d’œuvre.
7Le remplissage du four a par ailleurs livré plus de 3 000 macrorestes végétaux correspondant principalement à des vannes de céréales (2 445 éléments de vannes et 540 caryopses) dont l’espèce dominante est l’engrain (1 645 bases de glume et 745 bases d’épillet). Ces résidus de traitement post-récolte proviennent sans doute de l’utilisation des rejets de décorticage de l’engrain (les caryopses étant rares) pour allumer le feu, maintenir la chaleur ou préserver le feu. De telles pratiques sont attestées en Asie du sud-est avec l’utilisation des pelures de riz issues des récoltes [ill. 6]. Cette utilisation des déchets constitue un substitut très économique au bois (Astruc, 2010).
6. Utilisation de déchets végétaux post-récolte (riz) pour l’alimentation en combustible des fours au Cambodge, où 90 % de la population utilise le bois pour cuire les aliments et se chauffer. Cet usage se conjugue avec la construction de fours à l’aide d’un mélange de terre et de fibre végétale qui permet de préserver la chaleur.
F. Gérard (collection privée)
- 4 Unité de production 1 (95,4 % probabilité) : 1025-1165 / Unité de production 2 (95,4 % probabilité) (...)
8Les pâtes produites se répartissent dans deux groupes techniques. Le premier est caractérisé par des inclusions de calcaire coquillier et le second par une pâte fine. Les inclusions de calcaire coquillier sont composées de fossiles de brachiopodes broyés plus ou moins finement dont certains observables à l’œil nu. Les modes de cuisson de ce premier groupe sont oxydants et plus rarement réducteurs ; les couleurs des pâtes évoluent entre l’orange clair, le brun orangé et le gris brun [ill. 7]. La céramique à pâte fine, quant à elle, ne comporte pas d’inclusions visibles à l’œil nu, mises à part quelques petites particules blanches (calcaire ?), d’une taille comprise entre 1 et 7 mm. Ses modes de cuisson sont oxydants ou réducteurs avec des couleurs de pâtes comprises entre l’orange, le rouge orangé, le brun et le gris. Des coups de feu sont visibles sur la face externe de certains tessons [ill. 7]. Ils témoignent de cuissons mal maîtrisées, de même que quelques ratés de cuisson [ill. 8].
7. Les différents types de pâte produits dans les deux unités de production de Chaillon : les pâtes à inclusions de calcaire coquillier et les pâtes fines.
R. Prouteau, Inrap
8. Exemples de ratés de cuisson (éclatements et déformations de parois et de bords).
R. Prouteau, Inrap
9Si les deux types de pâtes sont produits dans les deux unités, ces dernières n’ont pas livré la même quantité de céramique. Si l’on observe la répartition en pourcentage des deux groupes techniques au sein des deux unités de production, c’est la céramique à pâte fine qui est la plus représentée (89,3 % de l’ensemble) [ill. 9].
9. Répartition en pourcentage des différents types de céramique produits dans les deux unités de production.
L’unité 1 a livré 18 861 restes (un peu moins de 130 kg) contre 30 924 (un peu moins de 200 kg) pour l’unité 2.
R. Prouteau, Inrap
10Les formes produites dans les deux unités se caractérisent par trois grands types de formes fermées (pots, pots à col haut, cruches) et par un ou deux types de formes ouvertes (jattes et poêlons) [ill. 10].
10. Photographies et représentations schématiques des cinq types de formes produites dans les deux unités de production.
R. Prouteau, Inrap
11Le nombre minimum de pots découvert s’élève à 398 (fragments de bord). Ils sont principalement réalisés dans une pâte à inclusions de calcaire coquillier (286 éléments remarquables contre 112 réalisés en pâte fine). Ils ont une encolure étroite, des bords éversés, une panse globulaire et un fond bombé. Leur montage est mixte (à la main puis régularisation sur un tour). Les diamètres à l’ouverture sont compris entre 13 et 24 cm pour les plus gros pots. Plusieurs formes de lèvres ont été observées [ill. 11].
11. Exemples de pots réalisés dans une pâte à inclusions de calcaire coquillier découverts dans les deux unités de production : on distingue des lèvres à bourrelet externe arrondi, des lèvres à bourrelet externe dont le sommet est aplati pour former un profil anguleux et des lèvres dont le sommet est creusé par un sillon.
R. Prouteau, Inrap
12Avec un total de 45 éléments remarquables, les pots à col haut sont le plus souvent réalisés dans une pâte fine. Il s’agit de récipients à profil ramassé présentant un col haut et rectiligne. Le diamètre à l’ouverture est légèrement inférieur au diamètre maximum du vase. Les bords sont peu éversés et se terminent par des lèvres arrondies avec un bourrelet plus ou moins prononcé ou un sommet aplati. Une forme complète a pu être restituée par le dessin à partir d’éléments découverts dans le four de l’unité 1 (phase 2) [ill. 12].
12. Exemples de pots à col haut réalisés dans une pâte fine découverts dans l’unité de production 1.
La forme complète mesure 26,5 cm de haut pour un diamètre à l’ouverture de 37 cm, un diamètre maximum de 40 cm et un diamètre à la base de 32,5 cm.
R. Prouteau, Inrap
13Les cruches ont été identifiées par la découverte de 1 913 fragments de bords munis de becs verseurs et par 619 fragments d’anses. Aucune forme archéologiquement complète n’a pu être reconstituée. Les cruches ont été réalisées dans une pâte fine selon un montage mixte (à la main puis régularisation sur un tour). Certains fragments présentent des déformations. Il s’agit de grosses cruches à anse plate, à panse ovoïde et à fond lenticulaire. Les bords ont des lèvres à bourrelets externes avec des sommets arrondis ou aplatis [ill. 13].
13. Exemples de cruches à pâte fine découverts dans les deux unités de production.
Leurs diamètres à l’ouverture sont compris entre 8 et 11 cm. Les parois, assez fines, peuvent mesurer 5 mm d’épaisseur.
R. Prouteau, Inrap
14Les poêlons/jattes, au nombre de 90, ont été réalisés dans des pâtes à inclusions de calcaire coquillier. Les poêlons se différencient des jattes par la présence d’une adjonction sous la forme d’un manche annelé plus ou moins incliné (treize fragments de manches ont été découverts) [ill. 14]. Six formes complètes de jattes ont été restituées. Les deux types de récipients ont des parois plus ou moins évasées. Les bords se terminent par des lèvres à bourrelet externe et/ou interne. Les fonds sont plats ou légèrement lenticulaires pour un individu mis au jour dans le comblement du four (phase 2) de l’unité de production 1. Plusieurs tailles de récipients ont pu être observées [ill. 15].
14. Exemples de poêlons réalisés dans une pâte à inclusions de calcaire coquillier découverts dans les deux unités de production.
R. Prouteau, Inrap
15. Exemples de poêlons et de jattes réalisés dans une pâte à inclusions de calcaire coquillier découverts dans les deux unités de production.
Les plus volumineux peuvent atteindre 8 cm de haut pour un diamètre à l’ouverture de 40,5 cm. Le récipient le moins imposant ne mesure que 19,5 cm de diamètre à l’ouverture.
R. Prouteau, Inrap
15Trente-trois décors ont été observés sur des fragments de panse à pâte fine. Les décors se composent principalement de simples ondulations incisées parfois entrecoupées de lignes incisées (un élément découvert dans l’unité 1). Il pourrait s’agir de fragments de cruches comme semble l’indiquer le gros fragment de panse découvert dans le four (phase 2) de l’unité 1 [ill. 16]. Un fragment de disque d’un diamètre de 9 cm, réalisé dans une pâte à inclusion de calcaire coquillier, est décoré de cupules et de lignes incisées. Ce type de forme est attesté en contexte d’habitat pour une période comprise entre le début du viiie siècle et la fin du xiie siècle à Prény (Frauciel, 2011), Dieulouard (Mondy, 2001), Thionville (Blaising, Seilly, 1995) et Chavigny (Gazenbeeck, 2007).
16. Les décors incisés observés sur des fragments de cruches et la forme atypique découverte dans l’unité de production 2, pour laquelle, pour le moment, aucune fonction précise n’a pu être déterminée. Le diamètre semble trop petit pour que ce disque soit un couvercle.
R. Prouteau, Inrap
16Les ateliers de Chaillon ont eu une production homogène puisque seulement cinq types de formes (pots, pots à col haut, cruches, poêlons et jattes) ont été découverts [ill. 10]. La représentation très inégale des deux groupes techniques pourrait être liée à une répartition particulière des types de récipients puisque les pots, les poêlons et les jattes ont été réalisés majoritairement dans une pâte à inclusions de calcaire coquillier alors que les pots à col haut et les cruches ont été confectionnés dans une pâte fine. Les formes sont peu décorées. Les décors apparaissent principalement sur des panses de cruches à pâte fine.
17On peut s’interroger sur la diffusion régionale de la céramique produite à Chaillon à travers différents sites de consommation. Elle semble s’étendre, dans l’état actuel de la recherche, dans un rayon de 30 à 40 km vers le nord, l’est et l’ouest, en privilégiant les axes naturels de la vallée de la Meuse – Dieue-sur-Meuse à 15 km au nord-est et Les Trois-Domaines (Frangin et al., 2014) à 20 km à l’ouest dans l’axe de la confluence entre la Creüe et la Meuse – et les axes de circulation traversant la plaine de la Woëvre vers le nord-est (Mars-la-Tour à 20 km et Saint-Marie-aux-Chênes à 40 km) et vers l’est (Pont-à-Mousson à 30 km) [ill. 1].
18La qualité d’artisans potiers semble pouvoir être proposée pour une partie de la population de ce site entre le xie et le xiie siècles. Les études carpologiques et archéozoologiques montrent que la population ne vit pas directement de la production céréalière et de l’élevage ; les deux activités sont bien évidemment pratiquées, mais il semble que l’économie principale était orientée vers la production céramique. Cette combinaison s’observe dans les villages lorrains jusqu’au milieu du xxe siècle. Signalons que dans la tradition orale, les habitants de Chaillon sont aujourd’hui encore appelés « les Potailloux », potiers en patois meusien…
19L’analyse archéozoologique met en évidence un schéma de production animale tout à fait autarcique. Chaque famille disposait, quelles que soient ses activités professionnelles, d’une ou deux bêtes destinées à fournir le minimum vital en lait et viande. L’analyse carpologique va dans le même sens, celui d’une agriculture et d’une alimentation modestes qui correspondraient à la base consommée de manière journalière – gruaux, soupes, potées et pains – et d’une polyculture associant céréales d’été (avoine, orge) et céréales d’hiver (blé nu, engrain, seigle). Ces résultats apparaissent atypiques, nettement différents de ceux obtenus sur d’autres sites d’habitat rural de la même époque. Sur ce corpus de sites, en effet, l’analyse carpologique témoigne d’activités clairement agricoles, au-delà de l’autosubsistance, au sein de villages comme Vitry-sur-Orne/Vallange et Demange-aux-Eaux où l’économie est orientée vers la culture et l’élevage, ou comme Vitry-sur-Orne/Huppigny, où les populations se dédient à la viticulture (Bonnaire, Wiethold, 2010).
20
Dès le xiiie siècle, le site subit de profondes restructurations. L’habitat semble se resserrer pour se concentrer désormais dans la partie sud de la fouille et les fours de potiers sont totalement abandonnés. Les spectres faunistiques et carpologiques ne changent pas au cours de cette nouvelle phase d’occupation, entre le xiiie siècle et le xve siècle, et confirment que l’activité principale des habitants n’est pas polarisée autour d’un schéma uniquement agropastoral. L’architecture et l’organisation des maisons de Chaillon diffèrent de celles des maisons de laboureurs ou d’éleveurs étudiées dans la région (Gérard, 2012, 2014b). Dans ces dernières, l’organisation générale du bâti est axée sur deux grandes maisons en pan de bois qui encadrent un bâtiment plus petit pourvu d’une tour d’angle sur le pignon est, côté rue. À l’arrière de cet édifice se développe une cour à laquelle on accède par deux petites venelles perpendiculaires à la rue principale. L’ensemble forme un parfait quadrilatère d’une superficie d’environ 340 m².
21La particularité des édifices de Chaillon ne réside pas dans leur développement architectural (pan de bois sur solins de pierre), mais plutôt dans leur développement fonctionnel interne ainsi que dans leur positionnement entre eux et en rapport avec la rue. Jusqu’à présent, la majorité des cas étudiés s’est révélée correspondre à des maisons en lien avec des activités agricoles, qu’elles soient liées à la culture (Vitry-sur-Orne, Yutz), à l’élevage (Lucy) ou au vignoble (Vitry-sur-Orne). Toutes avaient en commun d’associer sous un même toit, selon un schéma encore existant aujourd’hui et défini comme celui de « la maison lorraine », les hommes, les animaux et les récoltes. Seuls changeaient les dimensions de la maison ainsi que certains éléments de son organisation interne, mais ces différences ne résultaient que du statut social du « paysan », qu’il soit laboureur ou manouvrier, vigneron ou éleveur (Gérard, 2014b).
22À Chaillon, chaque bâtiment identifié se présente sous la forme d’une enfilade de pièces indépendantes pourvues de cheminées et donc destinées à une activité d’ordre domestique. Cette organisation ne laisse pas de place au parcage des animaux, au dépôt du matériel agricole et au stockage des récoltes. Chaque bâtiment paraît rassembler sous un même toit plusieurs familles vivant chacune dans une vaste pièce pourvue d’un foyer.