1Parmi le mobilier céramique découvert dans la fosse F.41 du site de Vienne-en-Val « les Terres de Saint-Germain » (Loiret), un vase, attribué au Bronze moyen II (1500-1350 avant notre ère), présente un traitement décoratif remarquable, avec une pâte blanche incrustée dans les sillons de motifs géométriques incisés (Lardé, 2016). Située à proximité d’enclos circulaires du Bronze final, la fosse F.41 semble isolée, aucun autre indice d’une occupation du secteur au Bronze moyen n’ayant été détecté sur les 1,2 ha de surface décapée. Les rares vestiges de cette période signalés dans les environs se résument à un fragment de céramique et une hache à talon. La fosse (dimensions conservées : 1,56 m de long, 1,20 m de large et 0,38 m de profondeur) a servi de dépotoir sur une courte durée ainsi que l’attestent la dynamique de comblement, la nature des remplissages et la répartition du mobilier ; 1,6 kg de céramique fragmentée, un gros peson et des restes de foyers y ont été jetés.
2La partie haute d’un vase à col resserré et richement décoré a pu être recollée, jusqu’à l’inflexion de la panse, située 17 cm sous la lèvre du vase [ill. 1]. Le vase a un profil bitronconique avec encolure, muni de deux anses placées à la base du col, au niveau de l’épaule, servant de point de départ à un décor en bandeau de hauteur équivalente à celle de l’anse. Le décor comprend deux registres horizontaux, constitués d’incisions profondes et très appuyées, formant des lignes continues et en zigzags. Bien que la forme du vase se rapproche d’exemplaires datés du Bronze moyen II, aucune comparaison directe n’a pu être proposée. Le décor est par ailleurs proche de productions atlantiques, notamment à Mez-Notariou à Ouessant (Le Bihan, 2016) ou à Plouedern (Blanchet, 2013).
1. Trois fragments du vase attribué à l’âge du Bronze moyen II.
La pâte est semi-fine, sableuse, relativement micacée, et de couleur brune. La surface est soigneusement lissée, l’intérieur du vase étant plus rugueux. L’ouverture du vase a un diamètre de 23,6 cm, le bord est direct, la lèvre arrondie et le col légèrement concave. Les anses sont fixées grâce à un système de tenon : un trou est effectué dans la panse, les tenons de l’anse y sont insérés et collés par modelage à l’intérieur du vase.
dessin E. Frénée, Inrap ; cliché M. Noël, Inrap
3Une pâte blanchâtre incrustée dans les incisions est partiellement conservée [ill. 2a]. De nombreuses sociétés ont eu recours à cette technique décorative au Néolithique et à la Protohistoire. Elle est signalée notamment dans les cultures du Blicquy-Villeneuve-Saint-Germain, du groupe de Grossgartach, ou du Chasséen (Constantin, 2003, p. 136). Sur le site du Bronze moyen du Fort-Harrouard à Sorel-Moussel, les auteurs mentionnent des impressions décoratives remplies de « poudre de craie » (Mohen, Bailloud, 1987, p. 50). Pour le Bronze final, un examen au microscope électronique à balayage (MEB) a révélé l’origine osseuse de la pâte blanche d’un vase du Camp Allaric (Maitay, 2010, p. 128). Cependant, dans la plupart des cas, la nature du pigment blanc reste indéterminée.
2a. Photomacrographie des résidus de pâte blanche.
M. Noël, Inrap
4Des analyses physico-chimiques non destructives des incrustations du vase de Vienne-en-Val ont été réalisées au CIRIMAT de Toulouse, sous la direction de Christophe Drouet. Systématiquement, les explorations ont porté à la fois sur le substrat du vase et sur les restes de pâte blanche. Une analyse par fluorescence X a été menée à l’aide d’un pistolet BRUKER S1 Turbo, mettant en évidence l’élément calcium dans le pigment. Des observations MEB [ill. 2b], couplées à une analyse élémentaire EDX en utilisant un mode « low vacuum » adapté aux échantillons dits sensibles [ill. 3], ont ensuite été effectuées : le pigment blanc est principalement composé des éléments chimiques calcium (Ca), phosphore (P) et oxygène (O), comme pour le minéral osseux ou dentaire. Enfin, des analyses supplémentaires par microscopie Raman confocale indiquent que le pigment est constitué d’un phosphate de calcium à structure « apatite » de mêmes caractéristiques que l’apatite osseuse ou dentaire de vertébrés [ill. 4].
2b. Micrographies au microscope électronique à balayage.
C. Drouet, CIRIMAT
3. Les spectres élémentaires EDX indiquent la composition du vase et de son décor : outre quelques éléments attendus pour un tel substrat de vase (fer, silicium, aluminium, potassium et magnésium), la présence en grande quantité des éléments calcium et phosphore est nettement mise en évidence pour l’analyse ciblée sur le pigment blanc. De plus, les intensités relatives entre ces deux éléments sont proches de celles acquises sur un spécimen osseux de référence, provenant d’une vertèbre humaine datant de l’âge du Bronze. Par ailleurs, on observe une augmentation significative de l’intensité du pic lié à l’oxygène, élément présent en quantité dans le phosphate de calcium apatitique de l’os et des dents.
C. Drouet, CIRIMAT
Fig. 4 : Les spectres Raman obtenus sur le substrat du vase ne révèlent aucune bande caractéristique. En revanche, les spectres obtenus sur le pigment blanc ainsi que sur un os bovin de référence montrent plusieurs raies Raman caractéristiques d’un composé apatitique, dont la plus intense, située à ~960 cm-1 témoigne du mode de vibration ν1 (PO4) des groupements phosphates apatitiques.
C. Drouet, CIRIMAT
5Les analyses attestent donc de la nature osseuse du pigment, mais elles ne permettent pas de préciser si la pâte blanche recouvrait initialement l’ensemble du vase, ni si elle a été fabriquée à partir d’os bouilli ou calciné.