Four à réverbère près du port
Texte intégral
Site
Hôtel-Dieu, Marseille, Bouches-du-Rhône
Date
Décembre 2009
Surface fouillée
90 m²
Équipe
Responsable d’opération, Philippe Mellinand, Inrap
Étude des archives foncières, Josiane Cuzon, Inrap
Céramologie, Véronique Abel, Inrap
Anthracologie, Isabel Figueiral-Rowe, Inrap
Collaborateur, David Bourgarit, C2RMF
1Outre des occupations antiques et médiévales très denses au plus proche du port, la réhabilitation de l’ancien Hôtel-Dieu de Marseille a permis de découvrir les vestiges de l’atelier d’un fondeur d’alliages à base de cuivre. La fonderie se trouve sur la rive nord du Vieux-Port, sur la colline du Panier, en bordure d’une rue, dernier marqueur d’îlots anciens annexés tardivement par l’Hôtel-Dieu. Si les sources écrites confirment la présence d’une fonderie dite "vieille" en 1561 et 1614 dans la rue, l’emplacement et la production ne sont pas précisés.
2Aucun sol d’atelier n’est conservé. Seules quelques structures arasées témoignent de l’activité métallurgique. Il s’agit de la partie la plus profonde d’un four de fusion [ill.1] et d’une grande fosse creusée en escalier dont la fonction comme fosse de coulée, c’est-à-dire d’un lieu où l’on enterre les moules avant de couler le métal à l’intérieur, peut être proposée. Le four se présente comme une fosse rectangulaire aux parois verticales avec un escalier au nord pour descendre vers la partie construite au sud. Ce type de structure fonctionne
à ventilation naturelle, le foyer étant disposé en hauteur sur une sole perforée ou grille. Les perforations de la sole permettent à l’air de s’engouffrer dans le foyer tout en laissant les plus petits éléments de combustible pouvant gêner le passage de l’air retomber dans le cendrier, c’est-à-dire dans le fond de la fosse. Malgré la dizaine de petits creusets trouvés ici et là dans les différentes structures et cette première interprétation de son fonctionnement, ce four n’est pas un four vertical où les creusets sont déposés dans le foyer.
1. Vue du four (a) et représentation d’un four à réverbère (et emplacement de la structure fouillée (b).

Cliché et DAO : N. Thomas, Inrap ; C. Bonnet, Inrap. Représentation extraite des Mémoires sur la fabrication des canons et de la poudre par le capitaine Paul Durocher-Puel, 1704 (AN : fonds ancien de la marine, D4 9).
3En effet, l’étude des artefacts contenus dans le comblement permet d’entrevoir une autre hypothèse. D’abord plusieurs niveaux d’utilisation, dans le fond de la structure, étaient littéralement jonchés de gouttes de vitrification témoignant d’une chute verticale du matériau argileux transformé en verre à cause de très hautes températures. Elles proviennent d’une couverture horizontale en brique au-dessus du foyer et léchée par la flamme. Dans les mêmes comblements, des scories plates de 2 à 10 cm d’épaisseur avec de nombreuses inclusions métalliques ont été retrouvées [ill.2]. Ces scories ne peuvent être produites dans des creusets du fait de leur dimension. Il s’agit là-aussi de matières vitrifiées, mais provenant cette fois de la surface d’un bain de métal en fusion. D’autres arguments montrent l’inadéquation entre le modèle de four vertical et les observations archéologiques. La fosse de coulée est éloignée du four de plus de 2,5 m, ce qui est excessif pour la coulée de petits creusets. Les dimensions de la fosse de coulée, notamment sa profondeur atteignant 1,6 m pour 1,3 m de largeur au plus profond, indiquent des coulées de grandes pièces de l’ordre d’une ou de plusieurs centaines de kilogrammes d’alliage. Il est inconcevable de couler de telles pièces avec un four de fusion carré d’un mètre seulement de côté où l’on aurait disposé plusieurs creusets de moins d’une vingtaine de centimètres de hauteur. Au xvie siècle, apparaissent dans les textes des mentions du four à réverbère pour la fusion de grandes masses de métal [ill.1b]. Ces fours sont construits à partir des fours verticaux à ventilation naturelle et des fours à bassin où le foyer se trouve directement sur le bain de métal alimenté par des soufflets. Cette innovation permet de supprimer la ventilation mécanique, de séparer le foyer du bain de métal en couchant la flamme vers le bassin au moyen d’une couverture horizontale. Le tirage est assuré par une cheminée. S’il ne subsiste dans la fonderie phocéenne que le cendrier, les déchets indiquent la présence d’un tel four où le bassin devait se situer entre les deux principales structures fouillées.
2. Coupe dans une scorie plate avec nombreuses inclusions métalliques à la base.

Cliché : N. Thomas, Inrap.
4Quelle était la production ? Le comblement de la fosse de coulée a livré de très nombreux morceaux de moules en terre [ill.3]. La fragmentation rend difficile l’interprétation, même si l’on peut entrevoir une production diversifiée. Certains moules de forme cylindrique évoquent des pièces d’artillerie de différentes dimensions qui pourraient être destinées à la marine. La proximité du port et les besoins en accastillage, notamment en laiton, cet alliage de cuivre et de zinc résistant bien à la corrosion en mer, expliqueraient ce débouché. Il demeure que de nombreux fragments et artefacts trouvés restent incompris à ce stade de l’étude car si ces ateliers sont mentionnés dans les textes, bien peu ont été fouillés en Europe et le four marseillais apparaît inédit. Les fonderies de canon comme les fours à réverbère sont plus connus au xviiie siècle, notamment du fait de la nationalisation de cette activité par la Marine royale. L’archéologie permet dès lors d’approcher autant par les structures que par les déchets des innovations techniques qui s’appuient sur un savoir-faire médiéval en mutation rapide au cours du xvie siècle.
Table des illustrations
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Titre | 1. Vue du four (a) et représentation d’un four à réverbère (et emplacement de la structure fouillée (b). |
Crédits | Cliché et DAO : N. Thomas, Inrap ; C. Bonnet, Inrap. Représentation extraite des Mémoires sur la fabrication des canons et de la poudre par le capitaine Paul Durocher-Puel, 1704 (AN : fonds ancien de la marine, D4 9). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/24473/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 940k |
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Titre | 2. Coupe dans une scorie plate avec nombreuses inclusions métalliques à la base. |
Crédits | Cliché : N. Thomas, Inrap. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/24473/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 500k |
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Titre | 3. Deux fragments de moule de fonderie en terre de taille différente. |
Crédits | DAO : G. Frommherz, Inrap. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/24473/img-3.png |
Fichier | image/png, 316k |
Pour citer cet article
Référence papier
Lucas Martin, « Four à réverbère près du port », Archéopages, 30 | 2010, 86-87.
Référence électronique
Lucas Martin, « Four à réverbère près du port », Archéopages [En ligne], 30 | 2010, mis en ligne le 31 janvier 2025, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/24473 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/137vb
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