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Dossier

Le port antique de Forum Iulii. Découverte d’une jetée à l’extrémité est du quai méridional

The Roman harbour of Forum Iulii. Discovery of a jetty at the eastern end of the southern quay
El puerto antiguo de Forum Iulii. Descubrimiento de un espigón en el extremo este del muelle meridional
Karine Georges, Jean-Marie Michel, Olivier Sivan, Jean-Jacques Dufraigne et Pierre Excoffon
p. 44-53

Résumés

Forum Iulii, l’antique Fréjus, est fondée par Jules César en 49 avant notre ère. Le bassin portuaire de la ville couvre une superficie de 11 ha, ce qui en fait l’un des plus vastes de Méditerranée. Les récentes opérations archéologiques menées sur le pourtour du bassin ont livré d’importants vestiges d’infrastructures portuaires et de nombreuses informations relatives à l’évolution du niveau marin antique. A l’extrémité est du quai méridional, une jetée du port antique a ainsi été mise au jour et un niveau marin biologique a pu être mis en évidence. Un référentiel stratigraphique a été établi, permettant de retracer l’évolution de ce secteur de la ville jusqu’à l’époque contemporaine. Dès la fin du Ier siècle de notre ère, sous l’influence des apports détritiques de l’Argens, la côte rocheuse forojulienne est enfouie sous 1,5 m de sables côtiers. Deux siècles après la fondation de la ville, la plage prograde de 200 m vers le sud. L’abandon du port romain, progressivement ensablé, intervient au milieu du VIIe siècle.

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Entrées d’index

Index géographique :

Provence-Alpes-Côte d’Azur, Var, Fréjus

Index chronologique :

Antiquité
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Texte intégral

1La baie de Fréjus, d’orientation sud-ouest/nord-est, s’étend sur un linéaire côtier d’environ 6 km entre la pointe de Saint-Aygulf et la pointe du Lion de Terre à Saint-Raphaël. Enserrée par le massif volcanique de l’Estérel au nord et le massif cristallin des Maures au sud-ouest, elle correspond au débouché en mer de la dépression permienne séparant la Provence calcaire de la Provence cristalline [ill. 1].

1. Bassin versant du moyen et bas Argens dans le contexte géologique régional.

1. Bassin versant du moyen et bas Argens dans le contexte géologique régional.

L’Argens est un petit fleuve côtier de 110 km qui traverse la Provence calcaire sur les deux tiers de son tracé puis la Provence cristalline en basse vallée, avant son débouché dans la baie de Fréjus. Dans sa basse plaine alluviale, il est dominé au nord par l’Estérel (rhyolites, dolérites, andésites) et au sud par le massif des Maures (granites, gneiss, micaschistes).

DAO : Karine Georges, Inrap.

2La dernière remontée tardi-holocène du niveau marin a engendré une nouvelle ingression [ill. 2] et l’édification d’une vaste plaine entre 10000 et 3 000 avant notre ère (Dubar, Anthony, 1995). Ce colmatage post-glaciaire, d’une épaisseur de plus de 100 m dans le sondage du Fournel, à 3 km du rivage actuel (Gouvernet, 1968), se caractérise tout d’abord par la mise en place de biseaux de rétrogradation en réponse à une élévation rapide du niveau marin (Dubar, 2004). Lors de cette étape, la ligne de rivage remonte la vallée de l’Argens, formant ainsi une ria. Ce phénomène est ensuite compensé puis inversé – grâce notamment au ralentissement et à la stabilisation du plan d’eau (Laborel et al., 1994) – par une progradation des alluvions de l’Argens et de ses affluents, entraînant la formation d’une plaine deltaïque. La ligne de rivage a ainsi progressivement migré vers l’aval pour atteindre son emplacement actuel et former le paysage de la basse plaine alluviale de l’Argens ; son embouchure est aujourd’hui commune au Reyran, son principal affluent, localisé en rive gauche de cette partie avale de la basse vallée.

2. Modélisation du rivage dans le bas Argens.

2. Modélisation du rivage dans le bas Argens.

Vers 6000 avant notre ère, la mer pénétrait sur 11 km de longueur à l’intérieur des terres, formant une vaste ria de 5 km de large. Le ralentissement de la transgression marine conjugué à des apports sédimentaires croissants dus aux facteurs climato-anthropiques a amorcé une progradation alluviale et le déplacement du trait de côte vers sa position actuelle.

DAO : Karine Georges, Inrap. D'après Dubar, 2024.

3Le positionnement du trait de côte à l’époque antique suscite donc, depuis de nombreuses années, des interrogations auprès des archéologues et des historiens (Texier, 1949 ; Février, 1977 ; Gébara, Chouquer, 1996 ; Rivet et al., 2000). Quels étaient l’environnement littoral et l’accès au bassin portuaire de cette importante cité de la province romaine de Narbonnaise ? Des travaux récents menés entre la butte Saint-Antoine et le quartier Villeneuve, à l’ouest du bassin portuaire, ont permis de localiser le trait de côte et d’en mesurer l’évolution durant l’Antiquité (Excoffon et al., 2006 ; à paraître ; Devillers et al., 2007). À l’est, les données sont beaucoup plus rares, ce qui fait tout l’intérêt de nos travaux.

La colonie romaine et son port

  • 1 Bassin portuaire de Carthage : 14 ha ; celui d’Ostie : 60 ha.

4Fondée par Jules César en -49, la ville antique de Forum Iulii est implantée en bordure septentrionale de ce remblaiement holocène du bas Argens, sur une éminence rocheuse de grès permien. Dominant la plaine d’une trentaine de mètres, elle se trouvait ainsi protégée des divagations alluviales des deux principaux cours d’eau, l’Argens et le Reyran. Au pied de l’agglomération, une protolagune ouverte préexistante (Gébara, Morhange 2010 ; Excoffon et al., à paraître) a conditionné l’emplacement du port au sud-est [ill. 3]. Son bassin, d’une superficie de près de 11 ha, était parmi les plus vastes de la Méditerranée romaine1 et pouvait accueillir des bateaux de commerce, des flottes de guerre et des navires de faible tonnage (Reddé, 1986).

3a. Plan antique de la ville et localisation de l’emprise archéologique.

3a. Plan antique de la ville et localisation de l’emprise archéologique.

DR. D'après Rivet et al., 2000.

3b. Lanterne d’Auguste couronnée d’une flèche polygonale de 10 m de haut.

3b. Lanterne d’Auguste couronnée d’une flèche polygonale de 10 m de haut.

Cet édifice hexagonal en gré rouge est posé sur deux exèdres plus ancien.

DR.

  • 2 Le mistral, vent de nord-ouest, représente 38 % des vents à Fréjus ; ceux du sud, 33 %.

5De nombreux vestiges de cette installation portuaire sont connus et seul le pourtour nord/nord-ouest du port intérieur reste encore difficile à préciser. À l’ouest, des fouilles menées en 1986 par le Service archéologique municipal à proximité des thermes de la porte d’Orée révèlent une esplanade sur laquelle s’élevait une tour, donnant sur une darse aménagée de plans de halage pour les bateaux (Béraud et al., 1991). Le quai méridional du port s’amorce au sud-ouest, en contrebas de la butte Saint-Antoine. Protégé par un parapet, il se prolonge sur une distance de 560 m le long du chemin de la Lanterne. Un petit édifice, situé dans cette partie sud du tracé, est considéré comme un amer signalant l’entrée du port, la lanterne d’Auguste (Gébara et al., 1998). Le môle est, d’orientation nord-sud, bifurque quant à lui à angle droit vers le chenal d’accès au port. D’orientation nord-ouest/sud-est, ce chenal offre ainsi un accès favorable par vents dominants de nord-ouest (Georges, 1998) et de secteur est2. Raccordée à l’extrémité du môle, au niveau de la lanterne d’Auguste, se trouvait une jetée édifiée dans un second temps, que les sondages ont permis de mettre au jour dans sa partie nord. Celle-ci délimitait au sud un court chenal d’accès vers le port (Gébara, Morhange, 2010).

La jetée

6Deux campagnes de sondages archéologiques, en août 1998 (Dufraigne, 1998) puis en septembre 2007 (Michel, Georges, 2007), se sont déroulées à l’extrémité est du quai méridional, en bordure nord-est du chemin de la lanterne, sur une parcelle d’environ 3 000 m2.

7Cette intervention, réalisée au sud-est du port romain, dans son chenal d’accès, et à une centaine de mètres à l’est de la Lanterne d’Auguste, a mis au jour l’existence d’une structure maçonnée [ill. 4] dont l’étendue s’aligne avec le chemin de la Lanterne sur 32,54 m de longueur. Visible à partir de 50 cm de profondeur, elle a été dégagée en un seul point sur la totalité de sa largeur où elle atteint 4,25 m. Bien que partiellement observée sur les côtés afin de préserver un maximum de vestiges géo-archéologiques, elle fait apparaître deux phases de construction.

4. Plan de détail d’une structure maçonnée à l’extrémité est du quai méridional.

4. Plan de détail d’une structure maçonnée à l’extrémité est du quai méridional.

a. Faunes marines fixées (a.1 Coquilles altérées de vermets ; a.2 Ostrea edulis Linné) ; b. Trou de poteau ; c. Excavation ; d.1 Semelle de fondation ; d.2 Soubassement.

Clichés et DAO : Inrap.

  • 3 Diagnostic archéologique d’août 1998.
  • 4 Goudineau 3/Conspectus 30.

8Une première semelle de fondation, créée avec des blocs sans liant, est perçue en débordement de la maçonnerie sur 30 à 60 cm. Le niveau de la nappe phréatique n’a pas permis d’évaluer l’ampleur maximale de cet ouvrage ; la largeur complète de cette assise semble cependant dépasser 5,50 m. La partie supérieure de cet édifice révèle un blocage interne, lié par un mortier de chaux blanchâtre, et quelques lambeaux de son parement, sauvegardés sur deux assises constituées de moellons bien équarris, quadrangulaires, de dimensions régulières de 20 x 10 x 8 cm (Dufraigne, 1998). Les blocs bruts employés peuvent atteindre 40 cm de côté et sont essentiellement issus de grès gris, rouge, vert et rose. Le sol de circulation a disparu car seuls subsistent les négatifs des pierres arrachées lors de l’arasement postérieur de cette structure. Vers l’extrémité orientale, en bordure nord, deux creusements ont toutefois été perçus3 dont l’un, de forme ovale, présente un fond à trois petites alvéoles. La présence de mobilier céramique, piégé dans le comblement de ce trou de poteau, permet d’établir une première précision chronologique quant à la période d’utilisation de cette structure. En effet, un fond de coupe en sigillée italique4 apporterait la preuve, dans la mesure où ce tesson ne serait pas résiduel, d’un fonctionnement de cette construction durant la période augusto-tibérienne.

9Le long de cette façade, les élévations septentrionales et orientales ont révélé des colonies de faunes marines telles que des huîtres, des vermets, des balanes et des serpules qui attestent que ce soubassement a été baigné par des eaux marines. L’interprétation de cette structure comme étant une jetée du port antique de Forum Iulii à l’extrémité orientale du quai sud est également corroborée par l’existence d’excavations profondes provoquées par l’assaut répété des vagues induisant l’arrachement de moellons.

Un niveau marin biologique

10L’observation des blocs et moellons constituant cet aménagement portuaire a dévoilé, lors des deux campagnes archéologiques, différents peuplements de thanatofaunes marines fixées à ce « substrat » dur artificiel sur la face nord et l’extrémité nord-est. En 2007, des huîtres, associées à des vermets, ont été repérées sur cette structure entre -0,16 m NGF et -0,36 m NGF, où elles ont fait l’objet d’un échantillonnage pour datation AMS 14C et détermination écologique.

  • 5 Muséum national d’histoire naturelle.
  • 6 Milieu immergé en permanence et recevant la lumière solaire (Bellan-Santini et al., 1994).
  • 7 Allant jusqu’à la limite du plateau continental et caractérisé par la présence d’algues sciaphiles (...)
  • 8 Centre d’océanologie de Marseille, station marine d’Endoume.

11Malgré les attaques du temps entraînant la perte des caractéristiques spécifiques à chaque espèce, Bernard Métivier5 a cependant pu identifier des individus d’Ostrea edulis Linné (huîtres plates) vivant, fixés à un support, dans les étages infralittoral6 et circalittoral7, les graviers et les vases côtières, avec formation de bancs. Certaines de ces coquilles ont par la suite été perforées, après leur mort, par des cliones (éponges perforantes) dont la zonation biologique littorale est exclusivement affiliée à l’étage infralittoral puisqu’elles ne tolèrent aucune émersion. Sur des blocs de soubassement de la jetée, de fortes densités de tubes de serpules (annélides polychètes) ont également pu être observées, associées à des bryozoaires, et déterminées par Helmut Zibrowius8 comme appartenant à l’espèce Pomatoceros lamarckii qui se tient dans les faibles profondeurs, à quelques mètres de la surface.

  • 9 En Méditerranée, zone de balancement moyen des vagues où les peuplements biologiques supportent les (...)

12L’ensemble de ces marqueurs biologiques révèle donc une biocénose de la partie supérieure de l’étage infralittoral, à la limite de l’étage médiolittoral9. Un niveau marin biologique, marquant la limite supérieure de cette zone infralittorale (Laborel et al., 1994 ; Morhange et al., 2001 ; Marriner, Morhange, 2007), a ainsi été reconnu à partir de la limite supérieure d’un peuplement mort d’huîtres observé en 1998 à la cote de -7/-8 cm sous le zéro NGF – dont la marge d’imprécision significative est de ± 25 cm. Il est important de souligner que ces espèces d’huître, en position de vie, peuvent supporter des émersions de courte durée.

Les données stratigraphiques

13Afin d’identifier les différentes phases de comblement morphosédimentaires à l’embouchure du chenal d’accès au port antique, un référentiel stratigraphique [ill. 5] a été élaboré à partir de deux coupes, relevées de part et d’autre de la jetée, et d’un carottage de faible profondeur effectué en avant de cet aménagement portuaire. Ce dernier, réalisé à une quinzaine de mètres de la structure maçonnée, fait apparaître une première formation sédimentaire d’un mètre de profondeur débutant à la cote -0,07 m NGF. Révélatrice d’une plage sous-marine proche évoluant en fonction des courants – jet de rive et courant de retour, mouvement des vagues, dérive littorale –, elle est ainsi caractérisée par une forte variabilité granulométrique où alternent des lits sableux subhorizontaux fins à grossiers entre lesquels viennent s’intercaler des couches plus graveleuses de petits galets et/ou de gravillons émoussés. Ces sédiments, marqués par un cortège pétrographique hétérogène révélateur du contexte géologique diversifié du bassin-versant de l’Argens, témoignent donc d’un milieu de sédimentation dynamique et contrasté où une sédimentation de mode calme laisse place par intermittence à des reprises hydrodynamiques (tempêtes ?). Actuellement, les houles les plus violentes qui atteignent le rivage de la baie de Fréjus de manière frontale sont engendrées, durant la saison hivernale, par les vents de sud-est et jouent un rôle important dans la morphogenèse littorale.

5. Contexte morphosédimentaire à l’extrémité orientale de la jetée.

5. Contexte morphosédimentaire à l’extrémité orientale de la jetée.

DAO : M. Heller, Ville de Fréjus.

  • 10 Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie.

14Cette accrétion sédimentaire sableuse se poursuit ensuite sur environ 70 cm, dans la coupe sud, avec la présence d’un faciès sédimentaire de milieu soumis au déferlement des vagues. Ces sables côtiers médiolittoraux bien triés contiennent, à la base de la stratigraphie (sables fins), quelques coquilles marines remaniées puis révèlent en partie sus-jacente un dépôt soumis à des turbulences liées à la proximité de la jetée ; ce dernier fait apparaître une forte densité de lentilles sablo-graveleuses centimétriques et de passées plus épaisses (sables moyens) sub-parallèles. Dans la coupe ouest, ces niveaux apparaissent peu perturbés, avec de rares lits de sables grossiers dans un sédiment à texture médiane, car probablement protégé par la face interne de la jetée (chenal d’accès). Au sommet, ce corps sableux évolue en une sédimentation plus homogène (légère stratification perceptible dans la coupe sud) de sables grossiers auxquels viennent s’adjoindre de nombreux débris charbonneux qui ont été datés après caractérisation de leur essence par Brigitte Talon10.

15Une couche de sables limoneux d’environ 15 cm d’épaisseur mêlés à des débris de construction – éclats et nodules de chaux – scelle l’ensemble de la structure maçonnée et se poursuit sur 3 m au-delà de son extrémité. Consécutive à un arasement dont la récupération de blocs a déstructuré l’état de surface de cette jetée, elle renferme des fragments de céramique commune claire antique, culinaire médiévale et un tesson moderne de céramique glaçurée sur engobe. Par ailleurs, le comblement d’un foyer en creux découvert vers l’extrémité et au-dessus de cet arasement a livré de la céramique situant son abandon au xviie siècle : un vase et un bol de Fréjus et un bord de gobelet en céramique marbrée. Ceci situerait donc l’arasement aux environs des xvie et xviie siècles.

16En recouvrement, une épaisse couche de sables grossiers homogènes (remblai ?), présente dans la coupe sud, évolue latéralement à un milieu émergé enrichi en apports terrigènes se traduisant, d’un point de vue sédimentaire, par d’épaisses stratifications limono-sableuses à intercalations de passées sableuses (sables grossiers). Fortement perturbées par l’obstacle que constituait la jetée lors du dépôt, l’origine continentale de ces terres fines (limons) pourrait provenir des dépôts de débordement d’un fossé observé lors du diagnostic au nord-est de l’emprise.

17Cette séquence stratigraphique s’achève, sur l’ensemble du site, par 35 à 60 cm de terre végétale limono-sableuse brunâtre à noirâtre, comprenant des matières en décomposition et des fragments d’éléments modernes – plastiques et céramiques du xxe siècle – qui correspondent à une mise en culture de ces terrains jusqu’au début du xxie siècle.

Le positionnement du niveau marin antique

18En juillet 2005, une campagne de sondages archéologiques a été réalisée par le Service du patrimoine de la ville de Fréjus, sur le site du théâtre d’agglomération. Localisé à 81 m au sud de la butte Saint-Antoine, soit à environ 150 m du quai méridional du port antique et 1,3 km du trait de côte actuel, cette emprise a permis la découverte d’un saillant de grès permien dès la cote 0,64 m NGF (Excoffon et al., 2006). Cet enrochement, marqué par des traces d’érosion marine telles que des cannelures médiolittorales profondes et des cupules d’érosion infralittorales, a ainsi piégé dans ces anfractuosités de nombreux fragments de céramique, quelques fragments de bois, des clous, un fragment d’enduit peint et cinq os. Témoins de déchets délibérément jetés dans cette zone de ressac, cet ensemble de mobilier a permis d’établir une fréquentation humaine de cette côte dès les années 30/20 avant notre ère et jusqu’à 15 de notre ère.

19Un niveau marin antique a également été identifié grâce à l’existence de faunes marines fixées au rocher. Une limite supérieure de peuplement de Vermetus triqueter (vermets), vivant au sommet de la zone infralittorale et donc à la base de l’étage médiolittoral, a été mesurée à -33 cm ± 6 cm NGF. La datation de deux individus a donné un âge calibré de 300 BC -10 AD et 160 BC -80 AD (Devillers et al., 2007). La hausse du niveau marin, depuis cette période, est donc de l’ordre de 30 à 40 cm.

20Dès la fin du ier siècle de notre ère, sous l’influence des apports détritiques de l’Argens modifiant la configuration topographique de cette zone littorale, la côte rocheuse est enfouie sous 1,5 m de sables côtiers indiquant la présence d’un cordon littoral exposé au déferlement. Un milieu émergé de haut de plage est par la suite observé et témoigne de l’éloignement relatif du trait de côte. Bien que peu nombreux, les éléments de datation déterminent une mise en place de ce dépôt entre le dernier tiers du ier siècle et le iie siècle. En deux siècles, cette plage prograde donc de 200 m vers le sud [ill. 6]. 

6. Positionnement de la ligne de rivage antique en secteur sud de la butte Saint-Antoine et du quai méridional du port antique de Forum Iulii.

6. Positionnement de la ligne de rivage antique en secteur sud de la butte Saint-Antoine et du quai méridional du port antique de Forum Iulii.

P. Excoffon et J. Paques d’après Excoffon et al., à paraître. Cliché M. Heller, ville de Fréjus.

Ensablement du chenal d’accès au port romain à l’Antiquité tardive

  • 11 Huîtres (Ostrea edulis) : 1895 ± 30 BP (Delta_R 0±40) ; 447 AD / 569 AD (68,3 % de probabilité) ; 3 (...)
  • 12 Huîtres (Ostrea stentina) : 1820 ± 30 BP ; 562 AD / 637 AD (68,3 % de probabilité) ; 503 AD / 667 A (...)
  • 13 Charbons (Erica sp.) : 1485 ± 30 BP ; 554 AD / 608 AD (68,3 % de probabilité) ; 537 AD / 644 AD (95 (...)

21Sur le site du chemin de la Lanterne, les datations AMS 14C réalisées sur des coquilles d’huîtres fixées à la jetée ont révélé la phase ultime de connexion entre la mer et le bassin portuaire. En 2007, le prélèvement effectué à -0,36 m NGF est ainsi daté entre le milieu du ve siècle et la seconde moitié du vie siècle11. Une datation antécédente, réalisée en 1998 par Jean-Philippe Goiran sur les moellons de la face interne de la structure à la cote NGF de -0,22 m (huîtres Ostrea stentina) indiquait un intervalle de temps se juxtaposant à nos données et légèrement plus récent, entre le milieu du vie siècle et la fin du second tiers du viie siècle12 (Gébara, Morhange, 2010, p. 31). Synonyme d’un âge de mort de ces individus, ces périodes chronologiques indiquent donc un ensablement progressif de cette passe d’accès au port romain de Forum Iulii par des sables côtiers, ayant entraîné un enfouissement et la conservation de ces faunes fixées à leur support. Ces apports sédimentaires détritiques se poursuivent jusqu’à la cote d’environ 0,50 m NGF où ils renferment des charbons datés entre le premier tiers du vie siècle et la moitié du viie siècle13.

22Ces dépôts, contemporains ou postérieurs à l’Antiquité tardive, corrélés aux attributions chronologiques des valves d’huîtres, montrent une accrétion sédimentaire de 0,90 m entre le milieu du ve siècle et le milieu du viie siècle. Une stabilisation relative du plan d’eau, conjuguée à une augmentation probable du budget sédimentaire de l’Argens (impact climato-anthropique ?), a ainsi engendré une progradation du delta, déclenchant un ensablement à l’origine d’un piégeage accéléré du port et de son confinement. Au xvie siècle, un canal de dérivation, le canal des Moulins, sera creusé afin d’assainir le port laissé à l’abandon, en y conduisant les eaux de l’Argens. Au xviiie siècle, avec le développement de l’activité agricole, le bassin portuaire et son chenal d’accès sont remblayés et transformés en jardin.

23Les résultats acquis lors de ces diagnostics archéologiques ont permis d’éclairer chrono-stratigraphiquement les processus morpho-sédimentaires à l’origine de la phase terminale de colmatage du chenal d’accès au bassin portuaire romain de Forum Iulii dont l’ensablement définitif est établi, sur le site du chemin de la Lanterne, au milieu du viie siècle.

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Bibliographie

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Notes

1 Bassin portuaire de Carthage : 14 ha ; celui d’Ostie : 60 ha.

2 Le mistral, vent de nord-ouest, représente 38 % des vents à Fréjus ; ceux du sud, 33 %.

3 Diagnostic archéologique d’août 1998.

4 Goudineau 3/Conspectus 30.

5 Muséum national d’histoire naturelle.

6 Milieu immergé en permanence et recevant la lumière solaire (Bellan-Santini et al., 1994).

7 Allant jusqu’à la limite du plateau continental et caractérisé par la présence d’algues sciaphiles -vivant à l’ombre.

8 Centre d’océanologie de Marseille, station marine d’Endoume.

9 En Méditerranée, zone de balancement moyen des vagues où les peuplements biologiques supportent les alternances d’émersion-immersion (Pérès, Picard, 1964). Zéro marin biologique moyen.

10 Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie.

11 Huîtres (Ostrea edulis) : 1895 ± 30 BP (Delta_R 0±40) ; 447 AD / 569 AD (68,3 % de probabilité) ; 395 AD / 633 AD (95,4 % de probabilité). Ref. labo : Poz-24339.

12 Huîtres (Ostrea stentina) : 1820 ± 30 BP ; 562 AD / 637 AD (68,3 % de probabilité) ; 503 AD / 667 AD (95,4 % de probabilité). Ref. labo : Ly-9154.

13 Charbons (Erica sp.) : 1485 ± 30 BP ; 554 AD / 608 AD (68,3 % de probabilité) ; 537 AD / 644 AD (95,4 % de probabilité). Ref. labo : Poz-24337. Logiciel de calibration : Calib 6.0 html (Reimer et al., 2009).

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Table des illustrations

Titre 1. Bassin versant du moyen et bas Argens dans le contexte géologique régional.
Légende L’Argens est un petit fleuve côtier de 110 km qui traverse la Provence calcaire sur les deux tiers de son tracé puis la Provence cristalline en basse vallée, avant son débouché dans la baie de Fréjus. Dans sa basse plaine alluviale, il est dominé au nord par l’Estérel (rhyolites, dolérites, andésites) et au sud par le massif des Maures (granites, gneiss, micaschistes).
Crédits DAO : Karine Georges, Inrap.
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Fichier image/png, 1,0M
Titre 2. Modélisation du rivage dans le bas Argens.
Légende Vers 6000 avant notre ère, la mer pénétrait sur 11 km de longueur à l’intérieur des terres, formant une vaste ria de 5 km de large. Le ralentissement de la transgression marine conjugué à des apports sédimentaires croissants dus aux facteurs climato-anthropiques a amorcé une progradation alluviale et le déplacement du trait de côte vers sa position actuelle.
Crédits DAO : Karine Georges, Inrap. D'après Dubar, 2024.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/24197/img-2.png
Fichier image/png, 673k
Titre 3a. Plan antique de la ville et localisation de l’emprise archéologique.
Crédits DR. D'après Rivet et al., 2000.
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Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre 3b. Lanterne d’Auguste couronnée d’une flèche polygonale de 10 m de haut.
Légende Cet édifice hexagonal en gré rouge est posé sur deux exèdres plus ancien.
Crédits DR.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/24197/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 588k
Titre 4. Plan de détail d’une structure maçonnée à l’extrémité est du quai méridional.
Légende a. Faunes marines fixées (a.1 Coquilles altérées de vermets ; a.2 Ostrea edulis Linné) ; b. Trou de poteau ; c. Excavation ; d.1 Semelle de fondation ; d.2 Soubassement.
Crédits Clichés et DAO : Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/24197/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 1,0M
Titre 5. Contexte morphosédimentaire à l’extrémité orientale de la jetée.
Crédits DAO : M. Heller, Ville de Fréjus.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/24197/img-6.png
Fichier image/png, 854k
Titre 6. Positionnement de la ligne de rivage antique en secteur sud de la butte Saint-Antoine et du quai méridional du port antique de Forum Iulii.
Crédits P. Excoffon et J. Paques d’après Excoffon et al., à paraître. Cliché M. Heller, ville de Fréjus.
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Fichier image/jpeg, 1,1M
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Pour citer cet article

Référence papier

Karine Georges, Jean-Marie Michel, Olivier Sivan, Jean-Jacques Dufraigne et Pierre Excoffon, « Le port antique de Forum Iulii. Découverte d’une jetée à l’extrémité est du quai méridional »Archéopages, 30 | 2010, 44-53.

Référence électronique

Karine Georges, Jean-Marie Michel, Olivier Sivan, Jean-Jacques Dufraigne et Pierre Excoffon, « Le port antique de Forum Iulii. Découverte d’une jetée à l’extrémité est du quai méridional »Archéopages [En ligne], 30 | 2010, mis en ligne le 30 janvier 2025, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/24197 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/137v6

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Auteurs

Karine Georges

Inrap

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Inrap

Olivier Sivan

Inrap, Umr 6130 « Centre d’études Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge »

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Pierre Excoffon

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