- 1 Programme de recherche coordonné par J. Mouchard (Université de Nantes).
- 2 Programme de recherche coordonné par R. Arthuis (Inrap), D. Guitton (Inrap), M. Monteil (Université (...)
1Les programmes de recherche initiés depuis 2005 sur les sites d’Aizier dans l’Eure1 et de Rezé dans la Loire-Atlantique2 ont pour traits communs de s’inscrire dans des contextes semblables, l’estuaire de la Seine pour l’un, l’estuaire de la Loire pour l’autre [ill. 1], et d’apporter des données nouvelles sur l’architecture et l’organisation des infrastructures portuaires antiques en milieu fluvio-maritime.
1. Localisation des sites étudiés dans le contexte des cités du Haut-Empire.
Dessin : M. Monteil, université de Nantes.
2Bien que situé à l’embouchure de la Seine à proximité immédiate de Lillebonne-Juliobona, chef-lieu de cité des Calètes, et au carrefour de voies terrestres et fluviales [ill. 2], Aizier n’apparaît pas dans les principales sources antiques, dont certaines révèlent pourtant une activité commerciale et portuaire importante dans ce secteur. D’après Strabon, au ier siècle de notre ère, « La Saône et son affluent le Doubs reçoivent à leur tour les marchandises. Elles sont ensuite transportées par terre jusqu’à la Seine qui les achemine à l’océan, au pays des Lexoviens et des Calètes » (Géographie, IV, 1, 14). Implanté entre Rouen et Le Havre, le site d’Aizier est pour l’heure l’un des rares espaces portuaires antiques ayant fait l’objet d’investigations archéologiques en Haute-Normandie, avec Rouen (Lequoy, Guillot, 2004) et Incarville (Lepert, Paez-Rezende, 2005). Il est localisé sur la rive gauche de la Seine, dans la partie concave d’un des premiers méandres du fleuve et à l’extrémité d’une crique aujourd’hui colmatée qui sépare les villages de Vieux-Port et d’Aizier [ill. 2]. Ces deux communes, installées sur des basses terrasses, ont longtemps été en proie aux débordements du fleuve avant sa canalisation opérée dès le milieu du xixe siècle. La nouvelle configuration de l’estuaire de la Seine résulte principalement des travaux d’endiguement qui ont eu lieu depuis cette période. En passant ainsi d’une navigation latérale (à multiples chenaux) à une navigation centrale (canalisation), la géographie portuaire estuarienne a été modifiée. Les crues et débordements du fleuve ont en effet accéléré le colmatage et l’envasement des espaces situés entre la base des versants et les digues des xixe et xxe siècles. Ces nouveaux terrains, gagnés sur le lit majeur, ont ainsi piégé, à l’exemple d’Aizier, la quasi-totalité des sites portuaires anciens, mais sont encore très instables et dangereux pour la pratique d’une reconnaissance au sol. Excepté quelques sondages ponctuels réalisés en 1987, l’essentiel de nos connaissances sur Aizier résulte du programme en cours qui a permis de mettre en évidence un aménagement de berge antique [ill. 4] en lien avec une installation portuaire et, sans doute, une agglomération proche (Mouchard, 2008).
2. Paléogéographie des agglomérations gallo-romaines dans l’estuaire et des principales voies antiques au contact de la Seine.
Aizier est localisé dans la première boucle, au carrefour de voies terrestres et fluviales, dans un secteur où figuraient d’anciens hauts-fonds, notamment « la traverse d’Aizier », supprimée lors des travaux de dragages et d’endiguements d’époque contemporaine.
Dessin : M. Monteil, université de Nantes.
3. Localisation en fond d’estuaire des agglomérations gallo-romaines de Rezé/Ratiatum (rive gauche) et Nantes/Condevicnum (rive droite).
Dessin : L. Ménanteau.
4. Localisation des aménagements de berges monumentaux à l’ouest de la commune d’Aizier.
Plusieurs lignes de quais anciennes sont aujourd’hui piégées à l’arrière des digues mises en place au xxe siècle. Depuis 2009, une fouille en aire ouverte est menée en zone 3 et vise à mettre en lumière par une approche diachronique les formes d’anthropisations riveraines.
a. Le quai antique en cours de fouille dans la zone 3. Composé majoritairement de blocs en calcaire à silex, cet aménagement, mieux conservé dans sa partie est, possède encore les traces de plusieurs états de fonctionnement.
b. Détail du quai antique dans sa partie est. Le parement monumental est conservé en élévation sur 1,40 m. Grossièrement empilés, ces blocs retiennent d’importants remblais à l’arrière, participant ainsi à une mise en terrasse.
c. Différents états de construction du quai antique à l’est. On y voit un aménagement posé à même le substrat (craie) et conservé sur au moins trois assises.
d. Digue en calcaire à silex dégagée en zone 1 dans les années 1970. Affleurant sous le terrain actuel, cet ouvrage colossal a été reconnu sur plusieurs dizaines de mètres. Bien que plus récent, le mode de construction de son parement est similaire à celui du quai antique.
e. Ancre antique de type méditerranéen à jas mobile et organeau, découverte au niveau d'Aizier lors de dragages effectués dans la Seine au xixe siècle. Elle mesure 2,25 mètres de long et 1,28 mètre d'empattement (conservée au musée de la Marine de Seine à Caudebec-en-Caux, Seine-Maritime, n° inv. musée : 28.99.A).
Dessin et photos : J. Mouchard, université de Nantes.
3La commune de Rezé est localisée au fond de l’estuaire de la Loire et en rive sud du fleuve [ill.3], face à la ville de Nantes-Condevicnum. Contrairement à Aizier, le site bénéficie d’une longue tradition de recherche qui a débuté dès le xixe siècle et fait de l’agglomération antique qui s’inscrit sous la ville actuelle l’une des mieux connues aujourd’hui dans l’ouest de la France. Selon Ptolémée (Géographie, II, 7), Rezé-Ratiatum est située en territoire picton. La Loire constitue en effet, si l’on en juge par les sources écrites (Strabon, Géographie, IV, 2, 1), une frontière naturelle entre deux provinces, la Lyonnaise et l’Aquitaine, et entre deux cités, celle des Pictons et celle des Namnètes. À son apogée, au iie siècle de notre ère, l’agglomération s’étendait avec certitude sur plus d’un kilomètre de long et sur environ 300 m de large. Les dernières études lui attribuent une superficie de 40 à 50 ha, que l’on peut doubler en y ajoutant la périphérie sud caractérisée par des terrains pré-urbanisés mais non lotis accueillant des activités artisanales – céramique, verre… – et des nécropoles. Une nette rupture de pente marque le contact entre le bas de versant sur lequel est implanté le port antique et la plaine alluviale qui s’est développée depuis en éloignant de 500 m environ le site antique de la Loire actuelle. Axé sur la question du lien entre le quartier dit de Saint-Lupien, situé dans l’angle nord-est de la ville antique, et la Loire (Arthuis et al., 2007), le programme de recherche amorcé en 2005 met progressivement en évidence un aménagement de berge antique sans précédent [ill.5].
5. Plan d'une partie du quartier « Saint-Lupien » à Rezé dans le courant du iie s., lors de sa mise au jour partielle en 2010.
a. Exemple bien conservé de poutre appartenant à l’armature interne d’un caisson en pierres sèches en zone 4, secteur 11. Il s’agit d’une demi-bille en chêne relié à des poteaux en façade, côté rue, dont il ne restait que les trous d’ancrage.
b. Détail du quai où l’on voit, en façade, les pieux équarris en chêne insérés à intervalles réguliers entre les plots de pierres sèches (micaschiste). Les poteaux verticaux paraissent reliés en arrière à une armature interne soulignée par les négatifs de poutres perpendiculaires. Au premier plan, quelques planches, assemblées aux pieux et habillant le parement, ont pu être dégagées.
c. Détail des poteaux verticaux conservés en façade et de quelques fiches en fer ou clous encore présents. Cet assemblage d’armature en bois (chêne), de pierres sèches et de clous n’est pas sans rappeler sous certaines formes la technique de construction de remparts gaulois.
d. Vue après décapage du quai et de la terrasse antique en pierres et bois en zone 4, secteur 14.
Dessin et clichés b-c-d : J. Mouchard, université de Nantes ; cliché a : O. de Perettia.
4En un point, la zone 3 [ill.4 a], l’ensemble du secteur semble fortement structuré en pierres, sous les traits d’un aménagement de berge. Ce dernier est délimité à l’est par un mur composé d’au moins trois assises de blocs en calcaire assemblées avec un blocage de silex et de craie supportant quelques lambeaux de niveaux de circulation conservés au sud. À l’ouest de ce vaste aménagement apparaissent d’autres niveaux de circulation composés de petits silex et de morceaux de craie compactée. En façade de cette terrasse aménagée, côté Seine, un quai [ill.4 b] conservé au maximum de ce qui a été observé sur 1,40 m de haut, a été dégagé sur près de 10 m d’est en ouest. Constitué de blocs en calcaire grossièrement équarris et de moellons de silex, sa première assise repose à même le substrat (craie) [ill.4 c]. Pour l’heure, le mobilier céramique associé à ces constructions monumentales les date au moins des iie-iiie siècles de notre ère. La récente découverte au droit de la première assise d’un alignement de pieux plantés dans la craie enrichit la problématique. L’étude en cours devrait permettre de préciser si ces derniers sont antérieurs, contemporains ou postérieurs aux maçonneries en calcaire. Cet ensemble de vestiges pourrait évoquer un aménagement de terrasse couplé à un quai, à mettre en relation avec l’un des tronçons de voie terrestre reliant Lisieux-Noviomagus à la Seine.
5À ce jour, il convient également de restituer à l’ouest, en zone 1, un autre mur en grand appareil de blocs calcaires encore imprécisément daté mais postérieur à la période antique. Il ceinture sur environ 380 m de long le bourg d’Aizier, ses vestiges étant conservés aux extrémités est et ouest à environ 200 m du chenal de navigation actuel. Large de 0,45 m et observé sur une hauteur maximum de 1,80 m, ce mur d’aspect monumental endosse une triple fonction : celle de mur de soutènement, celle de digue ou encore, à certains endroits, celle de quai. La similitude que présente cet aménagement dégagé en zones 1 et 2 dans les années 1970 avec le quai antique en cours d’étude témoigne d’une certaine tradition dans la construction portuaire à joints vifs en basse Seine.
6Par cette approche diachronique, le programme engagé devrait permettre, à terme, de mettre en lumière l’évolution portuaire d’un bourg sur près de deux millénaires et d’en cerner ainsi les multiples déplacements transversaux et longitudinaux des installations monumentales et les raisons anthropiques ou naturelles de cette mouvance.
7C’est à la limite entre le versant et la plaine alluviale, au droit d’une rupture de pente, qu’un aménagement de berge a été reconnu puis étudié récemment sur plus de 150 m de long et jusqu’à 30 m de large [ill.5 a]. Construit peu après le milieu du ier siècle de notre ère, il présente un caractère monumental affirmé, marqué par un mur épais en schiste qui s’élargit au contact des voies d’accès perpendiculaires au fleuve, sous la forme d’imposantes constructions quadrangulaires débordantes. La découverte en façade de pieux et planches assemblés avec des clous [ill.5 b et c], reliés à une armature interne constituée de poutres [ill.5 d], permet de restituer une construction mixte (pierre sèche et bois), subdivisée en plusieurs caissons. Il s’agit là d’une architecture déjà observée en contexte portuaire antique (Londres : Miller et al., 1986 ; Bordeaux : Gerber, 2006), mais qui n’est pas sans rappeler, sous certaines formes, la technique de construction des remparts gaulois. Cet aménagement, imposant par bien des aspects – superficie, quantité de matériaux employés… – et qui résulte nécessairement d’un plan d’urbanisme concerté et d’une volonté politique forte, correspond à la mise en place d’un mur de soutènement d’une terrasse sur laquelle se succèdent, durant plus de trois siècles, des habitations, des activités artisanales, de vastes entrepôts et des bâtiments publics. Mais il fait aussi office de limite urbaine et de façade monumentale au contact de la vallée fluviale, peut-être de plate-forme technique au voisinage des rues et, surtout, de quais sur certains tronçons. Au droit de la maçonnerie, une terrasse rocheuse naturelle suit une longue pente douce, avant de plonger brutalement, annonçant ainsi un chenal. Cette configuration topographique singulière, favorable à la mise en place d’une zone d’échouage à l’étiage et d’accostage en pleine eau, est propice au déchargement de marchandises en raison de l’éloignement du chenal principal et, donc, de l’absence de courants violents. Cette zone d’atterrissage est laissée dans un premier temps à nu puis est équipée, après l’abandon du quai parementé passé le milieu du iiie siècle, d’un revêtement fait de dalles et blocs de micaschiste, véritable radier et empierrement qui s’étend, suivant une déclivité régulière, sur plusieurs mètres de long vers le nord. Cette rampe, faisant sans nul doute office de cale, a connu plusieurs réfections par le biais de remblais faits de matériaux triés, qui ont pu être progressivement déposés jusque dans le courant du ve siècle. À cette date, et même probablement avant cette date, la zone d’échouage est désormais trop ensablée pour être atteinte par voie navigable.
8Le programme de recherche étant en cours, les données présentées ici succinctement devront être nécessairement complétées. Ainsi, les toutes prochaines campagnes mettront l’accent sur l’étude d’une portion du quai particulièrement préservée, mais à l’heure actuelle simplement reconnue en surface, ses techniques de mises en œuvre et son évolution dans le temps, ses relations avec les voies d’accès et le contact avec le fleuve.
9Seuls les premiers résultats de l’étude géomorphologique menée à Rezé sont ici exposés, les prélèvements sédimentaires et les forages réalisés récemment à Aizier étant en cours de traitement. Quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres d’alluvions séparent la surface actuelle du fond rocheux de la vallée de la Loire. Ces sédiments fossiles contiennent l’histoire alluviale du fleuve et des paysages ligériens plus ou moins transformés par l’homme depuis la fin de la dernière glaciation jusqu’à nos jours. Ils contiennent aussi de nombreux vestiges d’activité ou d’occupation humaine comme ceux du port antique de Rezé.
10À Nantes, les alluvions de la Loire et ses affluents ont déjà fait l’objet d’études environnementales. L’analyse de près de mille sondages géotechniques (Arthuis, Nauleau, 2007) et l’étude de cinq sondages environnementaux réalisés dans l’Erdre (Visset et al., 2001) ont permis de définir des ensembles sédimentaires et de proposer une géométrie logique du remplissage alluvial, esquisse paléogéographique où sont précisées les articulations possibles entre chenaux, rives et espaces potentiellement occupés par l’homme [ill. 6]. Ces résultats montrent surtout l’indigence de nos connaissances et, pour aller plus loin, la nécessité d’une approche concertée de la Loire par la mise en place d’une archéologie du fleuve, tant dans ses aspects anthropiques qu’environnementaux. L’étude du site portuaire de Rezé répond à cette nécessité.
6. La Loire à Nantes et Rezé, emplacement des forages.
Dessin : R. Arthuis, Inrap - J.-F. Nauleau, Inrap.
- 3 Remontée du niveau marin suite au réchauffement climatique.
11Les paysages ligériens antiques, comme ceux d’aujourd’hui, sont fondés sur un substratum géologique constitué d’une mosaïque de formations alluviales mises en place à des périodes parfois très anciennes. La restitution des paysages antiques ou, par défaut, la restitution des environnements oblige à revenir sur une histoire de la Loire qui commence avec la transgression flandrienne3 dont les répercussions sur la vallée à Nantes débutent vers 7500 BP. Les prémices de la transgression flandrienne sont ressenties dans la vallée de l’Erdre à Nantes avec une pénétration épisodique de l’eau de mer (Visset et al., 2001). Le remplissage de la vallée de la Loire au niveau de Nantes commence. Il s’effectue par des vases plus ou moins organiques dont les milieux d’origine ne sont pas déterminés, fluvial, estuarien ou marin. Cependant, dans la vallée du Hâvre à Oudon, situé une vingtaine de kilomètres en amont de Nantes, une végétation halophile semble attester de l’arrivée d’une tranche d’eau plus ou moins saumâtre sur le marais depuis 6740 +205/-200 et de son maintien jusqu’avant 5010 +115/-100 BP (Cyprien, 2002). Dans le Gesvre, affluent de l’Erdre situé à 6 km de la Loire, l’eau salée atteint la vallée vers 7350 BP (Ouguerram, 2002). Si l’estuaire recule aussi loin dans les terres, il est donc clair que la vallée de la Loire à Nantes est, pour les mêmes périodes, totalement envahie par l’océan. Il s’agit donc d’une ria. La colline rocheuse de Nantes située au milieu de la vallée est isolée et devient une île qui domine la ria d’une petite quinzaine de mètres.
12La sédimentation fluvio-estuarienne liée à la transgression flandrienne (jalle) s’arrête autour de 4500-4000 BP. La vallée est totalement colmatée de vase jusqu’à une altitude proche de -1 m NGF. Ces dépôts sont ensuite recouverts par des limons ou entaillés par des sables relativement grossiers à Ancenis, apparemment plus fins à Nantes (Arthuis et al., 2005 ; 2007b). L’enfoncement du cours d’eau peut être la réponse du changement de profil de la Loire à une régression marine identifiée par plusieurs auteurs mais remis en cause par d’autre (Lambeck, 1997). D’ailleurs, une cause tout aussi simple et efficace pourrait expliquer ce phénomène : l’augmentation de la charge transportée (sable) qui, dans un premier temps, accroît la capacité érosive du cours d’eau circulant dans un nombre de chenaux restreint et sur un substrat constitué essentiellement de vase. En s’enfonçant, le fleuve libère à Nantes de grandes terrasses alluviales composées des dépôts de la transgression flandrienne et occupées au moins durant la Protohistoire, comme l’atteste la découverte d’un dépôt du Bronze final II sur la prairie de Mauves, La Madeleine (Lisle du Dreneuc, 1903).
13Par la suite, le fleuve exhausse son lit par l’accumulation de sable jusqu’à la fin de la première moitié de l’âge du Fer. Les sites néolithiques, dont le fleuve exhume et déplace régulièrement les vestiges, sont profondément enfouis (Poissonnier, 1999). Le fleuve qui entraîne et accumule sur son parcours des sables progresse vers l’océan. L’estuaire diminue donc considérablement. La Loire passe désormais au droit de Nantes, isole les marais de l’Erdre puis celui de la Brière ennoyé d’eau douce ou faiblement saumâtre, et forme un delta « sous-marin » au-delà de la Brière, entre Montoir et Mindin (Barbaroux, 1981). L’île rocheuse de Nantes est enserrée par deux bras bien identifiés correspondant à ceux actuels de Pirmil et La Madeleine.
14Il y a par la suite stabilisation verticale du fleuve jusqu’au début de l’Antiquité, phénomène confirmé dans la cuvette de la Brière avec une forme de « continentalisation » des marais et une faible sédimentation pendant l’âge du Fer. On peut parler d’un relatif calme hydrologique malgré le relèvement de l’océan à un niveau proche de l’actuel. La structuration antique de l’espace ligérien (îles, chenaux…) est donc fortement marquée par l’héritage morphodynamique dû à la progradation protohistorique. La vallée de la Loire à Nantes devant le site portuaire de Rezé est alors constituée de nombreuses îles sableuses et de vastes plaines alluviales inondables que sont devenues les terrasses protohistoriques constituées des dépôts de la transgression flandrienne (Arthuis et al., 2007a).
15Les campagnes de fouille et de forages carottés réalisées au-devant du quai servant aussi de mur de terrasse ont permis de définir en partie la forme du chenal qui longe le port antique de Rezé, et d’en percevoir la complexité hydrologique [ill.7 et 8]. Un bras de Loire coule aux abords des structures portuaires de l’agglomération. En bordure même du site, il n’y a pas de chenal profond mais une large terrasse rocheuse qui sert de soubassement à la cale du iiie siècle, entretenu jusqu’au ve siècle. La cale culmine à 2,4 m NGF et descend jusqu’à -1,4 m NGF. Ce dénivelé paraît suffisant pour assurer, avec un marnage possible de 3 m, un accostage par échouage des bateaux dans les conditions d’une Loire à débit ordinaire. Durant les hautes eaux, crues ou marées d’équinoxe, les bateaux accostaient directement à quai. La présence de la terrasse rocheuse au pied du quai n’est pas sans incidence sur le fonctionnement du port. D’une part, elle empêche le fleuve de migrer vers la berge et protège les structures portuaires de tout sapement, d’autre part, elle éloigne les courants violents de la rive. Le port est donc relativement bien protégé.
7. Localisation des forages réalisés au droit ou à proximité des aménagements de berges antiques de Rezé et tracé de la coupe transversale.
Dessin : R. Arthuis, Inrap.
8. Coupe transversale de la Loire au droit des aménagements de berges antiques de Rezé.
Dessin : R. Arthuis, Inrap.
16Les sédiments prélevés par carottage en bordure du quai sont postérieurs à l’activité portuaire antique. L’absence de sédiments de cette période indique que les abords du port devaient être entretenus par des curages réguliers. Dans la vallée de l’Erdre, où de nombreux sondages environnementaux ont été réalisés, on constate aussi l’absence de sédiment antique. Les niveaux supérieurs sont tronqués ou remplacés par des remblais indéterminés qui pourraient constituer les fondements des infrastructures portuaires du port de Nantes-Condevicnum, la cité des Namnètes.
17Les aménagements portuaires antiques du quartier Saint-Lupien paraissent avoir disparu progressivement du paysage à partir du ve siècle. La terrasse rocheuse en pente douce, qui constituait un atout pour la mise en place d’une zone d’échouage, a eu comme effet pervers de faciliter le dépôt d’épaisses alluvions majoritairement sableuses, dès lors que la charge transportée par le fleuve a augmenté (progradation sableuse). Le phénomène paraît avoir été assez rapide – environ 200 à 250 ans ? – et, à terme, a engendré la mise en place de prairies humides traversées par des boires, à l’exemple du paysage qui était encore perceptible avant les grands aménagemen ts des années 1960.
18En parallèle, la réflexion s’est également orientée sur le problème délicat de l’influence des marées et sur la hauteur des marnages, dont la maîtrise est évidemment indispensable pour les questions portuaires. Pour déterminer l’hydrologie du fleuve, pour connaître l’amplitude de l’onde de marée durant l’Antiquité et en mesurer l’impact sur les activités portuaires, ou bien pour situer la rupture de charge entre transport maritime et fluvial, il est devenu nécessaire de recourir à une étude poussée des alluvions ligériennes par l’analyse de plusieurs marqueurs environnementaux : foraminifères, coquillages, pollens, bois, 14C. Il s’agit, en somme, de corréler des informations environnementales et archéologiques pour déterminer les milieux naturels ou artificiels dans lesquels sédimentent les alluvions, et ce afin d’élucider le fonctionnement hydrologique de l’estuaire. Pour ce faire, s’il est prévu d’investir dans la vallée de la Sèvre nantaise, affluent de rive gauche de la Loire, des forages viennent d’être réalisés à la confluence du fleuve et de la Jaguère, petit ruisseau situé en aval du port de Rezé à Saint-Lupien. Si les premiers résultats sont décevants en termes environnementaux, ils permettent toutefois d’attester la présence de nouveaux aménagements anthropiques (pieux) qu’il reste à définir. Mais, en l’état de la recherche, il devient possible d’imaginer que l’agglomération antique de Rezé présentait une façade monumentale et portuaire de plus d’un kilomètre en rive gauche de la Loire.
19Cette ébauche d’étude comparative permet d’aborder la question des structures portuaires dans ces zones d’interface entre le littoral et la section fluviale. Les résultats obtenus jusqu’à présent permettent de mesurer l’impact de l’homme sur le milieu par l’établissement de points de rupture de charges des navigations fluviale et maritime parfaitement structurés. Par ailleurs, la zone portuaire longitudinale semble se diviser régulièrement en trois parties bien distinctes : la zone basse où l’on trouve les navires, traduite soit par un chenal navigable et un quai – accostage –, soit par une pente douce – échouage ; la zone intermédiaire où sont déposées les marchandises –, terrasse, rampe, cale, etc. ; et enfin la zone haute où l’on va les stocker – entrepôts, etc. Ce découpage a pu ainsi être approché sur ces deux sites, matérialisé par la mise en place d’importantes terrasses fortement structurées fermées en façade, côté estuaire, par d’imposants parements monumentaux alliant bois et pierre, et solidement assis sur le substrat (micaschiste ou craie).
20À Rezé, l’aménagement de berge emploie une quantité de bois et de micaschiste, ressources locales exploitées à l’immédiat, et se présente sous la forme de grands caissons, à l’image de ceux, plus modestes, déjà observés en contexte fluvial (Les Mureaux : Barat, 1990 ; Bourges : Ferdière, 1977). La hauteur de ce type d’ouvrage demeure souvent difficile à restituer, surtout sur des sites fortement érodés ou arasés. Le mur de berge de Rezé, conservé en façade sur au moins 1,30 m, pouvait, à l’origine, atteindre plusieurs mètres de haut, dans le cas d’une unique terrasse, et un peu moins dans le cas de terrasses successives en espaliers. À Aizier, on note pour l’instant une prédominance des élévations en grand appareil de blocs calcaires assemblés à joints vifs – dont un élément conservé sur au moins 1,40 m –, comme ailleurs en basse Seine, à Lillebonne ou à Rouen. Le matériau particulier employé ici s’explique vraisemblablement par l’existence, entre ces deux dernières villes, d’un massif de calcaire susceptible de fournir une pierre à bâtir de qualité (Mouchard, 2008).
- 4 En 1993, lors d’une opération préventive menée à Rouen, rue Jeanne-d’Arc, une série de petites terr (...)
21Ces deux études de cas enrichissent une typologie propre aux aménagements de berges antiques, représentée par une grande variété de matériaux et de principes architecturaux pour élever les murs et/ou parements monumentaux, quelle que soit leur fonction (quai, digue, mur de terrasse) : pieux, poutres et madriers à Londres (Milne, 1985, p. 102) et à Bordeaux (Gerber, 2006) ; palplanches à Pommeroeul (Izarra, 1993, p. 61) ; blocs équarris à Aizier ; enrochement à Lausanne (Tarpin et al., 1999, p. 40) ; maçonnerie soignée à Vaison-la-Romaine (Mignon, 2001) ; pierres sèches à Besançon (Gaston, 2002), à Penaflor en Espagne (Chic Garcia, 1990, p. 25) ; assemblage mixte de pieux, poutres, planches et pierre sèche à Bourges (Ferdière, 1977), aux Mureaux (Barat, 1990) ainsi qu’à Rezé. Au sein de la typologie portuaire antique, le catalogue des sites longitudinaux à façade monumentale – qu’elle soit en bois, en pierre ou mixte – s’est considérablement étoffé avec les découvertes de ces quinze dernières années. Le type d’aménagement de berge identifié à Aizier, à Rezé et dans d’autres cas correspond à trois grandes phases de travaux : rectification du terrain naturel, en profitant, de manière opportuniste, de la topographie naturelle ; mise en élévation de parements monumentaux (quai, digue ou mur de terrasse) et aménagement des parties arrière ou avant (rampe, cale, caissons, terrasses)4. Elles apparaissent comme la règle élémentaire de tout établissement portuaire conçu pour durer, avec d’éventuelles modifications opérées en fonction des rythmes du fleuve et des influences maritimes (recharges sur ou au-devant des structures initiales).
22Dans les cas d’Aizier et de Rezé, les opérations réalisées ont permis d’identifier des équipements portuaires spécifiques dont il reste toutefois à établir les liens avec l’océan et avec le fleuve qui, pour ce dernier, est aujourd’hui situé à distance : chenal principal ou secondaire, bras actif ou bras mort, étier, canal artificiel, etc. Comprendre la dynamique fluvio-maritime, tenter d’appréhender le rôle des marées, apparaît désormais comme essentiel. Dans cette perspective, il est évident que la zone d’étude ne doit pas se limiter aux seuls abords des structures portuaires, mais doit embrasser un espace suffisamment vaste pour saisir l’évolution et le degré d’artificialisation des berges, la paléogéographie du fleuve et son évolution en discernant les phénomènes hydrologiques à caractère local ou régional.