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Dossier

Autopsies à l’Hôpital Général de Dijon (1785-1841)

Le cimetière du « Pont des Tanneries »
Autopsies at the General Hospital of Dijon (1785-1841). The "Pont des Tanneries" cemetery
Autopsias en el Hospital General de Dijon (1785-1841). El cementerio del «Puente de las Curtiembres»
Carole Fossurier
p. 60-67

Résumés

Le site de Dijon « Pont des Tanneries » a été diagnostiqué puis fouillé entre décembre 2011 et mai 2013 sous la direction de P. Chopelain : le site correspond au cimetière de l’Hôpital Général de Dijon utilisé de 1785 à 1841. La population inhumée est celle de l’hôpital et comprend des patients, mais aussi des indigents et des enfants issus de la nourricerie. Le nombre de décès élevé au sein de l’hôpital conduit à une gestion particulière des défunts avec l’utilisation massive de la chaux ; en effet, à cette période, le docteur dijonnais Maret écrit un texte détaillant la manière de recourir à ce moyen pour assainir les cimetières. Sur les sept cents individus dégagés, certains se distinguent par des marques de découpe : ces dernières correspondent probablement à des traces d’autopsies. Celles-ci sont effectuées sur plusieurs os, de manières variées et à l’aide de différents outils. Elles peuvent avoir été réalisées soit dans une perspective de médecine légale soit à des fins anatomo-pathologiques.

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Texte intégral

  • 1 Remerciements à D. Cambou (archéozoologue, Inrap, UMR 6298 Artehis) pour son expertise sur les marq (...)

1à Dijon, au lieu-dit « Pont des Tanneries », le diagnostic puis la fouille d’une partie d’un cimetière moderne, effectués sous la direction de Patrick Chopelain (Inrap), ont mis au jour les sépultures de plus de sept cents individus (Chopelain, 2012 ; Chopelain et Fossurier, 2015). Les recherches de Patrick Chopelain ont permis de relier ce cimetière à celui de l’Hôpital Général de Dijon et de situer son fonctionnement entre 1785 et 1841 [ill. 1]. L’étude qui suit est une première analyse des traces de découpe observées sur les ossements de vingt-deux sujets, ces marques relevant très probablement de la pratique de l’autopsie1.

1. Plan de la ville de Dijon avec en 1 la localisation de l’Hôpital Général et en 2 celle du cimetière de l’hôpital. Plan aquarellé imprimé à Paris chez le sieur Desnos, ingénieur géographe, Archives de la ville de Dijon, 700 x 530 mm, 4 Fi 29.

1. Plan de la ville de Dijon avec en 1 la localisation de l’Hôpital Général et en 2 celle du cimetière de l’hôpital. Plan aquarellé imprimé à Paris chez le sieur Desnos, ingénieur géographe, Archives de la ville de Dijon, 700 x 530 mm, 4 Fi 29.

© Archives de la ville de Dijon, 700 x 530 mm, 4 Fi 29 © Archives de la ville de Dijon.

être à l’hôpital

2Quand est créé le cimetière de l’hôpital à Dijon, les établissements hospitaliers ne sont pas encore totalement dévolus aux soins des patients (Réveillas, 2011, p. 221). à la fin du xviiie siècle, les hôpitaux accueillent davantage des indigents et des voyageurs que des malades. Sur les sites de cimetières d’hôpitaux, peu de pathologies handicapantes ont ainsi été retrouvées, ce qui s’accorde avec les sources textuelles, ce type de pathologie n’étant pas pris en charge par les établissements pour ne pas « bloquer » les lits (Réveillas, 2011, p. 227-228). L’analyse des squelettes du site dijonnais reflète ces observations. Ainsi, le cimetière de l’Hôpital Général, dans sa partie fouillée, accueille essentiellement des individus adultes, hommes ou femmes. Aucune distinction ne se fait selon le sexe ou l’âge dans les modes d’inhumation. Comme souvent dans les cimetières d’hôpitaux, les jeunes enfants en sont presque exclus, probablement du fait de leur absence dans les locaux de l’établissement hospitalier. Dans la partie explorée, et malgré les proportions élevées d’individus atteints de pathologies, aucune zone ne se distingue selon l’état sanitaire des inhumés à l’exception des maladies infectieuses qui se situent en nombre important dans une fosse collective. Aussi, bien que la population inhumée sur le site rassemble probablement la plupart des défunts de l’hôpital, son état sanitaire général indique un groupe peu favorisé et ne présentant pas réellement de signes ostéologiques relevant d’actes médicaux d’ordre curatif. Les défunts montrent les caractéristiques des individus qui se trouvaient à l’hôpital, en comprenant les pauvres, les voyageurs et les malades tant hommes que femmes, mais aussi les très jeunes enfants de la nourricerie. Le nombre élevé de pathologies observables sur les individus, dont très peu sont handicapantes, reflète donc la réalité du monde de l’hôpital à cette période : une quantité importante de maladies semble liée à de mauvaises conditions sanitaires durant la vie des individus et ne résulte pas exclusivement d’une population de patients. Pourtant, ces derniers sont également présents au sein du cimetière comme le prouvent les nombreux cas d’infection. La population est donc probablement sélectionnée, ce qui se révèle intéressant car illustrant le fait hospitalier à la fin du xviiie-première moitié du xixe siècle.

Gérer un grand nombre de morts

  • 2 Recherches Romuald Pinguet.

3Sur le site du « Pont des Tanneries », les fossoyeurs doivent inhumer un grand nombre de morts chaque jour et, dès 1799, les voisins du cimetière « se plaignent que l’air est infecté » (Archives départementales de la Côte-d’Or, H DEP. 239 1 C, art. 5)2. En 1822, « des exhalaisons pestilentielles » se dégagent du cimetière du fait de la gestion de masse des décès. Cette même année, le directeur du service des épidémies indique dans un rapport que le « cimetière actuel de l’hôpital (…) ne réunit pas toutes les conditions exigées pour les établissement de cette nature ». à l’époque de sa construction, « il n’existait point comme aujourd’hui des bâtiments d’habitation dans le voisinage de ce cimetière ». Le directeur ajoute d’ailleurs par la suite : « Son terrain graveleux est peu propre à servir pour les inhumations, et l’on ne pourra remédier aux inconvénients que présente ce cimetière, qu’en le transportant une troisième fois dans un local qui réuni toutes les conditions requises » et que pour des « raisons de salubrité publique », il vaut mieux déplacer le cimetière. Il explique également que les fossés sont trop souvent remplis d’eau à la suite des inondations de l’Ouche, la rivière attenante. Ainsi, le « seul moyen dont on puisse se servir actuellement pour remédier aux inconvéniens du cimetière de l’hôpital est l’emploi de la chaux que l’on doit se hâter d’adopter, afin de prévenir de grand maux » et « l’on n’aura plus à redouter les émanations délétères qui se dégagent des cadavres en putréfaction. » (Archives départementales de la Côte-d’Or, H DEP. 239 1 C, art. 5).

4Sur le site, pour gérer les morts, les fossoyeurs ouvrent de grandes fosses collectives, mais ils réutilisent aussi des fosses déjà creusées. Le cimetière est également rapidement agrandi, au bout d’une vingtaine d’années de fonctionnement, tant son espace est saturé (Chopelain et Fossurier, 2015). Du grand nombre de décès que doivent gérer les fossoyeurs découlent deux faits de nature distincte : la présence de sépultures collectives contenant quantité de défunts ; le recours massif à la chaux. Si les sépultures collectives ne semblent pas très rares pour la période, tout en restant un fait principalement lié à la gestion urbaine des cimetières, la présence de chaux a moins fréquemment été constatée. Les contemporains sont ainsi conscients des dangers de manipuler des cadavres enfouis ou non : « il y a (…) toujours à craindre de faire des fouilles dans les terrains où l’on a enterré des morts, et quelques exemples, toujours cités sans assez d’examen, ne peuvent autoriser à procéder sans précautions à de pareilles fouilles » (Maret, 1783, p. 58). à ce sujet, le docteur dijonnais Maret décrit précisément les outils à employer en cas d’exhumation. Il explique pourquoi et comment recourir à la chaux vive et expose très clairement comment utiliser un lait de chaux et les quantités nécessaires, ceci afin « d’arrêter les progrès de la putréfaction, si elle n’est pas bien avancée, de décomposer les vapeurs, en absorbant l’air méphitique qui en fait partie, et d’ôter l’odeur fétide aux cadavres les plus infects » (Maret, 1783, p. 60). Dans cet esprit, il est régulièrement rappelé aux fossoyeurs du « Pont des Tanneries » de répandre de la chaux sur les sépultures. Sur le site, les tombes avec de la chaux sont fréquemment alignées en longues rangées permettant de gérer un grand nombre de défunts : il est envisageable que les fosses aient été creusées en amont puis remplies au fur et à mesure des décès et ensuite recouvertes de chaux dans un même mouvement. Les individus sont même parfois inhumés deux par deux pour gagner du temps dans ces « lignes de chaux » [ill. 2]. Mais les fossoyeurs n’ont pas totalement suivi les prescriptions du docteur Maret et ils réutilisent épisodiquement des blocs de chaux provenant de la destruction de sépultures antérieures, ceux-ci étant alors très peu efficaces [ill. 3].

5Les nouvelles règles d’hygiène, établies essentiellement dans un souci de salubrité publique, apparaissent ainsi progressivement au « Pont des Tanneries » et sont particulièrement lisibles à travers l’épandage de chaux. Le site illustre cependant les limites de telles prescriptions, notamment du point de vue de leurs applications lorsqu’un grand nombre de décès doit être géré. Ainsi, à la suite de plaintes du voisinage et de conditions d’exploitation difficiles du site avec un terrain instable et sujet aux inondations, le cimetière est fermé en 1841 et devient un jardin cinq ans après.

2. Vue générale d’« une ligne de chaux » avec sépultures disposées régulièrement les unes à côté des autres et recouvertes de chaux.

2. Vue générale d’« une ligne de chaux » avec sépultures disposées régulièrement les unes à côté des autres et recouvertes de chaux.

© C. Capdeville/Inrap

3. Sépulture 67 avec blocs de chaux en réemploi portant les traces de bois d’un précédent cercueil.

3. Sépulture 67 avec blocs de chaux en réemploi portant les traces de bois d’un précédent cercueil.

© N. Kéfi/Inrap

Découper des morts

6Peu d’actes médicaux d’ordre curatif ont pu être notés sur les squelettes fouillés, seuls trois appareillages ont été observés (une possible attèle et deux éventuelles ceintures abdominales) (Chopelain et Fossurier, 2015). Par ailleurs, des marques de découpe ont été observées sur vingt-deux individus. Elles sont visibles sur presque toute la durée d’utilisation du site, excepté au tout début, et leur nombre paraît augmenter au fil du temps ; elles ne se trouvent dans aucune zone particulière de la partie fouillée [ill. 4].

4. Plan de répartition des individus présentant des actes d’origine anthropique/médicale.

4. Plan de répartition des individus présentant des actes d’origine anthropique/médicale.

© Inrap

7Les squelettes peuvent porter des signes de découpe en plusieurs localisations anatomiques. Sont essentiellement concernés des individus de sexe masculin, treize hommes pour seulement deux femmes, et des adultes, avec un seul individu âgé de moins de 14 ans. La plupart des actes correspondent à des ouvertures de la boîte crânienne, probablement des autopsies, mais une grande variété est observable [ill. 5]. Les marques identifiées correspondent à plusieurs outils et modèles. Sur le crâne, la découpe paraît suivre les prescriptions en vigueur pour les autopsies en passant au milieu de l’occipital et du frontal tout en coupant les temporaux (Menenteau, 2004). Une scie, large de 2 mm, est fréquemment utilisée mais une découpe effectuée vraisemblablement avec un marteau et nettement moins nette a également été probablement exécutée. Cet outil, peu précis et entraînant la création d’esquilles mais plus pratique, n’est employé que dans les autopsies anatomo-pathologiques (Menenteau, 2004, p. 29). Dans certains cas, l’os est cassé manuellement lorsqu’il n’est pas scié jusqu’au bout, ce qui se fait encore parfois actuellement. Les découpes sont de qualité inégale [ill. 6] : par exemple, un crâne a été coupé en diagonale par rapport au plan horizontal généralement suivi, un autre a vraisemblablement été découpé au marteau avec des coups légers pour ne pas abîmer le contenu de la boîte crânienne [ill. 7]. D’autres gestes sont observables : un crâne présente de petites incisions effectuées au scalpel ou au couteau fin pour retirer le cuir chevelu afin de faciliter la découpe de la voûte crânienne, avec sciage partiel à l’aide d’une lame de 1 mm d’épaisseur [ill. 8]. Sur le sternum, la découpe peut, quant à elle, être verticale ou horizontale [ill. 9]. Pour les vertèbres, la dent de l’axis est sciée dans un cas tandis que, dans l’autre, les vertèbres thoraciques ont été découpées au niveau des lames vertébrales de part et d’autre du processus épineux [ill. 10]. L’ensemble des côtes peut être concerné sur un même individu (jusqu’à vingt-deux découpes répertoriées) et elles sont parfois sciées en de multiples endroits [ill. 11].

5. Effectifs des localisations anatomiques des actes médicaux par ordre décroissant.

5. Effectifs des localisations anatomiques des actes médicaux par ordre décroissant.

© C. Fossurier/Inrap

6. Diverses marques de découpe sur le crâne de la sépulture 322. a. Occipital avec marque de scie déviant de l’axe de découpe. b. Autre vue de la découpe de l’occipital montrant les marques de scie. c. Temporal avec cassure, la scie n’ayant pas coupé l’os jusqu’au cerveau.

6. Diverses marques de découpe sur le crâne de la sépulture 322. a. Occipital avec marque de scie déviant de l’axe de découpe. b. Autre vue de la découpe de l’occipital montrant les marques de scie. c. Temporal avec cassure, la scie n’ayant pas coupé l’os jusqu’au cerveau.

© C. Fossurier/Inrap

7. Marques de découpes sur le crâne de la sépulture 413, probablement au marteau. a. Occipital avec nombreuses marques. b. Frontal avec marques de découpes se répétant à quelques millimètres de distance.

7. Marques de découpes sur le crâne de la sépulture 413, probablement au marteau. a. Occipital avec nombreuses marques. b. Frontal avec marques de découpes se répétant à quelques millimètres de distance.

© C. Fossurier/Inrap

8. Vue de l’occipital avec petites incisions effectuées au scalpel ou couteau fin afin de permettre le dégagement du cuir chevelu et faciliter la découpe du crâne (sépulture 347).

8. Vue de l’occipital avec petites incisions effectuées au scalpel ou couteau fin afin de permettre le dégagement du cuir chevelu et faciliter la découpe du crâne (sépulture 347).

© C. Fossurier/Inrap

© C. Fossurier/Inrap

a. Dpulture 428).

10. Différentes découpes des vertèbres. a. Découpe de la dent de l’axis, éventuellement à des fins de prélèvement (Sépulture 681). b. Découpe des vertèbres thoraciques (Sépulture 1006).

10. Différentes découpes des vertèbres. a. Découpe de la dent de l’axis, éventuellement à des fins de prélèvement (Sépulture 681). b. Découpe des vertèbres thoraciques (Sépulture 1006).

© C. Fossurier/Inrap

11. Traces de découpe sur les côtes. a. Plusieurs côtes découpées d’un individu qui présentait des fractures des côtes ressoudées, ce qui pourrait être l’une des raisons de l’autopsie (Sépulture 282). b. Plusieurs traces de découpe sur un même os (Sépulture 291). La clavicule gauche de cet individu est également sciée, ce qui peut parfois être effectué dans le cadre de thoracotomie.

11. Traces de découpe sur les côtes. a. Plusieurs côtes découpées d’un individu qui présentait des fractures des côtes ressoudées, ce qui pourrait être l’une des raisons de l’autopsie (Sépulture 282). b. Plusieurs traces de découpe sur un même os (Sépulture 291). La clavicule gauche de cet individu est également sciée, ce qui peut parfois être effectué dans le cadre de thoracotomie.

© C. Fossurier/Inrap

Autopsier : médecine ou anatomo-pathologie ?

8Les imperfections des marques de découpe peuvent résulter de diverses raisons comme par exemple la mise au point d’une technique pour les autopsies crâniennes, l’exécution de celles-ci par des élèves en médecine de l’Hôpital Général dans le cadre d’un apprentissage ou une moindre maîtrise des actes de la part du praticien. Pour l’exécution des découpes, l’utilisation de scalpels et de divers outils spécifiques est nettement préconisée (Menenteau, 2004, p. 26). Les modèles d’autopsie identifiés pour la période indiquent une découpe des côtes pour permettre l’ouverture de la cage thoracique. Cette découpe, effectuée probablement à la scie mince (lame de 1 mm de large au maximum), a souvent été rencontrée sur le site. Des cas de découpe du sternum et du manubrium ont aussi été observés, dont l’un montre deux entailles peut-être consécutives à une volonté de détacher les muscles sous-claviers. Un seul cas présente une découpe des vertèbres au niveau des lames verticales de part et d’autre des processus épineux : cela pouvait vraisemblablement permettre une ouverture par le dos, peut-être dans la perspective de constatations relatives à une enquête en médecine légale. La plupart des gestes observés semblent toutefois correspondre au modèle de Chaussier (cité par Menenteau, 2004) [ill. 12]. Selon les recherches de Patrick Chopelain, un cours de médecine légale est d’ailleurs ouvert par Chaussier à Dijon en 1789 qui en publie ensuite les actes (Chopelain et Fossurier, 2015, p. 253). Plusieurs « relations » d’autopsie pratiquées sur les patients de l’Hôpital Général existent également (Chopelain et Fossurier, 2015, p. 258). à cette période, les autopsies ou dissections se font essentiellement soit dans le cadre de la médecine légale, soit à des fins de recherche anatomo-pathologique, le premier relevant d’un but judiciaire et le second d’un but scientifique (Menenteau, 2004, p. 25 ; Menenteau, 2010, p. 54). Sur le site, les individus montrant des marques de découpe ne présentent pas de signes de violence interpersonnelle, ce qui tendrait à éloigner l’hypothèse d’autopsies pratiquées dans un cadre de médecine légale. En revanche, ils ont parfois de l’arthrose très développée ou des grosseurs sur certains os longs d’étiologie indéterminée et devaient souffrir de douleurs : les médecins qui ont pratiqué ces autopsies ont peut-être dans certains cas davantage recherché la cause du mal. Ces éléments, quant à eux, tendraient à montrer que l’autopsie se situait dans un cadre anatomo-pathologique. Très peu de travaux se font cependant en anatomo-pathologie au début du xixe siècle et l’autopsie judiciaire permet alors d’apporter de précieuses informations et ce d’autant plus qu’une loi de 1742 limite considérablement l’autopsie anatomo-pathologique (Menenteau, 2004, p. 26-27). Ce sont donc fréquemment les procédés médico-légaux qui sont suivis (Menenteau, 2004, p. 26). « La technique d’ouverture du tronc est également empruntée à la pratique médico-légale » avec une « incision elliptique [recommandée] pour l’ouverture simultanée du thorax et de l’abdomen » (Menenteau, 2004, p. 27). « Dans les autopsies judiciaires, l’opération terminée, le corps est également suturé et nettoyé mais le corps est rarement visité par les proches, une fois l’examen effectué. (…) Une fois le corps refermé et lavé, le médecin doit envelopper celui-ci dans un grand drap qu’il coud et sur lequel le représentant de justice appose un scellé. Ensuite, la dépouille est placée dans le cercueil confié à la municipalité, pour l’inhumation » (Menenteau, 2004, p. 28). Tous ces processus expliquent finalement que le corps autopsié est traité avec soin, au moins dans une certaine mesure. Cela éclaire également le fait que les calottes crâniennes sont retrouvées sur le site avec les squelettes, bien que rarement dans leur position anatomique [ill. 13]. De même, les côtes sont complètes même lorsqu’elles sont découpées en plusieurs parties. Dans deux tombes recouvertes de chaux, l’une en linceul, l’autre en cercueil, des pots ont été retrouvés à la place du crâne, aucun os de celui-ci n’ayant été découvert [ill. 14] : le souci de conserver une pseudo-intégrité du corps pourrait éventuellement expliquer la nécessité ressentie par les médecins ou les étudiants de mettre quelque chose à la place de la tête, pour matérialiser celle-ci si elle était trop abîmée par l’autopsie. Il existe ainsi une « volonté hospitalière de dissimiler les activités post-mortem aux malades et à leur famille » (Menenteau, 2010, p. 56) : dans cet esprit, il est facile d’imaginer mettre à la place de la tête un élément la remplaçant.

9Ce sont des défunts non réclamés par les proches qui sont fournis par les hôpitaux pour les dissections dans la plupart des cas (Menenteau, 2010, p. 57) : la nature de la population inhumée sur le site, composée pour partie d’indigents, permet probablement d’avoir accès à ce type de cadavre. En effet, ces familles, n’étant pas en mesure de financer la mise en terre des dépouilles de leurs proches, ne demandaient pas toujours la restitution des corps : l’administration hospitalière qui en avait la charge était alors autorisée à les utiliser (Menenteau, 2010, p. 57). Et, théoriquement, après « utilisation », les restes étaient discrètement transportés et mis en terre (Menenteau, 2010, p. 57). Il est intéressant de noter que l’autopsie médico-légale offre plus de liberté au médecin qui a moins l’obligation de conserver l’intégrité du corps (Menenteau, 2010, p. 57). D’une manière générale, lors d’une autopsie anatomo-pathologique, les organes doivent réintégrer la dépouille, le corps doit être recousu et lavé ce qui est également requis pour les autopsies médico-légales (Menenteau, 2010, p. 57). Ces dernières doivent être pratiquées avec soin pour permettre les observations nécessaires à l’expertise et il semble que les « hésitations » et les « imprécisions » perçues sur le site du Pont des Tanneries relèvent davantage d’un ordre anatomo-pathologique.

12. Incision médiane et circulaire pour l’ouverture séparée du thorax et l’abdomen (médecine légale) (Menenteau, 2004 citant Chaussier, 1824, p. 503).

12. Incision médiane et circulaire pour l’ouverture séparée du thorax et l’abdomen (médecine légale) (Menenteau, 2004 citant Chaussier, 1824, p. 503).

© D.R.

13. Sépulture 322 avec autopsie crânienne, la calotte crânienne étant entre les membres inférieurs. a. Vue générale de la sépulture. b. Détail in situ, avec marques de découpe visibles au niveau du crâne.

13. Sépulture 322 avec autopsie crânienne, la calotte crânienne étant entre les membres inférieurs. a. Vue générale de la sépulture. b. Détail in situ, avec marques de découpe visibles au niveau du crâne.

© N. Kéfi/Inrap

14. Sépulture 332 avec pot écrasé au niveau du crâne et traces de chaux.

14. Sépulture 332 avec pot écrasé au niveau du crâne et traces de chaux.

© F. Krolikowski/Inrap

10La médecine évolue constamment, dans ses conceptions, ses approches, ses méthodes. L’une des voies qu’elle utilise est la connaissance du corps dans son intégralité et, pour cela, l’autopsie semble un recours adapté. Le nombre croissant de ce type d’actes réalisé sur le site au fil du temps montre la probable nécessité pour les étudiants en médecine de « pratiquer », pour les médecins de comprendre l’organisme humain, et paraît illustrer l’importance qu’a pris l’exploration interne du corps en France durant les temps modernes, à la charnière de la Révolution et de l’Empire.

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Bibliographie

Chaussier F., 1824, Recueil de mémoires, consultations et rapports sur divers objets de médecine légale, Paris, T. Barrois et Compère Jeune, 519 p.

Maret H., 1783, « Avis sur les précautions à prendre, dans le cas où les circonstances obligeroient à faire des exhumations de cadavres », in Gardanne J.-J. de, Catéchisme sur les morts apparentes, dites asphyxies ; ou instruction sur les manières de combattre les différentes espèces de morts apparentes, par demandes et par réponses, fondée sur l’expérience, et mise à la portée du peuple, Dijon, A. M. Defay imprimeur, p. 57-65.

Chopelain P., 2012, Autour des anciennes îles de Dijon. Bourgogne, Côte-d’Or, Dijon, Quartier du Pont des Tanneries, rapport d’opération, Inrap-SRA Bourgogne, 172 p.

Chopelain P. et Fossurier C. (dir.), 2015, Le cimetière de l’Hôpital Général de Dijon (1785-1841) (Bourgogne, Côte-d’Or, Dijon, Quartier du Pont des Tanneries), vol. 2, rapport d’opération, Inrap-SRA Bourgogne, 312 p.

Menenteau S., 2004, « Examens médicaux post-mortem : les pratiques de l’autopsie scientifique et de l’autopsie medico-légale, au xixe siècle, en France », Vesalius, 10, p. 25-34.

Menenteau S., 2010, « L’autopsie médico-légale, spectacle cadavérique ? L’expertise judiciaire post-mortem au xixe siècle », Frontières, vol. 23, n° 1, p. 54-59.

Réveillas H., 2011, « Les hôpitaux et leurs morts. Des sources écrites au terrain », in Castex D., Courteaud P., Duday H., Le Mort F. et Tillier A.-M. (éd.), Le regroupement des morts. Genèse et diversité, Thanat’Os 1, Bordeaux, Ausonius éditions – Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, p. 219-230.

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Notes

1 Remerciements à D. Cambou (archéozoologue, Inrap, UMR 6298 Artehis) pour son expertise sur les marques de découpe

2 Recherches Romuald Pinguet.

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Table des illustrations

Titre 1. Plan de la ville de Dijon avec en 1 la localisation de l’Hôpital Général et en 2 celle du cimetière de l’hôpital. Plan aquarellé imprimé à Paris chez le sieur Desnos, ingénieur géographe, Archives de la ville de Dijon, 700 x 530 mm, 4 Fi 29.
Crédits © Archives de la ville de Dijon, 700 x 530 mm, 4 Fi 29 © Archives de la ville de Dijon.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 184k
Titre 2. Vue générale d’« une ligne de chaux » avec sépultures disposées régulièrement les unes à côté des autres et recouvertes de chaux.
Crédits © C. Capdeville/Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
Titre 3. Sépulture 67 avec blocs de chaux en réemploi portant les traces de bois d’un précédent cercueil.
Crédits © N. Kéfi/Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 116k
Titre 4. Plan de répartition des individus présentant des actes d’origine anthropique/médicale.
Crédits © Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-4.png
Fichier image/png, 105k
Titre 5. Effectifs des localisations anatomiques des actes médicaux par ordre décroissant.
Crédits © C. Fossurier/Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-5.png
Fichier image/png, 7,6k
Titre 6. Diverses marques de découpe sur le crâne de la sépulture 322. a. Occipital avec marque de scie déviant de l’axe de découpe. b. Autre vue de la découpe de l’occipital montrant les marques de scie. c. Temporal avec cassure, la scie n’ayant pas coupé l’os jusqu’au cerveau.
Crédits © C. Fossurier/Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 460k
Titre 7. Marques de découpes sur le crâne de la sépulture 413, probablement au marteau. a. Occipital avec nombreuses marques. b. Frontal avec marques de découpes se répétant à quelques millimètres de distance.
Crédits © C. Fossurier/Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 380k
Titre 8. Vue de l’occipital avec petites incisions effectuées au scalpel ou couteau fin afin de permettre le dégagement du cuir chevelu et faciliter la découpe du crâne (sépulture 347).
Crédits © C. Fossurier/Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 812k
Crédits © C. Fossurier/Inrap
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/2176/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 264k
Titre 10. Différentes découpes des vertèbres. a. Découpe de la dent de l’axis, éventuellement à des fins de prélèvement (Sépulture 681). b. Découpe des vertèbres thoraciques (Sépulture 1006).
Crédits © C. Fossurier/Inrap
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Titre 11. Traces de découpe sur les côtes. a. Plusieurs côtes découpées d’un individu qui présentait des fractures des côtes ressoudées, ce qui pourrait être l’une des raisons de l’autopsie (Sépulture 282). b. Plusieurs traces de découpe sur un même os (Sépulture 291). La clavicule gauche de cet individu est également sciée, ce qui peut parfois être effectué dans le cadre de thoracotomie.
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Titre 12. Incision médiane et circulaire pour l’ouverture séparée du thorax et l’abdomen (médecine légale) (Menenteau, 2004 citant Chaussier, 1824, p. 503).
Crédits © D.R.
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Titre 13. Sépulture 322 avec autopsie crânienne, la calotte crânienne étant entre les membres inférieurs. a. Vue générale de la sépulture. b. Détail in situ, avec marques de découpe visibles au niveau du crâne.
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Titre 14. Sépulture 332 avec pot écrasé au niveau du crâne et traces de chaux.
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Pour citer cet article

Référence papier

Carole Fossurier, « Autopsies à l’Hôpital Général de Dijon (1785-1841) »Archéopages, 43 | 2016, 60-67.

Référence électronique

Carole Fossurier, « Autopsies à l’Hôpital Général de Dijon (1785-1841) »Archéopages [En ligne], 43 | 2016, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/2176 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.2176

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Auteur

Carole Fossurier

Inrap, Umr 7268 « ADéS »

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