1De nombreux fragments de lampes à tête de Nubien ont été recueillis dans les niveaux de destruction/démolition du mithraeum d’Angers. Ils ont permis de reconstituer cinq lampes simples [ill. 1] et un luminaire formé de 15 lampes [ill. 2 et 3]. Dans chaque cas, la figure est celle d’un Noir africain (un Nubien ou un Éthiopien ?) aux caractéristiques physiques accentuées : nez épaté, bouche charnue, pommettes saillantes, arcades sourcilières épaisses, front souligné par un pli convexe, cheveux coiffés en tresses, menton prognathe.
1. Une lampe complète (longueur : 10,01 cm, largeur : 4,35 cm, hauteur : 4,05 cm), réalisée par moulage en deux parties.
Une ouverture circulaire a été pratiquée dans la partie supérieure de la tête pour le remplissage. Les oreilles sont peu visibles, cachées au contact des deux parties moulées par un bourrelet de collage souligné par une série de pointillés estampés. Un dispositif de préhension est fixé à la partie sommitale de la tête.
Cliché M. Mortreau, Inrap
2. Une des têtes de Nubien du luminaire.
Cliché J. Brodeur, Inrap
3. Restitution du luminaire ; 12 fragments ont été recueillis dans les niveaux de destruction/démolition du mithraeum.
Le luminaire reprend la même thématique que les lampes, à la différence près que le plan de pose ne présente pas de décor curviligne. La couronne évidée, d’un diamètre estimé à 24,6 cm, est de section rectangulaire (4,1 cm sur1,9 cm). Elle est percée de trous à mi-hauteur dans l’axe des lampes. Celles-ci, assemblées deux à deux sur la couronne, sont surmontées d’un tenon percé d’un orifice permettant à la fois le remplissage et la suspension.
Illustration C. Poupin, réalisation M. Mortreau
2En choisissant ce type de représentation pour les luminaires de leur lieu de culte, les fondateurs du mithraeum avaient sans doute une intention particulière. Les Africains, en dehors de leur condition d’esclave, de soldat ou de gladiateur, avaient-ils un rôle particulier dans le culte de Mithra ? On sait qu’ils tenaient une place importante dans les cérémonies du culte à mystères d’Isis en tant que prêtres, musiciens ou danseurs (voir le relief funéraire du iie siècle en marbre provenant d’Arricia et conservé à Rome au Museo Nazionale Romano). Mais il semblerait aussi que la figure de l’Africain ait eu un pouvoir apotropaïque dans la croyance populaire (Snowden, 1976). Tant pour les lampes simples que pour le luminaire, l’aspect de la pâte et du vernis de la sigillée permet d’identifier une fabrication typique de la période de production de la phase 7 des ateliers de Lezoux (160-230). Pour les lampes, cette attribution est confirmée par l’examen d’une reproduction photographique de la valve supérieure d’un moule de lampe plastique provenant de la collection Ollier, attribuée aux ateliers de Lezoux et figurant une tête d’Africain en tout point identique à celles découvertes à Angers (Vertet, 1983, p. 130, n° 2). Quant au lustre, il est un exemple unique à l’heure actuelle. Ce type de lampe plastique semble dériver d’un prototype connu dans le bassin méditerranéen, et plus précisément au Maghreb (région où il faut sans doute situer l’origine des lampes copiées à Lezoux). À ce jour, on en répertorie plusieurs autres exemplaires : moule signé Damarion provenant de Délos (Déonna, 1908) ; exemplaires en bronze, dont celui découvert à Zeugma ; deux lampes d’Afrique du Nord conservées dans les musées de Constantine et de Tunis, non datées (Desanges, 1976, p. 261) ; une couronne datant de la fin du Ier siècle, découverte en 2009 dans le Rhône (Martinez (dir.), 2012) ; un luminaire de la fin du ive siècle, de fabrication locale, découvert à Fréjus (Brentchaloff, 2009, p. 282) ; un fragment d’une couronne grossière sur le site du mithraeum de Septeuil en fonction dans la seconde moitié du ive siècle (Barat, Gaidon-Bunuel, Van Ossel, 2006, p. 159,) ; et enfin, un lustre à sept becs de lampe type Firmalampen provenant des fouilles anciennes de Martigny, non loin d’un mithraeum (Chrzanovski (dir.), 2006, p. 57).
3La fouille des niveaux de destruction du mithraeum d’Angers a livré 24 fragments d’un vase à décor d’applique figurant un singe musicien, tenant dans ses deux mains une flûte de Pan, ou syrinx, qu’il porte à sa bouche [ill. 1]. La forme générale du vase affecte celle d’un tonnelet : un col droit surmonte une panse ovoïde resserrée à la liaison avec un fond plat offrant un diamètre maximum de 7 cm. En partie opposé à la tête, le rebord montre une déformation matérialisant la capuche du célèbre petit manteau gaulois, le cucullus. En position abaissée sur les épaules, elle prend la forme d’un bec verseur. Sur le pourtour du récipient, six arcades formées de bandes pourraient suggérer le fauteuil dans lequel le singe est assis. L’état de fragmentation du vase ne permet pas de déterminer le sexe de l’animal. Quant à la difficulté de déterminer son espèce (babouin ou macaque), elle est peut-être due au fait qu’il s’agit d’une copie que l’on peut qualifier de maladroite si on la compare à d’autres, plus soignées, comme celle découverte rue de l’Écu à Reims (Rollet, Louis, 2005). Le singe ne serait-il utilisé ici qu’en simple élément décoratif ?
4Ce type de vase, par son style plastique et par sa technique céramique, ne semble guère avoir fait son apparition avant le iiie siècle. Sa pâte céramique à engobe rouge lustré a l’aspect des productions poitevines du type céramique à l’éponge : argile fine de teinte ocre à cœur beige clair comprenant des éclats de silex blanc, des nodules d’oxyde de fer et des grains de feldspath.
5Plusieurs éléments permettent d’émettre l’hypothèse que ce vase zoomorphe a été conçu pour un usage cultuel. Tout d’abord sa rareté : par son aspect exceptionnel, le vase zoomorphe d’Angers semble le fruit d’une commande spécifique passée dans un atelier du centre-ouest de la Gaule. Sa position stratigraphique et son contexte archéologique permettent d’écarter toute récupération opportuniste. Seuls deux autres vases à décor de singe sont connus et ont été retrouvés dans les sanctuaires privés du iiie siècle de Reims et dans ceux de Cybèle et Attis datés du ive siècle à Arras (Belot, Blondiaux, 1990). Dans le premier cas, il s’agit d’un vase à décor de singe ithyphallique, issu des ateliers de sigillée de la Gaule centrale, dont la présence à Reims se justifie par le biais d’une commande particulière. Dans le second cas, le vase en terre rouge imite par sa forme la vaisselle de verre. Les spécialistes du verre des siècles derniers y voyaient une figuration caricaturale du dieu Hermès (Aus’m Weerth, 1866 ; Morin, 1913 ; Hellenkemper, 1988), dont le singe était l’animal sacré, ou bien du dieu Pan, la présence de la flûte étant pour beaucoup dans cette identification (Kisa, 1908). Si une origine égyptienne de l’iconographie simiesque n’est pas à exclure, elle semble toutefois se répandre assez vite en Gaule après la conquête romaine : on la retrouve en effet sous forme de figurines dans le répertoire des terres blanches, glaçurées ou non, produites dans les grands ateliers de la vallée de l’Allier du ier au iiie siècle (Tudot, 1860 ; Blanchet, 1901 ; Rouvier-Jeanlin, 1972 ; Corrocher 1983). Il est à noter que certains de ces primates sont vêtus du cucullus.
6Quel peut être le rapport entre le vase à décor de singe musicien et le culte mithriaque ? Aucun élément ne vient étayer un quelconque rapport entre Mithra et le singe dans la bibliographie consultée. Si on examine les différents objets remarquables mis au jour sur le site du mithraeum, on note cependant que les artefacts ayant trait à d’autres dieux sont également présents : fragment d’une figurine en terre sigillée représentant Mercure/Hermès [ill. 2] – association connue dans les Alpes ; applique décorative en bronze figurant Bacchus ou un faune. Une réponse consiste peut-être à considérer que la longue durée de l’existence du culte de Mithra à Angers (entre 170 et 405) ne peut s’expliquer que par la présence d’un nombre suffisant d’adeptes recrutés chez les militaires et les fonctionnaires impériaux. Ceux-ci avaient sans doute des religions diverses, car il est probable que le culte mithriaque n’était pas le seul culte d’origine orientale à Angers. Le vase serait-il alors un emprunt à un autre culte ?