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AccueilNuméros36Éditorial [Exotismes]

Texte intégral

1Le goût pour tout ce qui provient de lointaines contrées semble bien être aussi vieux que l’humanité, sans que l’on puisse en connaître, au moins pour les traces les plus anciennes, la charge émotionnelle, culturelle, économique ou cultuelle. Simple objet de curiosité, de valeur, en raison de son caractère exceptionnel, ou plus ?

2C’est là toute la question que soulèvent certaines découvertes archéologiques, comme ces coquillages mis au jour dans des gisements paléolithiques situés fort loin des rivages marins, ou encore ces haches en roches néolithiques rares retrouvées à de grandes distances des lieux d’extraction et de production…

3Mais, plus que la rareté de certains objets, il y a aussi l’évocation des pays lointains qui apparaît durant l’Antiquité romaine et témoigne d’un attrait pour ce qui se trouve au-delà des mers, souvent dans des pays chauds. Cependant la prudence s’impose quant à l’interprétation à leur donner. La mode des fresques murales représentant des paysages nilotiques peut par exemple être interprétée comme une forme de propagande en faveur de l’expansion de l’Empire romain. Il ne peut pourtant pas en être de même des têtes de lion qui ornent les déversoirs des mortiers de type Dragendorf 45. Produits en grande série, dans des fabriques de céramique situées bien loin du pourtour de la Méditerranée, ils témoignent, eux aussi, de l’attrait des Gallo-Romains pour ce qui est peu accessible, exotique.

4De fait, au-delà des objets, il y a aussi les animaux vivants, rapportés de lointaines contrées comme animaux de compagnie ou encore objets de curiosité : singes, perroquets… Ils participent de l’engouement pour les ménageries qui apparaît dès l’Antiquité, à Alexandrie par exemple, et se poursuit tout au long du Moyen Âge, comme en témoignent quelques exemples célèbres : celle du roi René au château d’Angers, celle des papes en Avignon. Cet intérêt pour les animaux exotiques perdurera, comme l’illustre l’histoire du rhinocéros d’Asie que le roi du Portugal offrit au pape Léon X. En 1516, le bateau qui le transportait fit escale durant plusieurs semaines sur l’île d’If, au large de Marseille ; François Ier lui-même, de retour de Marignan, fit le détour par la cité phocéenne pour l’admirer. Plus proche de nous, la jeune girafe offerte à Charles X par le vice-roi d’Égypte en 1826 connut le même engouement populaire.

5Après le voyage des objets et des animaux, il faut aussi nous pencher sur l’arrivée en France de plantes d’origine lointaine qui, une fois acclimatées, perdront, pour certaines, petit à petit, leur caractère exceptionnel, exotique, pour devenir partie intégrante de notre environnement quotidien.

6Enfin, n’oublions pas que l’autre, celui qui vit loin, qui ne nous ressemble pas tout à fait, a souvent suscité un mélange d’attirance et de répulsion, et de curiosité parfois malsaine. L’exemple le plus criant n’est-il pas cette malheureuse « Vénus hottentote », véritable animal de foire, décédée en 1815, et dont le moulage du corps et le squelette étaient conservés au musée de l’Homme. Cet exotisme-là est bien ambigu, car l’étude que Cuvier a consacrée à cette Africaine du Sud conclut à l’infériorité de sa race.

7Évoquons aussi ces Africains, serviteurs/esclaves, dont la présence dans les grandes demeures nantaise ou encore bordelaise témoignait de la richesse de leurs maîtres acquise par le commerce triangulaire, un commerce lointain tout aussi lucratif qu’exotique ! Parlons enfin des expositions coloniales dont l’apogée est atteint avec celle de 1931. Expositions où l’on faisait venir Africains, Amérindiens… afin de les exhiber dans des pseudos facsimilés de leurs habitats, témoignant de la grandeur de l’Empire et censés en légitimer la mission civilisatrice. Certains y perdront la vie.

8Méfiance et répulsion ne sont-elles pas les prémices d’une attirance et d’un intérêt qui nécessite que l’autre soit apprivoisé, rendu inoffensif, par le fait commercial, militaire et/ou colonial ? On peut, dès lors, s’y intéresser et en faire ainsi un sujet d’exotisme. L’exotisme, cette curiosité parfois positive, parfois destructrice. Un mot dont l’origine latine et grecque signifie « étranger » et que le dictionnaire ne nous aide guère mieux à définir : « Qui n’appartient pas aux civilisations de l’Occident », « qui provient des pays lointains et chauds » (Petit Robert 2010).

9Ce terme d’exotisme, on l’aura compris, est complexe, tant il recouvre des phénomènes et des motivations variés, dont la réalité profonde est parfois bien difficile à appréhender. Cependant, l’observation et l’analyse des simples faits matériels contribuent à mieux en cerner la problématique.

Offrandes en verre exceptionnelles d’une tombe à crémation d’enfant de la nécropole de Gabriélat à Pamiers, en Ariège (opération archéologique : P. Barbier et L. Cordier, Inrap).

Offrandes en verre exceptionnelles d’une tombe à crémation d’enfant de la nécropole de Gabriélat à Pamiers, en Ariège (opération archéologique : P. Barbier et L. Cordier, Inrap).

Il s’agit d’un balsamaire prismatique (en haut), d’un gobelet à épis de blé (au milieu) et d’un gobelet à cordons de tresses d’épis croisés (en bas), verres soufflés dans un moule (étude du verre : M. - T. Marty, CNRS, UMR 5608). Bien que cette technique vienne de Syro-Palestine, ces verres se rattacheraient à des séries recensées dans des provinces occidentales et dont la provenance serait locale. Leur présence dans cette tombe, richement dotée par ailleurs, permet de mesurer le goût pour des objets d’aspect exotique de l’élite, dans ces confins de la province Narbonnaise, à la fin du ier siècle de notre ère.

Photos : Olivier Dayrens, Inrap.

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Table des illustrations

Titre Offrandes en verre exceptionnelles d’une tombe à crémation d’enfant de la nécropole de Gabriélat à Pamiers, en Ariège (opération archéologique : P. Barbier et L. Cordier, Inrap).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/197/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 774k
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Paul Jacob, « Éditorial [Exotismes] »Archéopages, 36 | 2013, 2-3.

Référence électronique

Jean-Paul Jacob, « Éditorial [Exotismes] »Archéopages [En ligne], 36 | 2013, mis en ligne le 24 avril 2014, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/197 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.197

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Auteur

Jean-Paul Jacob

Président de l’Inrap

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CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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