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AccueilNuméros30Éditorial [Homme et littoral]

Texte intégral

1Lieu de rencontre entre un univers terrestre dont, durant des millénaires, on a eu peine à connaître les limites, et un univers aquatique, encore plus démesuré, le littoral est une zone particulière de contact entre deux mondes a priori antinomiques, entre deux sources d’approvisionnement majeures, entre deux modes de transport fort différents.

2Pour autant que l’archéologie puisse l’observer, l’homme s’est établi très tôt sur toutes nos côtes. Les vestiges de ses installations se trouvent parfois aujourd’hui immergées, en raison des fluctuations du niveau marin. Parmi ces populations de bord de mer, certaines lui tournent résolument le dos, ne tirant que peu ou pas de profit des ressources marines, tandis que d’autres en tirent la plus grande partie de leur subsistance. Les amas coquilliers, les vestiges de ports de toutes époques, les villae maritimes, leurs viviers et leurs « plages privées », sont là pour en témoigner tout comme, dans les cas inverses, l’absence totale de référence à la mer dans les traces d’alimentation comme dans celles des moyens de transport de certaines sociétés exclusivement tournées vers la terre malgré leur proximité du littoral.

3Selon leur nature – rochers, plage, falaise, dunes, lagune – les rivages ont été perçus comme hospitaliers et attrayants ou, au contraire, hostiles et inquiétants. Car vivre en bord de mer exigeait de s’adapter à un milieu particulièrement mobile, au gré des marées, des phénomènes permanents, et parfois brutaux, d’inondation, d’érosion… Les ensablements donnent naissance aux cordons littoraux, étangs de la côte languedocienne et de la côte atlantique, mais aussi à des phénomènes tels que les lagunes et aux reculs spectaculaires de la ligne de rivage dont témoignent plusieurs ports médiévaux, aujourd’hui dans les terres, tel le port de Quintovic, dans la Manche, dont l’emplacement incertain a été identifié ces dernières années par les archéologues de l’Inrap de façon quasi certaine. À l’inverse, les archéologues sont parfois désespérés de voir des sites importants partir progressivement à la mer, démantelés par les marées de forte amplitude.

4Qu’elles aient utilisé ou subi ces milieux, les populations ont œuvré pour réguler, contrôler ces débordements. Dès la Protohistoire, divers travaux furent réalisés pour stabiliser le littoral et permettre des installations pérennes, au moins à l’aune de quelques générations. Les ports furent entretenus régulièrement – c’est-à-dire protégés, dragués – dès la plus haute Antiquité. Je ne veux prendre ici qu’un exemple, celui du port antique de Marseille, fouillé en partie place Jules-Verne, où l’on constate que du quai grec à ceux de l’époque romaine, en passant par les atterrissements de la période hellénistique, l’homme a gagné sur la mer par des remblais, permettant l’extension de la ville portuaire en bâtissant en partie sur le Lacydon. Par ailleurs, au fond de cette vaste calanque qu’est le vieux port, les ensablements étaient importants et, de fait, plusieurs navires romains de dragages (des bateaux de servitude) y ont été découverts. On le sait, le niveau de la mer monte lentement mais inéluctablement depuis la fin de la dernière glaciation. L’ampleur de cette remontée se mesure, pour prendre un autre exemple marseillais, au fait qu’on ne puisse aujourd’hui pénétrer dans la grotte Cosquer qu’en plongeant à 37 m sous le niveau de la mer. Cependant, par ses travaux importants et incessants, en bord de mer ou à l’intérieur des terres, l’homme a fait reculer la mer sur bien des côtes.

5S'il a dû déployer tant d’énergie pour se maintenir depuis la Préhistoire dans ces espaces ambivalents entre terre et mer, c’est qu’il y avait certainement intérêt. Aux archéologues, à travers leurs investigations, de trouver, au-delà du génie de l’homme à maîtriser un environnement parfois hostile, les clefs de ce « désir de mer », pour reprendre la formule de l’historien Alain Corbin, qui semble être né bien avant qu’il ne le théorise.

Détail de la stratigraphie des niveaux tourbeux du site de Marsillargues, en Languedoc.

Détail de la stratigraphie des niveaux tourbeux du site de Marsillargues, en Languedoc.

Récemment étudié par Émilie Léa, Inrap. C’est dans cette couche brun-foncé à noire qu’ont été trouvées des traces d’une occupation humaine, entre le ixe et le xie siècle, moment où l’environnement passe d’un milieu laguno-marin à un milieu terrestre.

Cliché : C. Jorda, Inrap.

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Table des illustrations

Titre Détail de la stratigraphie des niveaux tourbeux du site de Marsillargues, en Languedoc.
Légende Récemment étudié par Émilie Léa, Inrap. C’est dans cette couche brun-foncé à noire qu’ont été trouvées des traces d’une occupation humaine, entre le ixe et le xie siècle, moment où l’environnement passe d’un milieu laguno-marin à un milieu terrestre.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/19339/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 2,1M
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Paul Jacob, « Éditorial [Homme et littoral] »Archéopages, 30 | 2010, 2-3.

Référence électronique

Jean-Paul Jacob, « Éditorial [Homme et littoral] »Archéopages [En ligne], 30 | 2010, mis en ligne le 23 août 2024, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/19339 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/137ux

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Auteur

Jean-Paul Jacob

Président de l’Inrap

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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