Site
Hôtel-Dieu, Marseille, Bouches-du-Rhône
Dates
5 novembre 2009-19 février 2010
Surface fouillée
900 m²
1Le « quartier de la mairie », sur la rive nord du Vieux-Port, présente, durant la période romaine, deux grands complexes architecturaux : des entrepôts à dolia qui se développent vers l’ouest, sur au moins 150 m de long, et les thermes du port, édifiés sous Auguste, qui vont connaître leur pleine extension dans la seconde moitié du ier siècle de notre ère, avec une emprise de 3 300 m². Ces deux édifices sont bordés, au nord, par deux voies d’axe est-ouest, quasiment parallèles, situées de part et d’autre d’une rupture de pente d’environ 4 m. Prolongements intra-muros de la voie d’Italie, ces voies desservent respectivement la zone portuaire et le secteur du théâtre pour la première, la ville haute pour la seconde.
2La fouille menée en amont de ce secteur a livré un bâtiment romain surplombant de plusieurs mètres ces équipements publics. Le plan de cet édifice, mis en place durant la période augustéenne n’est connu que partiellement [ill.1 et 2], ce qui interdit toute interprétation définitive ; mais un faisceau d’éléments (situation privilégiée, surface importante, dimensions des espaces, murs de grand appareil et sols décorés) incite à le considérer comme un bâtiment public.
1. Plan du bâtiment antique.
DAO : Gerlinde Frommherz, Inrap.
2. Vue aérienne des sols antiques sous l’église du Saint-Esprit.
Cliché : Altivue/Inrap.
3Une de ses caractéristiques, pour l’instant inédite dans la Marseille romaine, est la présence de quatre pièces contiguës pourvues de sols à pavement, composés d’un assemblage quadrichrome de fragments de pierres. Deux d’entre eux (SL2209 et SL2267) offrent une bordure monochrome blanche, large d’environ 0,50 m ; le fragment SL2214 est très incomplet ; le tapis du sol SL2210, le mieux préservé et pavant la plus grande pièce du site, se poursuit jusqu’à l’aplomb des murs [ill.3]. La polychromie se réduit à quatre couleurs : blanc (pierre), jaune (pierre), noir (galets coupés) et rouge (pierre pour le rouge foncé ; terre cuite pour le rouge orangé). Les éléments (de 2 à 6 cm) ont été taillés de manière très irrégulière selon les couleurs et les matériaux [ill.3]. Les fragments blancs étant de taille plus régulièrement quadrangulaire, ils ne peuvent être considérés comme de simples éclats ou des chutes de taille. La densité est d’environ 11 fragments au dm² ; pour 25 dm² ont été dénombrés 165 fragments blancs, 52 rouges (48 en rouge foncé et 4 en rouge orangé), 31 jaunes, 20 noirs, soit un total de 268 éléments : en bordure, la densité approche 14 éléments blancs par dm². Ces éléments laissent une large part au mortier de pose, rose, hydraulique, très apparent en surface. Cette technique d’assemblage d’éléments irréguliers se distingue des pavements dont le fonds est constitué de tesselles plus ou moins régulières entre lesquelles sont insérées des crustae, plaques de marbre ou de pierres colorées, de taille et formes diverses.
3. Le sol mosaïqué de la pièce centrale, SL2210.
Cliché : Philippe Mellinand, Inrap.
4Ces pavements sont à rapprocher d’autres exemples connus dans le monde gréco-romain. Parmi les pavements de Délos (la quasi-totalité des 350 mosaïques connues est datée des années 130-88/69 avant notre ère), Philippe Bruneau avait relevé la présence de sols en éclats de pierres de couleur sans décor figuré (Bruneau, 1972). Il soulignait deux cas qui offraient une vive polychromie : les différents fragments provenant de l’étage du « Monument de granit », daté de la seconde moitié du iie siècle avant notre ère – éclats de marbre rose et de schiste vert (n° 30), éclats de marbre blanc, noir, jaune, rouge violacé et vert (n° 31) – ; un pavement de la maison du Diadumène (n° 86) – fragments de marbre blanc, de pierre violette et noire, de schiste vert et de galets coupés. Attestée également sur d’autres sites hellénistiques (avec un décor géométrique à Lykosoura, dans le pavement figurant un Triton à Sparte…), cette technique de pavement, à éclats de marbre, a été considérée par Phyllis Williams Lehmann comme « especially characteristic of Delian floors » (Lehmann, 1964).
5Cependant, de tels pavements sont aussi connus en Italie. Marion Blake parlait de lithostroton pour une série de mosaïques anciennes, où les tesselles, irrégulières ou non, côtoient des plaquettes de pierre ou de marbre (Blake, 1930). Pour Rome et dans sa région, Maria Luisa Morricone Mattini avait repris l’étude de ces sols sous le terme d’opus scutulata (Morricone Mattini, 1980). Dans la petite ville de Pompéi, plusieurs pavements doivent être rattachés au type à éclats (Joyce, 1979, p. 255 et n. 28, pl. 33, 4-5). On retiendra particulièrement les exemples des maisons VI 10,6 (Pernice, 1938, pl. 13,6), VI 16,19 (Pernice, 1938, pl. 7,1), VII 6,3 (Pernice, 1938, pl. 23,2), VIII 1 (Pernice, 1938, pl. 10,1), VIII 5,2 (Pernice, 1938, pl. 14,6), IX 14,2 (Pernice, 1938, pl. 12,6). Ces exemples pompéiens pourraient assurément s’avérer plus nombreux en dépouillant les dix volumineux tomes Pompei. Pitture e mosaici. Dans la maison des Mystères, les couloirs donnant accès à l’atrium sont ainsi pavés. Ces sols sont habituellement rattachés au iie style pompéien.
6À Délos, mais aussi à Athènes et Érétrie, en Égypte ptolémaïque (mosaïque des Éros de Shatby), se rencontre également l’emploi de galets coupés, technique qui apparaîtrait dès le ive s. avant notre ère, la mosaïque de Shatby offrant un exemple tardif daté de 50 avant notre ère - 50 après notre ère (Bruneau, 1969, p. 323-324). Récemment, Alessandro D’Alessio et Serena Guidone ont cartographié la présence de pavements composés de galets coupés en Italie centro-méridionale, d’Atri à Taormina, du iiie-iie siècle au ier siècle avant notre ère (D’Alessio, Guidone, 2010). On signalera aussi, en Italie du Nord, à Aquilée (Blake, 1930, pl. 12.4, Donderer, 1986, pl. 12.1), l’association de galets coupés et de crustae sur fond de tesselles blanches mis en exergue dans un panneau situé au centre d’un tapis de tesselles régulières (voir aussi Donderer, 1986, pl. 4.4, sur fond de tesselles noires). Dans le bassin oriental de la Méditerranée, comme en Italie, les datations de ces pavements sont assez semblables : époques tardo-républicaine et augustéenne, soit les iie-ier siècles avant notre ère, au plus tard les toutes premières décennies du ier siècle de notre ère.
7Ces techniques à galets coupés et/ou éclats ou tesselles irrégulières se situent dans les développements de la mosaïque de galets et la recherche, par les mosaïstes, de procédés plus systématisés qui les mèneront aux tesselles régulièrement taillées et juxtaposées, dont Philippe Bruneau a montré les ressorts (Bruneau, 1969). Les mosaïstes œuvrant à Massalia s’inscrivaient parfaitement dans ces recherches.