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Dossier

Une autre manière de percevoir le sucre  : la naissance de la tasse à Marseille

Another way to perceive sugar: the birth of the cup in Marseille
Otra manera de percibir el azúcar: el nacimiento de la taza en Marsella
Véronique Abel
p. 60-61

Entrées d’index

Mots-clés :

sucre, faïence, tasse

Index chronologique :

Temps modernes

Palabras claves:

Tiempos Modernos, azúcar, fayenza, taza
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Texte intégral

1Le sucre ne laisse dans la culture matérielle que des traces indirectes : en amont de son circuit subsistent des structures ou des outils de son raffinage ; à l’autre bout de la chaîne du produit, des objets témoignent de sa consommation. Denrée rare jusqu’au xixe siècle, le sucre a longtemps été accompagné d’un cortège d’ustensiles spécifiques, parfois précieux, aussi nécessaires pour le service du condiment qu’essentiels au prestige de leur propriétaire (Collectif, 1991), parmi lesquels les saupoudreuses, en faïence, argent ou cristal, sont des exemples significatifs. Les précautions prises dans leur maniement a peu à peu et à jamais éloignés de leur utilisation première, ces instruments conservés désormais sous vitrines de collections publiques ou privées. Le mobilier archéologique permet-il, quant à lui, de noter l’arrivée du sucre et d’apprécier la vulgarisation de son usage ?

2Dès le bas Moyen Âge, un récipient en terre cuite destiné à contenir la part de nourriture d’une personne se répand : l’écuelle, vase hémisphérique largement ouvert dont le diamètre se situe autour de 14 cm, qui devient la pièce de vaisselle la plus fréquente au début des temps modernes [ill.1, fig.a]. Sa morphologie est adaptée aux soupes, brouets, bouillies et bouillons, mais peut recevoir aussi des mets plus solides, tant que l’assiette individuelle reste rare, et sans doute encore après.

3La France méditerranéenne ignore à peu près les gobelets en terre. Pour l’eau ou le vin, leur préfère-t-on le verre, le métal ou l’écuelle de terre, selon les moyens dont on dispose ? La question des céramiques à usage individuel comme alternatives à la traditionnelle écuelle n’est pas tranchée par le mobilier archéologique ; la réponse est sûrement multiple (Ferrières, 2004). En Languedoc, on reçoit des faïences venues d’Espagne, parmi lesquelles figure aussi ce vase, souvent rehaussé de reflets dorés, tandis que les Provençaux se servent à l’occasion d’exemplaires vernissés toscans, de forme différente et plus élancée, restant cependant dans la norme de capacité habituelle [ill.1, fig.b.1]. Les ateliers de potiers de l’arrière-pays marseillais prennent cette écuelle de la basse vallée de l’Arno pour modèle dans la seconde moitié du xviie siècle. Leurs exemplaires n’ont alors aucun appendice de préhension et les parois sont légèrement évasées à partir d’un pied dégagé [ill.1, fig.b.2].

4Une autre pièce du répertoire des terres vernissées de l’aire marseillaise, contemporaine de la précédente, est en revanche plus originale. La tasse est apparue : ses parois sont plus verticales et plus courtes, elle est agrémentée deux petites anses opposées, en forme de point d’interrogation, et sa contenance est plus faible [ill.1, fig.c]. Il s’agit d’une réelle « apparition », encore mystérieuse : on ne lui connaît aucun précédent ou précurseur dans les productions de céramiques locales. Même si ce récipient n’est pas le plus courant de la production vernissée de l’arrière-pays marseillais à la fin du xviie siècle, les pièces recensées sont suffisamment nombreuses pour constituer une excellente référence typologique.

1. Céramiques de la fin du 17e siècle provenant des fouilles de Marseille.

1. Céramiques de la fin du 17e siècle provenant des fouilles de Marseille.

a. Écuelle d’un modèle courant en France méditerranéenne depuis le bas Moyen Âge. Terre vernissée de la vallée de l’Huveaune dans l’arrière-pays marseillais, vers 1670 (la Bourse, 1969, Sra Paca) ; b.1 : Écuelle en terre vernissée de la basse vallée de l’Arno (Pise, Italie ; la Bourse, 1968). b.2 : écuelle inspirée des exemples de Pise, façonnée et décorée dans l’arrière-pays marseillais vers 1670 (la Bourse, 1969, Sra Paca) ; c. tasses en terre vernissée utilisées à Marseille entre 1670 et 1710 environ ; c.1 : décor incisé et polychrome (la Charité, 1983, Lucien-François Gantès, Atelier du Patrimoine de la Ville de Marseille) ; c.2 : monochrome blanche (la Charité, 1985, Véronique Abel, Inrap) ; c.3 : engobes jaspés et taches vertes (la Bourse, 1974, Sra Paca) ; c.4 : taches vertes sur engobe blanc, (la Bourse, 1979, Sra Paca).

DAO : Véronique Abel, Inrap.

5L’originalité de sa forme laisse penser que la tasse est conçue pour répondre à une aspiration nouvelle pour un objet spécifique, propre à se démarquer de l’écuelle à bouillie. Les décors ne sont cependant pas différenciés du reste de la production : incisés et polychromes, figuratifs ou géométriques alternent avec des engobes jaspés et des vernis tachetés [ill.2]. Sans trop de risques, ni trop de preuves non plus depuis un quart de siècle que nous le soutenons (Abel, 1987, fig.10), nous estimons que cette tasse atteste de la pénétration, dans la société, du café et du chocolat, auquel le sucre est associé. Sucre et café se rencontraient plus tôt autour du bassin méditerranéen, mais c’est dans la seconde moitié du xviie siècle que le café est attesté à Marseille (Meyer, 1989, p. 185-186), le chocolat étant sucré par les Européens dès qu’ils en ont consommé.

2. Tasses en terre vernissée utilisées à Marseille entre 1670 et 1710 environ.

2. Tasses en terre vernissée utilisées à Marseille entre 1670 et 1710 environ.

La Bourse, Sra Paca, musée d’Histoire de Marseille. Cliché : Véronique Abel, Inrap.

6La tasse en terre vernissée n’a pas eu une vie très longue. Elle disparaît dans le deuxième quart du xviiie siècle, sans doute abandonnée par les usagers au profit de la faïence. Bien qu’éphémère, elle reste éloquente : à Marseille et dans sa proche région, il semble possible, grâce à elle, d’affirmer que l’emploi du sucre est perceptible à travers les sources archéologiques, puisque son passage dans la vie quotidienne est indiqué par la céramique.

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Table des illustrations

Titre 1. Céramiques de la fin du 17e siècle provenant des fouilles de Marseille.
Légende a. Écuelle d’un modèle courant en France méditerranéenne depuis le bas Moyen Âge. Terre vernissée de la vallée de l’Huveaune dans l’arrière-pays marseillais, vers 1670 (la Bourse, 1969, Sra Paca) ; b.1 : Écuelle en terre vernissée de la basse vallée de l’Arno (Pise, Italie ; la Bourse, 1968). b.2 : écuelle inspirée des exemples de Pise, façonnée et décorée dans l’arrière-pays marseillais vers 1670 (la Bourse, 1969, Sra Paca) ; c. tasses en terre vernissée utilisées à Marseille entre 1670 et 1710 environ ; c.1 : décor incisé et polychrome (la Charité, 1983, Lucien-François Gantès, Atelier du Patrimoine de la Ville de Marseille) ; c.2 : monochrome blanche (la Charité, 1985, Véronique Abel, Inrap) ; c.3 : engobes jaspés et taches vertes (la Bourse, 1974, Sra Paca) ; c.4 : taches vertes sur engobe blanc, (la Bourse, 1979, Sra Paca).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/19026/img-1.png
Fichier image/png, 267k
Titre 2. Tasses en terre vernissée utilisées à Marseille entre 1670 et 1710 environ.
Crédits La Bourse, Sra Paca, musée d’Histoire de Marseille. Cliché : Véronique Abel, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/19026/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 229k
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Pour citer cet article

Référence papier

Véronique Abel, « Une autre manière de percevoir le sucre  : la naissance de la tasse à Marseille »Archéopages, 31 | 2011, 60-61.

Référence électronique

Véronique Abel, « Une autre manière de percevoir le sucre  : la naissance de la tasse à Marseille »Archéopages [En ligne], 31 | 2011, mis en ligne le 22 août 2024, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/19026 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12726

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Auteur

Véronique Abel

Inrap

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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