1Dans le sud de l’île de Basse-Terre, des fouilles ont mis au jour les restes d’un imposant bâtiment d’environ 270 m2 [ill.1] sur l’emplacement de l’université « La Cité de la connaissance ». Seules les fondations témoignent de son organisation spatiale. L’infrastructure devait être constituée de bois et parfois, peut-être, de murs maçonnés. Au Nord un aqueduc longe l’ensemble. Il devait entrainer la roue du moulin d’une sucrerie située en contrebas de la zone fouillée. Comme l’indiquent les nombreux fragments trouvés sur le site, la couverture de certaines structures était faite de larges tuiles épaisses avec un profil en « S », appelées « tuiles flamandes » ou « pantiles » [ill.2]. Cette configuration rappelle certaines œuvres de peintres flamants représentant des habitations-sucrerie du Brésil [ill.3]. Les moulins à canne à sucre étaient essentiellement constitués de bois. L’iconographie abondante et les témoignages de chroniqueurs comme les pères dominicains du Tertre et Labat, qui vécurent aux Antilles vers la fin du xviie siècle, permettent d’en proposer une restitution précise. La roue à aubes ou à godets, par un système de roues crantées, entraînait un axe permettant la rotation d’une « rolle » (tambour de bois parfois chemisé de métal). De chaque côté, deux autres rolles étaient actionnées par un système d’engrenages. Les tiges de canne à sucre, préalablement débarrassées de leur feuillage par le feu, étaient écrasées entre ces pièces en mouvement. Le jus, ou « vesou », tombait sur une planche incurvée appelée la « table ». Le liquide s’écoulait ensuite dans une cuve maçonnée. La sucrerie (lieu de fabrication du sirop) était attenante au moulin lorsqu’il s’agissait d’une force motrice d’origine hydraulique (Labat, 1742). Au moins deux types de sucreries coexistaient au Amériques. Celles des Français étaient faites de puissante maçonnerie. Par trop-plein ou manuellement, le vesou était acheminé vers une série d’au moins cinq marmites en métal, généralement noyées dans une maçonnerie et équipées chacune de leurs propres fourneaux. Le jus de canne à sucre, lors de son cheminement d’une chaudière à t, était filtré, concentré, débarrassé de ses impuretés par écumage, clarifié et réduit en sirop. On effectuait la cristallisation soit dans des barriques percées (pour obtenir du sucre brut non raffiné), soit dans des formes de terre cuite (pour le « raffine » ou le « terré », actions destinées à blanchir le sucre). Réduit en « cassonade », il était envoyé en Europe dans des fûts en bois. Un autre type de sucrerie était constitué d’une architecture légère avec un seul fourneau situé sous la dernière chaudière. Dans ce cas précis, un conduit de section quadrangulaire transmettait la chaleur d’une chaudière à l’autre. Les plus grands ateliers pouvaient avoir deux séries de chaudières fonctionnant parallèlement. Plus économiques et plus légers que les sucreries des Français, ces fourneaux sont dits « à l’Angloise » (Labat, 1730).
1. Extrait du plan du site de la Cité de la connaissance, dans le sud de l’île de Basse-Terre.
Le bâtiment de production sucrière s’étend sur une surface importante déterminée par les fondations.
DAO : F. Casagrande et P. Texier, Inrap.
2. Toiture en tuiles flamandes ou « pantiles », larges, épaisses et avec un profil en « S ».
DAO : Fabrice Casagrande, Inrap
3. Gravure (Journal de Matheus van den Broeck publié en 1651) représentant l’attaque portugaise d’une habitation-sucrerie néerlandaise du Brésil.
Cette habitation évoque le bâtiment excavé dans la région de Basse-Terre.
John Carter Brown Library, Box 1894, Brown University, Providence, R.I. 02912.
2Le fossé, les dimensions du bâtiment fouillé, ainsi que son organisation conduisent à supposer qu’il s’agit d’un moulin à eau pour broyer la canne à sucre. Une grande quantité de fragments de formes à sucre et de pots à mélasse atteste d’une telle activité sur le site. La majorité de celles que nous avons découvertes sont originaires de Sadirac, village de potiers près de Bordeaux [ill.4 a et b]. D’autres pots à mélasse, de conception différente, proviennent sans nul doute d’un autre site de production [ill.4 c]. Seuls les pots sont glaçurés à l’intérieur. Dans les couches d’occupation, on rencontre quelques rares tessons de poteries produites localement. Ces niveaux archéologiques ont également révélé des poteries assez caractéristiques de la fin du xviie et du début du xviiie siècle, ce qui constitue un terminus ante quem pour les structures.
4. Formes à sucre et pots à mélasse importés d’Europe.
La plus grande partie de ceux découverts sur le site proviennent de Sadirac, près de Bordeaux.
DAO : Fabrice Casagrande, Inrap.
3L’historien Gérard Lafleur (1993 a) indique dans ce secteur, au moins depuis 1655, l’habitation-sucrerie du Hollandais Jacob de Sweers venu du Brésil. Il était associé à son frère, Jean, qui s’occupait d’un magasin dans le bourg de Basse-Terre où il entreposait la production de la sucrerie familiale. Peut-être sommes-nous en présence des vestiges de l’habitation fondée par cette famille, ce qui constituerait un cas très précoce d’installation sucrière.