- 1 1 kg de miel et de pollen donne environ 60 g de cire. La construction des rayons d’une ruche moyenn (...)
- 2 Par exemple Boyé, 1997 ; Delort, 1984 ; Vincent, 2004.
- 3 Par exemple Philippe Marchenay : « le Moyen Âge n’a pas été marqué par une évolution sensible des t (...)
- 4 Il existe un excellent ouvrage écrit par Eva Crane ainsi que des articles du même auteur (Crane, 19 (...)
- 5 Les documents textuels sont issus des encyclopédies du XIIIe au XVIIIe siècle, de l’agronomie, des (...)
1L’exploitation de l’abeille par l’homme va de la récolte de miel de colonies sauvages à la domestication de l’abeille. En réalité, il s’agit plutôt d’une domestication partielle car, jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle, elle n’amène aucune modification de l’espèce et sa reproduction n’était pas contrôlée (Delort, 1984, p. 246 ; Digard, 1990, p. 155). L’homme a essayé de tirer avantage des qualités naturelles de l’abeille en lui donnant un logement, la ruche, et en rassemblant les colonies dans des environnements propices à leur développement ainsi qu’à la production de miel et de cire. Il est important de souligner que l’on ne peut envisager la production du miel sans prendre en compte celle de la cire que l’abeille fabrique en consommant du miel et du pollen1 ; les deux produits sont ainsi en « concurrence ». Si celle-ci doit être nuancée, elle ne peut être ignorée dans l’analyse des moyens de production et de récolte du miel. Dans cet article, il ne s’agit pas d’examiner l’usage du miel et sa place dans les sociétés passées, sujet traité par les historiens de l’alimentation. L’analyse porte essentiellement sur les moyens de production du miel durant le Moyen Âge et l’époque moderne, et interroge les éventuelles traces archéologiques que cette activité a pu laisser. Les rares historiens français qui abordent le sujet2 de l’apiculture soulignent l’importance des produits de la ruche en s’appuyant sur l’étude des documents comptables, notariaux, législatifs et iconographiques, mais sans réellement analyser la composante technique. Ceux qui l’abordent pour la période médiévale reprennent, pour la plupart, la thèse de la pratique de l’étouffage par opposition aux pratiques antiques, avec un regard péjoratif3. Ce sujet d’étude est très peu pris en compte par les archéologues4. La production de miel et de cire issue de l’élevage des abeilles, fait partie, il est vrai, de ces activités dont les traces matérielles sont fugaces. Néanmoins, elle peut être considéré archéologiquement, par une recherche qui s’appuie sur l’étude dynamique et critique des données archéologiques, textuelles et iconographiques confrontées aux données ethnographiques et biologiques de l’abeille5.
- 6 Dans le cadre de cet article, l’analyse de cet ensemble de ruches ne sera pas développée.
2La ruche est un contenant où l’homme installe une colonie d’abeilles afin que celle-ci y construise son nid et que lui-même puisse contrôler et prélever la production de miel. De l’âge du Bronze jusqu’au milieu du xixe siècle, les ruches sont dites « fixes » car les abeilles y construisaient directement leurs rayons de cire que l’apiculteur ne pouvait déplacer. Les efforts des apiculteurs ont porté sur des améliorations possibles de ces ruches à rayons fixes indivisibles, pour faciliter les manipulations et augmenter le rendement en miel et en cire. Depuis la deuxième moitié du xixe siècle, les ruches comportent des cadres en bois mobiles dans lesquels les abeilles construisent les rayons de cire, que l’apiculteur peut sortir pour observer et récolter plus aisément. Auparavant, on a inventé des ruches modulaires, mentionnées dans les traités d’agronomie du xviiie siècle (mais certains auteurs pensent que leur origine est antérieure à cette date6), constituées de plusieurs compartiments, dont certains sont exclusivement destinés au stockage du miel. Selon le modèle de ruche, l’approche technique de la récolte du miel et de la cire est donc différente ainsi que la qualité et la quantité des produits.
- 7 Par exemple : marronniers, arbres fruitiers, bruyère, luzerne, pois cultivé, fève vulgaire, vesce c (...)
- 8 Les abeilles ne butinent que dans un rayon de 3 km au maximum autour de la ruche.
3L’analyse croisée des sources a permis de distinguer deux grands ensembles de ruches : les nomades, structures transportables, et les sédentaires qui font corps avec une construction [ill.1], telles les « ruches-placards » aménagées dans les murs intérieurs d’un bâtiment [ill.2], et les ruches horizontales ou parfois verticales prises dans la maçonnerie, qui sont surtout présentes dans les pays de culture méditerranéenne. L’environnement de ces ruches doit être suffisamment riche en plantes mellifères7 afin de permettre le développement de la colonie et la production de miel8. A contrario, les ruches « nomades » sont déplacées sur un vaste territoire, en fonction des floraisons. En prenant comme critère l’axe d’ouverture de la ruche permettant l’accès aux rayons, ces deux ensembles peuvent être subdivisés en trois groupes ; ce critère est d’importance puisqu’il induit diverses approches techniques de récolte. On distingue : le groupe 1 (accès aux rayons au sommet ou sur la face opposée de l’entrée des abeilles (trou de vol) ; le groupe 2 (accès aux rayons par le fond, en général sur des ruches en vannerie spiralée ou clayonnée) ; le groupe 3 (accès aux rayons sur un côté, accès le plus pratique).
1. Typologie des ruches indivisibles à rayons fixes.
Catherine Mousinho.
2. Cabane à ruches-placards de Perrier (Puy-de-Dôme) et schéma d’une ruche-placard.
Extérieurement, on trouve une fente dans le mur permettant la sortie des abeilles et, à l’intérieur, une caisse en bois d’environ 50 cm de haut, 40 cm de large et 30 cm de profondeur, munie de deux portes. L’apiculteur accède à la totalité des rayons de miel, sans détruire la colonie.
Fleur Lauga, d’après un schéma de Gaby Roussel.
- 9 Plante herbacée appartenant aux ombellifères.
4Ces groupes de ruches se scindent ensuite en fonction de la matière première et de la technique de fabrication. L’iconographie comme les textes d’agronomie révèlent une grande variété de ruches (Mane, 2006, p. 387-393 ; Mousinho, 2005 et 2008), avec quelques différences toutefois : les ruches en céramique, en pierre et en férule9 ne sont pas figurées (ou reconnues) en iconographie, alors qu’elles sont mentionnées dans les textes (Estienne, Liébault, 1598, p. 306 ; de Serres 1600, p. 634). L’abbé Rozier mentionne l’emploi des ruches en terre cuite en France pour les périodes anciennes (1781, p. 71). Aucun vestige de ce type de ruches n’a été archéologiquement reconnu en France - ce qui semble étonnant - alors que les archéologues espagnols (Bonet Rosado, Mata Parreño, 2002) et grecs (Crane, 1999, p. 136-141) en ont identifiés. Les autres sources textuelles, il est vrai, précisent qu’il s’agit d’un type méditerranéen. D’après les traités agronomiques, à partir du xviiie siècle, les ruches en vannerie sont préférées aux ruches en planches de bois assemblées, aux ruches-tronc ou en écorce de chêne-liège. Ce changement peut s’expliquer par une plus grande utilisation de la transhumance et par une gestion différente des forêts.
5Les diverses sources disponibles ne nous permettent pas de cartographier la répartition des différents types de ruches pour la France du xiiie au xviiie siècle. Sans pour autant faire d’analogie, si on s’appuie sur la répartition géographique des ruches au xixe siècle, les ruches en planches de bois, en tronc ou en écorce de chêne-liège étaient utilisées dans l’est de la France ainsi que sur toute la moitié sud de la France et jusqu’en Espagne et
en Italie (L’Abeille, 1981, p. 86), celles en vannerie spiralée l’étaient dans la moitié nord et celles en vannerie clayonnée du nord-est au sud du pays (L’Abeille, 1981, p. 83, 85).
- 10 Par exemple, deux ruches en tronc d’arbre ont été retrouvées en Basse-Saxe, en Allemagne, dans des (...)
6La plupart de ces modèles étant en matériaux périssables, ils ne peuvent être retrouvés que dans certains contextes archéologiques10. En outre, l’état de conservation des restes ne permet pas toujours une bonne identification. Il faut alors être attentif à certains caractères spécifiques.
7Les analyses de laboratoire permettent de repérer les résidus de cire et de propolis. Il serait donc intéressant de les rechercher, lorsque les conditions taphonomiques le permettent, comme cela a été fait, sur de la céramique, par Christine Regert (Colinart et al., 2001).
8On peut distinguer également divers usages de ruches en fonction de leur taille. Les petites ruches servent à produire des essaims, que l’apiculteur peut garder ou vendre, ce qui représente donc une source de revenus non négligeable. Les grandes ruches sont réservées à la production de miel (Estiennes, Liébault, 1598, p. 306). D’après les modèles conservés dans les musées apicoles ou ethnographiques, ces ruches en tronc d’arbre évidé, en écorce de chêne-liège et en planches assemblées peuvent faire 60 à 120 cm de haut ou de long (L’Abeille, 1981, p. 86 ; Mane, 2006, p. 388). Celles en vannerie sont généralement plus petites, elles mesurent en moyenne entre 35 et 54 cm de haut et 35 à 45 cm de diamètre (L’Abeille, 1981, p. 82 , 84).
9L’un des indices les plus probants pour identifier une ruche à rayon fixe est l’amorce des traces de fixation du croisillon sur ses parois internes. Toutes les ruches à rayons fixes ont, à l’intérieur, un croisillon en bois qui sert à la fois aux abeilles d’accroche pour les rayons et aux apiculteurs de repère.
10L’autre critère pertinent d’identification est la présence d’un trou de vol, soit l’ouverture permettant aux abeilles d’entrer et de sortir. Sur les ruches en vannerie verticale, il se situe le plus souvent à la base. Sur celles en vannerie spiralée, il a la forme d’une petite arche, aménagée au niveau du premier ou deuxième boudin (Mane, 2006, p. 392). Sur celles en vannerie clayonnée, cela peut être l’espace libre entre les montants verticaux de la ruche. Sur les ruches en tronc, en écorces de chêne-liège ou planches de bois assemblées verticales, il est placé à mi-hauteur, au sommet ou à la base. Il est constitué d’une ou deux ouvertures circulaires, rectangulaires ou en arc de cercle. Sur les ruches horizontales, le trou de vol est, en règle générale, constitué d’un à plusieurs petits trous aménagés sur la plaque en bois, en argile ou en paille qui ferme l’ouverture de la face antérieure.
11Il est difficile par contre d’établir une liste raisonnée des matériaux utilisés car il semble qu’ils soient extrêmement variables. Les agronomes du xvie au xviiie siècle donnent très peu d’indications sur le choix des essences végétales pour la fabrication des ruches. Le chêne, le peuplier, le châtaignier, le tilleul et le saule sont les essences d’arbres utilisées de manière préférentielle pour fabriquer les ruches en tronc ou en planches assemblées, d’après les études ethnographiques (Chevalier, 1987, p. 124) et d’après les ruches conservées du xixe siècle. Les ruches en vannerie spiralée sont constituées de paille pour les boudins et de ronces pour les liens. Les ruches en vannerie clayonnée sont faites à partir de brins de bois souples, osier, noisetier, sparte, châtaignier (Jaoul, 1999, p. 147). Il est fort probable que ces ruches différentes coexistent dans un même rucher, ce qui pourrait s’expliquer par la nécessité de récolter des produits différents (essaim, miel, cire). À chaque type de ruche peut correspondre un produit récolté différent induisant des techniques de récolte spécifiques.
- 11 Citons le dictionnaire d'agronomie de l'abbé Rozier : « C’est une expédition militaire que d’entrep (...)
12Aux époques médiévale et moderne, il existe deux types de récolte pour les ruches fixes indivisibles : la récolte partielle et la récolte totale. La récolte partielle consiste à ne prélever qu’une partie des rayons pour en retirer le miel et la cire. Cette récolte est la plus estimée par les agronomes et la plus représentée en iconographie (Mane, 2006, p. 395-396 ; Mousinho, 2005 et 2008). La récolte partielle peut s’effectuer, en théorie, sur tout type de ruche. Mais en pratique, cette technique est malaisée sur les ruches dont l’accès est situé en bas (groupe 2) : il faut alors retourner la ruche pour accéder aux rayons et lors de la découpe, on fait couler du miel11 et on détruit du couvain. Cela perturbe bien plus les abeilles et augmentent leur agressivité [ill.3]. L’iconographie et les recueils de pratiques apicoles du xixe siècle confirment que la récolte partielle est plus appropriée pour les ruches des groupes 1 et 3, et ce d’autant plus qu’elle est plus rentable en miel et en cire d’un point vue qualitatif et quantitatif. Elle permet d’obtenir des rayons propres, contenant presque uniquement du miel, sans couvain ni pollen. Par contre, avec les ruches du groupe 2, on peut obtenir une belle quantité de cire blanche si on taille régulièrement les rayons du bas (de Serres, 1600, p. 651-652).
3. Disposition du miel, du pollen et du couvain d’un rayon de cire.
Les abeilles déposent le miel dans la partie supérieure des rayons et à l’arrière de la ruche. L’éleveur faisant une récolte partielle a plus de chance d’avoir des rayons contenant majoritairement du miel dans les ruches du groupe 1. La récolte partielle sur les ruches du groupe 2 est moins efficace et plus destructive pour la colonie.
Schéma : Catherine Mousinho.
- 12 Plus précisément, il cite la pratique de la noyade chez les apiculteurs, ce qui « châtre » le ruche (...)
- 13 L’étude de Catherine Vincent sur le luminaire liturgique donne plusieurs indices de cet accroisseme (...)
- 14 À titre d’exemple, la création de la manufacture royale d’Antony, en 1702 ; voir également l’articl (...)
- 15 Bougie (Béjaïa, aujourd’hui) est le nom attribué à une ville du nord de l’Algérie qui exporte, depu (...)
13La récolte totale est très peu figurée au Moyen Âge et à l’époque moderne. Textes et documents ethnographiques évoquent deux façons de procéder : le transvasement et la mise à mort de la colonie [ill. 4 et 5]. Cette dernière méthode est condamnée par tous les agronomes. Olivier de Serres mentionne la noyade12 (1600, p. 654) alors qu’un siècle plus tard Liger préconise plutôt la mèche de soufre, en précisant que cette technique de récolte est surtout utilisée par les marchands de miel et de cire, en France (1732, p. 433). Ainsi, les ruches du groupe 1 sont plus appropriées à la récolte du miel et celles du groupe 2 à celle de la cire, ce qui peut alors expliquer la présence de deux types de ruche dans un rucher. Les ruches du groupe 3 conviennent à la récolte des deux produits. La récolte totale, essentiellement pratiquée sur les ruches du groupe 2, est plus productive en miel et en cire, contrairement à la récolte partielle utilisée sur les ruches du groupe 1 et 3. Cependant, ce type de récolte permet d’obtenir un miel de meilleure qualité et la quantité récoltée peut être compensée par la dimension et le nombre de ruches. On peut alors se demander si la concurrence entre le miel et la cire n’a pas pu favoriser la récolte totale, moyen le plus utilisé en France au xixe siècle. À partir du second Moyen Âge, la demande en cire est prépondérante par rapport à celle en miel, élites et clergé consommant une grande quantité de cire pour l’éclairage et les cérémonies13. Cette importance de la cire s’accentue durant l’époque moderne, comme peut en témoigner la création de nombreuses blanchisseries de cire14 et de fabrication des bougies15. La consommation de miel alimentaire ou pharmaceutique semble moindre. Le miel consommé en tant que médicament, d’après les textes, est un miel de forêt, plus adapté à la préparation de remèdes car il est plus liquide et cristallise peu. Inversement, les miels consommés en tant qu’édulcorants semblent être plutôt des miels floraux cristallisés, ayant une consistance proche du sucre ou du beurre, selon la finesse de la cristallisation.
4. Gravure représentant une récolte totale par transvasement (n° 26 et 27).
Cela consiste à chasser la colonie dans un autre contenant. L’avantage est d’obtenir un rendement en miel et en cire tout en sauvegardant la colonie, contrairement à la récolte totale par étouffage ou noyade. Cependant, la colonie transvasée, faute de pouvoir reconstituer ses réserves, ne survit pas à l’hiver. (Liger, 1732, p. 368).
D.R.
5. Miniature représentant des ruches en planches de bois assemblées et des ruches en vannerie clayonnées.
Deux apiculteurs semblent placer une mèche soufrée sous la ruche pour tuer la colonie afin de faire une récolte totale, mais la qualité du miel est gâchée par le soufre et l’apiculteur doit renouveler sa colonie (Oxford, Bodleian, Rawl G 98, f.49v, milieu du XVe siècle).
D.R.
14D’après Savary (1744, p. 389), certaines régions sont réputées pour leur cire, par exemple la Basse-Bretagne, d’autres pour leur miel et leur cire, par exemple la Champagne, et d’autres pour leur miel, comme les Corbières avec Narbonne. La qualité du miel et la quantité récoltée dépendent donc en grande partie du type de ruche, de la technique de récolte et de la demande en cire ainsi que de l’environnement où sont installées les ruches.
- 16 La base de données référençant les constructions pour le Royaume-Uni est consultable sur le web : h (...)
- 17 Les différentes études faites par les membres de cette association sont publiées tous les ans dans (...)
15L’apier, ou plus communément le rucher, est le lieu où l’apiculteur place ses ruches. Celui-ci peut être un territoire plus ou moins vaste où les ruches sont dispersées ou, le plus souvent, rassemblées. D’après les textes et les données ethnologiques, l’environnement doit présenter un nombre suffisant de plantes à fleurs et d’arbres tout au long de l’année, être éloigné des zones de marécage (Estienne, Liébault, 1598, p. 306 ; de Serres 1600, p. 631) mais proche d’un point d’eau, nécessaire à la préparation de la nourriture pour les larves et la ventilation de la ruche. L’emplacement doit être exposé au soleil (sud, sud-est), protégé des vents dominants et des bêtes sauvages et domestiques (Estienne, Liébault, 1598, p. 305-306 ; de Serres, 1600, p. 630-631). Il existe également une grande variété d’apiers qui peuvent faire l’objet d’un classement selon différents critères (techniques, culturels, environnementaux). Bien que les ruchers soient présents partout en Europe occidentale16 (Crane, 1983 ; Mestre, Roussel, 2005), nous nous limitons ici aux ruchers bâtis encore en élévation en France ; ils sont recensés par une association pour la valorisation du patrimoine apicole, « Apistoria »17. Ces apiers construits se classent en différents groupes : les ruchers couverts (sous un toit ou dans les niches d’un mur extérieur) ; les ruchers clos (semi-ouverts, type enclos, et fermés) ; les ruches emmurées (dits « ruchers-ruches », dans le mur d’un bâtiment ou dans un mur extérieur) ; les ruchers mixtes, combinaison de ruchers couverts et de ruchers clos.
- 18 On suppose que la grande majorité des murs ont été édifiés aux XVIIIe et XIXe siècles, mais on n’ex (...)
- 19 On peut s’interroger sur la pertinence de ces nominations héritées du « monde de l’architecture » a (...)
16Parmi les ruchers couverts, les « murs à abeilles » sont des murs en pierre, isolés ou faisant partie d’un édifice dans lequel on a aménagé des niches afin d’y loger des ruches, essentiellement des ruches verticales en vannerie. Actuellement, il y a un peu plus d’une centaine de sites référencés en France, mais, faute d’étude approfondie sur le terrain et en archives, très peu de sites sont datés18. La majorité d’entre eux est située dans le sud de la France, où a débuté le recensement, mais depuis 1996, les prospections réalisées en Bretagne, Auvergne, Bourgogne et Normandie ont permis d’y reconnaître plusieurs murs à abeilles. Ils sont le plus souvent en pierres sèches, parfois maçonnés. Les niches peuvent être des niches simples [ill.6] pour une ruche, ou des grandes arches abritant trois à cinq ruches. La grande variété de forme de ces niches (voûtée, en arc brisé, etc.19) ne correspond à aucune utilité de fonctionnement et ne constitue pas un critère de datation, ni de distinction régionale. Les niches sont situées au moins à 50 cm du sol, mais la végétation abondante ou le mauvais état de conservation des murs empêche parfois d’estimer précisément cette hauteur. Les murs à abeilles comportant au plus dix niches simples sont dits « familiaux » ; ceux qui en abritent jusqu’à une cinquantaine sont appelés « ruchers-industriels ». La profondeur des niches est sensiblement constante, autour de 45 à 50 cm tandis que leur largeur et leur hauteur varient selon le nombre et les dimensions des ruches qu’elles peuvent contenir. Ce type de rucher couvert se rencontre essentiellement en plaine, dans les habitations ou à proximité.
6. Mur à abeilles de la maison de Séüs à Lasseube (Béarn).
Mur en calcaire, dans le jardin d’une ferme de 1803, contenant 14 niches en arc brisé, à l’origine, dont 5 détruites. Il est orienté plein est. Les niches, constituées de plaques de lauzes, mesurent 50 et 75 cm de haut et sont situées à 60 cm du sol. Elles servaient d’abri et de remise.
Cliché : Catherine Mousinho.
17Parmi les ruchers clos, l’enclos à abeilles, généralement situé en montagne ou en forêt, est un mur de clôture, relativement haut, en pierre sèche ou maçonné, qui entoure les ruches. La haute vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, concentre le plus grand nombre de ce type de rucher [ill.7] (95 enclos recensés en 1999). Les datations les plus anciennes, établies d’après les sources écrites et les cartes, remontent à la fin du xvie siècle et au début du xviie. Ces enclos ont été progressivement abandonnés à partir du début du xxe.
7. Enclos à abeilles de la vallée de la Roya.
Les murs sont épais et font environ 3 m de haut. À l’intérieur sont aménagés de petits gradins en pierre ou des terrasses en terre, où on disposait les ruches en tronc d’arbres évidés. Certains enclos présentent, près de l’entrée, une petite cabane pouvant servir d’abris et de remise. À la base des gradins, une terrasse ou un jardin est aménagé.
Cliché : Catherine Mousinho.
- 20 Plus spécifiquement les actes notariaux et le cadastre afin d’inventorier et de déterminer le statu (...)
18Les agronomes ne mentionnent ni les murs à niches, ni les enclos mais mentionnent la possibilité d’installer les ruches à l’intérieur d’un bâtiment afin de les protéger (Estienne, Liébault, 1598, p. 307 ; de Serres, 1600, p. 636). Charles Estienne préconise d’installer les ruches dans un bâtiment avec ouvertures pour laisser sortir les abeilles, alors qu’Olivier de Serres propose d’enchâsser les ruches dans le mur du bâtiment. Ces deux descriptions sont très proches du rucher clos d’hivernage, comme celui de la Combe à la Serpent en Bourgogne [ill.8], et des ruches-placards installées dans des pigeonniers, des cabanes et des maisons, présentes dans le Puy-de-Dôme (Mestre, Roussel, 2005, p. 81-102) et dans l’Aude (Corrent, 1999). Ces deux types de ruchers se rencontrent dans des zones proches de l’habitat ou en milieu urbanisé. Ici, encore, il y a très peu de sites datés, la majeure partie remonterait au xviiie et au xixe siècle. Les ruchers bâtis ont de forts avantages : ils protègent les ruches des intempéries, des vents dominants, des troupeaux domestiques, des prédateurs (ours) et les murs permettent de réguler la température diurne et nocturne. Il serait nécessaire de développer des études de terrain et dans les archives20 afin de dégager des caractéristiques plus précises et des datations pour ces différentes constructions apicoles, tout en croisant ces éléments avec des données environnementales. Ainsi, une « archéologie apicole » pourrait se développer et viendrait compléter le vaste champ de l’archéologie des pratiques agricoles et d’élevage.
8. Rucher de la Combe à la Serpent (Côte-d'Or, Dijon).
En 2002, lors de l'aménagement du parc, un double rucher a été dégagé. Celui-ci mesure 7 m de long et 2,50 m de haut. Il est en pierre sèche et couvert de lauzes. Il comprend, en façade 27 niches en quinconce sur trois rangées et à l'intérieur d'autres niches pour y loger les ruches durant l'hiver. C'est le seul exemple connu en France.
Cliché : Robert Chevet.