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AccueilNuméros31Éditorial [Sucré, salé]

Texte intégral

1Si « les Machiguenga, tribu péruvienne de la région du rio Madre de Dios, n’ont qu’un mot pour désigner le sucré et le salé », comme le soulignait en 1982 Claude Lévi-Strauss dans Du miel aux cendres, le sel et le sucre ont connu des sorts parfois fort différents, tandis qu’à d’autres périodes ils accompagnaient simultanément et indifféremment les mets. Leur coût - souvent surenchéri par des taxes, dont la célèbre gabelle -, la difficulté de se les procurer, les longs voyages par terre (le premier sucre est arrivé par la route de la soie), puis par mer - lorsque les « vieilles colonies » qui deviendront les Dom en ont produit à partir de la canne -, ont fait de ces ingrédients rares et coûteux des condiments recherchés, des épices convoitées, entrant souvent, au moins pour les périodes anciennes, dans la pharmacopée et rehaussant le prestige des tables des plus riches.

2Puis il y a ce miel, que l’on imaginerait facile à obtenir et volontiers utilisé comme sucre, et qui était, au contraire, bien souvent consommé seul. Encore de nos jours, un rhume n’est-il pas soigné efficacement par un bon grog sucré au miel, réputé pour ses propriétés antiseptiques et apaisantes.

3Évidemment, ce numéro d’Archéopages n’a pas la prétention d’être un ouvrage sur les médications et les recettes culinaires de l’Antiquité, de l’époque médiévale ou de la période moderne, car les témoignages livrés en la matière par l’archéologie sont extrêmement rares, pratiquement inexistants en France. Mais les chercheurs, à la lumière des textes et de patientes expérimentations, ont tenté de combler ces lacunes et de retrouver des pratiques et des goûts parfois fort agréables, et d’autre fois très surprenants.

4En revanche, l’archéologie n’est pas avare en témoignages sur la production du sel et du sucre. Données d’autant plus nombreuses que la mission de service public de l’Inrap nous conduit à intervenir dans les départements d’Outre-Mer où, dans des conditions humaines et sociales effrayantes — sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir en 2012 lors d’un colloque organisé avec le musée du quai Branly —, de la mélasse et du sucre ont été produits en abondance dès les débuts de la colonisation.

5Il est intéressant de noter combien les productions de sel et de sucre ont été lucratives à toutes les époques. C’est que le sel - essentiel pour l’homme comme pour le bétail - et le sucre étaient convoités et ne pouvaient pas être produits n’importe où. La maîtrise des lieux de production ou d’extraction, et le contrôle de leurs routes commerciales, ont été la source de l’enrichissement d’élites qui, dans certains cas, ont pu asseoir leur pouvoir politique grâce à leur prospérité économique. Ainsi à Marsal, dans la vallée de la Seille, d’étonnants empilements de briquetages celtiques, destinés à récupérer le sel à partir de sources salées, permettent d’espérer la découverte de tombes aristocratiques et de donner corps à cette hypothèse.

6Au-delà de ces spéculations sur une oligarchie de sauniers lorrains dès l’âge du Fer, les vestiges découverts nous renseignent sur des méthodes de production et un savoir-faire ancestraux. Comme c’est souvent le cas, ces pratiques peuvent être mieux appréhendées ou confirmées par des informations plus récentes apportées par les ethnologues. À ce titre, il nous est apparu important de livrer le témoignage de l’un des derniers sauniers de Salins-les-Bains, dans le Jura, qui rend compte de la technique de l’évaporation dans les vastes poêles de métal et de la dureté de ce métier, mais aussi de tout le savoir-faire lié à l’expérience donnant un geste précis pour obtenir, dans des conditions optimales, le meilleur produit qui soit.

7Que la lecture de ce numéro d’Archéopages soit une véritable « friandise » puisque ce mot, qui vient du latin frigere - c’est-à-dire griller -, recouvre, comme nous l’indique le Dictionnaire Universel de Furetière, en 1690, aussi bien des mets salés que sucrés : « Friandise se dit de toutes les choses qu’on mange pour le plaisir seulement, et non pour se nourrir ».

Forme à sucre issue de la fouille du tunnel de la Joliette à Marseille, poinçonnée du monogramme « B. F. » (ou « B. R. » incomplet), où elle était associée à des céramiques du xixe.

Forme à sucre issue de la fouille du tunnel de la Joliette à Marseille, poinçonnée du monogramme « B. F. » (ou « B. R. » incomplet), où elle était associée à des céramiques du xixe.

Cliché : Véronique Abel, Inrap.

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Table des illustrations

Titre Forme à sucre issue de la fouille du tunnel de la Joliette à Marseille, poinçonnée du monogramme « B. F. » (ou « B. R. » incomplet), où elle était associée à des céramiques du xixe.
Crédits Cliché : Véronique Abel, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/18400/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Paul Jacob, « Éditorial [Sucré, salé] »Archéopages, 31 | 2011, 2-3.

Référence électronique

Jean-Paul Jacob, « Éditorial [Sucré, salé] »Archéopages [En ligne], 31 | 2011, mis en ligne le 25 juillet 2024, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/18400 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/123jt

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Auteur

Jean-Paul Jacob

Président de l’Inrap

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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