1L’alimentation en eau d’Avaricum constitue une étude de cas intéressante de l’approvisionnement en eau du Berry antique (Surgent, 2007-2010) : quatre aqueducs sont attestés pour ce chef-lieu. Les études réalisées ont permis de caractériser leurs installations de captage, et d’obtenir des données sur la qualité et le débit des eaux captées. Ces dernières étaient destinées à l’alimentation d’équipements hydrauliques importants, dont la ville se dote à partir de la seconde moitié du ier siècle de notre ère (édifices thermaux et fontaine monumentale de la rue Fernault). L’approvisionnement en eau du chef-lieu était également effectué par des puits (Chevrot, Troadec, 1992, p. 96–97 ; Batardy et al., 2001, p. 108, p. 120-128 ; Desmarchelier 2007), pour un usage principalement privé (habitat, thermes). Le sujet, inédit pour cette cité, montre tout l’intérêt d’une étude à l’échelle d’une agglomération, afin de mieux comprendre le cycle de l’eau, de son captage à sa distribution.
2Étant donnée la position de Bourges par rapport aux cours d’eau et aux marais, les ingénieurs antiques ont dû capter l’eau à des distances comprises entre 7 (Nérigny) et 45 kilomètres (Traslay) de Bourges. Tous les points de départ de ces aqueducs sont connus, mais les installations antiques de captage sont actuellement recouvertes par des stations de pompage, pour Ourouer-les-Bourdelins (lieu-dit Traslay), Menetou-Salon (lieu-dit Robinson) et les Aix d’Angilon (lieu-dit les Fontaines de Valentigny). À Saint-Germain-du-Puy (lieu-dit Nérigny), le captage antique a également été détruit. En l’état actuel des connaissances, nous avons identifié le captage au moyen d’un puits (à Robinson), et de bassins auxquels aboutit, dans deux cas, un réseau de canalisations en " étoile " (à Traslay et Nérigny).
3L’aqueduc de Menetou-Salon (32 km) était alimenté par la source de Robinson. Elle semble avoir été captée au moyen d’un puits [ill. 1] de 5,15 m de profondeur, dans la paroi duquel un « drain romain » aurait été identifié (à 3,15 m de profondeur) ; cependant la datation de ce puits ne peut être précisée.
1. Puits de captage de la source de Robinson (Menetou-Salon).
Don de M. Bernon. Coupe réalisée en 1947.
DAO : M. Surgent.
4L’aqueduc de Valentigny (27 km) était alimenté par la source des Fontaines de Valentigny. Une note de M. Bernon indique que son captage antique a été observé en mars 1985 par un maçon, sous la forme d’un bassin, constitué de « gros blocs de roche noire entourant la source ». Ces installations existeraient toujours sous la station moderne. Trois cartes postales anciennes (non datées) montrent que les Fontaines de Valentigny sont captées dans un bassin circulaire de grande taille.
5Les aqueducs de Traslay (45 km) et Nérigny (7,5 km) étaient alimentés par un réseau de canalisations en " étoile " aboutissant à un bassin. Cette technique est conforme aux écrits de Vitruve : « on ouvrira un puits, et si l’on trouve la source, on creusera plusieurs autres puits alentour dont on amènera, par des galeries souterraines, toutes les eaux au même endroit » (VIII, 1,6), c’est-à-dire un bassin collecteur des eaux drainées. Sur un autre point, les vestiges diffèrent des écrits de Vitruve : on observe que, pour ceux-là, le bassin collecteur faisait office à la fois de bassin de décantation des eaux captées et de point de départ de l’aqueduc, tandis que, pour Vitruve, les eaux captées recueillies dans le bassin de collecte devaient être acheminées à un collecteur général au moyen d’une canalisation étanche.
6L’aqueduc de Traslay était alimenté par un captage primaire et des captages secondaires. L’aménagement du captage primaire (Bernon, Trotignon, 1979, p. 36-37), situé à Traslay, était constitué d’un bassin recueillant l’eau de sources de surface, point d’arrivée d’un réseau en étoile. Parmi les aqueducs d’alimentation, celui de La Foltière a été mis au jour en 1977 en amont de Traslay [ill. 2]. Il capte les eaux de la source des Plumins et devait se déverser dans le bassin de Traslay. L’extrait du plan cadastral de 1832 de la commune d’Ourouer-les-Bourdelins [ill. 3] montre un bassin en forme de fer à cheval, d’une quarantaine de mètres de long environ. Un second plan, non daté (don de M. Bernon), montre un bassin rectangulaire de 35 m de long pour 15 m de large (il peut s’agir du même bassin) ainsi qu’un « drain romain » de direction nord-sud. Au fond du bassin, des ouvriers observèrent « cinq à six structures de drainage en pierres sèches dont l’ensemble présentait une disposition en étoile » (Bernon, Trotignon, 1979, p. 37). Le caractère antique de ces installations ne saurait être affirmé. Ensuite, les ingénieurs n’ont pas ignoré au moins trois sources importantes, concentrées le long des sept premiers kilomètres : celles du « Petit » et du « Grand Bodaize » (commune d’Ourouer-les-Bourdelins) et celle de « Champceaux » (commune de Cornusse). Enfin, trois aqueducs se branchent sur l’aqueduc principal, afin de lui assurer un apport supplémentaire en eau. Nous pensons qu’il existait aussi un réseau secondaire pour celui de Menetou-Salon.
2. Profil de l’aqueduc de « La Foltière », aboutissant au bassin de Traslay.
Moellons joints au mortier, cuvette en béton, dalle calcaire de couvrement. Fouilles effectuées en novembre 1977 par J. Damien. Détail : 1 : Tranchée en U creusée dans le calcaire ; 2 : Murs latéraux en moellons joints au mortier ; 3 : Cuvette en béton dans laquelle une rigole de 10 cm de large et de haut est aménagée. Elle est enduite d’une couche de mortier de tuileau rose de 3 mm d’épaisseur ; 4 : Couvrement : dalle calcaire pouvant reposer directement sur les parois de la cuvette, de 7 cm de large en moyenne ; 5 : Comblement de la tranchée ; 6 : 1 mm : couche de concrétions calcaires / 3 mm : enduit hydraulique avec fragments de terre cuite visibles à l’œil nu.
DAO : M. Surgent.
3. Extrait du plan cadastral de 1832 de la commune d’Ourouer-les-Bourdelins.
D’après Bernon, Trotignon 1979 Pl. IV Fig. 1, Arch. dép. du Cher, J 252 dessin n° 2.
7L’aqueduc de Nérigny était alimenté par la source des « Fontaines du Gros Sourdon », où cinq points d’émergence auraient été canalisés en " étoile "afin d’amener l’eau à un bassin de décantation (notes de M. Bernon). Ce dernier a été détruit et le caractère antique des installations n’est pas prouvé.
8Les eaux captées étaient de bonne qualité. Les mesures effectuées (Arch. Dép. du Cher, J252) montrent qu’elles contenaient une quantité de calcium et de magnésium (degré hydrotimétrique), qui indique des eaux moyennement dures (le degré est de 21°50). Ceci explique qu’en tous les points où ces aqueducs ont été observés, l’épaisseur relevée des concrétions calcaires est faible. Elle est comprise entre 0 et 3 cm, et s’étend généralement sur le fond et toute la hauteur des parois internes de la cuvette (0,35 à 0,70 m).
9Les débits ont été estimés mais le plus fiable semble être celui de l’aqueduc de Traslay (entre 39 et 68 l/s) car il est le seul pour lequel nous disposons des côtes du fond de la cuvette, en divers points de son tracé. Les aqueducs de Nérigny et Valentigny présenteraient des débits compris entre 136 et 589 l/s. L’aqueduc de Menetou-Salon aurait eu un débit compris entre 73 et 1060 l/s. Les pentes des aqueducs de Menetou-Salon (2,6 m/km), Nérigny (2,5 m/km) et Valentigny (1,2 m/km) sont sensiblement plus fortes que celle de l’aqueduc de Traslay (0,60 m/km). Ceci explique en partie la valeur plus importante de leur débit (Surgent, 2008a, p. 110-114). Ces débits estimés peuvent être jugés cohérents si on les compare à ceux de quelques aqueducs connus. Ceux de l’agglomération proche de Néris-les-Bains (Allier) présentent des débits de 227 à 497 l/s (aqueduc des Viviers) et de 497 à 734 l/s (aqueduc des Combes). Ceux du chef-lieu de cité Autricum - Chartres présentent des débits de 0,6 l/s (aqueduc d’Houdouenne) et 500 l/s (aqueduc de Landelles). Les aqueducs les plus connus présentent des débits compris entre 115 l/s (aqueduc du Mont d’Or, Lyon) et 4000 l/s (Vienne) : Saintes (entre 115 et 290 l/s), Nîmes (400 l/s), Sens (472 l/s) et Fréjus (300 l/s). Enfin, celui de l’aqueduc de Traslay peut être rapproché de celui de Poitiers (78 l/s) et de Lutèce (27 l/s).
10Peu de ces équipements hydrauliques sont attestés dans la ville antique, par manque d’études et de découvertes archéologiques. Les puits sont en usage dès l’époque augustéenne (site du Haut de la rue Moyenne). Leur utilisation semble perdurer au moins jusqu’à la fin du iie siècle de notre ère, si l’on s’en tient à celui des n° 9 et 11 rue Émile Martin, « comblé dans le dernier quart du iie siècle » (Desmarchelier, 2007, p. 33-34). Cinq habitats utilisent le système de captation des eaux par les puits (Desmarchelier, 2007, p. 30-47). La cour du site du Haut de la rue Moyenne (14 m sur 13) comportait un puits avec une margelle, une dalle et une partie de l’emmarchement d’accès. Un autre puits est attesté dans l’habitat sud du parc Saint-Paul. Celui du site de la zone 1 de la rue de Sarrebourg est situé dans une aire ouverte large de 5 à 8 m. Tous circulaires et de diamètres similaires (1,20 m), leur cuvelage est réalisé au moyen de dalles calcaires taillées. Aucun groupe de puits ni aucune citerne n’ont été mis au jour. Sept habitats sont dotés d’un système d’adduction ou d’évacuation par canalisations : parmi eux, quatre sont organisés autour d’un espace ouvert qui peut être un « espace de service par lequel passaient les conduits d’évacuation, ou dans lequel des puits et des systèmes de stockage de l’eau pouvaient être aménagés » (Desmarchelier, 2007, p. 47).
11Le petit nombre de découvertes ou d’attestations de puits dans le chef-lieu Avaricum - Bourges ne semble pas correspondre aux dimensions de l’agglomération. De caractère privé, ils sont isolés, contrairement aux groupes de puits attestés dans les agglomérations secondaires du Berry antique comme Saint-Marcel - Argentomagus, Néris-les-Bains, Châteaumeillant - Mediolanum et Levroux. L’emploi de citernes ne semble pas être en usage dans le chef-lieu, et seuls quatre ouvrages sont attestés sur le territoire de la cité (Saint-Marcel - Argentomagus, Néris-les-Bains, Murs et Ineuil) (Batardy et al., 2001, p. 108, et p. 120-128). Le nombre et la qualité des aqueducs alimentant ce chef-lieu lui confèrent une importance et une certaine notoriété parmi les autres cités d’Aquitaine et de Gaule Romaine. Parmi elles, les cités voisines des Turons et des Carnutes sont alimentées par un (Caesarodunum - Tours et Cenabum/Orléans) et deux (Autricum - Chartres) aqueducs au maximum. Le caractère particulier et antique des captages en " étoile ", s’il semble correspondre en partie aux écrits de Vitruve, ne pourra cependant pas être confirmé par des observations contemporaines car ils ne sont plus accessibles.