1Le site archéologique de la Fontaine de l’Étuvée se situe à deux kilomètres au nord-est de la ville de Cenabum, nom antique d’Orléans. Depuis la découverte du site, en 1823, une dizaine d’opérations d’archéologie programmée et préventive ont été menées, dont une fouille extensive en 2007-2008. Elles ont abouti à la découverte de nombreux vestiges, dont un sanctuaire, occupé du ier siècle avant notre ère jusqu’au ive siècle, et un hameau médiéval installé au viie siècle et perdurant jusqu’au xie ou xiie siècle. Traversant cette zone de vestiges denses, un réseau d’aqueducs et deux bassins ont été identifiés [ill. 1] : il s’agit plus précisément de deux sections d’aqueducs se joignant à hauteur de deux bassins et d’une section partant des bassins, probablement à destination de la ville antique d’Orléans. L’étude des vestiges a permis de préciser les étapes de construction d’un aqueduc en tranchée et de s’interroger sur la partition du travail. Elle a amené des éléments sur l’affectation des bassins et leur relation avec l’ensemble cultuel voisin. Un ouvrage en bois a également permis d’apercevoir quelques traces de la gestion de l’adduction en eau qui perdure à la fin de l’Antiquité à Cenabum.
1. Tracé de l’aqueduc à partir des observations et des hypothèses de restitution, avec la localisation des sondages et des fouilles.
DAO : Inrap.
2L’intérêt de ces aqueducs ne repose pas tant sur leurs caractéristiques techniques que sur les errances de leur construction. En effet, les techniques utilisées sont habituelles et se retrouvent dans de nombreux autres ouvrages connus en Gaule romaine ou au-delà. Il s’agit d’aqueducs comprenant une maçonnerie de blocs calcaires et de mortier installée dans une tranchée en entonnoir. La tranchée est assez importante, puisqu’elle atteint cinq mètres de profondeur et neuf mètres de largeur. Les conduits, de dimensions modestes (0,6 m de large et 1 à 1,5 m de haut suivant les branches), sont voûtés et les différentes branches d’aqueducs sont jalonnées de regards maçonnés carrés de deux mètres de côté. Les relations stratigraphiques entretenues avec le reste du site nous amènent à une datation, pour l’ouvrage le plus à l’ouest, du milieu du iie siècle de notre ère, voire de la seconde moitié du iie siècle, la branche orientale étant postérieure.
3L’étude de cette dernière a révélé l’abandon d’un tracé primitif qui permet d’observer une construction en cours : la portion avortée ne présente pas une tranchée continue, mais des tronçons de tranchées. À l’est, l’aqueduc est complet, composé d’un conduit maçonné installé dans une tranchée en entonnoir. À l’ouest, en revanche, des tronçons de creusement d’une soixantaine de mètres de longueur ne comportent pas de conduit d’aqueduc et ne sont pas creusés à leur profondeur définitive. Au moment de l’arrêt du chantier, le conduit maçonné n’est pas achevé dans le tronçon 1 alors que le creusement du tronçon 2 a débuté : dans le sondage 2, le conduit est présent alors qu’il est absent dans les sondages 3 et 4 [ill. 2]. Deux étapes d’une même construction, qu’on pourrait croire réalisées l’une après l’autre, ont été entreprises conjointement.
2. Construction de l’aqueduc en tranchée, avec deux tronçons séparés dans son tracé abandonné.
DAO : Inrap.
4On peut restituer plusieurs équipes travaillant de concert sur plusieurs tronçons. Une équipe de maçons construit le conduit en fond de tranchée quand une équipe de terrassiers creuse le tronçon suivant. Une interruption de quelques mètres sépare le tronçon en cours de creusement des précédents, avant qu’elle soit abattue lors de la jonction finale.
5Au-delà du constat de segmentation du tracé et de répartition du travail en plusieurs équipes, les raisons de ce découpage peuvent être autant techniques que sociologiques. La présence de nappes de surface qui inondent le chantier peut mener à travailler sur des petites sections de tranchées davantage que sur des grandes, dans lesquelles le pompage de l’eau est plus difficile. Les problèmes de franchissement d’une tranchée de grande longueur incitent également à réaliser des passages réguliers d’une rive à l’autre. Le travail conjoint par petites sections offre aussi l’avantage de déplacer le chantier par petits sauts en conservant les outils et de la force de travail regroupés… Les raisons sociologiques peuvent être à chercher dans la répartition du savoir-faire en métiers de terrassiers et maçons, ou encore dans la conduite d’un chantier, plus aisée quand il est regroupé qu’éclaté... Toutes ces raisons sont, bien entendu, cumulables et non exhaustives.
6Quant à l’abandon du tracé primitif, la très mauvaise conservation des maçonneries et, en particulier, des fils d’eau ne permet pas de juger de la réalité d’une erreur de nivellement. En dehors d’une cause technique, on peut envisager une modification du projet de jonction des deux branches d’aqueduc ailleurs que dans le sanctuaire où elle aurait pris beaucoup de place. Reste à savoir si la construction de la branche orientale de l’aqueduc a été réalisée, en partie, en même temps que la campagne de construction des bâtiments du sanctuaire de la deuxième moitié du iie siècle de notre ère, bâtiments et aqueduc oriental étant stratigraphiquement contemporains.
7Il semble que le premier des conduits construit soit l’aqueduc occidental. Son parcours traverse le sanctuaire et sa réalisation intervient peu avant une phase de construction de bâtiments.
8La présence d’ex-voto anatomiques, d’une dédicace à la déesse Acionna, nom ayant un rapport certain avec l’eau (Dondin-Payre, 2009), et probablement d’un bassin de captage de source au sein du sanctuaire (Verneau, Noël, 2009) attestent la présence d’un sanctuaire de source à connotation guérisseuse.
9Dans ce contexte, il est attendu que les eaux de l’aqueduc soient, tout ou partie, destinées au culte et aux installations sacrées. Pourtant, l’eau circule à plus de quatre mètres de profondeur dans le sanctuaire et aucune fontaine n’est présente dans l’enceinte.
10L’eau des aqueducs est amenée dans les bassins découverts plus au sud (Pichon, 1977 ; Vilpoux, 1997) et, s’il y a interaction entre le sanctuaire et l’eau des aqueducs, elle se fait au niveau des bassins. Au moment de la découverte du grand bassin, l’hypothèse d’un bassin cultuel à l’usage des fidèles était appuyée par la qualité de finition de l’ouvrage, un emmarchement et sa proximité du sanctuaire. Néanmoins, suite aux fouilles du sanctuaire en 2007-2008, il a été montré que les bassins étaient alimentés par les aqueducs dont la source se situe loin du sanctuaire et que rien ne relie les bassins aux eaux de la source sacrée.
11L’appartenance des bassins à un ensemble thermal lié au sanctuaire est également à remettre en cause. Tel qu’on le connaît, le réseau d’aqueducs semble permettre un remplissage des deux bassins avec une répartition difficile à comprendre, le petit venant peut-être délester le grand. L’agencement du réseau évoque un circuit principal passant par le grand bassin et un circuit optionnel ou de délestage, utilisant le petit bassin. Le grand bassin n’est connu que partiellement, mais le canal de sortie renvoie l’eau du bassin dans l’aqueduc alimentant probablement la ville antique d’Orléans (Nivet, 1977). Si ce (ou ces) bassin(s) composai(en)t des éléments d’une installation thermale liée au sanctuaire, l’eau, une fois utilisée par les visiteurs, aurait été dirigée vers un système d’égout, ce qui ne semble pas être le cas ici. Il n’y a d’ailleurs pas de réel circuit d’utilisation de l’eau et la prospection géophysique réalisée aux alentours des bassins n’a révélé aucune construction (Poujol, 2008).
12Les aspects techniques de la construction, même si celle-ci ne nous est pas totalement connue, ne sont pas en accord avec un usage cultuel ou thermal. L’installation, regardée dans son ensemble, ne correspond pas à ce que l’on connaît des sites cultuels ou thermaux (Grenier, 1960a et 1960b ; Malissard, 1994 ; Scheid, 1992). Une affectation cultuelle des bassins ne semble plus pertinente au regard de nos avancées sur la connaissance du réseau d’aqueducs et de bassins de la Fontaine de l’Étuvée. Ces bassins se rapprochent plus d’un système technique de délestage et de décantation et la relation entre le sanctuaire et les aqueducs semble plus factuelle que fonctionnelle : l’aqueduc passe par le creux d’un thalweg pour éviter une construction en tranchée plus profonde encore ; or, c’est précisément dans le creux de ce thalweg que jaillit une source sacrée.
- 1 Cette hypothèse nous a été présentée par P. Leveau. Qu’il en soit ici remercié.
13Une dernière hypothèse permettrait peut-être de mieux comprendre le rôle des bassins, mais on ne peut l’avancer qu’avec une grande prudence, compte tenu de la très mauvaise conservation des aqueducs. L’absence de mortier d’étanchéité des conduits en amont des bassins, alors qu’il est présent en aval, s’il n’est pas consécutif de la seule dégradation des maçonneries, pourrait indiquer qu’il ne s’agit pas de conduits d’adduction, mais de galeries de captage1 construites en tranchées. Le sous-sol est composé de strates argileuses surmontées de couches argilo-sableuses à sableuses, qui alternent et piègent les eaux de ruissellement en nappes de surface. Les conduits pourraient avoir un rôle de drains de collecte et les bassins servir à réunir et décanter les eaux avant qu’elles ne soient menées vers Cenabum. Ce type d’ouvrage est connu dans le monde antique (Leveau, À paraître), soit comme moyen de drainage des zones trop humides, soit comme dispositif de captage. Pour valider cette hypothèse, il resterait à confirmer cette différence de construction des conduits entre l’amont et l’aval des bassins, à des endroits où les maçonneries sont bien conservées et à localiser la fin des branches amont pour vérifier si elles ne présentent pas de dispositif de captage autre.
14Un ouvrage en bois plaqué contre un regard de la branche ouest de l’aqueduc a été fouillé, prélevé et étudié [ill. 3]. Il est constitué de deux parois parallèles de planches mi-brin superposées, d’une hauteur d’environ un mètre pour une longueur de six mètres. Ces planches sont plaquées contre une ossature de poteaux et d’entretoises, ménageant un espace à peu près constant d’une soixantaine de centimètres.
3. Ouvrage en bois plaqué contre un des regards.
Le côté ouest du coffrage a été démonté.
Cliché : Chr. Bours, Inrap.
15Cet ouvrage est placé immédiatement au-dessus de l’extrados de la voûte de l’aqueduc, mais à un emplacement où celle-ci n’est pas conservée. Il ne reste du conduit que quelques pierres et l’emplacement de circulation de l’eau marqué par un comblement d’argile extrêmement plastique. Au contact de l’ouvrage en bois, le regard de l’aqueduc présente des différences de couleur de mortier et d’agencement des moellons. Des morceaux de murs identiques à ceux du regard, composés de plusieurs moellons liés au mortier, ont été retrouvés dans le comblement interne du coffrage. L’étude des bois (Dietrich, 2009) a mis en évidence un travail soigné, révélant un savoir-faire certain. L’ensemble est massif et la recherche d’une résistance aux poussées est évidente. Un bricolage improvisé pour la récupération de quelques moellons est exclu. Au vu de ces éléments, l’ouvrage en bois serait un blindage de tranchée pour effectuer des réparations sur le regard et le conduit de l’aqueduc.
16En raison d’une absence de courbes de référence suffisantes pour la région, l’analyse dendrochronologique a été couplée à une datation par radiocarbone proposant un abattage des arbres entre 290 et 450 de notre ère. Par ailleurs, la synchronie de la séquence issue de l’ouvrage en bois et des séquences d’un autre site calé sur d’autres références permet de proposer, toutefois avec beaucoup de prudence, une date d’abattage des bois entre le printemps 498 et l’hiver 500 (C. Perrault, CEDRE, étude en suspens en attente d’autres découvertes permettant de compléter les références), ce qui n’est pas strictement en accord avec la proposition de datation fournie par l’analyse au carbone 14.
17Si les datations de l’extrême fin du ve siècle se voient confirmées, l’aqueduc serait toujours entretenu à cette époque tardive comme dans de nombreux cas en Gaule (Leguay, 2002, p. 105-106). La ville d’Orléans - Cenabum aurait conservé une organisation suffisante pour gérer son alimentation en eau sans qu’on en connaisse les bénéficiaires : étuves, fontaines publiques, ateliers, palais épiscopal, monastère ou encore propriétaires privés.