- 1 Direction de la fouille : J.-C. Claval (CERAA).
- 2 Direction de la fouille : S. Hettiger (Afan).
- 3 Direction de la fouille : G. Alfonso (Inrap).
- 4 Diagnostic et fouille de sauvetage urgent réalisés respectivement sous la direction de G. Alfonso ( (...)
1La place de Jaude, située en contrebas de la butte de Clermont, zone de développement de la cité médiévale, constitue le cœur de la ville moderne de Clermont-Ferrand. Depuis la fin des années 1970, tout le secteur situé au sud de la place a fait l’objet d’une reconstruction complète [ill. 1]. Si la première phase de travaux (centre commercial de Jaude, 1978) n’a été accompagnée que d’un suivi archéologique très limité1, en revanche les deux grandes phases suivantes (Carré Jaude 1 en 19952 et Carré Jaude 2 en 2009-20103) ont été précédées de fouilles préventives importantes. Deux autres interventions archéologiques de moindre envergure (Square Conchon Quinette, 20054) ont apporté des informations complémentaires. Ces fouilles ont progressivement mis au jour un ensemble monumental public d’Augustonemetum organisé autour d’une grande place trapézoïdale, dans un secteur supposé, encore dans les années 1970, non urbanisé à l’époque romaine en raison de son insalubrité, bien qu’il abrite l’un des rares vestiges gallo-romains encore en élévation à Clermont-Ferrand, traditionnellement nommé « Mur des Sarrasins » ou « Vasso Galate », dont la fonction est encore sujette à débat : temple, nymphée, aula ? (Péchoux, 2010).
1. Fouilles préventives, réalisées depuis la fin des années 1970, au sud de la place de Jaude.
Elles ont permis d’ouvrir une fenêtre de plus de deux hectares dans un secteur jusque-là méconnu de la ville antique, hormis le monument dit « Mur des Sarrasins ».
Topographie : P. Combes ; DAO : G. Alfonso, A. Boissy, Inrap.
- 5 Coordination H. Dartevelle, SRA Auvergne
2Les données des fouilles de 1978, 1995 et 2005 ont été reprises dans le cadre du Projet Collectif de Recherches « Atlas topographique d’Augustonemetum »5. Pour sa part, l’étude des fouilles du Carré Jaude 2, achevées fin avril 2010, est encore en cours. Cependant, les résultats déjà disponibles permettent d’aborder certains aspects de ce grand chantier urbain qui bouleversa, au iie siècle, la physionomie de Clermont antique.
3La création d’Augustonemetum, chef-lieu de cité des Arvernes, dans la province d’Aquitaine, s’inscrit dans le cadre de la réorganisation administrative et territoriale des Gaules conduite par Auguste dans les années 16-15 avant notre ère. Son emplacement, à quelques kilomètres des oppida de Corent, Gondole et Gergovie (Dartevelle, Jouannet, Arbaret, 2008), est vraisemblablement lié à la mise en place du réseau routier d’Agrippa, permettant de relier Lyon aux différentes provinces des Gaules, puisqu’elle se trouve sur l’itinéraire Lyon-Saintes.
- 6 Cratère d’explosion en forme de cuvette large de quelques dizaines à quelques centaines de mètres, (...)
4Située dans un bassin ouvert, à l’est, sur la plaine de la Limagne et protégé, à l’ouest, par la chaîne des Dômes, la ville occupe une butte volcanique d’une vingtaine de mètres de hauteur, bordant le cratère d’un maar6 et environnée de zones humides constituant une contrainte initiale importante [ill. 2]. Augustonemetum s’est donc d’abord développée sur la butte proprement dite, suivant une trame viaire orientée en direction des points cardinaux, délimitant des îlots rectangulaires, dont aucun cependant n’a été reconnu en totalité. Au sommet de la butte s’élevait le forum (Le Barrier, Parent, 2008 ; Le Barrier, 2009), tandis que les quartiers résidentiels s’étageaient principalement sur son versant oriental. Des découvertes anciennes permettent de supposer la localisation de plusieurs thermes publics, notamment en bordure du cardo maximus présumé. Le seul théâtre connu est adossé au Puy de Montaudou localisé au sud-ouest de la ville. Aucun véritable quartier artisanal n’a encore été identifié. Situé à 500 m environ à l’ouest de la butte, le sanctuaire de plein air de la Source des Roches, qui a livré les fameux ex-voto de Chamalières, a été fréquenté depuis le début du ier siècle.
2. Carte synthétique provisoire de la ville antique élaborée dans le cadre du PCR « Atlas topographique d’Augustonemetum ».
Elle montre que les monuments publics sont implantés au sommet et à l’ouest de la butte de Clermont tandis que les quartiers résidentiels s’étagent principalement sur son versant est et sud. (cadastre : convention entre Clermont-Communauté et le SRA d’Auvergne 2005).
Conception et DAO : N. Arbaret, H. Dartevelle.
- 7 L’étude géomorphologique du secteur de Jaude est réalisée par Ch. Ballut (UMR 7041 CNRS).
5Le quartier de Jaude se développe au pied du flanc occidental de la butte, dans une zone plane située sur la bordure orientale du maar de Clermont-Chamalières. Les niveaux de comblement supérieurs du cratère d’explosion résultent d’une sédimentation essentiellement fluvio-lacustre, localement cimentée par des dépôts thermominéraux (travertins) ; ces travertins extrêmement compacts et indurés constituent le substrat des secteurs fouillés7.
6Les ruisseaux clermontois (les Tiretaines) qui, depuis l’ouest, s’écoulent au sud de la butte de Clermont, divaguent dans la dépression du maar : cela explique, avec le niveau élevé de la nappe, le caractère humide de ce secteur qui n’a été totalement urbanisé que dans le courant du xixe siècle. Compte tenu du régime hydrologique mais aussi des aménagements humains, la Tiretaine a connu dans ce secteur plusieurs modifications de son tracé dont l’historique est inconnu. On ne dispose pas de données précises pour l’Antiquité, cependant les observations géomorphologiques effectuées dans l’emprise des fouilles indiquent que le secteur est exondé au début du Haut-Empire puis redevient très humide dès la fin de la période romaine.
7Malgré le niveau bas des nappes constaté au début du Haut-Empire, une partie des premiers travaux entrepris dans le secteur de Jaude consiste à drainer le terrain. Étudié en plusieurs points des fouilles, surtout au Carré Jaude 2, un large fossé (F1) entaillant profondément le travertin [ill. 3], est creusé sur plus de 150 m de longueur. En provenance du nord, il traverse obliquement les terrains où seront aménagés la place, le portique sud et ses abords pour se déverser dans un autre canal (F2) de direction nord-est/sud-ouest, également creusé dans le travertin. Ce canal, implanté parfaitement dans l’axe de la pente, sera remplacé ultérieurement par un égout maçonné dont un tronçon a été reconnu en amont, sur les pentes de la butte [ill. 4], montrant qu’il s’agit probablement d’une structure préexistant à l’aménagement du secteur de Jaude. L’exutoire de cet égout et de son pendant au nord de la place (F3) peut être soit directement la Tiretaine au sud-ouest, soit plus probablement un égout nord-sud rejoignant le ruisseau au sud : celui qui traverse le bâtiment A (F5) ou un autre égout (F4) reconnu au xixe siècle.
3. Le fossé F1 perfore le travertin compact qui recouvre les niveaux vaseux constituant le remplissage supérieur du maar.
La morphologie de son remplissage (gros blocs à la base, recouverts d’une épaisse couche d’argile que scelle le sol de cailloutis de la place) indique qu’il n’est pas destiné à recueillir les eaux de surface, mais plutôt à drainer la nappe. Le creusement de ce large et profond fossé à fond plat, sur plus de 150 m, a dû représenter un ouvrage considérable, étant donnée l’extrême dureté du travertin, comparable à celle d’un béton.
Dessin : Ph. Arnaud ; DAO : A. Boissy.
4. Plan schématique montrant l’articulation de l’ensemble public de Jaude avec le reste de la ville antique et son extension possible au nord jusqu’à la voie d’Agrippa que jouxte l’aqueduc de Villars.
Il figure également le réseau hydraulique de drainage du secteur de Jaude vers le bras sud de la Tiretaine. (cadastre : Clermont-Communauté).
DAO : Ch. Le Barrier, G. Alfonso.
8Les observations stratigraphiques réalisées, plus particulièrement sur la fouille du Carré Jaude 2, montrent que le terrain a été sensiblement remodelé avant l’édification de l’ensemble public monumental [ill. 5]. Au début de l’époque romaine, il présente en effet une topographie très plane ; le sol se développe vers 382,60 m/382,80 m d’altitude, en surface de couches argileuses stériles qui recouvrent le travertin sur une trentaine de centimètres. Or, ces argiles ont été entièrement décaissées dans l’assiette de la place afin d’en asseoir le sol sur le travertin compact. La construction des murs-terrasses qui limitent la place au nord, à l’ouest et au sud a dû intervenir simultanément, suivie par celle de l’égout F3. On peut estimer à environ 2.500 m3 le volume d’argile ainsi extrait. Un curage identique du terrain a été réalisé à l’emplacement du bâtiment A [ill. 6]. Tout autour de la place, en revanche, des remblais de nature et d’épaisseur diverses ont été rapportés sur les argiles laissées en place. Dans l’emprise du portique occidental et de toute la partie ouest de l’esplanade, ces remblais tendent à rehausser le sol de 50 à 60 cm jusqu’à la cote moyenne 383,40 m ; c’est certainement le cas aussi dans le portique sud, mais, dans ce secteur, les niveaux gallo-romains ont été écrêtés. L’épaisseur des remblais s’amenuise progressivement dans la partie est de l’esplanade pour rattraper le sommet du mur-terrasse de la place (vers 382,80 m). Au nord de celle-ci, les premiers niveaux de la rue 2 se développent en surface des argiles naturelles.
5. Profil sud-nord de l’ensemble monumental de Jaude.
Il révèle les décaissements effectués dans l’emprise de la place publique pour atteindre le substrat compact (travertin).
DAO : A. Boissy.
6. Coupe stratigraphique est-ouest montrant que les sols du bâtiment A sont situés plus d’un mètre en contrebas des sols (disparus) du portique ouest et de l’esplanade qui se développaient en surface des remblais déposés lors de la construction.
Dessin : G. Alfonso ; DAO : B. Rialland.
9Dans l’emprise du portique occidental et sur la plus grande partie de l’esplanade (correspondant à une aire de plus de 1 200 m2), le remblaiement du terrain n’a été effectué qu’après épandage d’une couche de chaux uniforme, de 2 à 8 cm d’épaisseur, englobant localement du cailloutis, quelques blocs et des éclats de taille [ill. 7]. Ce procédé a permis d’assainir et de stabiliser le terrain argileux parce que le chantier de construction nécessitait une zone de travail et de stockage de matériaux vaste et fonctionnelle.
7. La couche de chaux répandue dans l’emprise du portique ouest et d’une grande partie de l’esplanade a permis de stabiliser et d’assainir le sol naturel argileux.
Photo : G. Alfonso.
10Le bâtiment A et le portique ouest ont été bâtis à partir de cette plate-forme ; le niveau de construction des autres maçonneries correspond à celui des argiles sous-jacentes. En chronologie relative, l’apport de remblais, principalement dans l’emprise des portiques et de l’esplanade, intervient après que la base des murs a été élevée, mais, dans une logique de chantier, les deux activités sont intimement liées : les déchets de taille des moellons sont instantanément recyclés dans les constructions et les remblais.
11Essentiellement deux types de pierres locales sont employés pour l’ensemble monumental de Jaude : du grès pour les éléments de grand appareil (colonnades, seuils et bordures du bassin et des latrines du bâtiment A, etc.) et principalement des roches volcaniques pour les moellons des murs. Les déchets de taille de grès ont été systématiquement et presque exclusivement utilisés pour bâtir les fondations des murs [ill. 8], tandis que les éclats de roche volcanique (résultant de la taille des moellons) ont servi à maçonner le noyau des murs et le radier de certains sols. Le surplus des déchets des deux types de pierres est utilisé, mêlé à de l’argile ou de la terre, dans les remblais d’exhaussement des sols [ill 9]. On peut déduire des débris de placages de marbres colorés, englobés dans le radier d’un sol de béton du bâtiment A, que ces éléments ont été finis sur place. S’il est prouvé qu’une partie des blocs de grand appareil en grès a été taillée in situ, une autre part est constituée de remplois qui ont pu toutefois être retravaillés sur place. C’est le cas des bordures du bassin et des latrines du bâtiment A dont les blocs ont été creusés d’une rigole pour l’écoulement de l’eau liée à leur nouvelle utilisation. D’autres maçonneries de l’ensemble monumental renferment des éléments architectoniques en grès réemployés : l’une des fontaines supposées au nord de la rue 2 et surtout la base carrée (de piédestal ?) construite au centre de la place. Au « Vasso Galate », de très nombreux blocs sculptés ont également été utilisés pour bâtir le podium du monument.
8. Base des fondations du mur du portique ouest (dont on voit ici l’élévation orientale).
Comme celle de la plupart des murs du bâtiment A, elle a été construite avec des éclats de grès résultant de la taille des blocs de grand appareil.
Photo : G. Alfonso.
9. Coupe où l’on distingue les remblais rapportés dans l’emprise du portique ouest, en partie composés d’éclats de taille de roche volcanique et de grès.
Photo : G. Alfonso.
12L’ensemble public monumental s’articule autour d’une grande place trapézoïdale de plus de 120 m de longueur sur 36 à 66 m de largeur. Situé plus bas que celui des espaces environnants, le sol est formé de couches de cailloutis et de remblais rapportés sur le travertin compact [ill. 10]. Ces couches sont assez épaisses en bordure des murs-terrasses qui ceinturent la place, où elles forment un léger talus, tandis qu’elles se réduisent à quelques centimètres vers l’intérieur, pour disparaître presque complètement en certains points. Une maçonnerie carrée de 3,60 m de côté, bâtie avant l’aménagement du sol de cailloutis, dans la partie centrale de la place, est interprétée comme la base d’un petit monument (piédestal ?).
10. Sol de la place publique tel qu’il nous est parvenu (ici partiellement fouillé dans l’angle nord-ouest).
Il est formé d’une couche dense et compacte de cailloutis, de graviers et de petits fragments de tuiles mêlés à du sédiment argileux. Des nombreux petits objets perdus au cours des IIe et IIIe siècles témoignent des activités qui s’y déroulaient : commerce, jeux, circulation...
Photo : G. Alfonso.
13Les portiques monumentaux édifiés au sud et à l’ouest ne bordent pas directement la place ; ils en sont séparés, au sud, par un terre-plein de 9 m de largeur et, à l’ouest, par une esplanade de 36 m de largeur (espace végétalisé ?). Les sols des portiques et de l’esplanade ne sont pas conservés. Le portique sud, plus large que le portique ouest (10 m contre 8 environ), devait supporter un étage car il s’appuie sur un mur large et renforcé par de puissants contreforts. Au sud de ce portique, un mur parallèle définit avec lui un espace linéaire d’une vingtaine de mètres de largeur dans lequel s’insère une rue bordée par un égout souterrain (F2). Ultérieurement, des constructions sommaires à vocation d’ateliers et boutiques seront implantées entre le portique et la rue. On retrouve le même schéma initial et sensiblement le même module au nord de la place mais, dans ce secteur, deux édicules identiques (fontaines ?) sont accolés au mur qui borde la rue au nord.
14À l’est de la place publique s’élève un édifice (C) de plan allongé, de 15 m de largeur et plus de 30 m de longueur, pourvu de fondations en blocs de grand appareil. Son angle sud-est très ouvert atteste qu’il appartient bien au même programme de construction que la place. Devant sa façade occidentale se trouve un dallage en grès creusé d’une rigole, matérialisant une terrasse dont l’extension précise n’est pas connue, située plus d’un mètre au-dessus du sol de la place. Un bâtiment (B) légèrement plus étroit (13 m) est implanté dans son prolongement, de l’autre côté de la rue 2. La fonction de ces deux édifices, dont les sols ont disparu, reste indéfinie.
15Du côté opposé de la place, l’édifice (A), qui se développe en arrière du portique ouest, a été dégagé sur 400 m2, mais on peut estimer qu’il s’étend sur une surface beaucoup plus importante vers le sud et l’ouest, jusqu’à une rue nord-sud supposée, matérialisée par un égout (F4). L’accès principal de cet édifice s’ouvrait certainement dans cette rue car ses sols se situent nettement en contrebas du portique avec lequel il ne communique pas, du moins dans l’emprise des fouilles. Dans l’angle nord-est se trouvent des latrines collectives pourvues d’une luxueuse décoration en marbre, associées à un bassin ornemental en L alimenté par une fontaine (« nymphée »). Les autres pièces dégagées comprennent une cuisine équipée de deux fours et d’autres locaux en grande partie dévolus à la préparation de nourriture ou au stockage de denrées et de vaisselle. Un autel fragmentaire a été découvert dans les niveaux de démolition de l’une des salles. L’insertion de l’édifice dans l’ensemble monumental (plan, homogénéité et synchronicité des constructions), l’emploi de petit appareil hexagonal [ill. 11] - a priori réservé, à Augustonemetum, aux édifices publics (Le Barrier, 2008) - et la présence d’aménagements collectifs indiquent qu’il s’agit d’un monument public ou du siège d’une schola dont les pièces principales se développeraient vers l’ouest.
11. Une grande partie des murs du bâtiment A sont construits en petit appareil hexagonal, c’est-à-dire que les moellons, calibrés, grossièrement taillés selon cette forme, sont disposés en quinconce.
C’est la reprise finale des joints avec un enduit fin de couleur crème qui permet d’obtenir un parement vraiment régulier évoquant le nid d’abeille.
Photos : G. Alfonso, J. Letuppe.
16Certaines caractéristiques de l’ensemble monumental posent problème et pourraient signifier que le chantier n’a pas été conduit jusqu’à son terme. Ainsi, la place publique, dont le sol a été décaissé, constitue au final une sorte de vaste cuvette totalement dépourvue d’exutoire pour les eaux pluviales. La topographie du sol de la place et l’analyse du fossé F1 montrent en effet clairement que celui-ci n’a pu servir à cette fin non plus que l’égout maçonné F3 qui ne présente aucun percement latéral. On peut donc supposer que la couche de cailloutis rapportée sur le travertin n’était pas destinée à devenir le sol définitif de la place, le dallage initialement prévu n’ayant jamais été mis en place. D’ailleurs, les sédiments argileux gris déposés sur le sol de cailloutis, piégeant de nombreux petits objets tombés au sol, attestent du milieu humide qui s’est développé, sans doute précocement, sur l’emprise de la place.
17L’analyse des rues, particulièrement la rue 2, aboutit à un constat similaire : si les espaces qui leur sont dévolus (une vingtaine de mètres de façade à façade) dans lesquels s’intègrent aussi les égouts, sont clairement définis dans le plan de l’ensemble monumental, les voiries elles-mêmes sont très sommaires. La chaussée de la rue 2, par exemple, au tracé très irrégulier, est composée de couches de cailloutis peu épaisses déposées directement sur les argiles en place. Pour comparaison, la plupart des rues antiques observées sur la butte (dont l’origine est certes plus ancienne) montrent une stratigraphie complexe (couches de gros blocs, de pouzzolane, de cailloutis, etc.) atteignant fréquemment 1 à 2 m.
- 8 Étude P.-A. Bésombes. L’étude céramologique n’est pas encore aboutie.
- 9 Datation basée du l’étude de la céramique par A. Wittmann, Inrap.
18Le quartier monumental de Jaude, ou plus précisément la partie sud qui en est connue, est abandonné vers la fin du iiie siècle d’après l’étude d’une centaine de monnaies retrouvées sur le sol de la place publique8 On ne dispose d’aucune datation pour l’abandon du « Mur des Sarrasins ». Si le bâtiment A (schola ?) a été entièrement détruit par un incendie dans la deuxième moitié du iiie siècle9, aucune trace d’un tel phénomène n’a été identifiée sur le reste du site. Cette observation doit cependant être relativisée car le sommet des niveaux romains a été écrêté dans les bâtiments B et C et les portiques sud et ouest. Dans l’emprise de la place, les dépôts vaseux qui recouvrent le sol de cailloutis marquent le retour d’un milieu humide, dû à une remontée des nappes qui peut expliquer l’abandon précoce du quartier qui ne sera pas ré-urbanisé avant le xixe siècle.
19L’ensemble public de Jaude, créé vers le milieu du iie siècle s’inscrit dans une trame viaire différente de celle de la butte [ill. 4]. Cette dernière est maintenant bien établie : orientée sur le nord géographique, elle délimite des insulae rectangulaires de 119 sur 90 m environ (Le Barrier, 2008 et 2010). Le plan de l’ensemble monumental de Jaude et les deux decumani qui l’encadrent instaurent de nouvelles orientations, décalées respectivement de 6 et 18,2° vers l’ouest. Le « Mur des Sarrasins », seul autre vestige antique reconnu dans ce quartier, est également orienté à 6° ouest, prouvant qu’il appartient au même programme de construction. Une première analyse de la trame viaire de ce secteur de la ville a été esquissée en 2008 avant la réalisation des fouilles du Carré Jaude 2 (Le Barrier, 2008). Elle se fondait sur l’orientation très proche (18° ouest) de la rue 1 de Jaude et de la voie d’Agrippa aboutissant au nord-ouest de la butte, qu’aurait relié une voie perpendiculaire supposée à l’emplacement de la rue Bonnabaud, desservant la ville par le sud. Le résultat des fouilles du Carré Jaude 2 dément cette analyse et montre que l’orientation structurante de l’ensemble monumental est en fait l’orientation à 6° ouest que respecte également le « Mur des Sarrasins ». Il est établi que le prolongement de la voie de pénétration sud, dans le secteur de Jaude, ne suit pas le tracé de la rue Bonnabaud, mais se trouve plus probablement à l’emplacement de l’égout nord-sud (F4) repéré plus à l’ouest. Cet axe majeur, qui rejoignait sans doute la voie d’Agrippa au nord, longeait le bâtiment A (schola ?) et permettait la desserte de la place publique et du monument du « Mur des Sarrasins ».
20L’existence d’une voie ancienne orientée à 18° ouest étant écartée, comment expliquer l’orientation de la rue 1 et du portique sud de Jaude ? L’hypothèse la plus plausible semble être celle d’un axe de drainage majeur de la butte vers le sud-ouest, préexistant à l’aménagement de l’ensemble public (égout F2). À l’est, égout et rue se greffent sur le réseau de la butte, à l’emplacement d’un carrefour de rues principales. Quant à la principale orientation de Jaude, qui se rapproche de celle de la trame viaire de la butte, mais en reste toutefois décalée de 6°, elle pourrait également s’expliquer par la topographie du terrain et la volonté de drainer vers le sud-ouest.
21L’orientation du « Mur des Sarrasins » à 6° ouest prouve qu’il s’inscrit dans le même projet d’aménagement que la place publique, ce que ne dément pas la date de sa construction (iie siècle ou postérieur). Cela conduit à s’interroger sur l’extension et l’organisation spatiale du quartier antique de Jaude. La distance qui sépare l’axe du « Mur des Sarrasins » de l’axe de la rue 1, considérée au niveau de la voie nord-sud longeant le bâtiment A, est de 236 m environ. Cette mesure est approximative puisque le tracé exact de cette voie n’est pas connu. Or, le report de cette même distance au nord de l’axe du monument aboutit légèrement au sud de la voie d’Agrippa et de l’aqueduc, qui constituent une limite infranchissable à l’extension supposée du quartier antique de Jaude. Ce développement possible vers le nord se trouve matérialisé, dans le tissu urbain de l’époque Moderne, par la place de Jaude : en effet, son côté est coïncide globalement avec la limite est de l’ensemble monumental définie par les façades des bâtiments B et C. Le postulat plaçant le « Mur des Sarrasins » au centre de la composition urbaine du quartier peut se justifier : bien que sa fonction précise soit aujourd’hui discutée, l’importance de ce monument, bâti sur un vaste podium, est en effet certaine. On peut noter accessoirement que l’axe du monument aboutit, à l’est, à un carrefour du cardo maximus supposé. Selon cette hypothèse, on peut estimer, pour donner un ordre de grandeur, que le quartier antique de Jaude pouvait s’étendre sur une quinzaine d’hectares.
22Les résultats des fouilles de Jaude, qui restent encore à exploiter, démontrent l’ampleur spatiale et architecturale de ce programme d’aménagement public. Certaines caractéristiques des structures (sol de la place et voiries très sommairement aménagés) laissent supposer que ce grand projet, vraisemblable manifestation de l’évergétisme local, est resté inabouti ce qui amène à s’interroger sur les motifs qui ont conduit à une telle situation : programme trop ambitieux, remontée des nappes phréatiques, destructions violentes ou conjonction de plusieurs de ces facteurs ?
- 10 Datations de A. Wittmann (Inrap) basées sur l’étude de la céramique.
23La grande place, partiellement bordée de portiques monumentaux, a eu, au moins pour une part, une vocation commerciale, comme l’attestent les nombreux petits poids en plomb et monnaies retrouvés dans ses niveaux de circulation. Le lien existant entre cette activité de marché et le bâtiment A est incertain. Mais la place ne constitue vraisemblablement qu’une composante d’un quartier public beaucoup plus vaste, axé sur le « Mur des Sarrasins », probable sanctuaire de dimensions imposantes. Est ainsi posée l’hypothèse d’un second forum, plus spacieux que celui établi au ier siècle sur le sommet de la butte de Clermont, dont les possibilités d’extension étaient de fait limitées par la topographie. La création de ce nouveau centre de la vie publique s’inscrit dans une phase plus globale d’extension et d’embellissement d’Augustonemetum. En effet, c’est à la même période10 que sont aménagés les quartiers résidentiels localisés au sud de la butte et que sont reconstruits deux monuments importants : le théâtre de Montaudou et le temple de Mercure, qui s’élève en arrière-plan de la ville, sur le sommet du Puy-de-Dôme.