1Les enceintes fossoyées et palissadées constituent certainement l’une des manifestations les plus remarquables de l’expression architecturale des populations néolithiques. Le site chasséen de Château-Percin (Seilh, Haute-Garonne) a livré, sous la forme de plusieurs milliers de vestiges d’une construction en terre crue incendiée, un témoignage exceptionnel de l’imposant rempart qui ceinturait une partie de l’occupation. Ces témoins, uniques en leur genre, permettent d’appréhender la forme architecturale et la technique mises en œuvre pour ces ouvrages dont le caractère monumental, souvent supposé mais rarement observé, apparaît ici très marqué.
2Le site de Château-Percin est installé sur le bord d’une terrasse qui domine d’une vingtaine de mètres la Garonne. Il a été découvert dans les années 1940 et il a été confirmé presque 30 ans plus tard par plusieurs sondages archéologiques qui ont révélé la présence d’une implantation néolithique assez dense, matérialisée notamment par un nombre important de structures à galets chauffés (Beyneix, 1998). Ce type d’aménagement, alors fort bien connu des préhistoriens, était considéré comme très caractéristique du Néolithique régional. La nature des vestiges découverts et l’implantation du site, en bord de terrasse et à proximité d’un ruisseau, avaient conduit ces chercheurs à établir, à juste titre, un parallèle entre le site de Château-Percin et, également en Haute-Garonne, les deux vastes occupations chasséennes de Villeneuve-Tolosane et de Saint-Michel-du-Touch. Ces dernières avaient notamment livré des vestiges de fossés et de tranchées d’implantation de palissades en bois. Ils constituaient alors les premiers témoignages de la présence de grands systèmes de fortifications dans le Chasséen méridional.
3La découverte et la fouille de l’enceinte de Château-Percin, en 2008, confirma, au-delà de toute attente, le pressentiment de ces chercheurs. L’opération archéologique, conduite sous la responsabilité de Fabrice Pons (Inrap), mit au jour les vestiges non seulement de deux fossés et d’une tranchée de palissade, mais également d’une construction massive originellement élaborée en bois et en terre crue [ill. 1]. Un violent incendie est à l’origine à la fois de la destruction et de la préservation partielle de cette structure qui s’est effondrée dans l’un des fossés [ill. 2]. Cette découverte exceptionnelle constitue un apport considérable à la perception et à l’interprétation des grands sites ceinturés chasséens, jusque-là uniquement documentés, dans la région toulousaine, par des fouilles ponctuelles et souvent anciennes.
1. Plan général des secteurs fouillés et développement possible du système d’enceinte.
D’après les empreintes visibles sur des photographies aériennes de l’IGN des années 1950 et 1960.
DAO : F. Pons, Inrap.
2. Aperçu du remplissage du fossé 4 entièrement colmaté par des vestiges architecturaux en terre crue brûlée suite à l’incendie de la fortification.
Photo : S. Puech, Inrap.
4À l’issue de la fouille, il semble acquis que l’un des deux fossés (Fo04) était doublé d’un imposant rempart et que, à la suite de l’incendie, une grande partie de ce rempart s’est écroulée et a continué à se consumer dans le fossé, comme en témoigne l’importante rubéfaction des parois [ill. 3]. Il apparaît aussi que, dans un laps de temps relativement court, la totalité du fossé ait été volontairement comblée avec les vestiges du rempart incendié. Il est même probable que la partie non incendiée de la muraille ait également été détruite ; c’est ce que laisse penser la présence massive de matériaux en terre crue dans le remplissage de la partie du fossé non concernée par l’incendie. Quelques éléments de typochronologie céramique permettent de croire que le deuxième fossé (FO 03) a été creusé dans un second temps. L’absence totale de terre rubéfiée dans son comblement va également dans le sens de la diachronie des deux aménagements. On peut donc supposer que ce second fossé résulte de la réfection de l’enceinte suite à la destruction du premier rempart.
3. La rubéfaction des parois sur plusieurs centimètres d’épaisseur et la présence de fragments de terre à l’état vitrifié témoignent de l’intensité de l’incendie.
Photo : S. Puech, Inrap.
5Sans surprise, les aménagements mis au jour, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’enceinte sont, pour l’essentiel, des structures à galets chauffés. Au total, plus de 150 ont été fouillées. La datation absolue ou relative de plusieurs d’entre elles montre qu’elles se rapportent à différentes périodes du Chasséen. Elles témoignent de la fréquentation du site entre 4450 et 3750 avant notre ère. Il est toutefois intéressant de noter que les dates les plus récentes obtenues proviennent du comblement des fossés 03 et 04. Le comblement du fossé 03 a donc pu précéder de peu l’abandon du site, avant 3700 avant notre ère. Les dimensions exactes de la surface ceinturée ne sont pas connues. On peut toutefois estimer que, si le fossé barre l’éperon aménagé par la confluence de la Garonne et du ruisseau des Garossos, la surface enclose pouvait avoisiner les 3 hectares, et le développement des fossés pouvait se poursuivre sur plus de 300 m linéaires. Une petite partie du site a certainement été détruite par l’érosion du front du talus de la terrasse qui surplombe la Garonne.
6Dans son état de conservation actuel, le fossé 04 mesure 4 m de largeur maximale pour 2,5 m de profondeur. La portion fouillée, soit environ 75 mètres linéaires, ne présente pas d’interruption. Il semble probable que tout ou partie de la terre extraite de son creusement a été utilisée (essentiellement sous forme de « boules » grossières de 10 à 30 cm de module) pour construire le rempart parallèle au fossé. Malgré l’état de conservation remarquable du site, les données relatives à l’architecture de cet aménagement demeurent lacunaires. L’analyse des vestiges incendiés et les observations de terrain permettent toutefois d’avancer un certain nombre d’hypothèses. Il semble certain que le rempart était une construction très imposante associant terre et bois. Les vestiges extraits du fossé représentent entre trois et six mètres cubes de terre rubéfiée par mètre linéaire et il va de soi qu’ils ne correspondent qu’à la partie de la construction préservée par l’incendie. La rangée de poteaux parallèle au fossé, reconnue sur plus de 60 m, est située, en moyenne, à 3,30 m de son bord interne. Elle était installée dans une tranchée d’environ 60 cm de large. Les vestiges de creusement permettent d’avancer que cette construction se composait d’une robuste armature de poteaux grossièrement alignés, à raison d’un poteau, avoisinant en général 0,50 m de diamètre, disposé tous les mètres en moyenne, l’espacement pouvant toutefois varier de 20 cm à plus de 2,5 m. Il est évident que cette structure verticale était complétée par des éléments transversaux. La présence, au fond du fossé 04, de bûches carbonisées très majoritairement disposées parallèlement aux bords, témoigne peut-être de leur existence. Les mesures réalisées sur les empreintes de branches et de poteaux conservées dans les éléments de terre brûlée montrent un usage varié du bois à différents niveaux de la construction puisque les modules observables font état de la présence de petites branches (moins de 5 cm de diamètre) aussi bien que de gros troncs (jusqu’à 40 cm de diamètre). La terre extraite du fossé a pu participer au calage de cette ossature en bois, mais aussi être utilisée, associée au bois, pour la mise en œuvre du rempart lui-même. Plusieurs creusements, perpendiculaires et adjacents au fossé 04, lui sont certainement contemporains. Ils rappellent incontestablement des fosses souterraines parallèles à l’un des fossés de l’enceinte de Villeneuve-Tolosane/Cugnaux (Gandelin, sous presse). Ces aménagements peuvent correspondre à des systèmes d’évacuation des eaux de ruissellement vers l’extérieur du site et tendent à confirmer l’existence d’une construction relativement étanche.
7Le caractère ostentatoire, déjà patent au regard de l’ampleur de la construction, était certainement renforcé par l’adjonction de nombreuses cornes de bovins qui devaient couronner le rempart et dont les empreintes ont été conservées sur près de 800 fragments de terre. Il semble que ces cornes étaient disposées en deux rangées au moins et, bien que leur position exacte ne soit pas connue, il est probable qu’elles hérissaient de façon saisissante la totalité de la partie haute de la muraille.
8Les éléments de terre crue qui ont été accidentellement cuits par l’incendie (environ 50 000 blocs) constituent un témoignage sans précédent de l’architecture du rempart, mais aussi des techniques de son élaboration. L’observation des stigmates « fossilisés » par la cuisson offre une image jusque-là insoupçonnée du mode de construction de la fortification. Il apparaît que l’essentiel des 3000 fragments étudiés par Claire-Anne De Chazelles, présente un module « globulaire ». Il s’agit de boules de terre transformées en céramique par une chauffe importante ; certaines sont presque vitrifiées et témoignent d’une très forte montée en température. Ces éléments portent différents types de négatifs : traces de végétaux souples ou ligneux, traces de liens, vestiges de traitement de surface, traces d’outils, de malaxage ou d’objets (cornes) [ill. 4]… Il est probable que l’abattage du bois et la construction de l’ossature verticale, matérialisée par la tranchée de palissade, constituaient les premières étapes de la mise en œuvre de la construction. Les empreintes laissées sur les mottes de terre cuites montrent que cette armature était réalisée à l’aide de troncs et de branches de chênes écorcés et presque toujours refendus. L’écorçage semble systématique ou, du moins, très fréquent sur les bois de moyens et gros diamètres. Cette pratique a pu être liée à une récupération de l’écorce ou du liber pour une utilisation indéterminée (liée ou non à la construction), mais aussi à une volonté de préserver au mieux le bois du pourrissement. L’interstice entre l’écorce et l’aubier constitue une zone particulièrement propice au développement des insectes ravageurs des bois verts ou fraîchement abattus (les bostryches notamment) ainsi que des moisissures. Cet écorçage pourrait donc témoigner de l’utilisation, pour la construction, d’un bois récemment coupé. Les branches les plus fines étaient parfois organisées en clayonnage ; là encore, l’utilisation de bois vert, plus souple, est probable. Les « pièces techniques » (tenons, mortaises, mi-bois, rainures) sont absentes et l’essentiel de l’assemblage de l’ossature a été réalisé à l’aide de liens.
4. Vestiges en terre provenant du rempart.
a : boule de torchis façonnée manuellement (diam. 15 cm) ; b : boule de torchis (diam. 10-12 cm) portant des traces de pétrissage au doigt ; c : fragment de torchis présentant des traces caractéristiques du travail de la hache sur un petit tronc (diam. 5 cm) ; d : fragment de torchis comportant un plan de pose horizontal et un sommet arrondi (h : 17 cm) avec une empreinte d’objet lisse, conique et courbe (diam. 4 cm), probablement une corne de bovin ; le négatif transversal pourrait être celui d’un lien ; e : fragment de torchis comportant le négatif d’un grand tronc écorcé (diam. 16 cm).
Photo : C.-A. de Chazelles et H. Gazzal, CNRS.
9Le façonnage manuel de la terre molle constitue, avec le traitement du bois, l’étape majeure de la mise en œuvre de la construction. Le matériau utilisé (dont l’origine est certainement à rechercher dans une partie des sédiments résultant du creusement du fossé) est une terre limono-argileuse plus ou moins riche en sables, graviers ou petits galets. La présence d’éléments végétaux est attestée sans que l’on puisse, pour l’instant, préciser s’il s’agit d’une présence accidentelle ou d’une adjonction volontaire. La morphologie et la taille des éléments modulaires en terre utilisés sont relativement standardisées : il s’agit de formes globulaires dont le diamètre varie de 10 à 30 cm. La forme même de ces fragments et leur taille témoignent, selon nous, plus d’une manière de faire relative à l’extraction, au transport et, éventuellement, à la préparation du matériau qu’à une contrainte architecturale. La variabilité de leur module alliée à celle des empreintes de paumes et de doigts sauvegardées par la cuisson suggèrent qu’un échantillon large de la population, y compris les enfants, a pu participer à cette première étape d’extraction et de mise en forme sommaire du matériau brut. La morphologie générale des fragments évoque peut-être un transport des boules de terre « lancées » d’un opérateur à l’autre. Ces boules grossières ont été tantôt juxtaposées entre elles, tantôt agglomérées à des éléments en bois. Cet amalgame présentait, dans certains cas, une cohésion relativement faible qui est à l’origine de la désolidarisation des boules de terre au moment de l’incendie. Dans d’autres cas, les boules ont été amalgamées en une bauge massive probablement disposée au sein d’une armature en bois. Enfin, dans de rares cas, le matériau a été plaqué sur un treillis végétal. Quelques surfaces portent la trace d’un lissage grossier réalisé directement à la main ou à l’aide de poignées de végétaux souples.
10Le savoir-faire technique nécessaire à l’élaboration du rempart apparaît relativement faible et il est probable qu’une grande partie de la population a pu y participer. Le creusement du fossé et de la tranchée de palissade ainsi que l’extraction de la terre sont des étapes simples mais nécessitant une importante main-d’œuvre. L’essentiel de cette activité a pu se faire manuellement ou avec des outils rudimentaires. Il est toutefois probable que ces travaux aient été réalisés à un moment ou les conditions climatiques et hygrométriques étaient particulièrement favorables. L’abattage des arbres, l’élagage, l’ébauche grossière et la refente des troncs constituent une étape plus technique nécessitant l’emploi d’un outillage spécifique. Toutefois, ces pratiques faisaient partie intégrante de la vie quotidienne des populations locales et étaient indissociables de l’activité d’une communauté orientée vers l’agro-pastoralisme. Au final, il apparaît que le rempart, malgré son aspect massif et son caractère probablement très ostentatoire, ne constitue par une construction techniquement complexe. Il s’agit cependant d’un ouvrage au caractère défensif prégnant, fruit d’un travail très certainement collectif qui a nécessité une importante main-d’œuvre et, probablement, une répartition des tâches. Il témoigne d’une cohésion sociale forte.
11Il est difficile d’argumenter sur l’origine de l’incendie qui a entraîné la destruction du rempart. Toutefois, le caractère nettement défensif du système d’enceinte de Château-Percin autorise l’hypothèse de l’existence de conflits ou de rixes entre communautés. La question du développement, au Chasséen, d’une société de production nécessitant l’exploitation de vastes territoires a été maintes fois posée [cf. Gandelin, p. 16-17 de ce numéro]. Cette évolution, peut-être liée à un accroissement de la population, pourrait être à l’origine d’une concurrence pour le contrôle d’un terroir. Les conflits qui ont pu en résulter ont certainement joué un rôle dans l’apparition des habitats fortifiés tels que Château-Percin. Les solutions architecturales alors adoptées pour protéger les populations découlent directement des ressources locales disponibles et notamment du bois qui s’inscrit pleinement dans l’économie de production agricole dans les zones pionnières. Si l’on en croit les vestiges anthropologiques porteurs de stigmates, les traces de conflits, qui témoignent peut-être d’une volonté de domination des territoires, se multiplient d’ailleurs à partir de cette période (Guilaine, Zammit, 2001).