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AccueilNuméros49Thèses, HDR, PCRLes soldats de Napoléon en leur camp

Thèses, HDR, PCR

Les soldats de Napoléon en leur camp

Napoleon's soldiers in their camp
Los soldados de Napoleón en su campamento
Frédéric Lemaire
p. 120-122

Texte intégral

14 janvier 2020
Université Paris sciences et lettres
École doctorale de l’École pratique des hautes études


Directeurs de thèse
Michel Reddé, Directeur d’études, École pratique des hautes études
Natalie Petiteau, Professeure, vice-présidente d’université, université d’Avignon

Président du jury
Jacques-Olivier Boudon, Professeur, Sorbonne Université

1Cette thèse, résultat du travail d’un archéologue de terrain, constitue, semble-t-il, la première thèse d’archéologie sur le Premier Empire et ses guerres, sur la Grande Armée et ses soldats, sur le fait guerrier napoléonien plus généralement. Ce disant, il s’agit de rendre compte des difficultés pratiques, méthodologiques ou conceptuelles soulevées par ce « front pionnier ».

2Dire que ce travail reflète l’engagement d’un archéologue de terrain, c’est aussi revendiquer une position particulière. Les témoignages occupent une place importante dans cette étude ; s’agissant de travailler sur les soldats, leur parole a été prise en compte, à travers l’examen critique du concept de « paradoxe de Stendhal » — à ne pas confondre avec le syndrome du même nom — et du travail monumental réalisé par Jean Norton Cru. Le paradoxe est construit à partir de l’étonnement de Fabrice Del Dongo à Waterloo dans La Chartreuse de Parme. Fabrice, grisé d’héroïsme livresque, est confronté à une réalité si différente et misérable qu’il se demande s’il a assisté à une vraie bataille. Le paradoxe s’articule ainsi : le témoin immédiat possède une connaissance limitée mais réelle des faits, alors que quiconque se situe à distance peut avoir une meilleure perception de la scène dans son ensemble, sans saisir pour autant la vérité humaine de l’expérience. La position particulière revendiquée est celle de l’archéologue, qui précisément se trouve dans le champ de l’histoire tel Fabrice Del Dongo sur le champ de bataille de la grande histoire. Il sait peu, mais il a l’expérience singulière et fascinante de la réalité matérielle, des traces tangibles de l’évènement, et il témoigne de micro-faits, de micro-détails éloignés de la factualité historique. Fouiller une baraque de soldats, ou un champ de bataille, produit une connaissance différente de celle d’une étude d’après un dessin, un règlement ou les mémoires d’un officier supérieur. Lorsque le fouilleur vide, sous la pluie ou la neige, le fond d’une baraque exigüe, creusée en pleine terre, il peut juger plus certainement de la précarité de la quinzaine d’hommes qui y vivaient sans chauffage et qui a été relatée par l’un d’entre eux. D’une certaine manière, l’archéologue est un « combattant » de l’histoire, et cette thèse constitue, en quelque sorte, un retour d’expérience. L’archéologue va sur le terrain avec une vision très limitée des enjeux de la recherche historique, de l’historiographie, ce qui précisément donne à son « témoignage » une valeur singulière. « Témoignage », parce que lui non plus ne dit pas la vérité, mais il est assez bien placé pour « sonder l’abîme où elle se cache ».

3Accentuant cette dimension propre à notre métier, nous donnons le sentiment d’auxiliariser les sources historiennes en les distinguant de l’archéologie. Il n’en est rien. Nous avons fait feu de tout bois. Toutes les pièces du dossier ont été examinées. C’est une démarche globalisantequi prévaut ici, une enquête qui n’écarte aucune piste, aucun indice, aucun témoin. Citant Karl Popper, nous considérons qu’il n’existe pas de source ultime de la connaissance ; aucune source, aucune indication n’est à éliminer, et toutes se prêtent à l’examen critique. S’agissant d’identifier les heurs et malheurs des jeunes conscrits ou vétérans des guerres de la Révolution rassemblés sur les rivages du Pas-de-Calais, les multiples sources sont croisées pour appréhender le coucher, le boire et le manger, les maladies, l’exercice et les manœuvres, les amours, les naissanceset les morts. L’archéologie est un premier levier. Au corpus archéologique constitué, des documents archivés, des images, des témoignages publiés ou inédits ont été agrégés, après avoir eux-mêmes constitué des corpus distincts.

4La thèse a connu plusieurs remaniements substantiels. L’erreur consistait à séparer les sources archéologiques des autres sources documentaires au détriment d’articulations plus fines et thématiques. De manière rétrospective, l’exercice fut difficile. Les soldats et les camps de Napoléon croulent sous les archives. Il fallait trouver le juste équilibre argumentaire entre les « archives du sol », c’est-à-dire les documents archéologiques, et les « archives des sous-sols », celles du service historique de la Défense par exemple. Il ne s’agit pas de se plaindre de cette « manne historienne » ; en effet, elle présente aussi l’intérêt de déplacer le centre de gravité des données archéologiques ; elle oblige l’archéologue à sortir de son « trou » et des artefacts qu’il contient, à s’extraire d’une focalisation sur les traces du passé, au bénéfice du passé lui-même, à laisser de côté, pour un temps, la fascination quasi hypnotique du vestige.

5Des milliers de pages ont été écrites sur le camp de Boulogne, dès la fin de l’Empire et jusqu’aux commémorations du bicentenaire ; une longue introduction en propose une recension. Pourtant, toutes les coutures n’avaient pas été examinées. Les sources écrites et archéologiques, tels des fils, ont ainsi été croisées pour tisser une nouvelle trame historiographique. Une vision en deux dimensions, l’archéologie et les témoignages, manquait ; ces derniers se comptent finalement par dizaines, manuscrits ou publiés. Les textes donnaient à voir la réalité historique des camps d’infanterie, les recherches sur leur empreinte physique confèrent à cette connaissance une dimension nouvelle, en ancrant les données des documents écrits, des récits, des illustrations, dans une réalité tangible. Finalement, cette archéologie du camp de Boulogne offre un instantané de l’armée impériale naissante, de la condition matérielle de ses soldats, de leur équipement et armement.

6De manière concrète, cette thèse multiscalaire traite du camp de Boulogne en général, du camp de Montreuil en particulier et des camps d’infanterie d’Étaples et de Camiers dans le détail. La Grande Armée avait son « camp de base » qui l’a vue se constituer et naître en tant que telle : nous en proposons une « archéoscopie » fondée sur des fouilles à grande échelle réalisées entre 2004 et 2014. Le camp de Boulogne fut un moment fondateur, et c’est aussi une étude génésiaque de la geste militaire napoléonienne qui ressort. La thèse s’attache à l’étude des vestiges matériels des camps des soldats de Napoléon, liés à lui par le serment prononcé au camp de Boulogne. Les questions soulevées s’inscrivent dans une démarche anthropologique.

7Tenter d’appréhender la condition du soldat, au combat ou dans son attente, implique de comprendre le contexte auquel elle ressortit, le champ de bataille ou le camp. Qu’est-ce qu’un camp ? Qu’est-ce que ce camp ? Ce sont deux questions auxquelles la thèse prétend également répondre. Ce double questionnement croisé implique nécessairement une réflexion sur l’organisation militaire et les campagnes qui ont précédé le développement du camp de Boulogne, c’est-à-dire sur les héritages et mutations de l’armée française au sortir des guerres de la Révolution.

8Ainsi le soldat et le camp sont les deux lignes de force qui structurent la thèse, et s’il y a un axe à considérer, c’est précisément la ligne. Celle de la formation tactique et de son évolution. Les camps reproduisent l’ordre de bataille. Suivant ce principe et le développement puis le perfectionnent des armes à feu, de l’artillerie en particulier, les camps s’amincissent selon la réduction progressive des rangs de feu. Pour les soldats, l’attente du combat se fait dans la position du combat. Cette réflexion inédite est également exemplaire du travail sur le croisement des sources. Elle rend aussi compte de leur juste complémentarité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Frédéric Lemaire, « Les soldats de Napoléon en leur camp »Archéopages, 49 | 2023, 120-122.

Référence électronique

Frédéric Lemaire, « Les soldats de Napoléon en leur camp »Archéopages [En ligne], 49 | 2023, mis en ligne le 15 janvier 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/16741 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.16741

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Auteur

Frédéric Lemaire

Inrap, UMR 8529 « IRHiS »

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