1Bien que les concepts et les principes fondamentaux des pollen washes aient été pensés et établis voilà près de 50 ans, l’approche a été très peu utilisée et reste encore à bien des égards une recherche exploratoire. L’exemple de l’étude d’un moulin gaulois trouvé à Saint-Jouan-des-Guérets, en Bretagne, offre l’occasion de revenir sur les progrès méthodologiques et les applications potentielles du procédé, de même que sur les protocoles à suivre sur le terrain en vue d’obtenir les meilleurs résultats.
2Alimentation, pharmacopées ou rituels funéraires, les relations interdépendantes développées au fil des millénaires entre les sociétés et les plantes taraudent les spécialistes de l’analyse des grains de pollen et des spores de végétaux depuis les années 1960 (Roux 1967). Loin des reconstitutions paléoenvironnementales, souvent l’apanage des investigations en séquences naturelles tourbeuses ou lacustres, la palynologie ambitionne ici d’analyser l’utilisation des plantes sauvages et domestiques et ce que celle-ci traduit des pratiques des communautés anciennes voire des comportements des hommes du passé. Des palynologues américains s’attaquèrent dès les années 1970 à ce verrou méthodologique et conceptuel en focalisant leur attention non plus uniquement sur l’unité stratigraphique ou la structure archéologique mais en incorporant à leurs modèles d’étude l’artefact produit par la main même de l’homme (Hill, Hevly 1968). C’est la naissance de la technique dite des « pollen washes ».
3L’approche dite des « pollen washes » repose sur l’idée que l’analyse pollinique des objets archéologiques peut concourir à mieux cerner la fonction même d’un objet dont on soupçonne un lien avec le monde végétal (matériel de mouture ou de broyage, conteneurs en céramique ou vannerie, par exemple les baskets amérindiens, etc.). Il s’agit, par ailleurs, de permettre d’analyser un très large spectre de plantes potentiellement utilisées par les sociétés dans la mesure où les spores et les grains de pollen sont produits par toutes les plantes (Holloway, Bryant 1986). Ce postulat repose sur des recherches expérimentales qui, dès la fin des années 1960, ont montré que les différents types d’utilisation, de travail, de récolte ou de stockage de plantes laissaient une signature pollinique bien spécifique (Bohrer 1968).
4Deux décennies plus tard, Geib et Smith (2008) multiplièrent ces expérimentations et démontrèrent que le pollen adhère sur les graines, les fruits et les épis en grandes quantités en raison de la maturation pollinique différentielle dans le temps et au sein des fleurs et que ce pollen peut être piégé dans la structure même de l’objet lors de la récolte, du stockage ou du travail des plantes. Leurs travaux sur différents matériels de mouture lithiques amérindiens du sud-ouest des États-Unis montrèrent que la signature pollinique de la surface active d’un mortier en pierre, de texture très poreuse, était différente de celle obtenue sur les autres faces de ce même objet et qu’elle était représentative du cortège de plantes travaillées. À l’instar des analyses de phytolithes (García-Granero et al. 2017), d’amidon (Yang et al. 2014) ou de résidus organiques (Regert et al. 2003), dont la technique des pollen washes se veut être une approche complémentaire, Geib et Smith (2008) impulsèrent alors une nouvelle étape dans l’analyse palynologique en contexte archéologique, lui permettant de revêtir une place majeure dans l’étude des économies végétales des sociétés passées.
5Le protocole des pollen washes établi par Geib et Smith (2008) a pour objectif de recueillir les spores et les grains de pollen emprisonnés dans la structure même de l’objet archéologique. Il se fonde sur une succession de brossages et de lavages différenciés et spatialisés de l’objet. Ainsi, la surface active d’un mortier ou d’une meule ou l’intérieur d’un contenant seront traités séparément des surfaces non actives ou des extérieurs d’objets [ill. 1]. Les résultats obtenus par ces lavages seront ensuite comparés aux résultats provenant de l’analyse palynologique de différents points de contrôle définis au préalable. Ces derniers sont principalement le sédiment qui adhère à l’objet lui-même (appelé « sticking sediment ») et du sédiment provenant de la même unité stratigraphique US que l’artefact, prélevé dans un environnement proche, mais sans contact avec cet objet. Certains de ces points de contrôle permettent de caractériser des contaminations par du pollen actuel ou des contaminations contemporaines ou postérieures à l’utilisation et au dépôt de l’objet, dues aux processus taphonomiques, dépositionnels et post-dépositionnels.
1. Pollen washes : principes et méthodes.
Y. Miras/CNRS.
6Le résultat des analyses palynologiques est positif quand des différences existent entre la surface « pertinente » d’un objet (surface active ou d’utilisation d’un matériel de mouture, intérieur d’un contenant, etc.) et les points de contrôle. Ces différences constituent une « anomalie » ou signature pollinique particulière, appelée « pollen enrichment » (Faegri, Iversen 1989) qui correspond généralement à une abondance de taxons polliniques (famille, genre ou espèce), souvent entomophiles et habituellement sous-représentés dans les assemblages polliniques fossiles (plantes faiblement productrices et disséminatrices). Une fois cette signature particulière mise au jour, la multiplication et la microspatialisation des prélèvements et des lavages, couplées à cette analyse comparative, permettent de circonscrire les assemblages palynologiques à un microcontexte archéologique bien spécifique. C’est ici un point conceptuel capital car cette microcontextualisation permet d’aboutir à l’interprétation qualitative de cette anomalie et d’octroyer éventuellement à cette accumulation de pollen une origine anthropique résultant potentiellement d’un usage culturel d’une ou de plusieurs plantes (Riera et al. 2018).
7En 2015, s’inspirant des travaux américains, une équipe européenne pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle (Miras et al. 2018) a lancé une recherche exploratoire afin d’améliorer et d’accélérer le protocole simultanément de Geib et Smith de façon à pouvoir étudier de plus grandes séries et une plus grande variété de matériel archéologique. Cela concerne des artefacts de petite taille ou des objets lithiques à porosité plus fine (aucun résultat positif n’avait été précédemment obtenu sur ce genre d’objets), ou encore des objets en céramique sur lesquels cette méthode n’avait encore jamais été appliquée. Des adaptations technologiques ont été proposées pour optimiser le processus de lavage et le rendre plus profond et rapide sans pour autant perdre de sa précision [encadré « Méthodologie des pollen washes »].
Méthodologie des pollen washes
Échantillons de contrôle
Le prélèvement des échantillons de contrôle concerne tout d’abord le contexte archéologique (unité stratigraphique) proche de l’objet étudié mais sans contact avec ce dernier. Ces échantillons peuvent contenir une pluie pollinique étrangère à la sédimentation dans le site (contamination par du pollen atmosphérique par exemple) ou bien être reliés aux processus dépositionnels et post-dépositionnels. Les assemblages polliniques ne sont donc pas reliés avec une utilisation quelconque de l’objet. En outre, le sédiment qui adhère à la surface de l’objet est également recueilli après un premier lavage superficiel et en douceur à l’eau distillée (utilisation d’une éponge ou d’une pissette). Ce premier lavage est destiné à recueillir et évaluer toute contamination pollinique actuelle ou récente possible (lors de la fouille, du stockage, de son analyse, etc.). L’objet étudié ne doit donc pas avoir été lavé au préalable et, idéalement, doit avoir été conditionné dans un sachet plastique hermétique dès sa mise au jour pour éviter toute contamination par des spores et des grains de pollen actuels.
Lavage de l’objet et caractérisation de l’anomalie pollinique
L’une des innovations technologiques proposées par Miras et al. (2018) est d’ajouter au simple brossage de l’objet des lavages successifs et de courte durée (vitesse variable mais n’excédant que rarement 1 à 2 min) en utilisant un pistolet pulvérisateur relié à un compresseur moyenne pression. Une pression entre 3 et 4 bars est généralement suffisante. Grâce à ce dispositif, la nébulisation sous pression permet un lavage profond et précis des différentes surfaces. Aucun dommage sur les objets analysés n’a été constaté et ce système permet souvent d’éviter le recours à un brossage qui n’est pas toujours sans conséquence sur l’état même de l’objet et donc sur de possibles études complémentaires (tracéologiques notamment). Le nombre de lavages successifs au pistolet est variable en fonction de la taille de l’objet, de la nature du sédiment qui l’imprègne ou de la présence de concrétions. Les surfaces « pertinentes » (surface active de matériel de mouture ou intérieur de contenant par exemple) sont lavées en premier et de manière progressive jusqu’à ce que l’objet soit totalement propre. Si l’objet est rempli de sédiment, le vider précautionneusement au laboratoire est à privilégier. La présence de concrétions peut induire la nécessité de doubler le lavage par un brossage délicat. Dans tous les cas de figure, chaque lavage constitue un échantillon. Les surfaces « non pertinentes » (surface non active ou extérieur de contenant, entre autres) font également l’objet de lavages à part et constitueront autant de points de comparaison s’ajoutant aux points de contrôle. Cette comparaison est menée afin d’isoler une anomalie pollinique sur la « surface pertinente » et de tenter de lui donner une signification en matière d’utilisation culturelle de plantes. Le dispositif proposé permet de réduire de moitié le temps d’analyse de l’objet, particulièrement les objets de grande taille, et de réduire de manière substantielle les quantités de prélèvements et de solution de lavage ce qui facilite et accélère le reste du protocole. Les lavages se font à partir d’une solution d’eau distillée chaude et de DMSO (diméthylsulfoxyde) à 5 % qui est, un solvant permettant une meilleure séparation des particules et donc un recueil optimisé, sans aucun dommage, du sédiment déposé sur ou emprisonné dans les microporosités de l’objet. La présence d’une concrétion calcaire peut éventuellement nécessiter l’ajout d’acide chlorhydrique dilué à 10 % dans la solution de lavage.
Extraction des spores et des grains de pollen
Les échantillons de contrôle et ceux issus des lavages sont ensuite traités avec la procédure standard en palynologie (Faegri, Iversen 1989), toutefois amputée de l’acétolyse dans la mesure où le pollen retrouvé est souvent fragile et moyennement bien conservé. Les échantillons subissent des attaques à l’acide chlorhydrique et fluorhydrique, de façon à éliminer les carbonates et les silicates, et sont filtrés à 200 μm puis centrifugés. Une goutte de safranine est ajoutée pour teindre le pollen afin de faciliter les observations microscopiques. Quand le matériel sédimentaire recueilli est riche en éléments détritiques, une séparation par densitométrie des spores et du pollen de cette matrice sédimentaire est réalisée grâce à un passage dans le chlorure de zinc. Des pastilles de Lycopodium sont ajoutées afin de pouvoir calculer les concentrations polliniques (Stockmarr, 1971). Après traitement, les échantillons sont mis en suspension dans du glycérol afin d’éviter tout développement fongique ultérieur pouvant endommager les grains de pollen. Les comptages sont réalisés au microscope optique à transmission à un grandissement x 500 (ou x 1000 pour des observations cruciales comme des grains de pollen de plantes cultivées, aromatiques, médicinales, etc.). Les déterminations polliniques s’appuient sur l’utilisation de clés de détermination (Moore et al. 1991 entre autres), d’atlas photographiques (Reille 1992 ; 1995 ; 1998) et de collections de référence. Les résultats sont exprimés en concentrations en microparticules par unité de masse ou de volume (grains.g-1 ou grains.cm-3). Geib et Smith (2008) préconisent également l’expression des résultats en concentration en microparticules par aire de surface lavée (grains.cm-2).
8Le premier objet pour lequel des résultats positifs ont été obtenus est un artefact provenant de l’abri de Xicotó (Alòs de Balaguer, Espagne), situé à 360 m d’altitude dans le massif du Montsec, dans les Pré-Pyrénées catalanes [ill. 2] (Miras et al. 2018). Les campagnes de fouilles systématiques depuis 2013 attestent une occupation du site au Néolithique et à l’âge du Bronze (Mangado Llach, Sánchez de la Torre 2015). L’objet lithique étudié est en quartzite, avec une texture très fine, et aux dimensions de 21 × 13,5 × 2 cm. Cet objet a été mis au jour dans un niveau archéologique riche en fragments de poterie, permettant de le rapporter à la transition entre le Néolithique et l’âge du Bronze. Outre sa fine porosité, cet objet avait été retenu car il était constitué de deux faces bien individualisées : une face convexe de 205 cm2 et une face concave de 188 cm2, en contact avec le niveau archéologique et recouverte d’une concrétion carbonatée. La présence de cette concrétion avait pour avantage d’avoir pu protéger le pollen contenu dans l’objet de l’oxydation ou de tout autre processus taphonomique (Lebreton et al. 2009). En outre, l’hypothèse que cet objet pouvait être lié au travail de plantes était plausible. La fonctionnalité des outils macrolithiques est certes toujours débattue et ils sont souvent considérés comme des outil opportunistes (Hamon, Blanchet 2015). Néanmoins, des données ethnographiques suggèrent que des outils macro-lithiques préhistoriques similaires à celui de Xicotó, de forme subtriangulaire, présentant une double surface concave-convexe, pourraient être des outils de broyage associés à la transformation de plantes non oléagineuses comme les céréales (Dubreuil, Grosman 2013). L’étude a consisté en l’analyse de dix échantillons correspondant à l’unité stratigraphique (X1), au sédiment adhérant à l’objet (X2), à trois lavages successifs de la surface convexe (X3 à X5) et à quatre lavages de la surface concave (X6 à X9). Les résultats sont présentés en grains.cm-2 hormis pour X1 où les concentrations sont mesurées en grains.g-1 [ill. 3].
2. Photos de l’objet avant et après lavage.
J. Mangado Llach.
3. Diagramme pollinique de Xicoto avec des photos de pollen de trèfle.
Y. Miras/CNRS.
9Les données polliniques obtenues montrent des résultats très différents entre les points de contrôle, la face convexe et la face concave. En effet, la quantité de grains de pollen retrouvée dans les échantillons de contrôle X1 et X2 est assez faible et les assemblages polliniques sont peu diversifiés et très largement dominés par des taxons anémophiles comme le pin, l’aulne ou les Poacées. Une tendance similaire caractérise les échantillons de la face convexe sauf que les types polliniques observés sont plutôt le chêne, le chêne vert, le noisetier et le pin. La présence de taxons de la strate herbacée est faible, hormis quelques notations erratiques de pollen de Fabacées. En revanche, les échantillons de la face concave se définissent par une plus forte abondance de pollen, une plus grande richesse taxinomique, notamment en plantes herbacées héliophiles, des notations de grains de pollen de type céréale et beaucoup d’espèces entomophiles (cirse, chardons, orobanche) avec une domination d’un type pollinique de Fabacées, parfois observé sous forme d’agrégats polliniques [ill. 3]. Une analyse fine des résultats montre même que les plus fortes concentrations en Fabacées sont obtenues après l’élimination de la concrétion, ce qui implique que ces grains de pollen concernent bien la face concave à proprement parler. L’état de préservation ne permet malheureusement pas d’avoir avec certitude une identification précise de ce type pollinique, même si son rattachement au groupe des trèfles est fort probable en raison de l’ornementation du grain (Beug 2004). En résumé, les données polliniques attestent une concentration très élevée de pollen d’une légumineuse (probablement une espèce de trèfle) qui est une plante entomophile, faiblement productrice de pollen avec, de surcroit, une forte tendance à l’autopollinisation. C’est pourquoi le trèfle est très rarement rencontré à de telles proportions lors des analyses palynologiques, y compris dans les séquences naturelles. Ajouté au fait que cette plante ne pousse pas dans les environs du site et que cette signature pollinique caractérise un microcontexte archéologique (la face concave), c’est bien une anomalie pollinique qui est ici mise au jour et qui ne peut être expliquée par un enrichissement naturel par dépôts atmosphériques ou circulation d’eau. La présence d’agrégats polliniques suggère aussi le contact direct entre cet objet et les inflorescences de trèfle qui contiennent les étamines, de même que la présence de pollen d’orobanche qui parasite de nombreuses Fabacées et qui est aussi habituellement très sous-représenté dans les spectres palynologiques. L’apport anthropique constitue donc l’hypothèse privilégiée, mais est-il délibéré ou non ? En effet, en tant que plante fourragère, la présence de trèfle pourrait s’expliquer par un contact fortuit de l’objet avec du fumier. De nombreux arguments palynologiques comme la rareté de pollen de Poacées ou l’absence de spores de champignons coprophiles tendent à ne pas valider cette hypothèse (Miras et al. 2018). De même, les données archéologiques de la zone de découverte de l’objet arguent plutôt en faveur d’un espace de stockage ou d’habitation et rien n’indique l’existence d’une aire de parcage ou de stabulation du bétail. Ce raisonnement par élimination conduit donc à une autre explication, à savoir que cet objet est bel et bien un outil de broyage. D’ailleurs, l’utilisation de meules spécialisées pour broyer les fleurs de trèfle pour en récupérer les graines a été documentée notamment pour la période moderne (Busseuil, Renou 2001). Outre la détermination de la fonction de l’outil, un autre résultat de cette approche réside ici dans le fait d’avoir réussi à caractériser pour la première fois le travail d’une plante dont on soupçonnait pourtant l’importance dans les économies végétales des sociétés du passé en raison de la découverte de carporestes dans différents sites archéologiques dans le monde ou bien du fait des nombreuses propriétés connues de cette plante [encadré « Propriétés et usages du trèfle »].
Propriétés et usages du trèfle
Le trèfle est une excellente plante fixatrice d’azote, qui est à ce titre encore très utilisée en agriculture. Cette plante fourragère a donc toujours eu une place importante dans les économies végétales. Des parallèles ethnographiques montrent que sa récolte pour l’alimentation ou pour récupérer les graines pour sa culture était une activité primordiale pour les sociétés préhistoriques de la côte ouest des États-Unis (Anderson 2006).
En France, la cueillette des inflorescences de trèfle se faisait traditionnellement en utilisant un peigne, proche de celui utilisé pour les mûres ou les myrtilles. Elles étaient ensuite écrasées sur des meules spécialisées pour en recueillir la graine (Busseuil, Renou 2001). Par ailleurs, le trèfle est une importante plante mellifère et médicinale, très utilisée pour ses propriétés sédatives, antispasmodiques et anti-inflammatoires (Butler 1995).
- 1 Fouille de la ZAC Atalante, sous la responsabilité d’Anne-Louise Hamon, Inrap.
- 2 Les travaux concernant les meules de Saint-Jouan-des-Guérets et de Pluguffan ont été effectués au s (...)
10Le matériel de mouture reste une cible privilégiée pour la technique des pollen washes dans la mesure où les liens avec le monde végétal sont évidents. Le choix de la meule découverte au fond du puits gaulois F744 de Saint-Jouan-des-Guérets1, en Ille-et-Vilaine (Hamon 2018) s’est imposé du fait du contexte de découverte mais également en raison de l’exceptionnel état de conservation de cet ensemble, malgré sa position détritique au fond d’un puits. On pouvait donc supposer que le moulin était en usage juste avant son rejet. En outre, dans le cas d’un moulin rotatif, il est communément admis que la fonction première est la mouture de céréales, même s’il ne faut pas négliger d’autres usages comme le broyage de minerai (Minvielle-Larousse, Bailly-Maître 2009). Ce puits [ill. 4] a livré une meta (meule fixe) entière et deux fragments d’un même catillus, le tout formant un moulin complet, ce qui est rare dans les assemblages de mouture [ill. 5]. Tous deux ont été façonnés dans un granite à grains moyens à biotite dominante de teinte gris bleuté. Le diamètre moyen du moulin est de 38 cm ; celui de la meta est légèrement supérieur (38,5 cm) à celui du catillus (37 cm)2 sur lequel a porté les lavages. L’analyse de cet objet, préservé dans un contexte sédimentaire favorable à la conservation du matériel pollinique (argile organique), a d’abord consisté en un recueil de trois points de contrôle par prélèvements de sédiment de l’unité stratigraphique encaissante (US 18), du sédiment adhérant à la surface active et à la surface supérieure du catillus (respectivement M0 et M3 [ill. 6a]). Le lavage [ill. 6b] d’un seul des deux fragments du catillus a été nécessaire pour recueillir suffisamment de matière à analyser. En ce qui concerne la surface active du fragment sélectionné, une moitié de la surface [ill. 6b] a subi des brossages successifs (échantillon M1) tandis que l’autre moitié a été traitée exclusivement au pistolet pulvérisateur (échantillon M2 [ill. 6c]). Cela a été effectué afin de pouvoir comparer l’efficacité des deux méthodes de prélèvement. La totalité de la surface supérieure du fragment de catillus, au niveau du réceptacle, a été lavée uniquement par pistolet pulvérisateur (échantillon M4 [ill. 6d]). L’ensemble de ces opérations a permis un nettoyage complet et approfondi de ce fragment
de catillus [ill. 6e].
4. Demi-catillus au fond du puits de Saint-Jouan-des-Guérets.
A.-L. Hamon /Inrap.
5. Le moulin rotatif manuel complet découvert à Saint-Jouan-des-Guérets.
a - Vue du dessus ; b - Vue de côté avec premier emmanchement ; c - Vue de côté avec second emmanchement.
E. Collado/Inrap.
6. Les différentes étapes du protocole pollen washes appliquées à la meule de Saint-Jouan-des-Guérets.
a. Les deux fragments de catillus avant l’opération de Pollen-Whashes (seul le fragment gauche sera analysé). Du sédiment adhérant à la surface active (M0) et à la surface supérieure (M3) est prélevé pour servir de points de contrôle ; b. Lavages successifs à la brosse d’une moitié de la surface active du fragment de catillus (recueil de l’échantillon M1) ; c. Lavage au pistolet pulvérisateur de l’autre moitié de la surface active du fragment de catillus (recueil de l’échantillon M2) ; d. Lavages successifs au pistolet pulvérisateur de la surface supérieure, au niveau du réceptacle, du fragment de catillus (recueil de l’échantillon M4) ; e. Aspect de la surface active (gauche) et supérieure (droite) du demi-fragment de catillus à la fin des différentes étapes de lavage du protocole Pollen-Washes.
D. Barbier-Pain/Inrap.
11Les résultats des analyses des six échantillons prélevés sont présentés sous forme d’un diagramme polliniques [ill. 7a] en fréquences relatives. L’anomalie pollinique attendue, au vu du type d’objet analysé et de sa fonction, concerne principalement le type Cerealia même si le travail d’autres taxons végétaux n’est pas à exclure. La distinction entre graminées sauvages et cultivées (céréales [ill. 7b]) est fondée sur des caractères biométriques (Heim 1970). C’est pourquoi, au cours de ce travail, afin de limiter au maximum les erreurs d’appréciation, seules les Poacées dont la taille atteint un minimum de 45 µm et dont le diamètre extérieur du pore (aréolé) est supérieur à 8 µm ont été estimées comme étant des céréales (Leroyer 1997 ; Chester, Ian Raine 2001). D’autre part, la palynologie, à l’inverse de la carpologie, ne permet pas de détermination de l’espèce, hormis pour le seigle et le maïs. Un histogramme des concentrations en grains de pollen de céréales de chacun des échantillons étudiés vient donc compléter ces données [ill. 8].
7a. Diagramme pollinique des échantillons de la meule de Saint-Jouan.
D. Barbier-Pain/Inrap.
7b. Grain de pollen de céréale (échantillon M4 de la meule de Saint-Jouan).
D. Barbier-Pain/Inrap.
8. Diagramme des concentrations en grains de pollen de type Cerealia.
D. Barbier-Pain/Inrap.
12L’enregistrement pollinique du sédiment encaissant (US 18) met en évidence, au niveau du diagramme pollinique, un taux de pollen de céréales significatif (environ 2 %), confirmé par le résultat du calcul des concentrations (2 188 grains de pollen de céréales par gramme de sédiment). Ce phénomène traduit l’existence sur le site d’une forte activité liée à la céréaliculture (parcelles cultivées, traitement des céréales : battage, décorticage, mouture…). Cette activité est en outre attestée par l’étude carpologique (Wiethold 2018) qui a décelé, au sein de cette US 18, six taxons céréaliers à travers la présence à la fois de caryopses carbonisés de millet commun, de blé nu, d’un blé indéterminé, de millet des oiseaux, mais également d’éléments de vannes (base des glumes) de blé vêtu amidonnier et d’engrain. Au niveau de l’US 18, le diagramme pollinique livre un cortège de plantes herbacées rudérales (Asteracées, Urticacées, Brassicacées, plantain…) et adventices (oseille, centaurée) venant compléter l’image de l’environnement paysager du site qui s’avère correspondre à un milieu peu boisé (taux de pollen d’arbres très réduit) et très anthropisé.
13L’échantillon M2, prélevé au niveau de la surface active du catillus à l’aide du pistolet pulvérisateur, livre un taux de pollen de céréales plus important : (3,7 % pour une concentration de 2 206 grains par gramme de sédiment) vis-à-vis, d’une part, de l’échantillon M4 prélevé selon le même protocole mais cette fois-ci au niveau de la surface supérieure du catillus (1,3 % pour une concentration de 249 grains par gramme de sédiment) et, d’autre part, des deux points de contrôle M0 et M3 correspondant aux échantillons de sédiment adhérant aux surfaces respectivement active et supérieure (< 1 % et compris entre 236 et 351 grains par gramme de sédiment). La très faible concentration en grains de pollen de céréales des points de contrôle M0 et M3 vis-à-vis de M2 exclut l’hypothèse d’une contamination de la surface active de l’objet par le pollen de céréales présent dans le « bruit de fond » pollinique de l’US 18 et valide donc bien l’existence au niveau de l’échantillon M2 d’une anomalie pollinique résultant de l’utilisation même de l’objet analysé, à savoir la mouture de grains de céréales. À cet enrichissement en pollen de céréales s’ajoute également la présence d’un cortège de pollen d’adventices (oseille, centaurée) voire de messicoles (mercuriale annuelle) qui, bien que ténue, apparaît néanmoins plus marquée que dans les échantillons de contrôle M0 et M3 (sédiment adhérant). Ce point ouvre une piste de réflexion sur la question du traitement des céréales après récolte et notamment des éventuels processus de tri et de nettoyage appliqués aux récoltes. Ce résultat devrait par ailleurs permettre d’observer le statut des plantes compagnes des cultures et leur évolution au cours du temps, qu’il n’est pas évident d’analyser à travers l’étude palynologique de séquences naturelles.
14L’enregistrement de pollen de céréales à un taux légèrement plus important (en pourcentage relatif et en concentration) dans M4 que dans M3 est probablement lié au fonctionnement même de l’objet puisque cette surface, estimée non-active lors du protocole de prélèvement, correspond en fait au réceptacle du catillus, là où sont versés les grains de céréales, et s’avère plutôt fonctionner comme une surface semi-active. Ainsi, le pollen adhérant aux grains de céréales versés a pu se trouver piégé à la surface du réceptacle dans les anfractuosités du granite et expliquer ce signal pollinique. A posteriori, le bandeau du catillus ou encore son flanc auraient été plus appropriés en tant que surface non active. Cette constatation met en évidence la nécessité d’un dialogue, en amont de l’application de ce protocole, entre les palynologues effectuant les prélèvements d’une part, et, d’autre part, les archéologues, les spécialistes du matériel lithique, les céramologues… afin d’aboutir à une sélection d’objets et à des choix méthodologiques, notamment sur la localisation de l’échantillonnage, les plus judicieux possibles. Il est en effet capital de connaître les conditions de découverte de l’objet pressenti pour analyse afin d’appréhender au mieux les processus taphonomiques auquel il a été soumis et ainsi pouvoir expliquer plus précisément les résultats obtenus. De plus, une bonne connaissance de la nature même de l’objet, de son fonctionnement et de son mode d’utilisation théorique est également nécessaire afin d’éviter des prélèvements inappropriés.
15Enfin, cet exemple met clairement en évidence l’apport méthodologique de l’utilisation d’un pistolet pulvérisateur (Miras et al. 2018) dans les phases de lavage des objets étudiés. Ainsi, l’échantillon M1, pourtant équivalent de l’échantillon M2 en matière de localisation (surface active du catillus) et de superficie traitée, mais prélevé par brossages successifs sans intervention du pistolet pulvérisateur, n’a pas permis de mettre en évidence l’anomalie pollinique en lien avec les céréales (taux < 1 % et seulement 523 grains par gramme de sédiment), les lavages n’ayant manifestement pas été suffisamment efficaces pour récolter les grains de pollen pourtant présents sur la surface active dans la matrice sédimentaire piégée dans la structure même de la meule.
16Bien que les concepts et les principes fondamentaux aient été pensés et établis voilà près de 50 ans, l’approche des pollen washes a été très peu utilisée et reste encore à bien des égards une recherche exploratoire [encadré « Les meules de Pluguffan »]. Néanmoins, certains jalons peuvent être d’ores et déjà fixés de façon à perfectionner cette technique dont le potentiel est grand, mais qui reste finalement assez simple dans sa mise en œuvre et peu onéreuse. Premièrement, l’expérience acquise montre que tous les objets ne peuvent et ne doivent pas être destinés à cette analyse (Miras et al. 2018). Le taux d’échec reste honnêtement assez élevé, et ce, pour différentes raisons, comme l’aptitude du sédiment archéologique à conserver les spores et les grains de pollen, la présence de contaminations perturbant la caractérisation de l’anomalie pollinique ou le fait même que le travail de la ou des plantes, ou de son produit dérivé, a laissé ou non une signature insuffisante. D’ailleurs, aucun résultat positif n’a été obtenu à ce jour sur des objets en céramique. Aussi, l’important est que l’archéologue ou l’archéomètre puisse rapidement repérer un « bon candidat » et mettre en place les premières mesures méthodologiques indispensables pour in fine saisir l’occasion d’accroître les connaissances sur les économies végétales des sociétés passées. C’est pourquoi différents critères ont été listés de façon à permettre cette sélection [encadré « Critères de sélection du « bon candidat » à la technique des pollen washes »].
- 3 Sous la direction de Valérie Le Gall, Inrap.
Les meules de Pluguffan
À la suite du premier test concluant de Saint-Jouan-des-Guérets, deux autres meules provenant de la fouille du site de Ti Lipig à Pluguffan3 (Finistère) ont été sélectionnées pour réitérer ce type d’analyses. Ce site diachronique révélant des occupations allant du Néolithique à la période médiévale a livré près d’une quarantaine de meules, dont 35 éléments va-et-vient et 3 meules rotatives (Le Gall, Paranthoën et al. 2020). Le choix s’est porté, d’une part, sur une meule va-et-vient entière de type en cuvette, prélevée au décapage, hors de toute structure [ill. 1] et d’autre part vers une meta entière en roche basaltique issue du comblement d’un fossé d’enclos daté de la transition La Tène finale/Antiquité [ill. 2]. Pour ce type particulier de meule va-et-vient, il s’agissait de déterminer si elle avait servi à la mouture de céréales ou si d’autres types de végétaux avaient pu être broyés dans la cuvette. Quant à la meule rotative en basalte, il s’agissait d’observer le degré de conservation des grains de pollen du fait de la nature vacuolaire de la roche estimée a priori plus favorable au piégeage de résidus. Les prélèvements ont été réalisés selon le même protocole que pour la meule de Saint-Jouan-des-Guérets. En revanche, leur contexte de découverte différait radicalement de cette dernière, puisqu’il s’agissait de comblement et de sédiment en partie arénacé et les résultats n’ont pas permis de répondre à nos questionnements, en raison de mauvaises conditions de conservation du matériel palynologique. Cet exemple encourage cependant à rappeler l’importance des contextes de prélèvement et la nécessité d’un dialogue entre les différents spécialistes et les responsables d’opération.
L’exemple des résultats significatifs de la meule rotative de Saint-Jouan-des-Guérets est prometteur. Si les meules semblent répondre favorablement à cette méthode d’analyse, une collaboration plus étroite devrait se développer avec les membres du PCR « Évolution typologique et technologique des meules du Néolithique à l’époque médiévale » (Monchablon, Fronteau, 2020). Par ailleurs, cette approche appliquée à d’autres outils macrolithiques (table à broyer, broyeur, pilon, mortier) pouvant être liés au domaine culinaire, pharmaceutique ou encore à l’activité textile est susceptible de contribuer à une meilleure caractérisation fonctionnelle de ces outils au sein des chaînes opératoires de transformation.
1 [encadré]. Meule en cuvette, face active au sol, mise au jour lors du décapage.
V. Le Gall/Inrap.
2 [encadré]. Meta en basalte issue du comblement supérieur du fossé F 180.
V. Le Gall/Inrap.
Critères de sélection du « bon candidat » à la technique des pollen washes
On privilégie un objet qui a eu (ou est soupçonné d'avoir eu) un contact direct et/ou long et répété avec des plantes ou des produits dérivés de plantes (outils de travail, conteneur, matériel de mouture et de broyage, objet présentant des résidus, etc.) et pour lequel une problématique scientifique pertinente se dégage. Il faut également que ce contact avec le monde végétal soit susceptible d’avoir laissé une signature pollinique. À ce titre, la caractérisation de toute utilisation de plantes ayant recouru à des températures élevées ou à une combustion n’est pas pertinente avec cette approche. Il est encore souhaitable que l’objet soit issu de sites dont les conditions environnementales sont favorables à une bonne conservation des spores et des grains de pollen de végétaux et plus largement des microfossiles non polliniques (spores fongiques particulièrement) : contextes humides, taux élevés de matière organique, siccité extrême. Les contextes de puits apparaissent ainsi comme des milieux intéressants. La présence de macrorestes végétaux non carbonisés peut être un signal d’alerte.
Dès sa mise au jour, l’objet (non lavé) doit être protégé de façon à éviter les contaminations (filmage et/ou emballage hermétique ; si présence de sédiment dans l’objet, préférer le vider au laboratoire ; privilégier la présence de concrétions). L’objet doit être localisé et décrit dans son contexte de découverte (description du type de structure au sein de laquelle l’objet a été retrouvé, positionnement de l’objet au sein même de la structure, localisation du prélèvement de l’US encaissante par rapport à l’objet…). Les conditions de stockage de l’objet doivent également être renseignées.
De manière plus générale, on choisira un objet dont l’étude par la technique des pollen washes s’inscrit dans une multidisciplinarité à large spectre et en complémentarité avec d’autres approches archéobotaniques (carporestes, phytolithes, amidons), bioarchéologiques (chimie organique, métabolomique,protéomique, ADN, etc.) ou tracéologiques.
- 4 Sous la direction de Marie-Hélène Moncel, CNRS.
17Les enjeux sont forts tant les connaissances sont lacunaires sur la relation entre les objets archéologiques et les modalités d’utilisation des plantes domestiques par les sociétés du passé, mais aussi sur la récolte et l’utilisation des plantes sauvages par les communautés préhistoriques. Ces questions restent prégnantes pour les sociétés d’agro-pasteurs, et l’éventail de plantes impliquées dans la kyrielle d’usages impliqués dans leurs économies diversifiées est loin d’être complètement connu. Aussi, dans un second temps, les leviers à actionner dans les futurs développements de cette approche se fondent sur un nécessaire développement de l’archéologie expérimentale pour améliorer le récolement des signatures polliniques des différentes pratiques. Le chantier est vaste, impossible à embrasser dans son exhaustivité, mais certains champs thématiques semblent prometteurs, notamment en lien avec le miel et les produits dérivés de la ruche. En outre, s’il est nécessaire de multiplier les recours à cette technique, l’application du protocole pollen washes doit s’envisager aujourd’hui dans une démarche véritablement interdisciplinaire et « pluri-indicateurs » et la confrontation des résultats avec ceux issus d’autres approches bioarchéologiques et archéométriques paraît indispensable. De même, elle doit s’accompagner d’une recherche systématique de nouveaux bio-indicateurs. Ainsi, des études récentes menées dans le site du Paléolithique moyen de l’abri du Maras (Ardèche)4 montrent le potentiel des microfossiles non polliniques, et plus particulièrement des spores de champignons endophytes, qui vivent en association avec les plantes dans les tissus végétaux, et dont l’analyse, couplée aux pollen washes d’un outil en silex taillé, indique l’utilisation de racines d’aulne par les communautés néanderthaliennes (Miras et al. 2020). Les champignons parasites de plantes, notamment de céréales (par exemple, les taxons Ustilago ou Pleospora), ouvrent par ailleurs de nouvelles thématiques comme l’état sanitaire des plantes travaillées sur le matériel de mouture. Bref, les terrains d’investigation à défricher sont nombreux mais exaltants pour tout palynologue ayant à cœur de redynamiser la palynologie dans la recherche archéobotanique.